L’après, l’avec et le sans

Il y a donc enfin un « après ». Un « après » un peu plus précis depuis les annonces du premier ministre, hier. Un « après » qui n’en est pas vraiment un puisque le virus est toujours là et que nous ne sommes toujours pas prêts, alors… Alors quoi ? Alors ce sera un « avec » plus qu’un « après ». On fera un peu différemment, mais pas trop. Néanmoins, nous pouvons nous projeter, enfin, hors de l’incertitude complète de ces dernières semaines. Chaque cabinet, chaque clinique, chaque CHV a déjà trouvé son rythme et réfléchit déjà à la suite. Bien sûr, il reste des incertitudes. Sera-t-on dans un département à déconfinement restreint ou pas ? Les écoles seront-elles rouvertes et les enfants y retourneront-ils ? On ne sait pas, on ne sait pas, on ne sait pas. Alors on fera « avec ». Ou on fera « sans » les salariées concernées si elles sont coincées à la maison (je laisse au féminin, accordons en genre à la majorité). On a appris à faire sans elles, un peu. On a surtout réappris à quel point elles sont indispensables à nos structures, les ASV. Bien sûr, nous sommes tous capables de les remplacer aux commandes de médicaments ou au ménage, au téléphone ou à l’accueil (ce qui est d’ailleurs l’occasion de réaliser que nous ne faisons pas aussi bien qu’elles). Par contre, quand nous faisons leur boulot, qui fait le nôtre ? Nos confrères et consœurs salariées, dont beaucoup sont restés à la maison ? Là aussi, on a pu voir l’épuisement des libéraux qui ont réduit, de gré ou de force, leurs équipes.
Moi, j’ai surtout appris que j’aime rester à la maison, partager vraiment du temps avec ma femme et mes enfants, y compris dans la contrainte des devoirs. Parce que dans ma structure mixte à dominante canine l’activité a beaucoup diminué et nous avons dès le début fait le choix de garder une ASV en permanence et une véto salariée. Le rush prévisible de l’après 11 mai et le retour à la « normale » ne me paraissent du coup guère attrayants, même s’il lèveront probablement les inquiétudes économiques pour ma clinique. Je ne suis pas impatient.
Je sais par contre l’épuisement des confrères et consœurs de certaines structures proches de la mienne, plus ruraux, ou dans de plus grandes villes, où les libéraux se sont retrouvés plus ou moins seuls face à une activité parfois importante, à enchaîner les jours de travail et les nuits d’astreinte. Je devine aussi l’angoisse de celles et ceux qui ont complètement fermé leurs cabinets, notamment en ville, parce qu’il n’y avait plus personne pour y travailler… Vous avez remarqué ? Ce n’est plus le virus qui domine nos inquiétudes. On fait déjà « avec ».
Alors pensons à l’« avec » plutôt qu’au « sans ». Nous sommes là pour soigner des animaux et protéger des gens, cela, au moins, ne change pas. Reprenons le contact avec celles et ceux qui sont restées coincées à la maison, voyons comment elles reviendront, comment nous nous adapterons, encore. Après tout, cela fait presque 20 ans que je suis vétérinaire, et en 20 ans mon métier n’a cessé de se transformer, comme il le faisait déjà pendant les décennies précédentes. Cette fois-ci ce ne sera ni un progrès technologique ou scientifique, ni une mutation sociétale, mais celle d’un virus, qui nous forcera à nous adapter. Nous réussirons, je n’ai aucun doute là-dessus. Nous en tirerons le meilleur si nous ne voulons pas en subir le pire.
Regretterons-nous l’avant ? Certainement.
Mais pouvons-nous nous plaindre alors que nous pouvons continuer, malgré tout, à travailler, quand tant d’entreprises sont totalement sinistrées ? Alors que nous avons les connaissances, les compétences et le matériel pour nous protéger ? Alors qu’il y aura toujours des animaux à soigner et des gens à protéger ?

Ce billet a été écrit pour La Semaine Vétérinaire numéro 1852 du 8 mai 2020

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