Vermine
mardi 11 août 2009, 11:55 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
- Docteur il faut venir vite, c'est une infection !
Une infection, tu parles. Le veau est couché dans le godet du tracteur : l'éleveur vient à peine de le rentrer du champ. De là où je suis, je vois à peine ses oreilles - basses - et ses yeux - creux. L'allure du veau qui ne va pas passer la nuit si on ne s'occupe pas de lui.
- Il était tout seul dans une haie, j'l'avais déjà vu là hier !
Le godet s'abaisse, je peux mesurer les dégâts.
- Bon, allez me chercher deux seaux d'eau tiède, de la javel en berlingot, une brosse pas trop dure, genre balai, et je vais récupérer votre caillebotis, là, on va le poser dessus, la tête tournée vers le haut de la pente.
Il ne leur faut pas longtemps pour récupérer le matériel demandé. J'enfile des gants. C'est un veau de deux trois jours. Les asticots grouillent sur son dos, à partir du tiers postérieur environ. Les œufs de mouche, eux, sont collés en paquets blanchâtres jusqu'au milieu de sa colonne vertébrale. Les vers s'agglutinent autour de son anus pour s'accumuler entre ses cuisses, autour de son scrotum et jusqu'à son fourreau, presque jusqu'au nombril. C'est le "presque" qui sauve.
Première étape, histoire de me donner le temps de réfléchir. j'enfonce le thermomètre dans l'amas de vers qui dissimule son anus, en espérant prendre sa température. Un bon 39.8, il ne fait pas semblant. Avec la couleur de sa peau, que je devine par endroit entre les paquets de vers, et la déshydratation, il va avoir besoin de bien plus que des soins locaux.
- Oh, et puis... allez aussi me chercher le jet d'eau.
On ne va pas mégoter.
La brosse est parfaite. Suffisamment dure pour décoller les paquets d'œufs du poil, mais assez souple pour ne pas blesser la peau du veau, qui a viré au noir sous l'infestation vermineuse. Travail de patience, méthodique, brossage à la javel. Ils sont des centaines, des milliers, ils ont au plus 24h, et les œufs, eux, se comptent sans doute par dizaines de milliers, en gros paquets très adhérents, très difficiles à brosser. Sous mes premiers coups, les asticots se détachent et coulent entre les planches du caillebotis, s'accumulent entre mes bottes et s'échouent sur les gravillons de la cour de la ferme. Masse tortillante et vivante d'individus indistincts qui chutent, désemparés, par dizaines, par centaines. Le veau attends. Il n'a plus la force de faire autre chose.
Je brosse.
Son dos, dont je révèle la peau hideuse, d'une teinte noirâtre et d'une texture moite qui rappelle les nuances des anneaux des asticots.
Sa queue, mince fouet difficile à brosser, si secondaire que je l'abandonne très vite pour tenter de dégager l'anus, fleur de douleur dont jaillit par paquets agglomérés la vermine infiltrée. Le veau grince des dents et mord le caillebotis à chaque coup de brosse que je tente pourtant de rendre aussi doux que possible. J'introduis l'embout d'une grosse seringue pour tenter un lavement. Ses efforts de défécation expulsent des selles dures et sèches, un mastic jaunâtre moulant les vers grisâtres. Mes coups de brosse repartent vers ses cuisses, l'éleveur les lève l'une après l'autre, saisit l'extrémité de son scrotum pour m'aider à déloger les asticots dissimulés dans les plis.
A chaque brossage ou presque, je lave ma tête de balai dans le seau de javel puis arrose le veau au jet d'eau afin de chasser la vermine. Entre mes bottes, la mare de vers est devenue une rivière qui s'écoule rapidement, emportant ses vers qui m'évoquent les jeux de mon enfance, lorsque je traçais des ruisseaux dans les gravillons du jardin pour y faire couler des fleuves de boue. Les brindilles étaient des navires, les branchettes des ponts, les fourmis des victimes vouées à la noyade. Jamais je n'avais imaginé les asticots dans le rôle de sinistres dauphins échoués.
Je reprends ma seringue pour tenter de déloger les vers dissimulés au fond du fourreau.
- Me dites pas qu'il y en a la aussi !
