L'injustice, la Bonne Parole et le renoncement
mercredi 19 octobre 2011, 21:36 Un peu de recul Lien permanent
Le sentiment d'injustice
Une dame, assez âgée, avait envoyé son mari pour leur vieille chienne à la clinique "parce qu'elle n'allait pas bien". Pyomètre, tumeurs mammaires a priori bénignes, un cœur plutôt bon et des reins corrects. Un de mes confrères - qui travaille avec moi - avait reçu le monsieur, posé le diagnostic, affiné le pronostic, proposé la chirurgie, avec ses limites et ses risques, établi un devis, puis donné le rendez-vous, après consentement du monsieur.
La dame avait rappelé le soir même, incendié une ASV, et annulé le rendez-vous. Nous nous en étions rendu compte le lendemain, et puis nous étions passé à autre chose.
Une semaine plus tard, la dame rappelait en demandant que je vienne (personnellement) euthanasier la chienne, à son domicile. J'y suis allé, et j'ai découvert la consultation de mon confrère, sur lequel la dame s'est répandue en critiques méchantes, sur un mode "il ne fait pas attention aux animaux, lui, il ne pense qu'à l'argent, lui..."
Moi, je suis un saint, apparemment.
Et la dame de me plaindre d'être "obligé de travailler avec un type comme ça parce qu'on ne trouve pas facilement des vétérinaires en zone rurale, de nos jours". Je pouvais bien argumenter, expliquer, et défendre mon confrère, non, j'étais tellement gentil que je ne voyais pas avec qui je travaillais. Et la dame - qui n'avait pas vu mon confrère en consultation, elle - de m'expliquer que tout son quartier, et même son médecin, étaient bien d'accord : on n'opère pas une chienne aussi âgée. D'ailleurs "la preuve, vous avez vu comment elle est, aujourd'hui ?" Son mari, qui avait amené la chienne en consultation, se réfugiait dans un silence malheureux.
Je lui ai dit que si, on l'avait opérée, elle serait sans doute sur ses pattes. Que oui, elle était vieille, arthrosique, et malade, mais qu'un pyomètre, si les reins étaient bons, cela valait toujours le coup d'opérer. Elle ne s'est pas offusquée, et pourtant j'ai parlé assez crûment, mais sans méchanceté. Elle a pensé que je voulais juste défendre mon collègue.
Il l'a très mal vécu.
A chaque fois, je ne peux m'empêcher de conclure par un "tout ça, pour ça ?". S'impliquer, expliquer, s'investir, décortiquer, nuancer, pour finir victime de ragots et commérages, se faire poignarder dans le dos par le coiffeur (on a l'habitude...), le voisin-qui-a-toujours-eu-des-chiens, le médecin-qui-s'en-fout-et-qui-ne-va-pas-se-fâcher-avec-sa-patiente-parce-que-bon-il-a-d'autres-problèmes-à-gérer, ou par un confrère qui s'en fout tout autant, qui ne sait peut-être même pas que la dame a déjà consulté ailleurs, ou qui a juste manqué les règles élémentaires de l'élégance... Bon, quand on a tort, ça fait mal où on appuie, mais c'est le "jeu". Quand on a raison, cela dit... c'est le genre de douleur lancinante qui empêche de dormir, qui travaille au réveil, et qui assombrit une journée.
Évidemment, il y a une série de clients qui sont à côté de la plaque parce qu'ils sont en deuil, bouleversés, bref : pas dans leur état normal. Avec eux, pas de frustration. Nous perdons parfois des clients sur ce genre de situations, et c'est normal. Il y a aussi ceux que nous mettrons, à tort ou à raison, dans la catégorie des "cons". Le beauf prétentieux qui se fâche parce qu'on soigne son Maine Coon comme un chat de gouttière, ou celui qui ne veut pas des explications, mais de l'action, puis qui se plaint parce que c'est compliqué.
La dame dont je parle ci-dessus avait, je le sais, de nombreux autres problèmes à gérer (des vrais, des sérieux), pensait que nous allions euthanasier sa chienne, et a du avoir du mal à accepter que nous proposions un traitement. Dans sa tête, le film était déjà tourné. Alors, parce que c'est le plus simple, elle a raconté le film à sa façon à ceux qui l'approuveraient, notamment parce qu'elle avait des problèmes bien plus graves à gérer. Je le sais, mon confrère le savait, mais n'empêche.
