Les temps qui changent
vendredi 26 juin 2020, 22:17 Un peu de recul Lien permanent
A chaque semaine qui passe, tout semble vouloir nous ramener vers la « normale ». Pourtant, les masques, les distributeurs de SHA et les gestes barrière persistent. Pourtant, malgré nos envies de regarder ailleurs, les nouvelles alarmantes continuent d’affluer. Ici, la deuxième vague menace, tandis qu’ailleurs, la première n’en finit pas de submerger les pays les plus pauvres ou les plus riches.
Il faut pourtant bien, à l’échelle de notre clinique, commencer à tirer des bilans. Nous, nous ne sommes pas très sûrs de vouloir retourner à la situation antérieure. L’organisation de crise a souligné certaines de nos forces et de nos faiblesses, et a soulevé d’autres aspirations, aussi.
Nous avons moins travaillé, nous sommes restés chez nous, nous nous sommes occupés de nos enfants… et nous avons aimé ça.
Nous avons allongé les créneaux de consultations (pourtant déjà longs chez nous, systématiquement une demi-heure), pour que personne ne se croise, nous avons pris plus de temps avec nos clients et leurs animaux… et nous avons aimé ça.
Nous avons envoyé promener la prophylaxie et l’administratif paperassier... et nous avons aimé ça.
Nous avons même cessé de payer impôts, URSSAF et CARPV, et vous savez quoi ? Nous avons aimé ça.
Bon, pour ce dernier point, nous sommes déjà revenus à la situation antérieure. Mais pour le reste, nous nous posons des questions, car le reste, c’est tout simplement l’usage de notre temps, la seule unité de valeur qui compte vraiment. Notre temps professionnel comme notre temps personnel. Celui que nous consacrons à nos clients et à nos patients. Celui que nous consacrons à nos amis et à nos familles. Nous excellons dans l’urgence, mais nous en avons assez de ne pas pouvoir prendre de recul. Nous sommes des généralistes et notre point fort n’est pas notre compétence, mais l’attention que nous portons à ceux que nous soignons. Nous ne sommes pas les meilleurs des vétérinaires, mais nous sommes là pour nos patients et leurs propriétaires. Vraiment là, je veux dire. Nous prenons le temps. C’est ce que nous devons nous rappeler, et valoriser. Pour le faire, nous avons donc besoin de temps. Pour le faire, nous avons besoin de ne pas être débordés, nous avons besoin, aussi, d’équilibrer vie professionnelle et vie privée. Alors ? Se réorganiser ? Embaucher ? Vétérinaire, ou ASV ? Avec quel argent ? Et avons-nous vraiment envie de faire grossir notre effectif ? Ou alors, faut-il trier ? Refuser des clients ? Est-ce cela, le véritable luxe pour bien travailler ? Mais est-ce crédible au quotidien ? Nous sommes là pour soigner !
Nous n’avons pas encore les réponses, mais nous avons au moins les questions. Le COVID-19 nous aura rappelé qu’elles existaient. Que nous pouvons mieux travailler, que c’est sans doute celui-là, notre défi de vétérinaires en milieu de carrière. Ne pas nous endormir, ne pas céder à la facilité et à la routine, ou pire encore, à l’amertume à force de nous sentir impuissants, car débordés. Ne pas non plus nous laisser envahir par notre métier, au risque d’oublier qu’à trop en faire, nous mettons en danger aussi bien nos patients que nos familles. Il va nous falloir soigner nos priorités.
Ce billet a été écrit pour La Semaine Vétérinaire numéro 1861 du 26 juin 2020
Commentaires
C'est le point positif du virus: faire réfléchir les gens qui n'y pensaient pas sur ce qu'ils veulent vivre vraiment, sur ce qui est la priorité pour chacun et le meilleur pour tous. Hélas, dans un monde où l'argent est la valeur suprême, où chacun est reconnu non pas par ce qu'il fait mais par combien il gagne, et que ses possibilités personnelles s'en réduisent à cela, le concept d'une vie en équilibre est bien utopique. le "que faites vous dans la vie" signifie "quel est votre statut social" et non pas "que faites vous de votre vie"...et pourtant...mais enfin être véto c'est déjà soigner, alors ce temps là c'est de l'ajout de valeur à la vie en général!