Farines animales

Je lis sur le Figaro.fr que Bruxelles réfléchit à la réintroduction des farines animales dans l'alimentation des porcs, volailles et poissons d'élevage. L'article alterne entre le bon (considérations intéressantes sur l'impact psychologique d'une telle mesure), l'insuffisant (pas d'information sur les farines animales), et le très mauvais (la conclusion, genre on nous cache tout on nous dit rien).

Evidemment, l'article commence par rappeler l'ESB, la crise de la Vache Folle et la maladie humaine correspondante, Creutzfeldt-Jacob. Il y a une phrase très intéressante, mais elle n'est pas suivie d'explications claires :

Entre les intérêts économiques, les enjeux sanitaires, les règles politiques et la sensibilité du grand public se joue une partition subtile où chacun sait que le moindre faux pas peut être synonyme de tremblement de terre.

Je tiens donc à reprendre quelques points simples pour répondre aux questions ou aux hurlements des commentaires de l'article, qui sont du niveau habituel des réactions sous les articles de presse en ligne : beaucoup d'ignorance et d'a priori. N'hésitez pas à poser des questions ou à apporter des précisions.

Les farines animales, c'est quoi ?

Du sang, des graisses superficielles, des os, des déchets de volailles et autres déchets d'abattoirs, c'est à dire des morceaux non commercialisables, viscères lavés et vidés, déchets de découpe. Les animaux saisis à l'abattoir pour des raisons sanitaires ne peuvent être utilisées, ce qui signifie que l'on n'utilise, en fait, que des déchets de produits sains.

Ces déchets sont broyés, cuits, pressés puis dégraissés.

Les farines animales, c'est dangereux ?

Les processus de cuisson imposés sont capables de détruire tous les agents pathogènes connus, y compris les prions responsables de l'ESB ou de Creutzfeldt-Jacob. Ce sont donc des produits sûrs, et sains.

Sauf si... on dérégule les règles sanitaires, ce qui a été le cas au Royaume-Uni, ou des industriels ont abaissé les températures de cuisson à des niveaux capables de détruire les virus et bactéries, mais pas les prions (qui étaient alors inconnus). Ces farines contaminées ont été fabriquées à partir de 1981, et utilisées jusqu'en 1988 (le temps de comprendre ce qui se passait).

Pourquoi fabriquer des farines animales ?

Comme je vous l'indiquais plus haut, les farines animales sont issues des déchets sains d'abattoir. Parce que ces déchets existent, et qu'il faut bien en faire quelque chose... A l'heure actuelle, on fabrique toujours des farines animales, mais on les incinère.

Pourquoi utiliser des farines animales ?

Comme nous, les animaux ont besoin de glucides, de lipides et de protéines. Les farines animales sont une excellente source de protéines de bonne qualité, et contiennent en plus pas mal de calcium et de phosphore.

Les protéines de l'alimentation animale proviennent essentiellement du soja (et de certains pois), qui est la graine qui contient le plus de protéines.

Les farines animales sont donc très intéressantes car elles sont fabriquées dans le pays, à partir de déchets, alors que le soja est surtout importé. Les premières ne sont pas très chères, le prix du soja ne cesse d'augmenter (et je ne parle même pas de la problématique OGM, car le soja est une plante dont la proportion de production OGM ne cesse d'augmenter, en trouver du non-OGM devient difficile).

Les farines animales étaient peu utilisées dans l'alimentation des bovins (au plus 1% de la ration), et pouvaient représenter jusqu'à 5% de l'alimentation des porcs charcutiers. Aujourd'hui, leur utilisation est totalement interdite.

Et donc ?

Je récapitule : on brûle des farines animales désormais saines (ce qui est cher et polluant, je passe sur les autres effets collatéraux notamment sur le service public de l'équarissage) et l'on importe à prix d'or du soja à la place (ce qui est cher et polluant).

Mais comme le souligne l'article du Figaro, si l'interdiction des farines animales n'a plus vraiment de base scientifique valide, l'image auprès du consommateur est tout autre. Il suffit de lire les commentaires de l'article ou d'en discuter deux minutes au café du commerce pour s'en rendre compte. "Cannibalisme, agriculture folle, vache carnivores," les images s'entrechoquent et se bousculent, la peur règne et l'information est rare.

A mon avis, réintroduire les farines animales serait une erreur, car le public n'est pas du tout prêt à cela et les éleveurs n'ont vraiment pas besoin d'une nouvelle crise. Evidemment, pour eux, la situation économique est très difficile. On les accuse de vouloir nous faire "bouffer de la merde" quand ils espèrent surtout survivre. Oui, le prix de la viande augmente et va sans doute continuer à augmenter, à moins que vous n'achetiez du boeuf importé de pays qui n'ont pas interdit les farines animales (hors de l'UE, pour faire simple).

Je le disais dans un autre billet au sujet des règles strictes qui encadrent le bien-être animal, notamment à l'abattoir, je le répète ici avec ces problèmes alimentaires : les produits français sont chers car les pouvoirs publics et les filières ont mis en place des cadres très contraignants afin d'offrir des produits de grande qualité et de satisfaire le consommateur.

Nous consommateurs, avons des droits : manger ce que nous souhaitons manger. Et des devoirs : mériter tous ces efforts, et les reconnaître. Des efforts qui se payent à la caisse du supermarché.

PS : parce que je ne résiste pas : les vaches ne sont pas herbivores. Non, non. Elles ont dans le ventre un immense estomac, la panse, d'une contenance d'environ 100L, et qui ne contient que des bactéries et autres micro-organismes capables de digérer l'herbe. La vache, elle, digère ces bactéries. Les vaches sont bactérivores. D'ailleurs, les animaux qui mangent de l'herbe se servent de microbes pour la digérer à leur place. Et ces microbes sont parfaitement capables de digérer de la viande. Je fais de la provoc' ? Oui, mais réfléchissez-y.

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