mercredi 23 avril 2008

Fièvre Catarrhale Ovine

Ca y est. la lumière est éteinte. Il aura fallu trois semaines de préparation pour en arriver là : aller moi-même à une formation sur le sujet, fabriquer le diaporama, trouver un vidéoprojecteur et la salle, et surtout, surtout, faire venir ces quarante personnes. Je passe sur l'écran qui manquait malgré le gars de la mairie vu dans l'après-midi, j'en ai déniché un dans un placard au rez-de-chaussée. Ou sur la journée de fou qui a précédé cette réunion, pour changer.

J'ai une conscience aiguë de tous ces gens assis dans l'ombre, de tous ces visages connus, appréciés ou non. Ils sont tous éleveurs. Presque tous de bovins allaitants. Ils ont entre 25 et 80 ans. Il y a quelques femmes. Pas nombreuses. Je n'ai pas vraiment le trac, je maîtrise mon sujet et j'ai envie de leur faire passer ce message, ce soir.

Sur l'écran, il est écrit : Fièvre Catarrhale Ovine, alias Maladie de la langue bleue.

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jeudi 20 mars 2008

2298

La 2298 a 18 ans.

La 2298 est une vache ordinaire.

La 2298 est plutôt gentille, mais ni plus ni moins qu'une autre.

La 2298 est une vieille vache qui ressemble vaguement à une blonde d'Aquitaine croisée d'on-ne-sait-quoi.

La 2298, malgré son âge, reste dans l'élevage. Parce qu'elle a toujours vécu tranquillement et fait son veau tous les ans, qu'elle a allaité sans difficulté. Parce qu'en outre, elle n'a pas de difficultés de locomotion. Elle a simplement dépassé de 6 ans l'âge moyen de réforme pour ce type d'animaux.

La 2298 est tombée sur le côté, il y a quelques semaines. Elle ne s'est pas relevée. Son éleveur l'a redressée sur le sternum, l'a calée avec une botte de paille, lui a donné à boire et m'a appelé.

La 2298 est pleine de 4 mois, et elle est percluse d'arthrose. Je lui injecte un anti-inflammatoire et recommande à son éleveur de la lever de force avec des sangles ou une pince afin de ne pas la laisser couchée trop longtemps, de la faire manger, surtout du foin, et de la faire boire.

La 2298 s'est relevée en quelques heures, et a repris son train-train quotidien.

La 2298 est retombée sur le côté, il y a quelques jours. Elle ne s'est pas relevée. Son éleveur l'a redressée sur le sternum, l'a calée avec une botte de paille, lui a donné à boire et m'a appelé.

La 2298 est un peu maigre, mais sans plus. Elle a bon oeil, n'a pas de déficit neurologique décelable, elle rumine toujours, mais sa température baisse doucement. Elle est fatiguée. Fatiguée de porter son veau qui n'a pas encore commencé sa phase de croissance rapide, dans les derniers mois de gestation. Fatiguée de se lever tous les matins, fatiguée de ces hanches qui ne suivent plus comme avant. Je lui injecte un anti-inflammatoire et ne recommande pas grand chose à l'éleveur, il a déjà tout fait, même curer le stabulation pour conserver une fine épaisseur de fumier et lui permettre de s'appuyer sur la terre battue en-dessous. La 2298 n'est tout simplement plus vraiment capable de porter son poids.

La 2298 ne s'est pas relevée, malgré les efforts de son éleveur. Deux jours plus tard, il m'a rappelé.

La 2298 est couchée, sur le côté, elle a repoussé les bottes de paille qui la soutenaient sur le sternum. Elle a toujours un bon oeil, elle boit, elle mange. Son éleveur m'a accompagné, le visage fermé. Le père de l'éleveur a préféré rester à la maison.

La 2298 est morte. Je l'ai euthanasiée.

La 2298 a vaincu 18 ans sans incident majeur. Elle a eu 16 veaux dont certains sont devenus des vaches de l'élevage. Trois, quatre, cinq générations ? D'autres sont partis à la boucherie.

La 2298, l'éleveur l'a vu naître quand il était petit garçon, il a fait naître ses veaux, il a guidé leurs premiers pas, leur a parfois montré le pis. Matin et soir, il les a mené à leur mère pour les faire téter, il les a soigné, les a vu grandir, et les a vu partir.