Il y a ceux qui nous font tomber les bras par terre au milieu d'une performance diagnostique. Un jour, j'ai eu un magnifique : "En Hollande, les vétérinaires, quand ils ne savent pas, ils font des antibiotiques et de la cortisone longue action, faites ça." Le type était dentiste à la retraite, en plus.
La vraie blessure vient plutôt de ces clients qui nous écoutent, qui sont attentifs, et qui interprètent mal nos motivations ou notre démarche. Et qui du coup se plaignent que l'on ne s'occupe pas "bien" de leurs animaux. Qui nous jugent indifférents, incompétents, menteurs, manipulateurs ou que sais-je. Certains ont été jusqu'au courrier à l'Ordre. Rien de méchant, nous étions droits dans nos bottes. Mais ça fait mal.
Être un apôtre de la Bonne Médecine ?
Lorsque nous comparons, avec mes confrères, notre façon de gérer les incohérences de nos patients, leurs demandes de médicaments qui ne servent à rien, leurs auto-diagnostics foireux, leurs idées fausses et leurs préjugés, je me rends à chaque fois compte du gouffre qui sépare notre façon de gérer. Et quand je constate que je suis souvent le plus jeune du lot, je me dis que c'est une question de génération, ou l'installation d'une tranquille lassitude chez les plus âgés. Et puis, parfois, je tombe sur un confrère ou une consœur plus jeune, qui, elle aussi, laisse aller. Est-ce une forme de renoncement ? Et... est-ce important ? Est-ce que je suis un chiant de donneur de leçons ? Et si oui, ce qui est sans doute le cas, est-ce que c'est grave ?
Notez bien que je ne dis pas que les vétérinaires n'ont pas, eux aussi, des habitudes à la con, des préjugés, des archaïsmes, des incohérences. Je parle de ma boutique, et de ce qui s'y passe, ainsi que des discussions que j'ai avec des confrères et consœurs. Je ne suis pas là pour juger le boulot des autres.
J'essaie de ne jamais laisser passer une ânerie. Je n'y passe pas l'après-midi. J'ai d'autres consultations à faire, d'autres enjeux plus importants, je peux admettre qu'on ne veuille pas m'écouter ou me croire - je sais la force des préjugés, des habitudes, de ces "certitudes" confirmées par l'expérience personnelle (en tout cas quand cette expérience va dans le bon sens). Mais je vis très difficilement ce sentiment d'injustice qui accompagne la mauvaise perception de mes motivations, de mes actes, de mes choix. Ou de la médecine, au sens large du terme. C'est le genre de trucs qui me pousserait à ouvrir un blog, tiens, juste pour... me justifier ?
Ou même justifier la pertinence de mon travail.
Il y a les situations "tarte à la crème". Pour être heureuse, une chienne/chatte doit avoir fait des bébés. Si on le castre, il ne pourra plus chasser. Elle a été saille par un bâtard, elle ne pourra plus jamais faire des chiots de pure race. Il faut qu'elle ait deux portées pour ne pas avoir de tumeurs mammaires. ce genre de conneries, je ne peux pas laisser passer. Ce sont des cas évidents, où le risque pour l'animal est réel en raison des préjugés. Alors j'explique, j'argumente, je démontre, par l'absurde s'il le faut, avec des exemples, toutes la dialectique qui me permettra de convaincre. Je suis bon à ce jeu là. Et si on ne m'écoute pas, au moins, j'aurais la conscience tranquille, celle d'avoir satisfait à mon devoir de conseil.
Anthropomorphisme, vieilles idées reçues, mauvaises interprétations. Parfois, sur ces sujets, ma blouse blanche me dessert, je serais plus convaincant si j'étais juste un individu lambda ! Alors, souvent, je triche, je mens, raconte une anecdote improvisée sur mes animaux, pour montrer que, moi aussi, j'ai constaté ce problème, ou ce petit machin qui n'est même pas un problème, et que je sais donc de quoi je parle. Et ça passe beaucoup mieux que les explications, même claires et pédagogiques, sur les faits, l'état des connaissances ou les biais de raisonnement.
Et puis il y a les cas plus anecdotiques, raisonnements tronqués, biaisés, interprétations erronées de la cause d'une maladie, parfois amusants, parfois navrants. Mais pas dangereux. En général, je corrige, mais sans insister. Si je vois que me mettre à dos le propriétaire de l'animal risque de faire échouer mon traitement, je reste discret, tourne autour du pot, suggère une autre étiologie, explique les autres possibilités sans discréditer les hypothèses du maître. Faire sentir aux gens qu'ils ont tort n'est pas toujours le meilleur service à rendre à leur compagnon. En général, je note sur la fiche l'interprétation du propriétaire de l'animal, pour en tenir compte dans le suivi du cas ou pour y revenir, à l'occasion lors d'une consultation qui n'aura rien à voir. Mériter et gagner la confiance des gens avant de heurter leurs convictions.
