Et la science, dans tout ça ?

DSC_4031b.JPGCertains ont annoncé, dès les premières rodomontades du Pr Raoult, que la science serait la grande perdante de cette épidémie de COVID-19. Je ne sais qu’en penser. Je crois qu’on peut faire une longue liste des grands et petits perdants de cette épidémie. En ce qui concerne la science…
Les relations entre science et médecine, ou médecine vétérinaire, me paraissent très compliquées. Très incertaines. Sur le principe, les scientifiques émettent des hypothèses, puis tentent de les infirmer. Si les données vont dans le sens de leurs suppositions et qu’il n’y a pas de contradiction, ils valident. En théorie, les vétérinaires, comme les médecins, transforment ce matériau scientifique, cette information validée, en nouvelles prises en charge. Guidelines, recommandations, protocoles, nouvelles molécules, nouvelles pratiques. Et nous enterrons les anciennes molécules et pratiques démontrées inutiles ou pire, néfastes. Quand les données scientifiques validées manquent, les soignants s’organisent et improvisent, expérimentent et tentent parfois d’établir des consensus. C’est ainsi, avec l’empirisme, que tout a commencé : par l’expérience.
Les années ont montré que l’empirisme avait ses limites. Comme l’expérience. Celle qu’on accumule ou celle qu’on réalise. Le bon sens n’est pas l’intelligence, et nos cerveaux nous trompent. Nos cerveaux veulent des preuves de ce qu’ils croient déjà, nos cerveaux transforment les corrélations en causalités, l’espoir en certitude, et la contradiction en désagrément. Les croyants croient, et les savants essaient de se souvenir qu’ils ne doivent pas croire. C’est à ça que sert la méthode scientifique : à s’affranchir de nos biais. A nous forcer à ne pas croire.
Nous sommes en 2020 et la médecine vétérinaire vise l’excellence. Le triomphe de la science. De la raison. De la médecine basée sur les preuves. Quand j’écoute mes stagiaires, je me dis que le contenu de leurs cours a bien gagné en solidité scientifique. Je grince des dents quand ils m’apprennent que je ne suis pas à jour sur tel ou tel sujet. C’est une école de l’humilité, la science. Mais quel bonheur de trouver sur pubmed des guidelines claires et argumentées, soulignant leurs propres limites et celles de nos connaissances sur les maladies des animaux que nous soignons. Quel joie d’écouter des conférenciers qui annoncent leurs conflits d’intérêts et expliquent où en sont les données acquises de la science.
Et puis arrive le Pr Raoult, qui n’a comme preuves que sa réputation, son statut de star et ses études bidon. Suivent ses contradicteurs, dont les études ne sont parfois pas plus solides. Jusqu’à la fraude de l’article du Lancet censé enterrer le délire marseillais. Aujourd’hui, les données sont assez claires : rien ne permet de penser que son protocole fonctionne. Mais pourquoi personne n’a-t-il été capable de produire l’étude parfaite ?
Que devons-nous donc penser des études censément solides qui guident tel ou tel recommandation aujourd’hui largement appliquée en médecine, vétérinaire ou pas ? Et quand les données sont solides, pourquoi décantent-elles si lentement dans la population médicale ? Pourquoi des intuitions amènent-elles tant de praticiens à prescrire n’importe quoi ? Et pourquoi y a-t-il encore des formations à l’homéopathie à l’AFVAC ou à la SNGTV ? Où est la science, dans tout cela ? Pourquoi en arrivons-nous à nous réfugier dans la croyance, ou dans la paranoïa ? « De toute façon, les labos contrôlent tout, les études sont bidons, je ferai ce que je veux et appliquerai mes croyances ou le fruit de mon expérience, de mes biais ? »
Ne valons-nous pas mieux que cela ? Pas mieux que nous-même, en somme ? Je crois que si. L’étude du Lancet a été rétractées parce que des scientifiques « anonymes » ont relevé ses incohérences comme ils ont relevé celles de l’IHU de Marseille, qui lui, n’a rien rétracté. Juste changé sa communication. La méthode scientifique est robuste. Il ne faut pas l’abandonner à la croyance et à notre besoin d’espoir et de stars.
La médecine vaut mieux que ça. Être humble n’implique pas d’être crédule, être critique n’implique pas de ne plus avoir confiance en personne. Mais fions-nous à ceux qui mettent la méthode en avant, pas leur personne.

Ce billet est dédié aux médecins et scientifiques « anonymes » qui ont, pendant des mois, lu et argumenté sur les forces et faiblesses des études publiées autour de la COVID-19, et partagé leurs réflexions sur Twitter.

Ce billet a été écrit pour La Semaine Vétérinaire numéro 1860 du 19 juin 2020

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