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vendredi 6 décembre 2013

Modification de la réglementation sanitaire pour les chevaux destinés à l'abattage, et autres considérations

Mail reçu de la part des Haras Nationaux :

... suite aux différentes crises liées à la viande équine, la DGAL a décidé de renforcer les contrôles des équidés arrivant en abattoir.
La nouvelle note apporte des précisions quant à l'application du règlement européen 504/2008 concernant certaines règles d'éligibilité à l'abattage des équidés afin de faciliter le contrôle des documents d'identification par les inspecteurs en abattoir.
Les nouvelles consignes ont pour but la non-présentation en abattoir d'animaux ayant fait l'objet d'une rupture dans leur chaîne de traçabilité. Il s'agit notamment d'animaux identifiés tardivement, de ceux accompagnés par un document d'identification duplicata ou de remplacement, ou de certains animaux dont le feuillet "traitement médicamenteux" n'a pas été inséré dans les délais :

Résumé des principales mesures nouvelles :

  • Exclusion en abattoir si feuillet traitement inséré tardivement ou ré-inséré :
    • Équidés nés avant 2001 dont le feuillet n’a pas été inséré avant le 1er janvier 2010
    • Équidés nés après 2001 avec feuillet «volant et non inséré par les Haras nationaux»
  • Exclusion en abattoir des équidés identifiés tardivement :
    • Nés avant le 1er juil 2009 non identifiés avant le 1er janvier 2010
    • Nés après le 1er juillet 2009 non identifiés dans les 12 mois suivant leur naissance
  • Exclusion des duplicatas :
    • En abattoir (sauf exception avec présentation registres d’élevage ou attestation véto)
    • A l’émission du document par SIRE (sauf exception dérogation à demander au préfet)
  • Exclusion si documents de remplacement : ONC avec puce étrangère, feuillet traitement médicamenteux de remplacement.

Vous trouverez bien plus de détails dans cette note de service.

Une question de résidus et de traçabilité

Je vous rappelle le principe. Nous en avions déjà parlé ici, et là aussi.
L'idée est de ne pas manger de viande (ou de lait, d’œufs... pour les produits espèces concernées) contenant des résidus de traitements médicamenteux : antibiotiques, anti-inflammatoires, etc. Pour chaque substance, on a défini une limite maximale de résidu (LMR) à ne pas dépasser dans les produits de consommation. On ne cherche pas une absence de résidu : on ne veut pas qu'il y en ait assez pour nuire à la santé. A partir de ces LMR, on a calculé des temps d'attente. Chez le cheval, l'utilisation d'une pâte orale à base d'ivermectine aura ainsi un temps d'attente (TA) de 14 jours pour un certain fabricant bien connu. Cela peut être différent pour un générique. Cela signifie que le cheval recevant ce traitement ne pourra pas rentrer dans un abattoir dans les 14 jours qui suivent l'administration de ce vermifuge.
Certains médicaments ne disposent pas de LMR, parce que ça coûte très cher à calculer. Ceux-là sont donc interdits chez les chevaux destinés à la consommation. Si un cheval reçoit un traitement anti-inflammatoire à base de phénylbutazone (qui n'a pas de LMR), hop, on indique sur son carnet qu'il ne peut plus aller à l'abattoir.

Encore faut-il que le cheval ait un carnet d'identification avec ledit volet permettant d'enregistrer les traitements médicamenteux (ce système est assez récent).

Encore faut-il que le propriétaire ait le carnet sous la main quand le véto fait le traitement.

Encore faut-il que ce soit un véto qui fasse le traitement.

Encore faut-il que le vétérinaire pense à le remplir, ce carnet.

C'est foutrement plus facile pour les chevaux dont les propriétaires ont signé la catégorie interdisant la consommation du cheval. Là, on ne se pose plus de question. Il ira à l'équarrissage, personne ne le mangera, donc on se fout des temps d'attente.

Dans les autres cas, il y a clairement un risque très important de perte de traçabilité. Ce n'est pas forcément très grave (j'y reviendrai), mais ce n'est pas très carré. Cette modification de la règlementation est là pour remettre les angles à 90°.

Une question d'équarrissage

Si un cheval satisfait à toutes les conditions réglementaires et sanitaires à l'abattoir, sa viande entre sur le circuit de consommation.

Si l'animal est déchargé mais qu'il ne satisfait pas aux conditions réglementaires (ou qu'il est visiblement malade), il est euthanasié, et sa viande est détruite via l'équarrissage.

