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dimanche 21 août 2011

Pas de miracle

- Tiens, regardez au microscope, vous allez voir le coupable.
- Mais elle est horrible cette bestiole docteur !

Otodectes cynotis

- Et bien, c'est une simple gale d'oreille, ce n'est pas grave du tout ! Et cela se traite très simplement. Nous allons utiliser une pommade auriculaire à base d'ivermectine...
- Non, pas de truc chimique dans son oreille !
- Alors on peut utiliser un spot-on, on va lui mettre quelques gouttes sur la peau, et je vous conseille de renouveler le traitement...
- C'est chimique ?
- Heu, oui, c'est un médicament...
- Alors non, je veux pas de produit chimique.
- Dans ce cas laissez-moi vous déconseiller les huiles essentielles, qui sont souvent toxiques pour les chats.
- Je veux autre chose, de naturel.
- Il n'existe pas d'autre médicament que je puisse vous recommander...
- Et alors on fait comment ?
- Soit vous changez d'avis, soit vous allez à Lourdes.

Quelques jours plus tard, sur un post-it :

Mme Baïsole n'est pas contente du tout, elle a été à Lourdes et cela n'a servi à rien. Elle veut être rappelée.

mardi 11 août 2009

Vermine

- Docteur il faut venir vite, c'est une infection !

Une infection, tu parles. Le veau est couché dans le godet du tracteur : l'éleveur vient à peine de le rentrer du champ. De là où je suis, je vois à peine ses oreilles - basses - et ses yeux - creux. L'allure du veau qui ne va pas passer la nuit si on ne s'occupe pas de lui.

- Il était tout seul dans une haie, j'l'avais déjà vu là hier !

Le godet s'abaisse, je peux mesurer les dégâts.

- Bon, allez me chercher deux seaux d'eau tiède, de la javel en berlingot, une brosse pas trop dure, genre balai, et je vais récupérer votre caillebotis, là, on va le poser dessus, la tête tournée vers le haut de la pente.

Il ne leur faut pas longtemps pour récupérer le matériel demandé. J'enfile des gants. C'est un veau de deux trois jours. Les asticots grouillent sur son dos, à partir du tiers postérieur environ. Les œufs de mouche, eux, sont collés en paquets blanchâtres jusqu'au milieu de sa colonne vertébrale. Les vers s'agglutinent autour de son anus pour s'accumuler entre ses cuisses, autour de son scrotum et jusqu'à son fourreau, presque jusqu'au nombril. C'est le "presque" qui sauve.

Première étape, histoire de me donner le temps de réfléchir. j'enfonce le thermomètre dans l'amas de vers qui dissimule son anus, en espérant prendre sa température. Un bon 39.8, il ne fait pas semblant. Avec la couleur de sa peau, que je devine par endroit entre les paquets de vers, et la déshydratation, il va avoir besoin de bien plus que des soins locaux.

- Oh, et puis... allez aussi me chercher le jet d'eau.

On ne va pas mégoter.

La brosse est parfaite. Suffisamment dure pour décoller les paquets d'œufs du poil, mais assez souple pour ne pas blesser la peau du veau, qui a viré au noir sous l'infestation vermineuse. Travail de patience, méthodique, brossage à la javel. Ils sont des centaines, des milliers, ils ont au plus 24h, et les œufs, eux, se comptent sans doute par dizaines de milliers, en gros paquets très adhérents, très difficiles à brosser. Sous mes premiers coups, les asticots se détachent et coulent entre les planches du caillebotis, s'accumulent entre mes bottes et s'échouent sur les gravillons de la cour de la ferme. Masse tortillante et vivante d'individus indistincts qui chutent, désemparés, par dizaines, par centaines. Le veau attends. Il n'a plus la force de faire autre chose.

Je brosse.

Son dos, dont je révèle la peau hideuse, d'une teinte noirâtre et d'une texture moite qui rappelle les nuances des anneaux des asticots.

Sa queue, mince fouet difficile à brosser, si secondaire que je l'abandonne très vite pour tenter de dégager l'anus, fleur de douleur dont jaillit par paquets agglomérés la vermine infiltrée. Le veau grince des dents et mord le caillebotis à chaque coup de brosse que je tente pourtant de rendre aussi doux que possible. J'introduis l'embout d'une grosse seringue pour tenter un lavement. Ses efforts de défécation expulsent des selles dures et sèches, un mastic jaunâtre moulant les vers grisâtres. Mes coups de brosse repartent vers ses cuisses, l'éleveur les lève l'une après l'autre, saisit l'extrémité de son scrotum pour m'aider à déloger les asticots dissimulés dans les plis.

A chaque brossage ou presque, je lave ma tête de balai dans le seau de javel puis arrose le veau au jet d'eau afin de chasser la vermine. Entre mes bottes, la mare de vers est devenue une rivière qui s'écoule rapidement, emportant ses vers qui m'évoquent les jeux de mon enfance, lorsque je traçais des ruisseaux dans les gravillons du jardin pour y faire couler des fleuves de boue. Les brindilles étaient des navires, les branchettes des ponts, les fourmis des victimes vouées à la noyade. Jamais je n'avais imaginé les asticots dans le rôle de sinistres dauphins échoués.

Je reprends ma seringue pour tenter de déloger les vers dissimulés au fond du fourreau.

- Me dites pas qu'il y en a la aussi !

Ben tiens. Grimace tant que tu peux, moi, je nettoie, je noie, je génocide. Les grosses mouches bourdonnantes tournent autour de nos têtes. Je les suppose indifférentes au sort de leur progéniture. Si mon absurde mémoire pour les détails est bonne, ce sont des calliphoridés, ce qui signifie : "celle qui porte la beauté". De grosses mouches à merde aux reflets métalliques. Heureusement, leurs vers ne s'attaquent qu'aux tissus morts, mais l'irritation, notamment aux jonctions cutanéo-muqueuses, reste très importante.