La 2298, l'éleveur l'a accompagnée depuis sa naissance, jusqu'à sa mort. Il s'est consacré à ses derniers jours. Il l'a levée, l'a tournée pour éviter les escarres, l'a nourrie, a pris le temps de la faire boire, a étayé son matelas de paille, a nettoyé ses bouses. Il a demandé que je fasse au mieux, n'a pas hésité sur le prix des anti-inflammatoires, même s'il savait qu'elle ne mènerait jamais sa dernière grossesse a son terme. "Je lui devais bien ça", m'a-t-il déclaré.

La 2298 était une vieille vache qui ne ressemblait à rien, une de ces vieilles vaches comme la sélection n'en fait plus. Une fleur des prés. Elle est morte en une trentaines de secondes, sans souffrance.

La 2298 était une vache ordinaire. Je l'ai tuée.

La 2298 avait 18 ans.

dimanche 9 mars 2008

Regard : Nouveau-né

dimanche 2 mars 2008

Farines animales

Je lis sur le Figaro.fr que Bruxelles réfléchit à la réintroduction des farines animales dans l'alimentation des porcs, volailles et poissons d'élevage. L'article alterne entre le bon (considérations intéressantes sur l'impact psychologique d'une telle mesure), l'insuffisant (pas d'information sur les farines animales), et le très mauvais (la conclusion, genre on nous cache tout on nous dit rien).

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mardi 26 février 2008

Vêlage

Petit avertissement : ce billet est le compte-rendu d'un vêlage qui s'est très mal passé. Certains passages peuvent être assez choquants, n'hésitez pas à interrompre votre lecture, et à vous tourner vers une naissance plus... tranquille.
Vous êtes prévenus.

6h14. Mon réveil téléphone sonne. Je tends la main, grommelle un truc inintelligible. Une voix, claire, je la reconnais immédiatement, celle de madame Neste. "C'est pour un vêlage". Je réponds à peine... je me dis qu'il faut que je change la mélodie de mon téléphone, je commence à la détester, il faudrait que je trouve autre chose, de préférence une musique que je n'aime de toute façon pas.

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samedi 19 janvier 2008

Donner la mort

L'euthanasie est l'un des actes emblématiques de la profession vétérinaire. Nous tuons tous les jours, ou presque. Pourtant, ce n'est un acte banal ni pour le praticien, ni pour le maître ou le propriétaire de l'animal.

Comment euthanasie-t-on ?

Il existe deux produits destinés à l'euthanasie des animaux, qu'ils soient de compagnie, de sport ou de rente (les animaux de rente, ce sont les bovins, porcins... qui sont élevés dans une optique économique).
Le premier est un anesthésique d'ancienne génération, surdosé. Le second est un toxique puissant qui bloque la respiration et arrête le coeur. Le choix de l'un ou de l'autre, ou d'un mélange des deux, repose plus sur des habitudes que sur des critères objectifs.

Je vais vous décrire ce que moi, je fais. Ce n'est nullement une méthode de référence. Je pense que dans la réalisation technique de cet acte, chaque vétérinaire doit surtout être à l'aise. Le résultat, de toute façon, est le même.

En général, je m'occupe des papiers et règlements avant l'euthanasie. Ainsi, le maître n'est pas obligé de s'attarder dans la clinique après ce moment difficile. Si je ne peux pas faire ainsi, c'est notre secrétaire qui s'occupe du règlement.

Le cas le plus classique, celui d'un chien ou d'un chat.

Je commence par poser un cathéter, car les produits euthanasiques doivent être injecté par voie intraveineuse. C'est parfois techniquement très difficile, notamment chez les tout petits animaux, ou ceux qui sont très déshydratés. C'est souvent la partie de l'euthanasie la plus pénible.
Ensuite, j'anesthésie l'animal. Il perd conscience très vite. Parfois, l'anesthésie induit des vomissements : je préviens avant. Si je peux (si l'animal supporte l'anesthésie), je laisse du temps au maître avec son chien. Juste une minute : c'est assez pour réaliser, pas assez pour se trouver mal à l'aise à côté du corps déjà inerte. Evidemment, cela dépend des gens, à moi de deviner à chaque fois.
Enfin, j'injecte l'euthanasique. La mort survient généralement dans la minute. Souvent, les animaux très âgés, ou malades, résistent mieux que ceux qui sont "en bonne santé". Je ne sais pas pourquoi. Encore une fois, s'il le souhaite, je laisse du temps au maître avec son animal.

La plupart des gens choisissent de rester pendant l'euthanasie. Evidemment, j'ai plus de pression, mais je préfère : ça permet de voir la réalité de cet acte et diminue d'autant les fantasmes. Le chien ne souffre pas, c'est évident, et donc apaisant pour les maîtres. C'est certainement une étape très importante du deuil.