Si l'animal satisfait aux conditions réglementaires, qu'il est abattu mais que l'inspection de sa carcasse révèle un truc franchement anormal, la viande est détruite.

En dehors des abattoirs, les chevaux morts doivent être éliminés via l'équarrissage. Ils peuvent depuis peu être incinérés, mais cela reste pour l'instant marginal.

L'équarrissage, c'est cher. Vous trouverez une liste de prix ici, ce sont des marges basses, via un organisme de mutualisation.

Notez qu'une viande déclarée impropre à la consommation humaine ne part pas sur le circuit de consommation animale. Elle est détruite (transformée en farines animales puis incinérée).

Et alors ?

Alors on va trouver des carcasses enterrées à la sauvage un peu partout.

Il y a plein d'équidés qui ne sont pas dans les clous pour l'abattoir, avec cette modification réglementaire. On peut penser ce que l'on veut de l'abattage et de la consommation de la viande chevaline, ce n'est pas le sujet de ce billet.

Je constate déjà plusieurs cas de figure autour de moi :

Vous avez un cheval dans un pré derrière la maison. Celui de votre fille, celui qu'elle aimerait toute sa vie quand elle avait 15 ans. Il avait 10 ans. Il en a maintenant 20. Elle a 25 ans, un gosse, elle ne vient plus le voir qu'une fois par an, en passant à Noël. Ou alors vous déménagez, il ne peut pas suivre. Vous ne pouvez plus payer sa pension (acheter un cheval, ce n'est rien - l'entretenir, c'est autre chose). Bien sûr, il y a ces assos qui prennent les chevaux retraités. Elles sont débordées, elles vous ont envoyé bouler.
Ce cheval, il vous coûte cher. Vous le vendez à un maquignon, ça ne vous rapporte pas grand chose, mais au moins le problème est réglé. Lui l'engraissera et l'enverra à l'abattoir, mais vous vous dites qu'avec un peu de chance, il lui trouvera un cavalier qui l'aimera jusqu'à la fin de sa vie. Avec des coquelicots et un parfum de foin fraîchement coupé, au soir de sa mort au pied des monts du Cantal.

Vous dirigez un petit centre ou une petite ferme équestre. Vous en chiez pour ne pas gagner grand chose, vous faites ce que vous pouvez pour donner des conditions de vie décentes à vos chevaux et vos poneys. Vous gérez des gosses et des parents plus ou moins capricieux, mais de moins en moins nombreux. Le prix de l'équarrissage d'un cheval, c'est celui de 15 boules de foin, de quoi faire manger un cheval pendant un an. Sans compter le prix de la visite du véto qui viendra l'euthanasier. Mais de toute façon, vous ne pouvez pas garder les chevaux qui ne travaillent plus. Vous n'en avez pas les moyens. Vous essayez de trouver des gens pour accueillir vos retraités. Sinon, vous les vendez au maquignon. Vous savez qu'il n'y aura ni coquelicot, ni parfum de foin fraîchement coupé au pied des monts du Cantal. Vous espérez que vos cavaliers y croient, ou en tout cas qu'ils n'y pensent pas. Et vous êtes terrifié par le passage à une TVA à 20%.

Vous êtes agriculteur et vous avez deux parcelles que vous valorisez avec quelques poulinières. Bien sûr, la marge sur les chevaux est ridicule, mais entre ça et la friche... et puis, vous avez toujours aimé les chevaux. Vous vendez les poulains, mais vous n'avez jamais pensé à faire les papiers pour les mères. On les fera avant qu'ils partent à l'abattoir. Vraiment ?

Ces chevaux ne pourront plus être vendus au maquignon. Le maquignon, d'ailleurs, il fait la gueule, il est venu me voir l'autre jour avec un stock de carnets, pour savoir si ses chevaux pourront passer. Il lui en reste une douzaine sur les bras. Des chevaux dont plus personne ne veut. Il n'y avait plus que lui pour les acheter. Ils sont invendables pour autre chose que la boucherie.

Les services vétérinaires savent très bien ce qui va se passer. Il y a des pelleteuses qui vont travailler.

Je ne suis pas sûr que la sécurité sanitaire va y gagner.

Je ne sais pas s'il y avait une meilleure solution.

Je me dis que jusque là, on avait fait comme ça, et que le changement aurait pu être plus progressif.

