Pleure pas maman, on en achètera un autre

"Pleure pas maman, on en achètera un autre !"

Louis doit avoir 5 ou 6 ans, derrière ses lunettes et ses cheveux en brosse, il a l'air désorienté. Désemparé, non pas tant par le cadavre de son chien qui gît, les pattes raides, la langue pendante et les yeux exorbités, que par les larmes de sa mère.

La boule de poils doit peser trois ou quatre kilos, un petit caniche de trois ans, jusque là sans histoire. Perle. Drôle de nom pour un mâle...

La jeune femme étouffe un sanglot, Louis me regarde. Je ne sais pas si mon expression est déchiffrable. Mélange de consternation, d'impuissance et de gêne. Je n'ai rien à faire ici, je ne peux rien faire pour ce chien.

"On pourrait peut-être lui mettre de l'électricité avec les poignées ?"

Il a parlé tout bas, sa mère est debout, appuyée contre le mur, il se tourne à nouveau vers moi.

"Non Louis, c'est trop tard."

Je met mon doigt devant la bouche lorsqu'il entame cette phrase qu'il répète comme une litanie depuis quelque minutes : "pleure pas maman, on en achèt..."

Son visage est étonnant : il a l'air triste, mais je devine qu'il ne sait pas vraiment pourquoi. Parce que sa mère est en larmes, certainement. Surpris, aussi, mais pour quelle raison ? Perplexe : il réfléchit, ça se voit, et ne sait pas du tout quelle attitude adopter.

"Pleure pas maman. Tu sais, il y en a d'autres au magasin."

Cette fois encore, il me regarde. Il me prend à témoin ? En tout cas, il attend de moi que j'intervienne. La blouse et le stéthoscope, peut-être. Sur la table, il y a un cadavre ébouriffé, la bave séchée a collé les poils autour de la gueule, la langue est presque violette.

"Chhhhut Louis, ce n'est pas le moment, on verra plus tard."

Et moi, qu'est-ce que je fais là ? La jeune femme s'est garée en trombe sur le parking éblouissant de la clinique, il y a cinq minutes à peine. J'étais en train de ranger le coffre de ma voiture, elle a crié, je me suis précipité. Sur le siège enfant, à l'arrière, il y avait le cadavre de Perle. J'ai immédiatement pris le petit corps dans les bras, il était déjà complètement raide. Mort, et depuis longtemps. Bouillant.

Un coup de chaleur, une hyperthermie intense parce qu'il est resté dans la voiture par cette très chaude journée d'été. Fatal en quelques dizaines de minutes, peut-être moins vu son poids.

Il est bien trop tard, mais je ne peux pas rester planté là sur la parking, regarder la dame et lui dire que son chien est mort. Je cours donc jusqu'à la salle de consultation, balance la porte d'un coup de pied, et le pose sur la table. Il semble fait de bois, ses pattes sont tordues comme celle d'une mouche crevée.

Je pose quand même mon stéthoscope, pour ne rien entendre. Pour... formaliser.

Je relève la tête et la regarde, il serait stupide de prolonger ce moment.

"Je suis désolé madame, il est mort."

Le visage de la dame était déjà baigné de larmes, ses cheveux roux collés à son front comme les poils du chien autour de sa gueule. Elle explose en sanglots. Francesca referme doucement la porte de la salle de consultation, nous isolant de l'accueil. Il faudra que je pense à la remercier.

"Pleure pas maman, on en achètera un autre."

Fil des commentaires de ce billet