Brave
mercredi 17 novembre 2010, 09:48 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Mademoiselle,
Vous serez sans doute surpris par ce courrier, et sans doute plus encore par son arrivée tardive. J'ai longtemps hésité avant de vous écrire cette lettre. Il n'est pas toujours facile de trouver les mots justes... au risque de raviver des souvenirs que vous préféreriez peut-être lointains.
Les rupture d'anévrisme comme celle qui a emporté Brave sont des des évènements assez rares, qui ne laissent aucune chance, même pour un humain, tant leur survenue est brutale. Même dans un cadre hospitalier, même si Brave avait été à la clinique à l'instant où la crise survenait, je n'aurais rien pu faire. Lors de votre premier appel, j'ai espéré une pseudo-crise d'épilepsie ou un processus du même type, qui aurait pu être géré ici... je craignais cet AVC, et votre second appel l'a hélas confirmé.
Vous ne pouviez rien faire pour le détecter, vous ne pouviez rien faire pour le prévenir, personne ne le pouvait.
Toute l'équipe de la clinique s'associe très sincèrement à votre douleur,
Dr Fourrure
Je me souviens de la panique dans cette voix, de l'obscurité de la chambre, de cette tranquillité brisée par la sonnerie du portable de garde.
Je me souviens de ses mots, de cette peur viscérale qui avait très bien saisie la différence entre un accident bénin et la mort d'un compagnon. Il n'y avait pas besoin d'être vétérinaire, ce soir-là, pour percevoir l'urgence absolue.
- Il tremble, il dormait tranquillement, il respire très fort et il fait un bruit horrible !
Je me souviens de ma résignation immédiate, lorsque j'ai réalisé que j'étais à trente kilomètres de Brave, que la clinique se trouvait pile au milieu entre lui et moi. Je lui ai dis de charger son chien dans sa voiture, de prendre le volant.
- Mais est-ce qu'il supportera le transport ? Est-ce que vous ne pourriez pas venir ?
- Il faut gagner du temps, il faut l'oxygène, le matériel de la clinique !
- Mais s'il meurt sur la route ?
- Si l'urgence en est à ce point là, je ne pourrais de toute façon rien faire...
Froide constatation, née de l'expérience et de la simple logique, parfaitement saisie par mon interlocutrice. Ne pas perdre de temps, il n'y en a déjà plus.
Je me souviens de la seconde sonnerie, deux minutes plus tard, alors que j'enfilais ma veste et me dirigeais vers ma voiture, en sachant que cela ne servait à rien... Je savais qu'elle m'annonçait la mort de Brave.
Je me souviens des larmes dans sa voix, de cette lamentation.
De cette solitude désespérée.
De cette violence.
Brave était mort, et je n'avais rien de plus à dire. Mais qu'était mon impuissance face à sa douleur ?
J'ai bredouillé ces quelques mots qui ne l'atteindraient pas encore, qui sauraient, peut-être, plus tard l'aider à ne pas culpabiliser. Si je pouvais au moins lui offrir cela ?
Notre échange n'a duré que quelques dizaines de seconde. Il n'y avait rien à dire. Juste des larmes, et du silence. De la douleur, et de l'impuissance.
Je me souviens avoir pâli.
Je me suis souvenu de toutes ces années, de Brave et de sa jeune maîtresse, du fiancé qui le lui avait acheté, puis laissé lorsqu'il était parti, des accidents, des bobos, des inquiétudes et des joies, de sa jeunesse, puis de sa vieillesse. D'une vie de chien, et d'un bout de vie d'humain.
Commentaires
C'est toujours si poignant et si pudique et si delicat comment vous decrivez le depart de nos compagnons. Comme toujours je suis emue. Au revoir Brave!!Et merci Fourrure...
Poignant.
Un très beau texte. Vous maîtrisez tous les registres, chapeau !
Joli billet, très attendrissant.
C'est incroyable. Nous venons de vivre quasiment la même chose dimanche dernier...Notre chienne avec son énorme oedème aux poumons qui nous criait sa fin toute proche...L'horreur personnifiée. Notre décision de lui faire quitter cette douleur... Et puis hier, la découverte d'une petite lettre écrite par son véto, nous soutenant dans notre chagrin. Merci à lui.
Merci à vous.
Emouvant...merci pour votre compassion pour tous les maitres qui souffrent si durement à la perte de leur ami ....
Que Brave repose en paix et pensées à sa maitresse.
Jolis mots, joli message de votre part.
Ouille, ça fait mal.
La journée avait bien commencé pourtant.
Mais comme il a été dit et redit, c'est poignant, triste, bien écrit.
Joli témoignage en sa mémoire !
coucou bonjour j'aime bien!!c'est sympa!!je connais bien les vétos!!et oui j'ai une ferme!!allo docteur c'est pour une césarienne!!à bientôt!
Pauvre. C'est dur. Je suis sûre que la personne qui vivait avec Brave a été réconfortée par votre lettre.
Un beau texte et fait revivre un souvenir douloureux. Mon Pitou m'a fait une attaque dans la voiture, nous étions en route pour la véto. C'était horrible, tiens le 4/12 cela va faire 2 ans que je dû prendre la décision d'une fin sans souffrance pour lui. Jamais plus ca!
Bonne soirée
Bon après avoir lu plusieurs billets, je vais peut être arrêter, ça me plombe le moral, finalement l'idée de ne plus prendre d'animal était peut être la bonne! En plus j'ai lu un com hier sur l'insuffisance rénale chez les chats et la souffrance de l'agonie (sur votre billet sur donner la mort, billet que j'ai trouvé très très "utile"), ça m'a de nouveau ravivé des souvenirs + confirmé ma mauvaise conscience (j'ai attendu une semaine de trop). Bref. Bon je reviendrai quand même parce que vous écrivez bien et il y a souvent des sourires et de l'espoir. Et il y a même des jolies photos. Mais pfiou je peux pas lire plusieurs billets d'un coup (hier j'ai lu aussi congélo et l'histoire du chien qui souriait...)Je sais pas pourquoi ça m'émeut autant tout ça. C'est l'histoire plus la façon d'écrire probablement. Bonne recherche pour votre véto.
Fourrure :
Je vous promets un billet heu... jouissif d'ici quelques jours.
Merci pour ce texte, ma chienne a fait une rupture d'anévrisme il y'a 4 ans maintenant et je me suis toujours demandé si j'aurais pu la sauver en l'amenant chez le véto. J'ai compris rapidemment que si je l'emmenait elle mourrait surement dans la voiture. Je n'ai pas osé bouger de la maison. Je me demande encore si je n'aurais pas dû essayer et si le véto aurait pu faire quelque chose....apparement d'après votre texte la réponse est non. Ca me déséspère et en même temps me réconforte parce qu'il valait alors mieux qu'elle soit à la maison quand ça s'est terminé... 4 ans après j'en pleure encore...