Parce que finalement, ces résidus, de quoi s'agit-il ? De phénylbutazone ? Certes, cette molécule est très lentement évacuée par le corps du cheval, et elle est beaucoup utilisée, notamment en auto-médication, comme anti-inflammatoire de premier recours. Elle était encore utilisée il y a peu en médecine humaine, d'ailleurs.
Il n'est pas déraisonnable de penser que plein de chevaux sont passés à l'abattoir en ayant reçu de la phénylbutazone. Il doit y en avoir pas mal qui passent encore, cette modification de réglementation ne résolvant en rien le problème des trucs pas enregistrés. Mais 6 mois après cette administration non enregistrée, la carcasse contient-elle encore des résidus ?
On imagine bien que la plupart des chevaux ne vont pas à l'abattoir juste après avoir reçu des anti-inflammatoires de la part de leur propriétaire ignorant. Les maquignons savent bien qu'ils ne peuvent pas utiliser cette molécule. De toute façon, ils gagnent si peu sur un cheval qu'ils éviteront de l'utiliser... or comme ils gardent les chevaux plusieurs mois pour les engraisser, le risque devient minime.

Pour les autres médicaments, on sait bien que de manière réaliste, il ne reste rien dans le corps 30 jours après l'administration du médicament. Même raisonnement que ci-dessus.

Je n'apporte pas de solution.

Je constate simplement que l'application d'une réglementation logique pour améliorer la sécurité sanitaire des aliments va créer d'autres problèmes. A chacun de hiérarchiser.

Un certain nombre de chevaux ne peuvent plus rejoindre la filière boucherie en fin de vie.
Certains seront euthanasiés et équarris, pour ceux qui en ont les moyens.
D'autres pourriront dans des champs de boue trop petits pour eux, mal alimentés, plus du tout soignés ni même parés, et finiront par crever dans la douleur après des années d'indifférence.

Je sais que plein de gens sont contre l'abattage et la consommation de la viande de cheval. Moi, ça m'indiffère. J'accepte le nécessaire réalisme économique qui amène des chevaux de propriétaires ou de club dans cette filière. J'accepte encore mieux la vie plutôt peinard de ces poulinières et des poulains généralement très bien soignés qui sont élevés pour leur viande.

Par contre, la souffrance de ces équidés oubliés au fond de leur pré pas adaptés me révolte.

Et ça, ça ne risque pas de s'améliorer.

jeudi 24 octobre 2013

Le 6 novembre : des vétos en grève ? Qui manifestent ?

Vétérinaires en colèreMercredi 6 novembre 2013, je serai à Paris, comme beaucoup de mes consœurs et confrères.

Imaginer des vétérinaires praticiens libéraux se rassemblant dans un tel mouvement me sidère. A ma connaissance, ce n'est jamais arrivé. Il y a bien eu une grève du mandat sanitaire il y a quelques années, pendant laquelle les vétérinaires ont cessé d'accomplir les actes de police sanitaire, mais ceci va bien au-delà (et n'exclue pas une telle grève, d'ailleurs).

C'est brutal, et inattendu.

Notre profession est plutôt habituée aux avalages de couleuvres à répétition, dans le silence. Parce que nous sommes des soignants, parce que nous sommes des chaînons importants de la sécurité sanitaire, nous ne laissons pas nos postes vacants, nous ne bloquons pas. Parce qu'il y aura toujours des malades, parce que nos clients éleveurs souffriraient trop d'un blocage de la chaîne sanitaire.

Depuis plusieurs années, notre profession essuie nombre d'attaques sur la délivrance du médicament vétérinaire. J'en ai déjà parlé ici, les vétérinaires sont pro-pharmaciens. Cela signifie que nous avons le droit de vendre les médicaments que nous prescrivons, pour les animaux que nous avons examiné ou pour ceux pour lesquels nous assurons le suivi de l'élevage (dans ce dernier cas, moyennement la mise en place d'un protocole de soin sur mesure). Je vous invite à lire ce billet écrit en 2011 et abordant les problématiques qui motivent cette manifestation.

Vous trouverez ici une FAQ pas trop mal foutue sur les antibiotiques à usage vétérinaire.

Les vétérinaires ne sont ni des idiots, ni des irresponsables.