Renoncement
Comme celles concernant les gouttes ou les granules homéopathiques qu'ils ont rajouté au traitement. Là, je renonce. Sauf s'ils arrêtent ce que moi, j'ai prescris. J'ai testé plusieurs fois. Expliquer par A+B pourquoi ça ne marche pas, c'est le meilleur moyen de passer pour un incompétent (!). Et ce n'est un service à rendre ni à l'animal... ni à mon portefeuille ! Je ne suis pas un héros. Mais alors, si je renonce là dessus, est-ce que je vais finir par renoncer sur toutes les théories du complot, toutes ces interprétations foireuses et ces raisonnements absurdes ?
En fait, pour certains, j'ai renoncé : je ne les reçois plus en consultation, je les laisse à un de mes confrères qui s'est fait une spécialité, pour ces personnages, du "oui, oui" concerné et indifférent.
Le souci, c'est que ce genre de "oui, oui" discrètement sarcastique est déjà, en soi, un encouragement. Et qu'il peut parfois être très franc, ce qui est un excellent coup de poignard porté dans le dos de ceux qui espèrent faire passer un message. Alors tant qu'il s'agit de ceux qui travaillent dans ma clinique, nous prenons garde à prévenir les incohérences. Notamment, comme je le disais, en indiquant dans les fiches les interprétations des clients. Marrantes, ou pas marrantes.
Ce sentiment d'injustice qui vient souvent noircir ce boulot pourtant tellement lumineux, finalement, s'exacerbe lorsque j'ai la conviction que mentir, ou simplement laisser tomber me faciliterait énormément la vie. Lorsque j'ai l'impression que les gens me prendraient, du coup, pour un meilleur vétérinaire.
Mais là, même s'ils sont rayonnants, le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne suis pas fier.
Alors je sais que je ne vais pas, comme ça, du jour au lendemain, tout laisser tomber et renoncer. Je sais aussi que je ne serai pas toujours un héros, que je ne prêcherai pas tous les jours la bonne parole - c'est déjà le cas. Je sais que la grande majorité de mes confrères est comme moi. J'aligne les poncifs, mais cette souffrance est réelle.
Surtout lorsque l'on prend conscience que l'on est le seul à savoir que l'on se tient droit dans ses bottes.
PS : ce billet qui part un peu dans toutes les directions est le fruit de mes propres interrogations et réactions à la lecture des billets de Borée et Martin Winckler. Prenez-le pour ce qu'il est : une étape dans ma façon d'appréhender mon travail.
Commentaires
Bonsoir,
C'est parce que j'en avais assez d'entendre des âneries à longueur de journée que j'ai créé Tatoufaux.com, le tombeau des idées reçues.
Nous y avons quelques idées reçues vétérinaires. J'ai noté celles que vous citez dans cet article.
J'imprime parfois à mes patients (je suis médecin généraliste) les articles que j'ai écrit moi-même. C'est rigolo.
L'éducation du patient (ou du client) est une perte de temps et d'argent, mais à la longue, on finit par avoir quelques résultats.
Et on ne se refait pas. Personnellement, je n'ai jamais pu m'empêcher de rectifier une erreur quand j'en vois ou entend une. J'ai beau faire, c'est plus fort que moi.
Continuez votre exercice lumineux qui éclaire aussi les autres.
Veto, c'est un métier ou il faut aimer autant, sinon plus, les gens que les animaux.
Je suis bien contente de pas avoir été prise en prepa veto y a 10 ans :) bonne continuation, bon courage, je vous lis toujours avec plaisir !
Toujours aussi intéressant.
N'oubliez pas qu'il y a aussi les clients/patients qui veulent savoir s'ils ont tort ou raison d'interpréter tel ou tel signe de telle ou telle manière. Alors s'il vous plaît ne renoncez pas, une goutte d'eau après l'autre ; un pas après l'autre. La route est belle quoi qu'il en soit :)
Bonjour,
Grande amoureuse de chats :-), en fait je sais pas pourquoi je dis ça LOL. Je suis un peu maladroite ses jours si, c'est juste pour vous dire courage, certaines personnes sont ce qu'ils sont, et vous restez comme vous êtes merci :-)
J'ai pas fini mais pour ne pas l'oublier
Je crois que vous avez fait une boulette là => "Son mari, qui avait amené la chienne en consultation, se réfugiait Sans un silence malheureux."
