Gueule de bois

Je ne sais pas vous, mais ce déconfinement me laisse sacrément circonspect. Peut-être parce que je ne me suis jamais senti vraiment confiné : si nous avons adapté notre façon de travailler, elle n’a pas été transformée, et ces derniers jours ressemblaient beaucoup à ceux d’avant le 11 mai. La porte de la clinique est toujours fermée, les clients sonnent, les ASV vont les voir et soit les orientent vers les portes extérieures des salles de consultation, soit gèrent leurs demandes. Elles courent beaucoup. Elles courent d’autant plus que nous essayons de laisser chaque vétérinaire gérer la distanciation en consultation selon sa sensibilité et…
Il y a celles et ceux qui, pragmatiques, essayent de faire au mieux mais sans y croire vraiment, parce qu’il faut bien tenir l’animal, et qu’il est difficile d’aérer en grand quand on consulte des chats. Certes, la plupart des clients sont plus ou moins bien masqués et essayent de respecter au mieux les règles sanitaires, mais est-ce réellement suffisant ?
Et puis il y a celles et ceux qui préfèrent laisser les clients dehors et soigner l’animal, seuls, oui, mais souvent avec une ASV, qui court donc de l’accueil à la porte puis de la porte à l’accueil puis de l’accueil à la salle de consultation puis de la salle de consultation au bloc ou au chenil car la vie continue…
Alors les pragmatiques fatalistes se disent que les prudents qui y croient en font trop, et les prudents qui y croient se disent probablement que les pragmatiques fatalistes n’en font pas assez. Les pragmatiques fatalistes sont des praticiennes et praticiens mixtes qui ont sans doute trop appris à accepter qu’une épidémie se gère plus qu’elle ne se jugule, les prudents qui y croient sont des purs canins qui savent qu’on peut toujours faire mieux.
Et entre les deux ?
Les ASV continuent à courir.
Dans ma clinique, ce sont vraiment elles, mes héroïnes du COVID-19.
Et je ne me plains pas. J’entends trop de consœurs et confrères qui aimeraient bien que leurs problèmes se limitent à des salariés prudents qui compliquent « trop » leur organisation, et qui se retrouvent surtout bien seuls, leurs équipes réduites aux seul(e)s libéraux et à de rares ASV, avec parfois une activité délirante quand il faut gérer tout le travail en retard à cause du confinement et les cabinets voisins qui n’ont pas tous réellement repris.
Il y a beaucoup de choses qui m’échappent, je le devine. Ma profession se transforme encore si vite, le COVID accélère les choses, on faisait du conseil téléphonique gratuit, puis on a fait des bilans sanitaires d’élevage, et maintenant du conseil téléphonique payant, pardon, de la téléconsultation. Tant de cabinets abandonnent leurs gardes aux (lointaines) structures d’urgences, mais les clients préfèrent appeler ceux qui continuent encore à assurer localement. Pour combien de temps ? Les irréductibles gaulois se fédèrent finalement en inéluctables GIE ou autres chaînes de cliniques, et nous suivons le mouvement, nous essayons même de l’anticiper, mais finalement, moi, je voudrais juste soigner des animaux malades et faire des vêlages.
A quarante ans, suis-je obsolète au temps du COVID-19 ?

Ce billet a été écrit pour La Semaine Vétérinaire numéro 1854 du 22 mai 2020

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