On nous dit que notre utilisation des médicaments risque d'induire des résistances aux antibiotiques, on nous dit que comme nous prescrivons et vendons, nous sommes dans un insupportable conflit d'intérêt qui nous pousse à vendre toujours plus d'antibiotiques, et les plus rentables évidemment.

Nous disons que nous connaissons très bien les règles de bon usage des antibiotiques.

Nous acceptons la mise en place de procédures lourdes permettant une traçabilité maximale et une démonstration de l'usage raisonné des médicaments vétérinaires, bien au-delà des règles habituelles de prescription. Notre profession s'est engagée dans plusieurs démarches visant à prouver sa bonne volonté et la qualité de son travail, notamment le plan écoantibio 2017, la mise en place de référentiels, la réalisation des visites sanitaires bovines, la mise en place des bilans sanitaires d'élevage et des protocoles de soins.

Nous faisons remarquer que nous sommes responsables, devant notre client, de nos factures. Que nous vivons au quotidien les difficultés financières des éleveurs, et que le choix des traitements est guidé tant par un souci de leur bon usage thérapeutique que par la nécessité d'être réalistes vis à vis des coûts supportables par un élevage. Les médicaments "critiques" sont ceux qui coûtent le plus cher.

Nous savons aussi ne délivrer que la quantité nécessaire à un traitement.

Nous pensons sincèrement que la qualité de notre travail est un gage de sécurité sanitaire. Nous ne sommes pas les seuls à penser que le système actuel n'est pas mauvais. Je cite le très récent (mars 2013 !) rapport sur l'encadrement des pratiques commerciales pouvant influencer la prescription des antibiotiques vétérinaires :

La perspective de gain financier du professionnel peut en effet avoir une influence tant sur la qualité (type de médicament) que sur les volumes (quantités prescrites). La dissociation semble ainsi un moyen simple d’échapper à ces deux composantes du conflit d’intérêts et d’éviter toute prescription abusive d’antibiotiques. Pour autant, tant l’examen des autres pays européens que l’impact économique qu’aurait le découplage pour les vétérinaires en milieu rural et les autres professions agricoles ont amené la mission à écarter cette solution dans l’immédiat.
D’une part, l’examen des modèles choisis par les autres pays montre qu’il n’y a pas de corrélation entre découplage et moindre prescription d’antibiotiques. Hormis le Danemark qui a formellement limité la délivrance d’antibiotiques par les vétérinaires en obligeant ces derniers à les revendre au prix coûtant, les autres pays comme l’Espagne et l’Italie qui ont choisi le découplage total ne sont pas considérés comme des modèles dans la lutte contre l’antibiorésistance. Ainsi, les pays comme la Hollande, la Belgique ou encore l’Angleterre font sensiblement mieux en termes de volume d’antibiotiques vendus et d’antibiorésistance alors qu’ils ont conservé la possibilité pour les vétérinaires de délivrer des antibiotiques.
D’autre part, la France s’appuie depuis longtemps sur le réseau des vétérinaires pour obtenir sur l’ensemble du territoire une expertise sanitaire permettant de garantir le dépistage des maladies contagieuses et la mise en œuvre des mesures de prévention adaptées, indispensables à la protection de la santé publique. Le maintien d’un maillage suffisant de vétérinaires impose de bien peser les bénéfices attendus face aux risques sanitaires liés à une désorganisation de ce réseau. De nombreux cabinets en milieu rural, seraient menacés par le découplage alors même que le nombre actuel de vétérinaires pour animaux de rente répond déjà difficilement aux besoins.
Enfin, la dissociation existe déjà en France pour les aliments médicamenteux. Ceux-ci représentent environ 50 % du volume d’antibiotiques vendus, et le découplage complet entre le prescripteur et le fournisseur du médicament n’a pas limité son utilisation.
Par ailleurs, la mise en place d’un nouveau modèle économique, qui viserait à asseoir la rémunération des vétérinaires sur leurs seuls actes et plus du tout sur la délivrance des médicaments vétérinaires, serait très difficile pour de nombreuses raisons : impossibilité pour l’État de compenser cette perte de revenus, difficultés économiques des éleveurs, risque important de développement de l’automédication pour éviter le coût du vétérinaire, etc.
Au regard de ce bilan bénéfices-inconvénients, les rapporteurs n’ont pas retenu l’interdiction de la délivrance de médicaments, même limitée aux antibiotiques, pour les vétérinaires. Pour autant, si dans cinq ans, l’ensemble des mesures du plan Ecoantibio ne devait pas parvenir à faire baisser la consommation d’antibiotiques de 25 %, cette solution devrait alors être réétudiée.