Ben tiens. Grimace tant que tu peux, moi, je nettoie, je noie, je génocide. Les grosses mouches bourdonnantes tournent autour de nos têtes. Je les suppose indifférentes au sort de leur progéniture. Si mon absurde mémoire pour les détails est bonne, ce sont des calliphoridés, ce qui signifie : "celle qui porte la beauté". De grosses mouches à merde aux reflets métalliques. Heureusement, leurs vers ne s'attaquent qu'aux tissus morts, mais l'irritation, notamment aux jonctions cutanéo-muqueuses, reste très importante.
Un nouveau coup de brosse autour de l'anus, le nouveau-né a encore évacué quelques brouettes de vers fécalisés. Je rince. le plus gros du boulot est fait. l'éleveur terminera. Moi, je retourne vers ma voiture pour préparer un petit cocktail de perf'. Soluté isotonique additionné de sucre, des vitamines pour la couleur (rouge, c'est toujours meilleur), un antibiotique, un anti-inflammatoire (il doit souffrir, ce bébé). Il ne se débat pas un instant lorsque je lui pose mon aiguille dans la jugulaire, et supporte avec patience les 5-10 minutes de perfusion.
Il fait nuit maintenant. L'œil revient alors que mon litre de soluté redonne sa vigueur au bébé. Il ne lui faudra que trois minutes pour se relever après ça, et là, plus la peine d'espérer approcher son arrière train avec la brosse. Il bondit, il cogne, il vole, il gueule, nous nous prenons, ravis, un coup de sabot - c'est qu'il va mieux - avant de l'insulter, très fâché, suite à un bon coup de fouet prodigué par une queue qui laisse partout sur son passage des nuées d'asticots... Jusqu'ici, j'avais pourtant réussi à épargner ça à mon pantalon.
Une bonne crème grasse pour la peau, lorsqu'il sera sec, encore quelques coups de brosse, mais je passe la main à l'éleveur : il est largement l'heure d'aller manger.
Commentaires
Ohhhh berk pauvre p'tit veau! Vous avez fait du bon boulot, bonne chance à lui pour la suite!
sacré infection!! mais qu'est ce qui a declenché une telle invasion de vers?
Fourrure :
Probablement une bête constipation, des selles sont restées sur l'anus, les mouches ont pondu, par-dessus le marché le veau était faiblard et s'isolait, et ça va très, très vite.
Hum, les asticots, je crois que c'est la seule chose parmi toutes les joyeusetés que l'on peut croiser dans le métier qui me ferait gerb*** !!! Et on a vu pas mal de carnivores cette année qui en hébergeaient, sans compter les classiques lapins de compagnie...
beuuuuuuuuuuurk !
En fait tous les asticots ne sont pas exclusivement nécrophages et bons pour l'asticothérapie, certains creusent de sacrés tunnels sous les chairs ( sans parler de la Lucilie bouchère).
J'ai de mauvais souvenirs de cette engeance... ^^
Et vous avez réussi à manger après ça !!!! oO wouahou balèze ! chapeau bas !!
Les asticots j'ai vraiment du mal... La dernière rencontre dans un scrotum après une castration, berk !
C'est digne des travaux d'Hercule, je trouve.
wow !
quand on dit que la mouche est l'animal le plus dangereux de la planète...
Super qu'il ait retrouvé aussi vite sa vigueur !
Bravo. J'admire. Pas facile de nettoyer ce pauvre veau. Mais comment peut-il est recouvert de vers à ce point ?
Cela me fait penser aux vers format spaghetti qui ont choisi de s'installer dans l'intestin de ma nouvelle boule de poils. Impressionnant et peu ragoûtant.
Sinon, j'aime bien ce nouveau thème simple et sobre.
Eh bien, votre blog est génialissime ! Je rentre cette année à l'ENVT après un DUT, et chaque article de votre blog ne fait que conforter ma motivation de faire de la mixte à dominance rurale. Je vous remercie vraiment, vous m'avez permis de garder le moral lorsqu'il était au plus bas peu de temps avant le concours.
Vous avez une plume formidable !
Fourrure :
Félicitations !
