jeudi 16 octobre 2008

Machistadorette ?

"Alors, celle-là, elle est vide. On a fait venir quatre fois l'inséminateur !
- Ah, oui, effectivement, vu son âge, mieux vaut la réformer...
- Mais le pire, c'est que le dernier à être venu l'inséminer, ben c'était une jeune fille !"

Elle : mamie dynamique, 65 ans, la gestuelle expressive et les cheveux gris au vent, avec ses bottes, son jean et son pull vert.
Moi : la blouse cachou virant au bouseux, les bottes dans le fumier, un gant de fouille à la main.

"Ah, mais je me suis dit : tu es vraiment une vieille peau, ma fille, mais j'ai pas pu m'empêcher de le penser, que c'était pas un boulot pour les femmes !
Mais elle m'a dit : cette vache, elle n'aurait pas eu un gros souci au dernier vélâge ?
Alors j'en suis restée baba. Ben oui, qu'j'ai dit, un gros veau et le vétérinaire il y a passé du temps !
- Oui, il vous a aussi dit de la réformer à cause des risques de séquelles..."

Là, je ne pouvais pas laisser passer...

"Tout à fait, mais comment elle le savait elle ?"

J'attends, sans rien dire. Je l'aime bien, quand elle fait la conversation toute seule.

"Et ben elle m'a dit : cette vache, elle s'urine dans le vagin et l'utérus, elle ne prendra jamais, il y a des lésions de l'appareil génital, il faut la réformer.
- Ah oui, là, elle a raison. J'aurais préféré avoir tort.
- Ben oui, mais pourquoi les deux autres hurluberlus ils n'ont rien dit quand ils l'ont inséminée ?"

Je lâche un grognement indistinct en enfonçant mon bras dans le rectum d'une vache, elle l'interprétera comme elle voudra.

"Parce que elle, c'est une fille, mais elle l'a sentie, la séquelle, et elle a dit que c'était pas la peine d'inséminer, alors que les deux autres couillons, rien du tout."

Ses deux bras balaient l'espace devant elle dans un mouvement définitif. Je ne peux m'empêcher de déguster le terme "couillon".

"Et moi, vieille peau, qui ai des réflexes de mamie réac' ! Ah je m'en veux, hein, et je sens bien que je le pense encore ! Que je suis con, parce qu'elle a bien fait son boulot, elle."

Vous l'avez senti, l'appui sur le "elle" ?
Je sais pas vous, mais je trouve que dans l'ensemble, les femmes sont plus machistes que les hommes avec celles qui font "des métiers d'homme". Celle-ci a au moins assez de recul pour s'en rendre compte. Ma stagiaire est restée coite pendant toute la diatribe, d'ailleurs.
Ou alors, c'est tout l'inverse. Je me rappelle d'une campagne "profonde" où une femme avait couverte une piqueuse de biscuits et de chocolats pour avoir montré à son homme qu'une vétérinaire pouvait très bien réaliser la prophylaxie. C'était touchant !

Par contre, je ne peux pas m'empêcher de me dire que si un des couillons avait avait été à la place de cette inséminatrice, même le troisième à passer, ça aurait juste été "normal". Alors que comme c'était une femme, elle en parlera à tout le canton. Tant mieux, ça facilitera la vie professionnelle de cette jeune fille...

vendredi 26 septembre 2008

Grippe chaviaire

"Docteur, j'ai une requête inhabituelle à formuler.
- Heuuuuu"

Le tableau : le vétérinaire, une seringue entre les dents, une brebis entre les genoux, en train de vacciner. Le monsieur, 60ans bien sonnées, qui tient vaguement la tête de la brebis - elle s'appelle Berthe - en gilet Lacoste vert et chemise blanche, pantalon gris à pinces, chaussures vernies.
Il a deux brebis de compagnie, nous les vaccinons en passant.

"Dites toujours ?"

Là, on imagine le pire : une embrouille sur les inventaires d'élevage, un truc sur les dates de vaccination, ou ? Le type est un peu bizarre, méfiance.

"Je voudrais vous demander d'effacer les fiches informatiques de mes chats sur votre ordinateur.
- Hein ?
- Oui, c'est à cause de la grippe aviaire.
- ...
- Comme vous le savez, nous allons bientôt avoir de la grippe aviaire, comme nous avons eu la langue bleue. Or, il est évident qu'il faudra euthanasier tous les chats. Et je pense qu'ils se baseront sur les fichiers des vétérinaires pour trouver nos minets. Je voudrais donc, à titre préventif, que vous effaciez les fiches de mes animaux."