Je suis convaincu que personne n'aurait à gagner à un tel découplage (sauf peut-être les pharmaciens).

Les vétérinaires y perdront, c'est une évidence. Certains cabinets fermeront, la plupart licencieront.

Nous augmenterons le prix de nos actes pour compenser la perte de revenu. C'est vous qui paierez. Et vous paierez toujours vos médicaments au pharmacien, ce qui ne nous concernera plus vraiment. Le choix du traitement sera moins guidé par un prix choisi à votre avantage.

Vétérinaires en colèrePar ailleurs, est-il crédible de les imaginer ne délivrer que quelques millilitres d'antibiotiques nécessaires au traitement d'un veau ? Nous nous le faisons. Nous reprenons les comprimés délivrés mais pas utilisés. Eux aussi ? Trouverez-vous un pharmacien le dimanche matin ? Ou la nuit ? Aura-t-il le médicament disponible ? Pourra-t-il vous conseiller sur le traitement à choisir comme nous le faisons, gratuitement ? Comprenez-moi bien : je n'ai rien contre les pharmaciens, et je comprends qu'ils veuillent récupérer ce marché. Mais je crois que nos métiers sont complémentaires.

Je ne crois pas que la sécurité sanitaire y gagnera grand chose. Il y aura plus d'automédication pour éviter la visite du véto. Moins de vision globale sur un élevage. Nous sommes dans une position de conflits d'intérêts, mais les variables de ce conflit sont nombreuses et je les trouve bien équilibrées.

Vous me direz, bien entendu, qu'il y a des affairistes, et des vétos qui profitent de la situation. Croyez-vous vraiment qu'ils disparaîtront avec le découplage ?

La manière

Comme je l'indiquais ci-dessus, les vétérinaires se sont impliqués avec le ministère de l’agriculture et nombre de partenaires professionnels à assurer la qualité de prescription et diminuer l'utilisation des antibiotiques critiques. Le dialogue a toujours été ouvert entre nos représentants et les autorités sanitaires.

Très récemment, un avant-projet de la loi de modernisation agricole a circulé, et pas pour information : ce sont par des voies dites parallèles que notre profession a pris connaissance de ce projet. Une petite phrase a été ajoutée (en gras et italique ci dessous), alors que tout le monde pensait que ce débat, pour un temps au moins, était clos. Sans concertation.

Article L5143-2 du Code de la Santé publique "Seuls peuvent préparer extemporanément, détenir en vue de leur cession aux utilisateurs et délivrer au détail, à titre gratuit ou onéreux, les médicaments vétérinaires :
1° Les pharmaciens titulaires d'une officine ;
A l’exception des antibiotiques d’importance critique mentionnés à l’article L. 5141-14-3, et sans toutefois qu'ils aient le droit de tenir officine ouverte, les vétérinaires ayant satisfait aux obligations du chapitre Ier du titre IV du livre II du code rural leur permettant d'exercer la médecine et la chirurgie des animaux, lorsqu'il s'agit des animaux auxquels ils donnent personnellement leurs soins ou dont la surveillance sanitaire et les soins leur sont régulièrement confiés. Pour ces animaux, la même faculté est également accordée aux vétérinaires ayant satisfait aux obligations du chapitre Ier du titre IV du livre II du code rural et de la pêche maritime et exerçant la médecine et la chirurgie des animaux au sein du même domicile professionnel administratif ou d'exercice, tel que défini dans le code de déontologie prévu à l'article L. 242-3 du code rural et de la pêche maritime."

Cela signifie qu'en pratique, cette liste, qui sera modifiable par décret, restreindra notre droit de délivrance. Seraient concernés, dans un premier temps, les fluoroquinolones et céphalosporines de 3ème et 4ème génération, ces fameux antibiotiques "critiques".

Nous ne nous faisons pas d'illusion. Une ordonnance n'est pas sécable : l'éleveur n'ira pas chercher son anti-inflammatoire chez le véto puis son antibiotique chez le pharmacien. Un découplage partiel, c'est un futur découplage total.

Nous ne nous faisons pas d'illusion. Si l'on se permet de nous restreindre nos prérogatives sans concertation, malgré nos efforts et un rapport qui écarte sans équivoque le découplage, nous imaginons bien que la liste saura s'étendre sans que nous ayons notre mot à dire.

