Archéologie

C'est plus fort que moi. Tout gamin déjà, mes parents avaient intérêt à être très vigilants lors des visites de ruines et autres vieilles baraques : je disparaissais sans un mot au détour d'un couloir pour franchir, avec un frisson d'exaltation, les cordons en velours bordeau ou les chaînes en plastique rouges et blanches, les panneaux "interdit au public" ou "accès réservé". Farfouiller dans les vieux châteaux forts, explorer les catacombes et les citernes, découvrir, avec une satisfaction stupéfaite, les caches d'armes de la résistance qui se transmettent comme des héritages familiaux. Le premier déclic a sans doute été cette grand-mère, qui, un jour, m'amena dans les combles de sa demeure pour faire glisser un panneau d'isolation et révéler des mitraillettes, des pistolets et des grenades conservés dans la graisse. "Pour le jour où ils reviendront, gamin, toi, tu sauras où elles sont."

Bon, en fait, je ne sais même pas où se trouve cette maison.

Ma gratitude éternelle aussi à ce curé qui m'a permis d'aller visiter le clocher et les étages d'une grande église de village...

La fascination est restée. Pas pour les armes, mais pour cette histoire cachée, ces petits mystères qui donnent à l'enfant l'impression d'être le dépositaire d'un secret réservé, un initié.

Aujourd'hui, les années ont passé, et je ne franchis plus les cordons en velours bordeaux et les chaîne en plastique rouge et blanches. Je sais que je ne pourrais plus compter sur l'indulgence des grands envers les sales gosses qui jouent et jouissent de l'immunité des anges. Par contre, je ne manque jamais une occasion de visiter les recoins de ces vieilles baraques dont les étages, parfois, n'ont pas été foulés depuis une décennie, à la recherche du chaton perdu de la grand-mère en déambulateur. Le frisson me saisit toujours lorsque je vois la marque de mes pas dans la poussière des combles...

C'est aussi une joie d'enfant qui ressurgit lorsque, parfois, je contrôle les antiques armoires à pharmacie de mes clients les plus âgés. Rien n'a été jeté, et, parfois, traîne une prescription d'un confrère depuis longtemps décédé, une boîte d'un laboratoire oublié, une publicité aux slogans désuets.

Météorifuge

Coophavet existe toujours. Mais pas cette référence rouge et blanche, cette boîte de météorifuge qui m'a valu les regards amusés d'un grand-père dont l'étable possède ce parfum de mon enfance devenu si rare. Je lui en avais fait la remarque. Il n'avait, d'abord, que sût répondre. Puis il avait admis que, depuis cinquante ans, rien n'avait changé. Cette boîte de médicament, je l'avais trouvée dans le petit placard situé près de la porte entre la cuisine et l'étable.

Des couleurs passées, un graphisme désuet, un nom inconnu et une formidable date de péremption : 1982. J'avais d'abord ouvert tout cela en constatant la parfaite conservation du médicament. Un traitement vieux comme le monde, destiné aux météorisations spumeuses, ces affection de la panse des bovins dues, en général, à la consommation de fourrages ou plutôt d'herbe jeune. Celle-ci contient parfois une grande quantité d'agents proches du savon entraînant la formation d'une mousse dense et épaisse qui perturbe le fonctionnement ruminal. Le traitement, assez moyennement efficace, consiste en l'administration d'huile, qui va faire exploser les micro-bulles. Une histoire de tension de surface. Certaines huiles seraient meilleures que d'autres, c'est bien là-dessus que joue le Météorifuge et son descendant, toujours utilisé à l'heure actuelle. Ceci étant, je pense que de l'huile de friture conviendrait aussi...

Météorifuge : notice

Le logo est passé de mode, bien entendu, et les petits dessins signalant les espèces ciblées également. Il suffit de visiter le site actuel du laboratoire pour apprécier l'évolution graphique. Mais ce qui me charme le plus reste la tournure désuète de la notice. Désuète certes, mais extrêmement claire : les explications sont simples et intelligibles pour tout un chacun, ce qui n'est d'ailleurs pas forcément le cas de l'actuel descendant du Météorifuge. Les recommandations, notamment, expliquent un phénomène peu intuitif et pourtant important. Les associations thérapeutiques conseillées ont aujourd'hui disparues. Bien entendu, elles ne concernent que des médicaments du même laboratoire... Quant à la conservation indéfinie en ampoule d'origine non entamée, à l'abri de la lumière, à une température modérée, elle a été remplacée par un avertissement : ne pas conserver à une température supérieure à 25°C.

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