C'est pas Dans un silence ??
Ah ben je m'attendais plus à une Xième anecdote et je me retrouve au milieu d'une introspection.
Cela vaudra ce que l'on veut, mais sachez que ce que vous rencontrez dans votre cabinet, je le croise tous les jours dans mon secteur (informatique) ! Changez juste les soucis médicaux par des soucis informatique et vous avez les mêmes
Courage c'est dur, c'est cruel mais il faut plus voir ceux qui sont contents de vous ;)
PS : hs complet mais quid de votre bouquin ?? :p
Fourrure :
Tiens, no dirait cette charmante éditrice qui me pose régulièrement la même question. Mon bouquin est nulle part : je n'ai pas le temps d'écrire.
Un grand encouragement de ma part, et, continuez à vous battre. Vous êtes quelqu'un d'entier, et il faut des gens entiers pour avancer sur cette terre.
Perso, je vais chez le véto pour soigner mes poilus et pour comprendre. Et si je ne comprends pas, je demande aussi longtemps jusqu'à ce que j'ai compris. Et les gens qui ne font pas cela, qui viennent avec leurs idées au détriment de la vie de leur compagnon, ben je ne dis pas ce que j'en pense......
Une phrase qui m'a interpellé "Surtout lorsque l'on prend conscience que l'on est le seul à savoir que l'on se tient droit dans ses bottes."
On peut faire ce qu'on veut, aussi bien, aussi je ne sais pas quoi, il y en aura toujours qui vont mal parler, critiquer etc. L'exemple d'une femme, elle se soigne, se maquille, s'habille bien etc on va dire que c'est une p*****, qu'elle se peint, qu'elle est dépensière etc. Elle ne fait pas tout cela, ben elle se laisse aller, elle pourra faire un peu plus attention à elle, quand meme, comment fait son mari etc
Donc ON S'EN FOUT ce que les gens disent!!! L'importanc est, qu'on soit d'accord avec soi meme, qu'on puisse se regarder dans la glace le matin. Car on peut fuire tout le monde dans la vie, sauf soi meme......
Donc, bon courage et continuez comme cela!!!
Et merci pour ce blog!!!!!
Les rumeurs et les médisances sont d'autant plus importantes pour ceux qui exercent des métiers tels que le votre, pour lesquels l'enjeu principal réside dans le fait de sauver des vies. Alors je comprends vos introspections et je pense même que c'est sain. L'intégrité, c'est essentiel même si au fil des années je suppose qu'elle a tendance à s'effriter. Je n'exerce pas de métier "à risque" comme le votre mais j'ai pour habitude de me dire que du moment que je peux me regarder dans une glace, je n'ai rien a craindre.
Mon mari et moi avons ce qu'on appelle une "famille nombreuse" (6 chats, 3 rats et 1 chien), et c'est en vous lisant depuis un petit moment que j'ai récemment décidé de changer de vétérinaire... Parce que je me suis rendu compte qu'ils n'étaient pas tous blasés, sarcastiques et brutaux comme le mien. Non que vous ayez constitué le principal facteur, puisque j'y pensais depuis un petit moment, mais vous m'avez aidé, sans le savoir, à prendre ma décision finale.
Aujourd'hui, notre "médecin de famille" s'occupe bien de nos animaux, il est très doux et me donne beaucoup de conseils, que j'écoute scrupuleusement. Il me rassure aussi, parce que véto, ce n'est pas mon métier et que oui, même si je commence à déceler certains symptômes à force d'habitude, j'ai besoin d'être guidée et d'entendre que l'épidémie de Coryza à laquelle je dois faire face peut être enrayée facilement si on traite tout le monde à la fois, et que oui, des chatons de 3 semaines atteintes peuvent s'en sortir. Mon ancien véto m'a laissé seule avec mes 6 chats, sans vouloir traiter les chatons et m'a engueulé comme une merde lorsque je me suis permise de lui demander si ce ne serait pas judicieux de traiter tous les chats avant que ça se propage... Je n'avais qu'une vague connaissance de cette maladie et lui ai posé pleins de questions auxquelles il m'a répondu par un haussement d'épaule. J'ai trouvé ça plus que dommage et insultant.
