Pleure pas maman, on en achètera un autre
lundi 11 août 2008, 11:27 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
"Pleure pas maman, on en achètera un autre !"
Louis doit avoir 5 ou 6 ans, derrière ses lunettes et ses cheveux en brosse, il a l'air désorienté. Désemparé, non pas tant par le cadavre de son chien qui gît, les pattes raides, la langue pendante et les yeux exorbités, que par les larmes de sa mère.
La boule de poils doit peser trois ou quatre kilos, un petit caniche de trois ans, jusque là sans histoire. Perle. Drôle de nom pour un mâle...
La jeune femme étouffe un sanglot, Louis me regarde. Je ne sais pas si mon expression est déchiffrable. Mélange de consternation, d'impuissance et de gêne. Je n'ai rien à faire ici, je ne peux rien faire pour ce chien.
"On pourrait peut-être lui mettre de l'électricité avec les poignées ?"
Il a parlé tout bas, sa mère est debout, appuyée contre le mur, il se tourne à nouveau vers moi.
"Non Louis, c'est trop tard."
Je met mon doigt devant la bouche lorsqu'il entame cette phrase qu'il répète comme une litanie depuis quelque minutes : "pleure pas maman, on en achèt..."
Son visage est étonnant : il a l'air triste, mais je devine qu'il ne sait pas vraiment pourquoi. Parce que sa mère est en larmes, certainement. Surpris, aussi, mais pour quelle raison ? Perplexe : il réfléchit, ça se voit, et ne sait pas du tout quelle attitude adopter.
"Pleure pas maman. Tu sais, il y en a d'autres au magasin."
Cette fois encore, il me regarde. Il me prend à témoin ? En tout cas, il attend de moi que j'intervienne. La blouse et le stéthoscope, peut-être. Sur la table, il y a un cadavre ébouriffé, la bave séchée a collé les poils autour de la gueule, la langue est presque violette.
"Chhhhut Louis, ce n'est pas le moment, on verra plus tard."
Et moi, qu'est-ce que je fais là ? La jeune femme s'est garée en trombe sur le parking éblouissant de la clinique, il y a cinq minutes à peine. J'étais en train de ranger le coffre de ma voiture, elle a crié, je me suis précipité. Sur le siège enfant, à l'arrière, il y avait le cadavre de Perle. J'ai immédiatement pris le petit corps dans les bras, il était déjà complètement raide. Mort, et depuis longtemps. Bouillant.
Un coup de chaleur, une hyperthermie intense parce qu'il est resté dans la voiture par cette très chaude journée d'été. Fatal en quelques dizaines de minutes, peut-être moins vu son poids.
Il est bien trop tard, mais je ne peux pas rester planté là sur la parking, regarder la dame et lui dire que son chien est mort. Je cours donc jusqu'à la salle de consultation, balance la porte d'un coup de pied, et le pose sur la table. Il semble fait de bois, ses pattes sont tordues comme celle d'une mouche crevée.
Je pose quand même mon stéthoscope, pour ne rien entendre. Pour... formaliser.
Je relève la tête et la regarde, il serait stupide de prolonger ce moment.
"Je suis désolé madame, il est mort."
Le visage de la dame était déjà baigné de larmes, ses cheveux roux collés à son front comme les poils du chien autour de sa gueule. Elle explose en sanglots. Francesca referme doucement la porte de la salle de consultation, nous isolant de l'accueil. Il faudra que je pense à la remercier.
"Pleure pas maman, on en achètera un autre."
Commentaires
D'habitude c'est plus l'inverse, non ?
Bon pour la cause, malheureusement cela arrive trop souvent...
Fourrure : L'inverse de ?
Oups oui...
J'ai plus vu des parents tenter de consoler leur enfant en leur en promettant un autre, pas l'enfant consoler la mère.
Fourrure :
Pas forcément... mais il y a de ça : l'enfant a du se voir offrir ce genre de réponse lorsqu'il s'est retrouvé dans la même détresse que sa mère, pour un jouet cassé ou autre chose peut-être. Ceci étant dit, j'ai vu plusieurs fois de jeunes enfants (disons entre 5 et 7-8 ans) tenter de consoler l'adulte qui est venu avec eux.
Drôle de monde. On n'oublie ni son téléphone, ni son sac dans sa voiture, mais on y oublie son chien ou son enfant...
Fourrure :
Ne jugez pas trop vite. Dans ce cas particulier, c'est un véritable accident. La dame a déchargé ses courses, le chien qui était dans le jardin s'est glissé dans la voiture, sous une couverture, elle ne l'a pas vu. C'est son fils, justement, qui a donné l'alerte en cherchant son compagnon de jeu. Trop tard.
