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mercredi 17 novembre 2010

Brave

Mademoiselle,
Vous serez sans doute surpris par ce courrier, et sans doute plus encore par son arrivée tardive. J'ai longtemps hésité avant de vous écrire cette lettre. Il n'est pas toujours facile de trouver les mots justes... au risque de raviver des souvenirs que vous préféreriez peut-être lointains.
Les rupture d'anévrisme comme celle qui a emporté Brave sont des des évènements assez rares, qui ne laissent aucune chance, même pour un humain, tant leur survenue est brutale. Même dans un cadre hospitalier, même si Brave avait été à la clinique à l'instant où la crise survenait, je n'aurais rien pu faire. Lors de votre premier appel, j'ai espéré une pseudo-crise d'épilepsie ou un processus du même type, qui aurait pu être géré ici... je craignais cet AVC, et votre second appel l'a hélas confirmé.
Vous ne pouviez rien faire pour le détecter, vous ne pouviez rien faire pour le prévenir, personne ne le pouvait.
Toute l'équipe de la clinique s'associe très sincèrement à votre douleur,
Dr Fourrure

Je me souviens de la panique dans cette voix, de l'obscurité de la chambre, de cette tranquillité brisée par la sonnerie du portable de garde.

Je me souviens de ses mots, de cette peur viscérale qui avait très bien saisie la différence entre un accident bénin et la mort d'un compagnon. Il n'y avait pas besoin d'être vétérinaire, ce soir-là, pour percevoir l'urgence absolue.

- Il tremble, il dormait tranquillement, il respire très fort et il fait un bruit horrible !

Je me souviens de ma résignation immédiate, lorsque j'ai réalisé que j'étais à trente kilomètres de Brave, que la clinique se trouvait pile au milieu entre lui et moi. Je lui ai dis de charger son chien dans sa voiture, de prendre le volant.

- Mais est-ce qu'il supportera le transport ? Est-ce que vous ne pourriez pas venir ?
- Il faut gagner du temps, il faut l'oxygène, le matériel de la clinique !
- Mais s'il meurt sur la route ?
- Si l'urgence en est à ce point là, je ne pourrais de toute façon rien faire...

Froide constatation, née de l'expérience et de la simple logique, parfaitement saisie par mon interlocutrice. Ne pas perdre de temps, il n'y en a déjà plus.

Je me souviens de la seconde sonnerie, deux minutes plus tard, alors que j'enfilais ma veste et me dirigeais vers ma voiture, en sachant que cela ne servait à rien... Je savais qu'elle m'annonçait la mort de Brave.

Je me souviens des larmes dans sa voix, de cette lamentation.

De cette solitude désespérée.

De cette violence.

Brave était mort, et je n'avais rien de plus à dire. Mais qu'était mon impuissance face à sa douleur ?

J'ai bredouillé ces quelques mots qui ne l'atteindraient pas encore, qui sauraient, peut-être, plus tard l'aider à ne pas culpabiliser. Si je pouvais au moins lui offrir cela ?

Notre échange n'a duré que quelques dizaines de seconde. Il n'y avait rien à dire. Juste des larmes, et du silence. De la douleur, et de l'impuissance.

Je me souviens avoir pâli.

Je me suis souvenu de toutes ces années, de Brave et de sa jeune maîtresse, du fiancé qui le lui avait acheté, puis laissé lorsqu'il était parti, des accidents, des bobos, des inquiétudes et des joies, de sa jeunesse, puis de sa vieillesse. D'une vie de chien, et d'un bout de vie d'humain.

dimanche 23 août 2009

Convulsions

Je n'allais avoir que quelques minutes pour réagir.

Dans l'obscurité tombante, je me dirigeais vers la salle de traite d'où l'éleveur, dans le vacarme des machines, ne pouvait certainement pas m'avoir entendu arriver. Un bruit étrange m'avait détourné vers la stabulation. le genre de bruit qu'on n'aime pas entendre et qui rehausse d'un cran le niveau de l'urgence.

Il m'avait appelé parce qu'une de ses vaches "s'était subitement mise à trembler".

Étendue sur le sol de la stabulation, il y avait une bête en convulsions. Des convulsions comme je n'en avait encore jamais vu sur un tel animal, ces convulsions de chien ou de chat en crise d'épilepsie, ou empoisonnés. L'écume aux lèvres qui s'accumulait sur la terre battue, l'alternance tono-clonique classique sur les membres, colonne vertébrale en extension maximale. Ses jugulaires dures comme des canalisations en PVC, et la panse qui commençait à gonfler. Les plaintes incessantes de la souffrance absolue, celles que l'on n'entends presque jamais.

Elle n'allait sans doute pas en avoir pour longtemps, mais si je devais lui donner une chance, il allait falloir être rapide. De toute façon, il n'y avait pas trop de possibilités. L'empoisonnement paraissait improbable, l'épilepsie possible, mais je n'y ferais rien et elle se résoudrait d'elle-même rapidement, l'AVC je ne pourrais rien y faire non plus, mais une bonne mammite ou une méningite, ça restait dans mes cordes. Si le cœur ne lâchait pas : son rythme était tout sauf normal.