Un nouveau coup de brosse autour de l'anus, le nouveau-né a encore évacué quelques brouettes de vers fécalisés. Je rince. le plus gros du boulot est fait. l'éleveur terminera. Moi, je retourne vers ma voiture pour préparer un petit cocktail de perf'. Soluté isotonique additionné de sucre, des vitamines pour la couleur (rouge, c'est toujours meilleur), un antibiotique, un anti-inflammatoire (il doit souffrir, ce bébé). Il ne se débat pas un instant lorsque je lui pose mon aiguille dans la jugulaire, et supporte avec patience les 5-10 minutes de perfusion.

Il fait nuit maintenant. L'œil revient alors que mon litre de soluté redonne sa vigueur au bébé. Il ne lui faudra que trois minutes pour se relever après ça, et là, plus la peine d'espérer approcher son arrière train avec la brosse. Il bondit, il cogne, il vole, il gueule, nous nous prenons, ravis, un coup de sabot - c'est qu'il va mieux - avant de l'insulter, très fâché, suite à un bon coup de fouet prodigué par une queue qui laisse partout sur son passage des nuées d'asticots... Jusqu'ici, j'avais pourtant réussi à épargner ça à mon pantalon.

Une bonne crème grasse pour la peau, lorsqu'il sera sec, encore quelques coups de brosse, mais je passe la main à l'éleveur : il est largement l'heure d'aller manger.

dimanche 3 août 2008

Bobologie d'été : La chienne qui faisait scritch-scritch

"Ben docteur, je comprends pas, elle est jamais malade, mais depuis deux jours, elle est patraque, et depuis hier elle a vomi plusieurs fois, et à chaque fois qu'elle a mangé."

Jolie croisée de berger allemand, 5 ans, j'ai du la voir une fois dans sa vie. Effectivement, pas trop d'histoires. Pas de vaccins non plus, d'ailleurs.

Vue de loin, elle se tient voussée. Avec les vomissements et la baisse d'appétit, il va falloir se concentrer sur l'abdomen. Je vérifie rapidement les muqueuses, les nœuds lymphatiques, je sais que je ne devrais rien trouver, mais si je me focalise trop vite sur le ventre, je risque de passer à côté de quelque chose. Auscultation cardio-pulmonaire, tout va bien.

Température : 39.6°C

"Elle a d'la fièvre, docteur ?
- Oui, un peu..."

Je palpe l'abdomen.

*scritch*

"Comment ça, scritch ?
- Pardon, docteur ?"

Je me rends compte que j'ai parlé à haute voix.

"M'enfin ?"

Je reprends ma palpation abdominale.

*scritch scritch scritch*

Merde alors. Un genre de boudin de trois centimètres de diamètre dans toute la partie postérieur de l'abdomen, je peux facilement le faire rouler entre mes doigts, tout doucement, la texture est étonnante.

*scritch scritch scritch*

J'alpague Olivier qui passait dans la pièce d'à côté, histoire qu'il me donne son avis.

"Abattement, vomissements, un peu de fièvre, douleur abdominale, et ça. Palpe un peu pour voir ?"

Il ouvre de grands yeux.

"De l'éponge ?
- Moi je pense plutôt à de la paille de fer, ou un os spongieux explosé, genre une tête de fémur de boeuf. Il me semble que la texture est plutôt... minérale.
- Mais ça fait un bruit d'éponge."

Là, je vois que le propriétaire a du mal à suivre.

"Tiens, mettez votre oreille à côté de son ventre, et écoutez. Je palpe."

*scritch scritch scritch*

"Ben, c'est quoi ?
- Bonne question... je vais aller voir par la sortie si je peux toucher ce truc. Elle a tendance à manger n'importe quoi cette chienne ?
- Ben non, sa fille oui, mais elle non, elle a passé l'âge !
- Apparemment elle fait une crise de jeunisme..."

J'ai fini d'enfiler mon gant, et, sous le regard offusqué de Zaza - la chienne - j'essaie de toucher ce... truc. Je l'ai au bout du doigt, c'est effectivement de l'os, ou du gravier, j'arrive à en faire venir un fragment jusqu'à l'anus. Des matières fécales, du sang, et du gravier. Du tout petit gravier.

"N'importe quoi. Allez, on file en radio voir l'étendue du bazar."

Quelques minutes plus tard, la radio est fixée : trente centimètres de boudin de gravier dans la fin du tube digestif de la chienne. On ne saura jamais pourquoi elle a mangé ça. Une charogne roulée dans le gravier, la graisse d'un barbecue vidée dessus... En tout cas, ce n'est pas arrivé chez le propriétaire.

Mais comme c'est presque sorti, et que les cailloux ne sont pas trop abrasifs, avec un bon pansement intestinal, beaucoup de laxatifs, des antibiotiques et des antalgiques, ça devrait aller. Si ça se bouche, ce sera la table de chirurgie, et le chantier sera autrement plus difficile...

"Mais je comprends pas, docteur, comment un chien peut manger des graviers ? Normalement ça fait pas des idioties un chien adulte, la nature est bien faite non ?
- Ou pas... C'est la première fois que je vois une quantité pareille de graviers, mais des intestins perforés par des os de volaille, des occlusions avec des os, des ficelles, des éponges, des galets, des bouts de poupée, le coton de rembourrage d'une peluche, des tétines pour veaux..."

Si la nature était vraiment bien faite, j'aurais beaucoup moins de travail, hein...