Nous comprenons parfaitement l'importance de ces antibiotiques. Nous nous demandons cependant pourquoi il serait plus judicieux de restreindre ainsi leur délivrance plutôt que d'en interdire l'usage vétérinaire. Et encore une fois, les vétérinaires ont fait preuve de leur bonne volonté pour limiter leur utilisation.

Sommes nous des gamins irresponsables, que l'on nous balance à la gueule une telle modification de notre métier sans nous en parler, et au mépris de tous les engagements pris précédemment, ceux de notre profession comme ceux du ministère ?

Est-ce qu'on n'a pas bientôt fini de nous prendre pour des idiots utiles ?

En conséquence

Le 6 novembre, les vétérinaires sont invités à venir manifester à Paris. Ma clinique, et de nombreuses autres probablement, seront fermées et n'assurerons que les urgences. Nous ne laissons pas tomber nos patients.

Nous ne serons pas nombreux, parce que les vétérinaires ne sont pas une profession pléthorique (16000 vétérinaires en France pour autant que je sache). Les vétérinaires praticiens salariés, les vétérinaires non praticiens, ainsi que les profs et étudiants vétérinaires sont les bienvenus ! Et je n'oublie pas non plus les ASV, sans lesquelles nos cliniques ne pourraient tourner... ! Nous ne ferons pas déborder les Champs-Elysées, mais voilà : ce seront des vétérinaires qui manifesteront. Et je ne pensais pas que cela pourrait arriver.

La pétition concernant ce sujet se trouve ici, n'hésitez pas à diffuser !

PS : je modèrerai sans préavis les commentaires provocateurs ou agressifs. Critiquez si vous voulez, mais soyez constructifs, et pas agressifs.

PPS : Chers lecteurs pharmaciens. Je n'ai pas tapé sur les pharmaciens dans mon billet, pas plus qu'en commentaires. Vous avez des confrères très actifs pour récupérer le marché des médicaments vétérinaires, et certains se sont jetés sur cette proposition en se frottant les mains, mais il n'en sont pas à l'origine et ce n'est pas là le sujet : cette guéguerre là, elle est ancienne, connue et, on va dire, relativement saine. Ici c'est de l'intervention du ministère de la santé sur nos prérogatives qu'il s'agit.

PPPS : suite à de nombreuses demandes, je place ce billet sous licence de libre diffusion CC-BY-NC-ND : vous pouvez l'utiliser librement, le recopier, le diffuser, sur le net ou dans votre salle d'attente, à condition de citer sa source, de ne pas le modifier et de ne pas en faire un usage commercial. N'hésitez pas : si cela peut informer, tant mieux, je n'aurais pas perdu mon temps. Je souhaite simplement qu'on ne transforme pas mes mots et leur sens.

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lundi 16 septembre 2013

Génériques

Je n'ai jamais entendu un client se plaindre des génériques vétérinaires. Et quand je dis jamais, c'est vraiment jamais. Pourtant, je lis un peu partout qu'ils sont responsables de tous les maux, qu'ils sont moins bien que les princeps (les princeps, ce sont les "originaux"), qu'ils ne sont pas vraiment équivalents. La machine à réglementer devient ridicule pour réussir à imposer son autorité dans ce domaine, au lieu de tenter de redresser la barre sur la mauvaise presse et la méfiance envers les génériques. Dernière trouvaille en date, les médecins sont désormais punis de lignes de copie s'ils veulent prescrire un princeps, devant rédiger AVANT le nom du médicament, et A LA MAIN, la mention "non substituable" pour qu'elle soit respectée, bref.

Mes deux centimes de rappels, avant quelques réflexions de praticien vétérinaire.

Le code de la Santé publique nous dit qu'un médicament générique est un médicament ayant « la même composition qualitative et quantitative en substance active, la même forme pharmaceutique, et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées." Grange Blanche vous explique ici très bien cette notion, je n'y reviens pas.

Hormis des cas d'intolérance à certains excipients, il n'y a donc pas réellement de raison de refuser l'utilisation des génériques. Les excipients, c'est ce qu'il y a dans le médicament et qui n'est pas la molécule active, c'est, si l'on veut, le support de la molécule active. Par exemple, le lactose, un sucre issu du lait, est un excipient mal supporté par pas mal de monde, générique ou pas. Pour certains médicaments, c'est plus nuancé : la lévothyroxine par exemple, dont on a entendu parler récemment. Mais ce dernier cas est une exception.