40.6. De la fièvre ou le fruit des convulsions ?

Une photophobie douloureuse. Méningite ou aucune signification ?

J'essayais de la traire pour observer son lait, en tentant d'esquiver les convulsions de ses membres postérieurs. Il semblait normal. A priori, pas de mammite.

La vache restait consciente, ça éliminait l'épilepsie et probablement l'AVC.

Corticoïdes, anti-inflammatoires, antibiotiques, perfusion hypertonique, et sédation, avec tous les risques que comportaient ces thérapeutiques. Avais-je le choix ? Les seringues s'accumulaient à côté de la vache tandis que j'injectais dans ses monstrueuses jugulaires. L'éleveur était dépassé, m'avait confirmé qu'elle n'avait pas pu s'intoxiquer. Je lui parlais de méningite, un mot suffisamment effrayant pour qu'il me laisse intervenir sans m'interrompre. Il était question de minutes, et il était sans doute déjà trop tard.

La sédation commençait doucement à faire effet, les convulsions étaient déjà moins violentes. Je n'avais jamais vu un animal de 600kg victime d'une pareille crise. C'est déjà impressionnant lorsqu'un carnivore en est la victime, c'est tout simplement spectaculaire lorsqu'il s'agit d'une vache adulte.

Et il allait falloir tenter de la sonder, maintenant, pour éliminer les gaz accumulés dans sa panse à cause de sa position étendue : elle ne pouvait pas roter, les bactéries continuaient leur travail et la pression augmentait, gênant la respiration et la circulation sanguine. Manque de bol, pas moyen de passer la sonde qui se bloquait quelque part dans son réseau sans atteindre la panse. Nous avons tenté de la redresser alors que ses convulsions se calmaient sous l'effet du sédatif. Peine perdue : en quelques balayages elle retombait sur le flanc.

La tirer avec le tracteur sur la pente toute proche ? Pourquoi pas, mais je craignais que le stress - elle était toujours consciente et je n'osais pas forcer la dose de sédatif - ne la tue. L'éleveur avait enfin l'impression de pouvoir servir à quelque chose, mais...

Fibrillation.

Mort.

La nuit était tombée, et le tracteur n'aura pas eu le temps de servir...

dimanche 16 mars 2008

Essentielles

Vendredi, 11h59, le téléphone sonne à la clinique.

Une voix paniquée : "Docteur, c'est horrible, mon chat convulse dans tous les sens !
- Ben heu... amenez le vite."
Je mangerai une autre fois...

Dix minutes plus tard, le chat est sur la table de consultation. Il est vaguement conscient, convulse par intermittence, bave à en remplir des seaux, sa température est à 40°. Sans doute à cause des convulsions.

"Ca l'a pris brutalement, juste avant midi !
- Il a pu manger quelque chose d'inhabituel ? C'est un chat qui sort ?
- Oui, il vit autour de la ferme, il peut aller partout, mais quelque chose d'inhabituel... je ne sais pas, peut-être une plante ?
La dame retient ses larmes, elles a une voix presque stridente. Il faut dire que le chat n'est vraiment pas bien. Je lui injecte du valium pour calmer les convulsions en attendant de trouver leur origine.
- Mouais... Je n'y crois pas trop. C'est la première fois qu'il fait ça ?
- Oui ! Il est épileptique ?
- Pourquoi pas, mais ça m'étonnerait, il a 5 ans, et ce n'est vraiment pas fréquent chez les chats.
J'examine sa tête. Il n'a pas l'air d'avoir pris de coup.
- Il n'a pas pu prendre un coup sur le crâne, madame ?
- Pas juste avant les convulsions, il était à l'intérieur, en train de dormir.
Je regarde ses oreilles, ce chat a une petite gale auriculaire. Pas de quoi fouetter un ch... heu convulser.
- Vous avez des produits pour tuer les fourmis, les limaces, les souris, ou d'autres produits toxiques à la maison ?
- Ah non docteur, moi, je suis bio !
- Ah.
- Enfin sauf pour les moustiques, parce que la citronnelle et compagnie, c'est nul.
- Certes, mais vous n'avez pas mis un coup de bombe sur votre chat quand même ? Je hausse un sourcil, inquiet.
- Ah nooooon.
- Bon... bizarre.
Je commence à me demander si une otite pourrait faire ça.
- Il avait la tête penchée, votre chat ?
- Oui, parce qu'il a une gale !
- Effectivement, bien observé.
- Mais je l'ai traitée, ce matin d'ailleurs.
- Ah ! Avec quoi ? Du lindane ?"
Cette vieille molécule, qui vient d'être totalement interdite, était encore utilisée il y a peu pour traiter les gales auriculaires des chats et des chiens. Pour ces derniers, pas de problème, c'était un produit très efficace et sans effet secondaire. Pour les chats, par contre, j'étais assez frileux, car même si le médicament possédait l'indication dans cette espèce, on dénombrait quelques accidents neurologiques... un peu trop à mon goût.
"Du lindane ? Quelle horreur ! Non, avec des huiles essentielles ! De la sariette."
Je suis nul en médecines alternatives. Mon truc, c'est la médecine, pas l'alternative. J'ai été un étudiant très remonté contre l'homéopathie ou l'aromathérapie, mais j'ai décidé d'être moins sectaire le jour où j'ai vu une grand-mère retirer le feu à son petit-fils, brûlé au second degré. Je suis devenu plus pragmatique : vrai truc qui m'échappe ou effet placebo, peu importe, si ça marche et qu'on ne m'empêche pas de faire mon boulot. Par contre, avec les huiles essentielles, je suis très méfiant. Il y a beaucoup de molécules très toxiques là-dedans, et possédant une forte affinité pour le gras, et donc... le système nerveux.
"Vous lui avez mis de l'huile essentielle de sariette dans l'oreille ? Pure ?
- Oui, mais juste une petite goutte !"
Je prends mon otoscope, et part explorer le conduit auditif... il est cruellement brûlé par le produit, je crois que je tiens mon coupable.
"Je ne recommencerais pas d'ailleurs, apparemment ça l'a brûlé !
- Effectivement."
Sa voix s'affaiblit. "J'ai intoxiqué mon chat ?
- Manifestement. Vous avez versé un produit potentiellement neurotoxique à un centimètre de son cerveau...
- Et il y a un antidote ?
- Pas à ma connaissance... je vais le perfuser, le maintenir sous sédation, et tenter de sauver son foie, la plupart de ces saletés sont hépatotoxiques."