Nynette, bravo pour le concours ! et tu as fais un très bon choix pour l'école ! J'en sors tout juste et jy ai passé parmis mes plus belles années
Je viens de prendre une résolution: ne plus jamais consulter votre site pendant que je prends mon petit déjeuner ! :)
Tient moi aussi j'étais en train de manger. Cela me rappelle un bb chevreuil trouvé dans les bois plein d'asticots. Il n'a pas survécu.
J'ai carrément des photos et une vidéo de vermine sur l'arrière-train d'un chien paralysé!
je vais mettre cet article en lien "le poids des mots le choc des photos" ;-)
Fourrure :
Je vois que je ne suis pas le seul à faire une collection de photos et vidéos bizarres !
Merci.
Chacun de vos coups de brosse m'a fait du bien Dr. J'avais l'impression de nettoyer à vos cotés.
L'histoire ne dit pas où se trouve la vache de mère de ce veau. N'aurait-elle pas dû s'en occuper ?
Nous sommes en aout, il me semble que les veaux naissent au printemps. Est-il déjà sevré aujourd'hui ?
Fourrure :
En réalité, les vêlages sont assez étalés sur l'année, même s'il y a des pics (au début du printemps et à la fin de l'été). Celui-ci n'avait que quelques jours. Quant à la mère... là, elle ne pouvait pas faire grand chose.
Oula ! Il faut avoir le coeur bien accroché mais encore un joli billet. Merci
Ah, on en revient toujours au fait que la nature n'est pas si bien faite que ça :
- les chiens peuvent avoir les intestins perforés par les esquilles d'os alors que ce sont des carnivores,
- les veaux peuvent se faire bouffer par les vers de mouche parce qu'ils ont du crottin collé au cul,
etc.
Lorsque nous saurons manipuler le capital génétique des animaux, nous remédierons à tout cela :
- nous programmerons les chiens pour laisser les os,
- nous programmerons les vaches pour qu'elles nettoient l'anus de leur veau lorsqu'il est souillé,
- nous les programmerons également pour qu'elles mettent bas au printemps afin que leurs veaux ne meurent pas de froid sous la pluie,
- nous programmerons également les chevaux pour qu'ils ne tirent pas au renard,
- nous programmerons les chats pour qu'ils ne mangent pas les ficelles de rôtis,
- nous les programmerons également pour qu'ils cessent d'attraper les abeilles en vol sur la terrasse,
- et pour finir, nous programmerons tous les humains pour qu'ils cessent de renverser les chevreuils sur la route la nuit.
D'autres idées, Dr ?
Fourrure :
Hélas, je crois que ce magnifique programme ne verra jamais le jour : le comportement est bien plus acquis qu'inné, et ces exemples me paraissent peu compatibles avec l'inné.
Je n'ai pas regretté d'avoir lu APRES mon repas!
Et pourtant il m'en faut pour me couper l'appétit!
J'ai découvert votre blog hier via une amie (un an de retard lol)... Je dois dire que même en n'étant qu'a la page 3; il me passionne. Je suis en formation d'auxiliaire de soins animaliers; et lors d'un stage, nous avons reçu un chien infesté de vers (sans parler de l'odeur)... C'était horrible! A la fin de l'opération (car il a fallut ouvrir l'anus pour retirer les vers et si mes souvenirs sont bons, crever des abcès ...), j'ai du tondre le chien et nettoyer tous les trous que les vers avaient creusés dans sa peau... Pauvre bête; je pressais sa peau et des dizaines de vers sortaient de ces espèces de nid... Coup de Javel obligatoire etc... Jamais je n'avais vu ça... Je crois que comme première expérience professionnelle ça m'a bien marqué; plus que l'énucléation d'un York en tout cas :p
A la ferme où je travaillais nous avons eu chose pareille. Un highland qui s'était pris dans les barbelés. Tout le dos "brulé" par les vers, l'anus... avait 2 trous. Bref, après que j'ai passé 3 h à le laver, à le sécher et à le réchauffer, 2 semaines à tirer les vieilles peaux et à jeter les derniers corps de vers mort... le veau s'en est sorti... si des photos vous intéressent, ecrivez-moi!
Je lis votre blog avec beaucoup d'intérêt. je suis stagiaire chez un vétérinaire et je démarre mes études sept.2012.
Salutations suisses!