Mme Louge entre dans la salle d'attente de la clinique. C'est une dame assez âgée, que je connais bien car son mari avait des vaches, autrefois. Elle habite dans un petit village voisin. Comme d'habitude, elle se promène avec son parapluie, qui lui sert de canne sans montrer son infirmité, et son cabas, qui déborde manifestement de légumes. Jour de marché...
Elle s'attarde quelques instants sur les annonces de chiens perdus ou trouvés, sur le panneau d'affichage, puis elle se tourne vers Francesca et moi, derrière le comptoir.
"Bonjour docteur. Je viens vous voir parce qu'on a volé mon chien, alors j'en cherche un autre. Je vais aller porter plainte à la gendarmerie.
- Oh."
Regards de circonstance, c'est à dire consternés.
"C'est arrivé quand ?
- Il y a deux jours. Elle est trop gentille cette chienne, elle saute sur tout le monde pour faire la fête, c'est trop facile de me la voler.
- Ah.
- Du coup, je cherche un nouveau chien, pas trop gentil, je voudrais pas qu'on me le pique, et puis il faudrait qu'il monte la garde. Pas comme elle. La preuve, elle a été volée !
- Elle a disparu de chez vous, votre chienne ?
- Oui oui, elle était là samedi soir, et plus personne dimanche matin...
- Si ça fait si peu de temps, elle s'est peut être enfuie ? propose notre ASV.
- Non non, elle ne s'est jamais éloignée de la maison."
La vieille dame secoue vigoureusement son parapluie. Manifestement, elle doit penser que nous n'y comprenons rien.
Je me dis qu'ils ont bon dos, les voleurs...
"Vous savez si des gens donnent des chiens ?
- Heuu, attendez un instant. Elle a quel âge votre chienne ?
- Un an, je crois."
Francesca et moi échangeons un regard de connivence. Mme Louge ne remarque rien.
"Et elle été tatouée ou pucée ?
- Ah non, elle était trop jeune pour ça !
- Heuuu... un an, ce n'est pas trop jeune, on peut identifier des chiots nouveaux-nés vous savez."
La vieille dame nous regarde d'un air méfiant.
"Et elle ressemble à quoi ?
- C'est une bâtarde de cocker et d'épagneul ! Poil roux, pas très grande.
- Bon. Je crois avoir ici une chienne qui pourrait vous convenir."
J'invite Mme Louge à me suivre vers notre chenil. Elle s'exécute en claudiquant.
J'ouvre la porte de la courette.
La chienne "hospitalisée" depuis deux jours me saute dessus pour me faire la fête.
"Comme celle-ci vous voulez dire ?
- Ah ben oui. Vous voyez, elle saute sur tout le monde !"
Effectivement. On me l'a amenée il y a deux jours, trouvée sous la pluie dans la cour d'une maison avec le chien de la famille, très occupés à perpétuer l'espèce canine.
"Bon, ben voilà, au moins on a retrouvé le propriétaire, nous commencions à nous poser des questions. Par contre, elle est en chaleur - c'est pour ça qu'elle a fugué - et elle a été prise.
- Mais je ne veux pas de chiots moi !
- Si vous le souhaitez, nous pouvons la stériliser à la fin de ses chaleurs, et l'identifier aussi.
- On peut mettre la puce tout de suite ?
- Ca, oui, bien entendu.
- Et comment elle est arrivée chez vous ?
- Une personne qui habite à un kilomètre de votre domicile me l'a amenée dimanche. Elle était avec son chien. Nous avons un accord avec la mairie, nous leur servons de fourrière temporaire. Du coup, il va vous falloir régler la pension.
- Ah, oui, bon... Mais elle ne va pas monter la garde pour autant, elle continue à sauter sur tout le monde, mon mari adore ça, mais moi je trouve que c'est idiot, elle ne monte pas la garde, elle est trop gentille !
- Ehhh... oui, ça, elle est gentille, c'est sûre."
La dame repart dix minutes plus tard avec sa chienne et son certificat d'identification temporaire. Elle ne semble pas trop savoir si elle est contente ou contrariée...
Elle s'appelle Gentille.
Pas assez méchante, hein ?