Ceci étant, je vous parlerai bientôt d'un autre chien qui, lui, a véritablement été la victime d'une négligence fatale.
Pauvre gosse, pauvre dame, pauvre boule de poils... Je ne sais pas trop dans quel ordre.
Dur aussi pour le vétérinaire, quand d'un regard il sait que c'est trop tard et que quand même il faut faire quelque chose.
"Et moi qu'est-ce que je fais là?"
Je me suis encore posé la question tout récemment après l'euthanasie d'une vieille jument (pas loin de 40 ans), après avoir tenté des soins, le temps pour les propriétaires de prendre et d'accepter cette décision...
La détresse des parents qui ont vu mourir leur compagne de tant d'années, les (jeunes) enfants tristes de voir la jument morte, tristes de voir leurs parents pleurer...
Et moi qu'est-ce que je fais là?
Ça m'a vraiment remuée, mais je n'avais pas le droit de leur voler leur douleur. Alors je me suis éloignée doucement, je les ai laissés en famille dire adieu à leur jument. J'ai ravalé mes larmes. Le temps d'arriver à la voiture...
Il y a des jours, on se demande ce qu'on fait là.
Effectivement, j'ai jugé trop vite et j'en suis désolée. Même si cette famille ne me lira probablement pas, je lui présente mes excuses.
Fourrure : Ca vaudra pour les autres, dont je vous parlerai bientôt !
La maturité de l'enfant est impressionnante ! Je comprends que tu ais été mal à l'aise !
Fourrure :
Je ne suis pas sûr que le terme de maturité soit le bon. J'interprète plutôt ses réactions comme celles de beaucoup d'enfants de son âge, un mélange d'innocence et d'incompréhension face à la mort, je ne sais pas vraiment.
Oui, le terme est mal choisi, mais je voulais souligner l'inversion des choses, au sens où démuni devant la peine se sa maman, il cherche par des arguments déjà entendus à relativiser ! L'enfant utilise des mots d'adultes ( même si ce ne sont pas les meilleurs )
Pauvre dame, pauvre enfant, pauvre petit chien.
c'est étonnant comme réagi l'enfant en disant à sa mère qu'il ne faut pas pleurer, qu'ils iront prendre un autre chien.
il n'a pas du très bien comprendre ce qui se passait..
Je comprends que vous n'ayez su que dire...
le métier de vetérinaire est un très beau métier, mais trop dur à assumer pour moi..
Bravo à vous.
Il manque de bons vetérinaires par ce monde...
Très beau texte, émouvant parce que sobre. Je reviendrai.
Pas facile, en effet. On tente d' éduquer les gens en leur rabachant les méninges "les animaux ne sont pas des jouets, lorsqu' on les adopte, c' est pour la vie etc"... mais une mort, aussi horrible soit - elle, passe toujours mieux- pour le véto- lorsque l' acceptation est instantanée. Je me souviens d' un cobaye amené pour pneumonie qu' il trainait de puis plusieurs jours. Le petit animal ne semblait pas en soufrir de trop, mais le simple stress de le sortir de sa boite à chaussures a suffit pour agraver l' insuffisance respiratoire. Mouvements de carpe sur la table d' examen, grand show du véto pour prouver que l' on avait fait tout ce qu' il fallait (oxygène via la gazeuse, massage cardiaque( sur un cobaye, rendez vous compte),... et indignation des parents devant si peu de résultats. Mais surtout le regard d' interrogation de l' enfant qui avait tanné ses parents pour emmener son petit animal chez le véto au grand dam des parents... Bref une journée de plombée par une consultation de 10 minutes... Et on y pense encore...
Si je me souviens bien de mes cours de psychologie du développement, les enfants, jusqu'à 5 ans environ ont une mauvaise perception de la mort (jusqu'à 7 ans, pour certains, voire 9ans).
La perception de la mort est façonnée par le développement affectif et la personnalité de l'enfant et par son expérience vécue.
La plupart du temps, à ces âges là, ils se rendent compte que la mort "c'est grave", mais ne comprennent pas bien en quoi, et ont parfois beaucoup de mal à appréhender les réactions de leurs entourage (ici la maman, qui est triste, et qui sans doute se sent coupable).
J'ai l'impression que le petit garçon s'est focalisé sur "l'objet" psychoaffectif le plus important pour lui sur le moment : sa maman.
En tout cas, l'histoire est émouvante.