Alors, merci d'être là, d'écrire sur ce blog et de nous démontrer via vos doutes, vos questions, vos remises en questions, que finalement, il y a de bons vétérinaires, surtout en campagne, qui s'impliquent tant au niveau médical qu'au niveau humain. Nos animaux ont besoin de vous, et nous, encore plus.
Cela me rappelle cette mamie qui refusait d'entendre que sa chienne était en train de mourir d'un cancer de l'ovaire metastasé.... Et qui me répétait sans cesse qu'elle avait attrapé froid. Je me sentais complètement démunie et ne savait pas comment réagir..... Je vois qu'avec l'experience ce n'est pas mieux : chouette !
Fourrure :
Il y a des situations où les maîtres ne veulent pas savoir. Dans le fond, ils nous croient. Il savent. Mais ils ne veulent pas savoir, et le déni peut être extrêmement puissant, voire destructeur. Et quand on se retrouve, après moultes explications, dans ce genre de situations, je n'ai jamais trouvé d'autre solution que le silence...
"Il y a les situations "tarte à la crème". Pour être heureuse, une chienne/chatte doit avoir fait des bébés. Si on le castre, il ne pourra plus chasser. Elle a été saille par un bâtard, elle ne pourra plus jamais faire des chiots de pure race. Il faut qu'elle ait deux portées pour ne pas avoir de tumeurs mammaires. ce genre de conneries, je ne peux pas laisser passer."
Et encore, vous avez la chance d'être vétérinaire, c'est à dire que mine de rien, vous avez l'aura de "celui qui sait". Imaginez la même chose si vous ne l'étiez pas. Ou pire (souvenir qui me hérisse) : un type vivant dans un studio rez-de-jardin avec une chatte d'extérieur qu'il ne laisse JAMAIS sortir, gave de n'importe quoi et enfume (1/2 paquets de cigarettes par jour. J'ai essayé plusieurs fois de lui expliquer... Bref. Continuez ce que vous faites, des vétérinaires comme vous c'est bien.
Après y a des gens contre/pour lesquels on ne peut rien faire si ce n'est croiser les doigts pour,qu'une fois leur bestiole partie, ils n'en prennent pas une nouvelle !
Et je rejoins les commentaires précédents pour vous encourager à lutter contre vents et marées pour rester tel que vous êtes !
Mais comment faites-vous pour ne pas vous épuiser ? Comme vous, j'étais incapable de laisser passer une ânerie. Je me disais qu'informer, instruire (voire éduquer) le client était l'essentiel de mon travail. Quand les confrères laissent courir ou racontent des craques, que le client reçoit comme parole divine et qu'on passe après, c'est dur.
Ce WE, j'ai bazardé des articles véto qui ne me serviront plus. Pas tout : je n'ai pas pu m'empêcher de garder des trucs... C'est difficile de mettre des connaissances à la poubelle. Des connaissances qu'on a eues, qu'on a oubliées, ou qu'on aurait pu avoir et qu'on n'a jamais eues, faute de temps, faute d'énergie, parfois. Et je me suis dit que j'aurais dû tout jeter (mais j'peux pas !). Je me suis dit aussi que ce métier était trop difficile pour moi, parce que je voulais trop non seulement ne pas tomber dans le cocktail antibio-cortico, mais aussi et surtout savoir, pour ne pas me tromper, ne pas moi-même raconter d'âneries. Bref, ce WE, ça a été long, lent et presque douloureux. Maintenant que j'ai lu votre billet, je me dis que j'ai bien fait de quitter le navire, parce que ce que vous racontez était réellement pour moi insupportable et délétère.
Merci, donc, et bon courage.
Cela me rappelle une anecdote. Cabinet débutant, nous recevons une vieilles chienne en urgence le 31 décembre. Avec les moyens du bords nous hospitalisons, faisons un traitement symtômatique et établissons un diagnostic au vu des symptômes( pas de certitude) de gastrinôme. La chienne va mieux, nous la renvoyons chez elle avec un traitement palliatif en expliquant bien qu'elle est condamnée. Quelques jours plus tard, coup de fil de la faculté qui a réceptionné le chien, hospitalisation, radio,echo, prise de sang, endoscopie et le diagnostic tombe: Gastrinôme. LA chienne a été euthanasiée 15 jours plus tard.
Je ne me suis jamais sentie aussi petite et minable que dans le regard de ces gens. C'était ma première claque, il y en a eu d'autres.
Alors oui, parfois je fais une prise de sang, une radio sachant que c'est inutile mais ça fait plaisir au client. Alors oui parfois pour gagner ma vie et fidéliser ma clientèle j'ai parfois l'impression de perdre mon intégrité.