Deux jours plus tard, le chat rentrait chez lui, sans séquelle apparente. Plusieurs mois après cet épisode, il se porte très bien.

J'en ai retenu plusieurs choses, après m'être renseigné (la propriétaire du chat m'a elle-même fourni un certain nombre de documents qu'elle a déniché sur la toile - je ne vous donne pas les liens, car je trouve ces articles très incomplets, ou faux sur un certain nombre de points).
Les huiles essentielles sont manifestement très toxiques chez les chats. Pour des questions de dose, et parce que les chats ont du mal avec les molécules toxiques (une histoire de déficience hépatique, nous en reparlerons quand nous discuterons du paracétamol).
Elles peuvent détruire le foie, et leur affinité pour le gras favorise une accumulation dans le cerveau (et des troubles neurologiques car certaines molécules sont très réactives). Sans parler de tous leurs effets, variables selon les huiles, et parfois dangereux (oui, ce sont réellement des molécules actives). Théoriquement, la sariette serait plus hépatotoxique que neurotoxique, mais ça ne correspond pas à ce cas... ?

N'oubliez pas que ces huiles sont obtenues à partir de procédés de purification somme toute grossiers, et que leur composition est très mal connue, contrairement à des médicaments synthétiques dont la pureté est certaine, et dont les effets, bénéfiques comme néfastes, ont été étudiés avec une très grande attention.

Vous faites bien ce que vous voulez avec votre santé, mais évitez de mêler les animaux, ou, pire encore, les enfants, à ces traitements empiriques et mal maîtrisés.

mardi 15 janvier 2008

Cannabis

Par Vache albinos, invité de luxe
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18h30, un vendredi : Mme Très-Riche, la soixantaine, gérante d'une propriété comprenant des activités de chasse, pêche, exploitations agricoles fruitière et horticole, une propriété abritant également un hôtel restaurant parmi les plus renommés du canton (une opulence qui aura son intérêt dans la section « Diagnostic »)... Mme Très-Riche, donc, débarque en urgence, catastrophée, tenant aux bras Linette, sa petite croisée (type bichon croisée papillon, 1,5 kg environ), sa fifille recueillie et sauvée de la famille Nardier chez qui elle est née dans des conditions douteuses il y a quelques mois.
Linette présente des symptômes plus qu'évidents : elle tremble comme jamais je n'ai vu trembler un animal. La petite chienne a un peu vomi mais, surtout, on citera comme clinique : convulsions brutales, sur l'ensemble du corps, les yeux - en mydriase, noirs de jais – sont pris de violents nystagmus, le tout à une vitesse frénétique. Imaginez quelque chose entre la possession démoniaque et le cartoon (vous savez, Grominet qui prend le jus)... Pathologie d’apparition suraiguë, température corporelle : 42°C (un muscle qui travaille est un muscle qui chauffe). L'animal est hyperesthésique à un degré rare (augmentation des réactions aux stimuli ; dans le cas présent, vous marchiez à moins de 2 mètres sur un sol carrelé sans prendre la précaution de retirer vos semelles et d'arriver en chaussettes, le bruit de vos pas faisait bondir - comme propulsée par un ressort - la pauvre Linette).
Gestion dans l’urgence, Valium insuffisant, anesthésie générale... L'animal continue de trembler sous anesthésie, même profonde...

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