Mon associé
lundi 6 octobre 2014, 12:22 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Il est assis là, presque dans le noir. La lumière bleutée de l'écran se reflète sur son visage, accentue la profondeur de ses cernes. Sa pâleur.
Il est bien 21 heures. La clinique est censée être fermée depuis deux heures. Les derniers clients sont partis il y a une heure, avec l'assistante, qui, sans que rien ne lui soit demandé, est simplement restée.
Il contrôle la caisse, vérifie les chèques, prépare la remise. Il regarde le compte.
Les lumières sont éteintes, les volets sont abaissés. La porte est fermée. A travers la vitre, à travers le logo, on voit la lumière du réverbère.
Le vent souffle les feuilles des platanes accumulées.
Il se passe la main sur le visage, il ne soupire pas. Il ne devrait plus être là, mais il doute. Il a besoin du calme de cette fin de journée pour se poser. Décompresser. Redevenir lui, et pouvoir rentrer, voir sa femme, voir ses enfants.
Il a besoin de poser son masque de vétérinaire pour reprendre celui de la vie ordinaire.
Est-ce qu'on va pouvoir payer les salaires ? Les médicaments du mois dernier ? Est-ce qu'il y a de quoi provisionner, pour les charges de fin d'année ?
Il n'écoute pas ma consultation. Je me suis enfermé, pour mieux le laisser se couper. De toute façon, il sait que je vais gérer. Ces gens, eux aussi, sont rentrés tard. Leur rituel avait été brisé. Leur chien ne leur avait pas fait la fête. Il n'avait pas voulu manger. Alors, ils nous ont appelé. À l'heure où, nous aussi, nous aurions bien aimé rentrer. Mais il n'y avait pas à hésiter. J'achève ma consultation, remets l'ordonnance, je fais régler.
Je devrais pouvoir m'en aller.
Il est assis là, presque dans le noir. La lumière bleutée de l'écran se reflète sur son visage.
Nous avions oublié la commande de médicaments. Je fais le tour des étagères, il note. Une dernière confirmation, nous envoyons.
Il est bientôt 22 heures. Parfois, j'ai l'impression que nous sommes mariés.
Demain, c'est vendredi. Trois chirurgies, dont une lourde. Déjà une douzaine de consultations, une visite de contrôle d'export de chevaux. Des dents à râper. Qui doit être où, quand, est-ce que tout colle ? Il faudra bien. Ce sera possible. Ce sera difficile si la moindre urgence vient tout bousculer.
Comme chaque jour, mon associé.
Commentaires
Rien que pour cet engagement nous les proprios et eux les bestioles de tout poils nous vous remercions !
Signée une proprio de chats qui sont arrivés sans encombre à Nouméa grâce aux vétos qui les ont suivi pendant six mois.
Bel éloge, tout en retenue. Vous faites un sacré métier, tous.
C'est rare et appréciable, de trouver une bonne entente comme celle que vous décrivez.
C'est vrai que l'association ressemble à un mariage ... réussi ou raté !
Nombre de médecins de campagne se retrouvent corvéables sept jours par semaine, faute d'avoir trouvé LE bon associé.
@ Cécile:
"Nombre de médecins de campagne se retrouvent corvéables sept jours par semaine"
Redescendez sur terre, ma chère! Car le nombre en question s'approche d'Epsilon, les campagnes (le lieu où je vis et exerce) glissent résolument vers le "Désert Médical"... Pas d'installation de nouveau praticien (on sent le pâté, ou quoi?) et ceux qui restent, les corvéables comme vous dites, ont désormais passé la soixantaine, et l'Etat, dans sa grande mansuétude nous accordant la retraite à taux plein "dès" 67 ans, j'ai doute que, d'ici moins de dix ans, le médecin de campagne de vos fantasmes aura rejoint le Dodo de l'Ile Maurice et la Grenouille Plate à Incubation Gastrique au paradis des espèces récemment disparues!!..
Tes mots sont beaux..
@ Rollin_Delay
Cher Ami, je ne suis pas encore dans le fantasme, je me réfère à mon propre frère, généraliste dans le Sud Profond. Il n'a "que" 57 ans et n'en peut déjà plus de remplacer son associé aux heures et jours les plus indus ! Lequel des deux fera partie des derniers survivants de l'espèce ? A suivre.
Bonjour!je suis tout à fait d'accord avec Cécile, la majorité des médecins de campagne subissent beaucoup de pression en assumant seuls leurs tâches faute d'avoir des personnes compétentes pour les aider et c'est pour cela que la plupart d'entre eux, notamment les jeunes refusent d'y travailler et préfèrent être indépendants en ville, ce qui m'amène également à être d'accord avec ce qu'en pense Rollin Delay, bientôt il n'y aura aucun médecin au niveau de ces endroits.
Merci,
pour nous, nos compagnons, vos employés.
C'est la crise mon bon monsieur.
Des tas de gens qui aimeraient avoir un boulot et vous filer un coup de main. Des tas de gens qui seraient ravis que vous ayez de quoi payer un assistant ou je ne sais quoi pour faire le boulot en plus.
A coté de ça certains médecins/ véto en ville se farcissent des honoraires hors norme. Bref.
Y a du boulot, mais pas de sous. Enfin pas pour tout le monde.
Bonjour,
En effet, tout le monde en bave pour survivre de nos jours, rien est facile à obtenir, tout est en crise, le meilleur moyen pour survivre est de s'adapter!
Vous avez de très belles paroles, j'apprécie votre plume.