Fourrure :
J'ai du mal à comprendre. Si le diagnostic probabilistique était bon, et le pronostic aussi, à part le manque de moyen (pour ce que ça aurait changé...), que vous reprochaient les gens ?
Mmmmn...
Moi aussi, sur vos conseils (pertinents) j'ai largement surfé sur les bogs en haut à gauche (Jaddo, Borée et son duel à fleurets démouchetés avec Martin/Tu fais chier/Winckler...)
Bien tout ça...
Très bien même...
Bon rendu des tortures intimes autant qu'existentielles des professions médicales...
Et puis, paf!
Au détour d'un billet, j'sais plus de qui, cette remarque lumineuse:
"Tenir un blog est une activité excessivement narcissique!"
Narcissique et cathartique...
Cette fois, j'ai compris!
Chais pas si je reviendrai?!...
Fourrure :
Arf, si vous veniez sur ces blogs pour savoir pourquoi l'on blogait, et que vous avez votre réponse, vous allez me manquer !
Oui, écrire un blog, aussi honnête que l'on soit, c'est, entre autres, se mettre en scène, pour le meilleur et pour le pire. Une façon de parler de soi, entre autres pour vider son sac, à une foule (?) à la fois anonyme et à l'écoute. Cathartique, oui, certainement. C'est un des moteurs de l'écriture. Et narcissique ? Oui, par définition.
Mais vous voyez ? je me demande ce que j'ai pu faire pour que vous décidiez de ne plus revenir. Incorrigible anxieux...
Bonsoir Fourrure,
C'est la première fois que je lis chez toi quelque chose qui ressemble à du mépris ou de la condescendance (c'est subjectif, c'est la lecture que j'ai eu de tout ça).
J'allais te dire que dans ce texte, je te trouvais plus médecin (dans le sens "toute-puissance" et autorité, limite mandarin quoi...) que vétérinaire, et puis j'ai vu ton post-scriptum.
En même temps, je comprends une chose, qui est factuellement vraie, l'humain est ton "client" et ton "patient" est l'animal.
Rémi te serre la patte avant bien amicalement^^
Fourrure :
Bonjour Bénédicte,
Ce fameux "mépris" ou cette condescendance que peuvent entretenir les soignants - ou les "sachants", dépassons le cadre du médical - est une inquiétude qui revient très souvent dans les mots des soignés - ou de leurs maîtres, pour mon cas particulier. On avait un échange assez drôle l'autre jour là-dessus sur twitter avec des médecins, jusqu'à ce que lectrice brise l'ambiance avec un "j'espère ne jamais être ce patient idiot". De quoi nous faire cogiter sur la perception qu'ont les gens de nos mots et de nos attitudes, bien au-delà de notre petite sphère internet.
Je ne crois pas, en ce qui me concerne ou en ce qui concerne les médecins que sont, par exemple, Jaddo, Borée ou Winckler, qu'il y ait de la condescendance ou du mépris. De l'exaspération, de la lassitude, de la colère pourquoi pas. Un sourire amusé, certainement. Comme tu sourirais face à un voleur de sous-vêtements qui nie tout, avec une culotte encore étiquetée qui dépasse de sa poche. Jaddo concluait l'autre soir par quelque chose du style "les patients cons, ceux sont ceux qui nous prennent pour des cons. Les autres, on les aime."
En ce qui me concerne, le distinguo patient/client, qui est effectivement réel et essentiel, ne change pas grand chose à ça. J'ai, et je ne suis pas le seul, une conscience assez aiguë des inquiétudes, des tourments, de la confusion d'idées reçues et d'erreurs faites de bonne foi par les propriétaires des animaux que je soigne. Je pense que c'est bien pour ça que je ne suis pas prêt de renoncer à continuer à mettre de l'ordre dans tout cela ! Donc mépris et condescendance, sincèrement, cela me blesse que tu le penses. Et cela m'alerte sur le choix des mots et des tournures de ce billet.
Je ne suis pas là pour juger les gens. Je suis là pour soigner leurs animaux. Mais le fait est que je suis, chaque jour, jugé par ceux qui m'apportent leurs animaux. Et que ce procès, qui vire parfois - rarement - au procès d'intention, est parfois terriblement inéquitable. A se demander si ce blog ne devient pas une plaidoirie, non ?
En tant qu'infirmière, je me retrouve dans ce que vous dites...
Etant "maman" de 2 chats j'apprécie énormément les conseils et explications de mon véto. Donc continuez à être comme vous êtes, on a besoin de personnes comme vous.