Évidemment, comme les médicaments génériques sont souvent nettement moins chers que les princeps, il est intéressant d'utiliser les premiers pour faire des économies, ce dont se fout le patient lambda puisque de toute façon tout est remboursé de la même façon (quoique le tiers payant ne soit plus acquis en cas de refus de substitution).

Alors dans le doute, on n'aime pas. Et on n'aime pas, plus ou moins selon les pays. Les États-Unis et le Canada utilisent bien plus les génériques que nous. L'Espagne beaucoup moins. Pourquoi ?

En pharmacie vétérinaire, les problématiques sont un peu différentes.

D'abord, la plupart des nos princeps sont dérivés de la pharmacopée "humaine".

Les doses ne sont pas forcément les mêmes, et varient parfois d'une espèce à l'autre, car le corps des animaux n'absorbe et n'élimine pas toujours les médicaments de la même façon que le nôtre (on appelle ça la pharmacocinétique, j'aimais beaucoup ça à l'école véto, mais je suis masochiste). Le paracétamol est par exemple un poison violent pour les chats, dont le foie ne sait pas gérer l'élimination et donc la toxicité (alors que le nôtre se débrouille très bien, tant qu'on respecte les doses). C'est vrai aussi pour des produits "naturels", les huiles essentielles sont des molécules "médicamenteuses" elles aussi. Les règles de la chimie ne varient pas en fonction de l'origine d'une molécule, qu'elle soit issue de processus chimiques "industriels" ou de processus chimiques "traditionnels" : certaines sont inoffensives pour les humains mais toxiques pour les chats.
Mais si les doses ne sont pas les mêmes, les modes d'action (la pharmacodynamie), eux, sont globalement très semblables.

Les premiers médicaments vétérinaires, ceux que nous, vétos, désignons sous le nom de princeps, n'en sont donc pas vraiment. Ils ne sont, en tout cas, pas originaux. Les labos ont cependant réalisé des dossiers d'autorisation de mise sur le marché (AMM) selon des règles équivalentes à celles qui concernent les médicaments à destination des humains : prouver qu'ils ont une efficacité, qu'ils ne sont pas dangereux, qu'ils ne laissent pas de résidus dans les produits laitiers, la viandes ou les œufs au-delà d'un délai défini, etc. Aujourd'hui, des médicaments réellement développés pour le marché vétérinaire existent, mais ils sont rares (et très chers).

Depuis 15 ans environ, nous voyons apparaître des génériques vétérinaires de ces médicaments vétérinaires. Comme en pharmacie humaine, certains labos se sont fait une spécialité de ce type de produits, et tous y ont touché (ce qui rendait les délégués défendant les princeps assez peu crédibles, étant donné qu'ils avaient aussi des génériques dans leur catalogue).

La plupart du temps, outre un prix inférieur, ces génériques ont apporté un plus par rapport au princeps, ceux qui ont eu le plus de succès sont ceux dont la galénique a été la plus travaillée pour s'adapter aux contraintes imposées par nos patients. Essayez un peu de filer un comprimé de la taille d'un sucre à un chat, pour voir. Ou un truc amer. Des antibiotiques plus petits, sécables, en conditionnements plus pratiques, aromatisés à la viande ou au poisson sont apparus. J'ai toujours été surpris qu'aucun labo ne se soit lancé dans le comprimé aromatisé à la charogne ou à la poubelle, je suis sûr que les chiens et les chats auraient adoré.

Et depuis plus de dix ans que je bosse, jamais, jamais je n'ai entendu le propriétaire d'un animal se plaindre qu'on lui ait prescrit un générique, même lorsque je changeais au cours d'un traitement à vie (traitements pour le cœur par exemple). Ou que je zappais d'un générique d'anti-inflammatoire à un autre dans le cadre d'une gestion d'arthrose au long terme.

Sans doute parce que ces médicaments sont moins chers. Qu'ils sont souvent plus pratiques. Et que les propriétaires n'ont pas vu de différence.

Alors pourquoi ce bordel avec les génériques pour humains ?

Si le sujet vous intéresse, il y a un rapport de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) plutôt bien foutu sur le sujet. Moi, à part du placebo et du nocebo, je ne vois aucune raison (en dehors des exceptions précédemment citées) à refuser les génériques.