Vérification : il a l'air très sérieux.
Il n'est pas "un peu bizarre", il est carrément tordu.

vendredi 13 juin 2008

Elle n'est pas vétérinaire !

"Bonjour docteur !"

La dame qui m'apostrophe en franchissant la porte a l'air presque jovial, mais, à ses regards alentours et ses petits pas précipités vers le comptoir, je devine qu'il y a quelque chose qui cloche.
Elle tient son sac avec ses deux mains, serrés contre son abdomen, comme un bouclier. Ses cheveux noirs parfaitement... permanentés ? fer-à-frisés ? bigoudités ? (je suis nul en coiffure, rapport à ma calvitie sans doute) lui donnent un air trop... impeccable. Elle prend une petite voix soufflante, sur un ton qui se veut discret, avec un débit trop rapide.

"Docteur, hier, une dame m'a donné... ça."

Elle sort de son sac une petite boîte de médicaments, d'un air triomphal.

"Elle m'a donné ça pour mes lapins, mais il y en a un qui est mort cette nuit. Je pense qu'elle n'était pas vétérinaire, alors je voudrais vos bons conseils."

La voix devient un brin accusatrice. Avec option "sous-entendus mielleux".

Le médicament est banal, pour une affection banale. Banal, mais efficace.

"Et qu'est-ce qui leur arrive, à vos lapins ?
- Et bien ils attrapent le gros ventre, ils ne mangent plus et ils meurent.
- Ah, et dans quel état se trouvait celui qui est mort cette nuit quand il a reçu le traitement ?
- Ca n'a pas marché du tout, il est mort !"

La voix se fait accusatrice. La mienne... fatiguée, mais elle ne semble pas s'en rendre compte

"Oui, je comprends bien, mais il était dans quel état hier ?
- Oh, très très mal.
- Bon, je suis désolé, mais quand ils sont mourants, il faut des soins intensifs pour les sauver, et encore. Il n'y avait rien à faire pour lui. L'important c'est de sauver les autres, et ce médicament fera ça très bien."

Son regard se durci.

"La personne qui m'a servi hier n'était pas vétérinaire.
- Et bien, nos auxiliaires sont parfaitement à même de vous délivrer le médicament, et vous avez une ordonnance.
- Oui, elle l'a signé elle-même !
- Voyons ?"

Là, je suis un brin inquiet, même si le traitement était le bon, nos ASV n'ont pas à signer des ordonnances. Je jette un regard... blasé. C'est la signature de ma consœur.

"La personne qui vous a servi, c'est une jeune femme rousse aux cheveux bouclés ?
- Oui !"

Elle a bien perçu le ton inquiet de ma voix lorsque je lui ai demandé l'ordonnance, elle triomphe. Elle doit se dire qu'elle a pris une secrétaire en flagrant délit de je-ne-sais-quoi et que son lapin en est mort.

"C'est ma consœur. Elle est vétérinaire, et c'est le bon traitement. Simplement, le lapin mort cette nuit était trop atteint. D'ailleurs, il en a bu, du médicament ?
- Heu... peut-être pas, je ne suis pas sûre qu'il buvait encore.
- Et ça vous a surpris qu'il meurt, du coup ?
- Elle n'était pas vétérinaire !
- Mais enfin madame !
- Elle a regardé dans un livre avant de me délivrer ce médicament !"

Et oui. Les vrais vétérinaires ne regardent pas dans les livres, c'est évident. Un jour, un client m'avait d'ailleurs confié que son médecin était un incapable, car il regardait dans le Vidal avant de lui prescrire un traitement. Mais allez leur faire comprendre que la compétence s'est aussi savoir vérifier et revérifier au moindre doute, les posologies, les contre-indications, les âges minimums de traitement, etc.

D'ailleurs, quand j'ai dit à la dame que je passais mon temps à regarder dans des livres, elle ne m'a pas cru...