Les cas plus difficiles, avec les animaux de compagnie.

Dans le cas de très petits animaux, ou d'animaux tellement déshydratés que je n'arrive pas à poser une voie veineuse, je n'ai qu'une solution pour euthanasier : l'injection intracardiaque. C'est un acte techniquement difficile, mais l'injection intrapulmonaire fonctionne aussi. Sauf que c'est très douloureux, il faut donc que l'animal soit anesthésié avant de la réaliser (l'injection intraveineuse n'est pas douloureuse).
Dans ce cas, je réalise une anesthésie avec une injection intramusculaire, puis l'intracardiaque (ou intrapulmonaire, à défaut). Si l'intracardiaque est réussie, la mort est instantanée. Sinon, cela prend deux à trois minutes.
Symboliquement, c'est un geste très fort, et très violent. Je préfère éviter que les maîtres y assistent, mais je ne leur ment pas.

Les bovins, équins, ovins...

Le protocole est exactement le même, mais sans l'anesthésie préalable qui entraîne avec ces animaux plus de problèmes qu'elle n'apporte de confort. Sans parler du coût des anesthésiques...

Qui euthanasie-t-on ? Pourquoi ?

En préambule, il faut aborder la question de la responsabilité de la décision d'euthanasie. Ne surtout pas choisir à la place du maître s'il hésite : je dois donner les moyens de choisir, mais pas choisir. A ce titre, la phrase "mais si c'était votre chien, docteur, vous feriez quoi ?", est un piège. Il faut l'esquiver : "ce n'est pas mon chien" !
Il est très important que les choses soient claires dans la tête de mon interlocuteur : il doit avoir été libre de son choix pour l'assumer, et ne pas rejeter "la faute" sur quelqu'un d'autre. Moi, en l'occurrence.
Evidemment, il est de rare cas ou j'appuie l'euthanasie. Lorsqu'il faut aller vite, qu'il n'y a pas vraiment d'alternative, suite à un accident par exemple, ou pendant une chirurgie lorsque je découvre une lésion trop importante pour qu'un traitement soit envisageable. Lors de souffrance aigüe et ingérable, également.
Mon devoir est d'informer de façon claire et loyale, de savoir me mettre à la portée de mon interlocuteur.

Les motifs d'euthanasie sont très variés, mais les plus fréquents sont :
- les maladies incurables, ou difficilement soignables. Le motif le plus fréquent est l'insuffisance rénale chronique dans son stade terminal, suivent les cancers divers et variés ou certaines maladies métaboliques en décompensation (diabète...). Parfois, l'animal peut techniquement être soigné, mais au prix de souffrances et pour un résultat difficilement justifiable. Parfois, c'est financièrement que les soins sont irréalisables.
- la paralysie, totale ou partielle, due à des causes nerveuses ou à une arthrose avancée (c'est très fréquent). L'animal ne peut plus se lever pour faire ses besoins ou manger, les escarres s'accumulent.
- les portées indésirées. Chiots ou chatons d'un jour ou parfois plus, portées entières ou partielles...
- les animaux mordeurs. C'est un motif rare, mais symboliquement important.

Dans le cas des grands animaux, c'est souvent une fracture qui amène à l'euthanasie. Certaines maladies chroniques qui rendent l'animal impropre à la consommation y obligent aussi.

Je peux refuser l'euthanasie. Cela m'arrive rarement, mais on ne m'obligera pas à euthanasier un animal pour lequel il existe une autre solution, traitement simple, placement ou abandon dans un refuge, selon les cas.
Je ne me fais pas d'illusions, certains recevront un coup de fusil, d'autre iront chez un confrère.

Ca fait quoi d'euthanasier ?

Pour le vétérinaire, je le disais en introduction, ce n'est pas un acte anodin.

D'abord, je dois anticiper. Deviner si le maître préfèrera être présent ou non pour l'euthanasie elle-même, comprendre très vite son état d'esprit, pour choisir les bons mots, pour réconforter, déculpabiliser ou expliquer pourquoi c'est un bon choix. Ca demande pas mal de finesse psychologique, c'est complexe.