Et bravo pour ce blog toujours passionnant.
L'éducation de vos lecteurs en tout cas fonctionne, j'ai appris plein de choses grace à vous et suis plus tolérante avec mon véto du genre blasé. Merci! pour ce qui est de l'incompréhension de certains, du poid des idées reçues, de votre travail incompris...je pense comme l'informaticien, que cela arrive dans beaucoup de domaines et que c'est trés frustrant d'autant plus que vous avez été sincère et honnete. Alors continuer à raconter sur ce blog, cela fait du bien!
Je rejoins le commentaire 3 de Naiezdnitsa : j'ai besoin de comprendre pour accepter, et n'étant ni véto ni de formation médicale, j'ai besoin de me raccrocher aux branches de l'arbre des mes connaissances, quitte à y faire pousser des rameaux au fur et à mesure des problèmes rencontrés (sur la branche "chez mon véto", il y a un rameau "typhus" qui a poussé, et un autre "anémie arégénérative" en ce moment).
Ce que je voulais dire, c'est que vos clients n'ont pas forcément les mêmes mots, les mêmes nuances que ce que vous ont permis de construire vos années d'études et de pratique.
Ils n'ont que les analogies dont la vie les a pourvus, et si malheureusement vous ne parvenez pas à trouver comment vulgariser au mieux, le risque de générer du ressenti est fort - de mon point de vue, ce n'est pas la compétence technique, médicale, le fond de l'histoire, mais un truc plus fou et impossible à atteindre : savoir tout "faire comprendre" avec les images et les mots disponibles selon chaque client !!! Ce qui est injuste, c'est d'exiger cela de vous (ou de tout autre professionnel qui doit justifier ses choix ou son travail à une personne qui n'a pas l'expérience du métier).
J'ai trouvé un véto qui me permet de faire pousser des rameaux - j'en ai laissé tomber un qui avait renoncé à expliquer "simplement mais à fond", et je sais clairement que mon problème avec celui-ci n'était pas d'ordre de la compétence, mais de la communication entre lui et moi.
A part essayer quand même d'expliquer et de faire comprendre (parce que vous avez cette exigence d'honnêteté)- en plus de soigner, que vous demander de plus ?
Fourrure :
Je n'ai aucun problème avec ceux qui veulent savoir, qui posent plein de questions, qui confrontent et qui analysent, avec ou sans erreurs. Le souci, c'est ceux qui ne veulent pas écouter et qui plaquent un filtre de préjugés sur ce qui se passe !
Je précise d'abord que personne n'est fou et qu'il n'y a pas d'asile mais j'aime bien l'histoire suivante :
C'est l'histoire d'un fou qui grimpe sur les épaules d'un autre fou, se penche par dessus le mur d'enceinte et interpelle un passant dans la rue qui longe l'asile : "Vous êtes nombreux là-dedans ?". Quel est le bon coté du mur, lequel est dedans, lequel est dehors. Difficile de le savoir sans aucune indication. Ne changeons nous pas en permanence de coté ? Et comment voulez vous que les scientifiques s'y retrouvent si nous changeons les données sans arrêt ?
Autre exemple, j'ai lu dernièrement une autre blague :
Une personne visite l'asile de fous en comagnie du directeur mais une question la tourmente et elle fini par lui demander :
- Mais comment faites vous pour déterminer si les gens qu'on vous amène sont complètement fous ou si ils parfaitement normaux ?
Et le directeur de lui répondre :
Je leur pose la question suivante :
- Vous avez une baignoire remplie d'eau à vider et vous avez en votre possession une casserole, une tasse et une petite cuillère. Comment faites-vous ?
Et le visiteur de répondre :
-Ah! Je suppose que les gens normaux prennent la casserole, non ? C'est ce qui va le plus vite !
Et le directeur :
- Non, cher ami ! Les gens normaux choisissent d'enlever le bouchon qui est au fond de la baignoire pour la vider. Vous préférez une chambre avec ou sans fenêtre ?
Personnellement je dois avoir à peu près autant de connaissances en médecine que le visiteur sur la façon de vider les baignoires alors merci Dr Fourrure de nous permettre de changer l'eau du bain de temps en temps.
Tiens, pendant qu'on est dans la psychologie des choses, des gens ... ??? ... La psychologie des choses ??? Des gens, voir des animaux ou des plantes, je veux encore bien, mais des choses ??? Ca mériterait d'être développé ça ! Bon revenons en à nos moutons (et en plus il y a des moutons là dedans) une phrase que j'aime bien :
- Réfléchir avant de penser ! (fallait y penser, non ?)
