L’après, l’avec et le sans
lundi 11 mai 2020, 21:11 Un peu de recul Lien permanent
Il y a donc enfin un « après ». Un « après » un peu plus précis depuis les annonces du premier ministre, hier. Un « après » qui n’en est pas vraiment un puisque le virus est toujours là et que nous ne sommes toujours pas prêts, alors… Alors quoi ? Alors ce sera un « avec » plus qu’un « après ». On fera un peu différemment, mais pas trop.
Néanmoins, nous pouvons nous projeter, enfin, hors de l’incertitude complète de ces dernières semaines. Chaque cabinet, chaque clinique, chaque CHV a déjà trouvé son rythme et réfléchit déjà à la suite. Bien sûr, il reste des incertitudes. Sera-t-on dans un département à déconfinement restreint ou pas ? Les écoles seront-elles rouvertes et les enfants y retourneront-ils ? On ne sait pas, on ne sait pas, on ne sait pas. Alors on fera « avec ». Ou on fera « sans » les salariées concernées si elles sont coincées à la maison (je laisse au féminin, accordons en genre à la majorité). On a appris à faire sans elles, un peu. On a surtout réappris à quel point elles sont indispensables à nos structures, les ASV. Bien sûr, nous sommes tous capables de les remplacer aux commandes de médicaments ou au ménage, au téléphone ou à l’accueil (ce qui est d’ailleurs l’occasion de réaliser que nous ne faisons pas aussi bien qu’elles). Par contre, quand nous faisons leur boulot, qui fait le nôtre ? Nos confrères et consœurs salariées, dont beaucoup sont restés à la maison ? Là aussi, on a pu voir l’épuisement des libéraux qui ont réduit, de gré ou de force, leurs équipes.
Moi, j’ai surtout appris que j’aime rester à la maison, partager vraiment du temps avec ma femme et mes enfants, y compris dans la contrainte des devoirs. Parce que dans ma structure mixte à dominante canine l’activité a beaucoup diminué et nous avons dès le début fait le choix de garder une ASV en permanence et une véto salariée. Le rush prévisible de l’après 11 mai et le retour à la « normale » ne me paraissent du coup guère attrayants, même s’il lèveront probablement les inquiétudes économiques pour ma clinique. Je ne suis pas impatient.
Je sais par contre l’épuisement des confrères et consœurs de certaines structures proches de la mienne, plus ruraux, ou dans de plus grandes villes, où les libéraux se sont retrouvés plus ou moins seuls face à une activité parfois importante, à enchaîner les jours de travail et les nuits d’astreinte. Je devine aussi l’angoisse de celles et ceux qui ont complètement fermé leurs cabinets, notamment en ville, parce qu’il n’y avait plus personne pour y travailler… Vous avez remarqué ? Ce n’est plus le virus qui domine nos inquiétudes. On fait déjà « avec ».
Alors pensons à l’« avec » plutôt qu’au « sans ». Nous sommes là pour soigner des animaux et protéger des gens, cela, au moins, ne change pas. Reprenons le contact avec celles et ceux qui sont restées coincées à la maison, voyons comment elles reviendront, comment nous nous adapterons, encore. Après tout, cela fait presque 20 ans que je suis vétérinaire, et en 20 ans mon métier n’a cessé de se transformer, comme il le faisait déjà pendant les décennies précédentes. Cette fois-ci ce ne sera ni un progrès technologique ou scientifique, ni une mutation sociétale, mais celle d’un virus, qui nous forcera à nous adapter. Nous réussirons, je n’ai aucun doute là-dessus. Nous en tirerons le meilleur si nous ne voulons pas en subir le pire.
Regretterons-nous l’avant ? Certainement.
Mais pouvons-nous nous plaindre alors que nous pouvons continuer, malgré tout, à travailler, quand tant d’entreprises sont totalement sinistrées ? Alors que nous avons les connaissances, les compétences et le matériel pour nous protéger ? Alors qu’il y aura toujours des animaux à soigner et des gens à protéger ?
Ce billet a été écrit pour La Semaine Vétérinaire numéro 1852 du 8 mai 2020
Commentaires
Encore merci pour vos récits de vie, quoi qu'il s'y passe. Vos réflexions nous amènent
à réfléchir, nous aussi, à ce que nous vivons pour le moment. Puissions-nous profiter
de cet arrêt pour changer - en bien ou en mieux - ce qui dépend de nous et voir un
peu plus ce que nous avons au lieu de toujours vouloir plus ! Tant de gens n'ont même pas assez ! Confiné à la campagne, ou en ville, dans un appartement avec
des enfants remuants, ce n'est pas du tout la même chose ! Plus tous les autres
problèmes, car il faut manger tous les jours et les économies - quand il y en a -
fondent vite.
Alors, de grâce, faisons de notre mieux, dans notre domaine d'activité, et aidons-nous les autres dans la mesure de nos possibilités. Continuez de nous donner des
nouvelles de votre vie de vétérinaire. Cela nous aide dans la nôtre, croyez-le.
Je n'aurais pas supposé avant que les vétos soient autant impactés par la baisse de travail, pendant....
Merci pour ce nouvel article.
Je ne comprends pas tout ce qui s'est passé dans les cabinets vétérinaires de ville à lire vos phrases : "Je sais par contre l’épuisement des confrères et consœurs ... dans de plus grandes villes, où les libéraux se sont retrouvés plus ou moins seuls face à une activité parfois importante, à enchaîner les jours de travail et les nuits d’astreinte. Je devine aussi l’angoisse de celles et ceux qui ont complètement fermé leurs cabinets, notamment en ville, parce qu’il n’y avait plus personne pour y travailler…"
Dans le cabinet où je consulte, les RDV de vaccinations ont été annulés mais le cabinet restait ouvert pour les urgences, donc j'imagine que l'activité était restreinte et que le vétérinaire qui pouvait s'organiser pour travailler avait une activité.
Les recommandations du gouvernement m'ont par contre semblé absurdes si, comme l'ASV m'a expliqué, la vaccination n'était pas un motif de consultation pendant le confinement et que l'on doit refaire tout un protocole, parce que le rappel de mes chattes tombait en début de confinement : j'aurai l'information demain...Il me semble qu'en imposant certaines mesures barrière dans le cabinet, on aurait pu éviter ces écueils, et le rush d'après confinement...
Fourrure :
Il y a eu de tout pour les cabinets et cliniques vétos. Certains ont du fermer par exemple pour garder les enfants. D'autres pour ne pas prendre de risque pour leur propre santé ou celle de leurs proches.
Du coup certaines cabinets et cliniques se sont retrouvés avec une charge de travail augmenté puisque leurs voisins étaient fermés, le tout avec un effectif réduit.
Enfin, d'autres ont eu une activité +/- diminuée (surtout en canine, beaucoup moins en rurale), avec une équipe plus ou moins réduite (donc à peu près autant de travail que d'habitude par véto, mais avec moins de jours de repos et plus d'astreintes/de gardes).
La recommandation de cesser les vaccinations se justifie par la logique du confinement : que les gens bougent le moins possible. Ca n'a rien d'absurde même si c'est contrariant. De plus, pour la plupart des vaccins, on peut admettre un retard de trois mois sans avoir à refaire deux injections.