mardi 27 mai 2008

Gibolain pour les poux

- Docteur, est-ce que vous auriez un produit pour les poux des volailles ?
- Ah, je suis désolé, il n'y a plus aucun médicament pour ça !
- Oh ?
- Oui, nous utilisions une poudre à base de carbaryl, mais celle-ci a été interdite !
- Oh pourquoi ?
- Et bien, un certain nombre d'anciennes molécules, soient qu'elles soient considérées comme cancérigènes, ou toxiques, soit que la documentation du médicament est insuffisante, car incompatible avec les standards actuels, ont été supprimées. C'est bien dommage car, souvent, il n'y a rien pour les remplacer, et leur disparition n'est pas toujours justifiée... Le but est de se débarrasser de vieilles molécules polluantes, quitte à oublier les nuances.
- Ah, mais j'ai lu dans un forum sur internet une intervention au sujet d'un article dans un magazine concernant une publication sur un médicament homéopathique très efficace.
- Oh.
- Oui, mais je n'ai pas le nom du produit et l'article du magazine n'est plus accessible sur le net, du coup je ne sais pas où chercher.
- Ah.
- Ils disaient que le produit avaient été développé à partir de poux broyé et dilués...
- Oui, c'est une des théories de l'homéopathie...
- Et que ça marchait remarquablement bien, du coup, ils en ont mis sur des bovins, et ça marchait aussi !
- Ah.
- Et puis ils se sont dit que ça marcherait bien avec les puces des chiens, et ça a été un succès phénoménal !
- Hum.
- D'ailleurs ils ont fini par traiter les enfants d'une école à cause de leurs poux et ça a marché aussi.
- Heu... c'est pas que je sois contre l'homéopathie, madame, mais... vous ne trouvez pas ça louche, votre médicament miracle ?
- Heu...
- Enfin, si un truc pareil existait, tout le monde l'utiliserait, non ?
- Heu...
- Mouais.

mercredi 21 mai 2008

Une cliente un peu allunée...

Brune, un carré très stricte, un maquillage discret, elle a la trentaine bien entamée, et, au comptoir, elle se greffe dans la conversation...

- Cinq vêlages rien que pour lundi, ici, ça ne m'était jamais arrivé dans la même journée. Dans le charolais, je dis pas, mais ici ?
- Il y avait un mouvement de lune, non ?
- Heuuu...
- Si si les nuits sont plus claires !
- Mais c'était la semaine dernière...
- Oui mais il est bien connu qu'il y a plus d'accouchements autour d'un mouvement de lune, deux nuits avant, deux nuits après, et pendant, bien entendu.
- Mais...
- Si si il y a des études très sérieuses là-dessus !
- Oui mais, par mouvement de lune, vous voulez dire pour la nouvelle et la pleine lune ?
- Oh, non docteur, pas seulement, à chaque nouvelle phase.
- Mais...
- Si si, de la nouvelle lune au premier croissant, puis au premier quartier, puis à la gibbeuse.
- Ah ben vous êtes au point sur les phases de la lune dites donc !
- Docteur, c'est très important les phases de la lune. L'astre a une influence importante dans les cycles biologiques. En jardinage, par exemple !
- Oui mais...
- Vous n'avez pas remarqué que vous aviez plus de vêlages à chaque mouvement ?
- J'ai surtout remarqué que l'on me faisait remarquer quand un vêlage avait lieu à la pleine lune, alors que l'on ne me dit rien du tout lors d'une autre phase...
- Moi je trouve ça passionnant !
- Oui, mais un mouvement de lune, ça a lieu tous les trois jours, c'est ça ?
- Toutes les trois nuits, docteur !
- Oui, évidemment...

Elle, elle m'a convaincu, bien plus que toutes ces études et toutes ces thèses qui concluent à l'absence ou la présence d'effet de la pleine/nouvelle lune sur l'incidence des mises-bas...

Deux jours avant et après chaque phase de la lune, chacune étant séparée de trois nuits, c'est flagrant. Je l'ai constaté aussi, tous les vêlages se concentrent là !

jeudi 10 janvier 2008

Famille

Une dame inquiète : Docteur, ma chienne grossit !
Le vétérinaire, après un examen rapide : Elle est pleine.
La dame : Impossible !
Le vétérinaire : Ben...
La dame, très claire : Elle vit dans un chenil, enfermée tout le temps, elle ne sort jamais.
Le vétérinaire, blasé : Ah...
La dame, de nouveau inquiète : Alors elle a quoi ?
Le vétérinaire, fatigué : Ben elle est pleine, d'environ 6 semaines.
La dame, outrée : Impossible !
Le vétérinaire, pédagogue : Elle était bien en chaleurs il y a un mois et demi ?
La dame, concise : Oui
Le vétérinaire, logique : Et il n'y a pas d'autres chiens dans ce chenil ? Pas un ? Même un jeune ?
La dame, "logique" : Non, aucun chien mâle, il n'y a que son fils avec elle !
Le vétérinaire, hilare-mais-qui-le-cache : Et il a quel âge ?
La dame, pince-sans-rire : Presque un an, pourquoi ?
Le vétérinaire, qui-ne-sait-plus-comment-l'expliquer-à-la-dame : Ben...

Je crois que je suis passé pour un dangereux pervers, ce jour là. Je ne suis pas sûr qu'elle m'ait cru, je ne l'ai jamais revue...

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