Bon je vous laisse j'ai une baignoire à finir de vider !
@Fourrure: je me demande d'où viennent ces "Pour être heureuse, une chienne/chatte doit avoir fait des bébés. Si on le castre, il ne pourra plus chasser. Elle a été saille par un bâtard, elle ne pourra plus jamais faire des chiots de pure race. Il faut qu'elle ait deux portées pour ne pas avoir de tumeurs mammaires" - on me les ai souvent dit (en contre argumentation) car je suis une adepte de la stérilisation de mes chiennes.
D'une part, il y a assez de chiots au monde et de chiens abandonné, pas besoin d'en rajouter. J'accepte non plus le truc que le chienne a fait une portée et qu'on lui laisse un ou deux chiots et les autres sont tués. Puis c#est beau une portée, encore faut-il trouver un autre maitre, a moins de tous les garder (et arriver à s'en séparer).
En France, dans les années 1990, il était difficile de trouver un véto pour stériliser mes chiennes de l'époque. En fait, la seule chose que j'ai obtenu est d#attendre une ou deux chaleurs avant de les stériliser. Du coup, l'une fut une grossesse nerveuse, puis une infection utérine et là enfin stériliser, mais sa sœur jamais.
Comme, j'avais aussi un petit gars à la maison, je vous laisse imaginer le concerto toutou (lui, pas elles mais aucun autre mâle ne viendra jamais pointer sa truffe!). Puis, un jour nous ne pouvons plus de de ceci (et aussi pour son comportement agressif): la castration immédiate. J'ai passé un temps fou pour trouver un véto qui veule bien l'opérer, il a rechigner tout en me disant que le chien va devenir agressif, incontinent, diabétique, etc, etc. Cette fois-ci, je ne cède pas et il est opéré. Ensuite le véto était hyper heureux de se débarrasser de mon caniche. Je l'entendais aboyer de l'autre coté de la rue. J'ai eu quelques réflexions sur le "mordant" de mon toutou, inhabituel chez un caniche aussi bien du véto que d'un maitre d'un autre toutou.
Les deux "files" sont castrées, comme cela se nomme en Allemagne. Ici la stérilisation est uniquement une ligature des trompes, la castration chez la femelle pour l'ablation de l'utérus ou des ovaires ou des deux (selon la pratique du véto).
Courage et bonne continuation.
Au risque de ne pas être originale, je rejoins les lecteurs qui vous demandent de continuer a être tel que nous pouvons vous connaitre à travers vos écrits.
J'ai la chance de connaitre/avoir connu 3 de vos confrères ayant la même philosophie que vous. J'en ai aussi connu un, beaucoup moins passionnant qui se contentait d'agir sans me répondre, je n'y suis pas retournée.
Comme partout, il en faut pour tous les "goûts" je suppose.
Des vétos intéressant et disposé à répondre, à informer, d'autres non, des maitres disposés à apprendre, d'autres non.
Fourrure, il y a un oubli de ma part, en fait nous n'avons jamais référé le chien à la faculté. Ce sont les clients qui ne nous ont pas cru et qui y sont allé au sortir de mon cabinet.
Je pensais avoir rendu un chien pour qu'il meure tranquille chez lui et j'ai plutôt l'impression qu'on m'a prise pour une incompétante.
Mon frere est veto. Il m'a toujours explique que "soigner" le client est tres souvent aussi important que le patient, pas seulement parce que ce dernier presente souvent des pathologies liees a l'attitude ou le comportement du client. Des fois, il ne s'obstinait pas et faisait le traitement que le client voulait, tout en faisant le vrai traitement en douce!
Ceci dit, comme le disent plusieurs personnes avant, focaliser sur les gens qui vous font confiance et qui, je l'espere, sont plus nombreux.
Bon, courage ! Ne vous laissez pas décourager... C'est bien d'expliquer mais que les gens comprennent ou ne comprennent pas, ce n'est pas grave. Pensez au plus important : à tous les toutous, minous, vaches, etc. et à leurs maîtres heureux grâce à vous ! Et surtout, trouvez le temps d'écrire votre bouquin !
Dur dur d'être vétérinaire...
Merci pour tout ce que vous m'apportez sur le sujet. J'espère un jour pouvoir me rendre si utile.
Ce qui compte au final, c'est d'essayer de faire au mieux. C'est ce que j'essaye de me dire, tous les jours, à chaque moment.