Euthanasier un animal en fin de vie, souffrant de pathologies invalidantes et/ou incurables, moralement, ça ne me dérange pas. La justification médicale, pour moi, est évidente.
Parfois, l'euthanasie est l'aboutissement d'une longue démarche clinique et thérapeutique, un accompagnement de l'animal et de son ou ses maîtres jusqu'à cette dernière étape. A l'inverse, je peux aussi recevoir un animal que nous connaissons à peine car il n'a jamais été vraiment médicalisé, mais qui arrive au bout du rouleau.
Le geste en lui-même n'est difficile pour moi que sur les portées de chiots ou de chatons. Je sais que je n'ai pas vraiment le choix, mais ça reste moralement discutable et puis... euthanasier des nouveaux-nés, c'est dur ! Je le fais, parce que je sais que sinon ce sera la noyade ou l'abandon, ou d'autres solutions sans élégance. A choisir, les euthanasier implique moins de souffrances.

Dans tous les cas, il faut que je me protège. C'est vital. Même si l'animal est un patient depuis parfois dix ou quinze ans, même si j'ai fait son premier vaccin, même si j'ai parfois vacciné ses descendants, même si je l'ai suivi pour ses bobos et son coeur qui fatiguait, ou si j'ai sué sur un diagnostic complexe ou difficile à annoncer au propriétaire, je dois rester "le docteur". Même si les clients sont parfois des amis, ou du moins des relations appréciées.
Ne pas m'impliquer émotionnellement. Eprouver de la compassion, oui, mais rien de plus. Surtout, rien de plus.

Parfois, c'est terriblement difficile.

Certaines euthanasies m'ont dévasté. Le vieux caniche d'une grand-mère atteinte d'alzheimer, qui trouve dans la mort de son chien l'écho de sa propre déchéance physique et mentale.
Le chiot d'une petite fille qui ne peut pas accepter la malformation cardiaque incurable de la peluche. "Tu vas le soigner, docteur ?"
Cette dame d'une quarantaine d'années, qui m'a dit au moment ou j'appuyais sur la seringue : "ce chien, c'était notre cadeau de mariage. Mon mari est décédé il y a deux ans d'un cancer."
Tous ceux qui fondent en larme ou qui retiennent leurs pleurs, ces messieurs très dignes, ces dames effondrées.

Les larmes, c'est contagieux, mais je n'ai pas le droit de pleurer. Je suis "le docteur", solide, et rassurant.

Et ne croyez pas que ce soit facile pour une vache... ce n'est pas parce que la logique économique dicte les choix de l'éleveur qu'il apprécie pour autant de voir un animal qu'il a vu naître, qu'il a fait têter, qu'il a élevé pendant des années, finir tristement son existence à l'équarissage. Bien sûr, l'implication émotionnelle du propriétaire n'est pas la même. Mais elle existe, plus que la plupart des éleveurs ne l'admettront.

Mais c'est cher une euthanasie ?

Alors oui, une euthanasie, c'est assez cher.
D'abord, parce que ça prend du temps.
Parce que c'est un acte technique qui se passerait très mal si nous ne le réalisions pas dans les règles de l'art.
Parce qu'en général l'animal est incinéré et qu'il faut garder son cadavre puis payer l'incinération.
Parce que nous engageons notre responsabilité en acceptant d'euthanasier un animal (et si la personne qui présente ce chien n'était pas le maître mais un voisin mal intentionné ? Oui, il y a des décharges et des déclarations de consentement éclairé, mais...).
Parce que se décharger de sa culpabilité sur le dos du véto, ça a un prix (euthanasie de portées de nouveaux-nés...).

Parfois, c'est gratuit. Je ne facture généralement pas les euthanasies des animaux hospitalisés, ceux pour lesquels on a tenté un traitement qui n'a malheureusement pas porté ses fruits. C'est une erreur, sans doute, car généralement, je ne suis pour rien dans l'échec du traitement... Je facture un prix symbolique aux indigents qui ont été jusqu'aux bouts de leurs moyens pour leur animal de compagnie.

Le fait de payer, d'ailleurs, joue sans doute un rôle dans le processus de deuil, je ne sais pas...

Réflexions errantes en guise de conclusion

Il parait que nous, vétérinaires, avons un rapport très étrange à la mort. Notre profession serait l'une des toutes premières de par son taux de suicides. Nous avons les produits, nous savons que ça ne fait pas mal, et nous avons une profession très anxiogène.
Par ailleurs, d'après une espèce de sondage réalisé par un hebdomadaire vétérinaire sur son site internet, nous sommes globalement en faveur de l'euthanasie humaine.
D'après un autre sondage de ce même type, la plupart de mes confrères et consœurs se disent au minimum "affectés" par une euthanasie, même parfaitement "justifiée".

Ce qui me réconforte, moi, égoïstement, c'est que certains propriétaires d'animaux se rendent compte de ce qu'ils nous demandent quand il s'agit d'une euthanasie.

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