Jour quatorze. Motif : euthanasie.
mardi 5 juillet 2016, 11:00 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Jour quatorze.
Motif : euthanasie
Kenzo se meurt. Ce n'est une surprise pour personne, son cancer a été diagnostiqué il y a six mois déjà, et personne ne s'attendait à ce qu'il tienne aussi longtemps. D'ailleurs, en réalité, il n'agonise pas, au sens strict du terme : ses maîtres m'ont expliqué qu'il n'arrivait plus à se lever, que depuis trois jours il s'urinait dessus. Vu son poids (une bonne soixantaine de kilogrammes) et son caractère de putois, ils n'ont pu que le regarder macérer dans ses excréments.
Kenzo, je l'ai vu grandir. Depuis son premier vaccin. Une boule de poil soyeux, un petit agneau, devenu bien trop vite un immense patou à la laine embroussaillée.
Je l'ai vu grandir, je l'ai vu vivre. D'abord en liberté, puis dans un jardin bien clôturé. Il mangeait les poules des voisins, et puis, il faisait peur à tout le monde. J'ai vu son maître – il habite sur la route entre la clinique et mon domicile – le promener, trois fois par jour au moins. Il suivait la petite route puis bifurquait dans un chemin, descendait le coteau le long du bois puis suivait la clôture du pré mitoyen. Il descendait au cœur du val, le long du ruisseau, là où nichent les hérons, puis remontait vers la route qui le ramenait à sa maison.
Je l'ai vu grandir, je l'ai vu vivre, je vais l'euthanasier.
Je n'étais jamais rentré chez ces gens. Ce sont pourtant presque des voisins. J'ai serré des mains, j'ai traversé une cuisine, un couloir, et puis, un garage. Kenzo ne m'a même pas grogné dessus. Il est encore plus mal que je ne le croyais… Nous mettons la muselière, par prudence. Je lui rase la patte, pose mon garrot, insère mon cathéter. Il n'y a presque rien à dire : nous avons déjà évoqué l'euthanasie et discuté de son déroulement. Je prends ma seringue. L'anesthésique d'abord. L'odeur d'urine est suffocante. Il perd conscience si rapidement… L'euthanasique ensuite. Il est mort, je crois, avant même que je l'injecte, en s'endormant, avec l'anesthésique. Vite, si vite, près de son maître qui le caressait, et se tenait devant lui.
Je lui retire sa muselière, j'ôte le cathéter. Je range mon garrot, mes aiguilles, mes flacons, je serre des mains, traverse le couloir, puis la cuisine. Je les regarde prendre les pelles. Il faut s'en aller.
Commentaires
Bon voyage Kenzo !
Je me disais à moi même : "c'est dingue mais on n'imagine pas que les vétos soit si investis pour notre animal, et pourtant !"
Ou alors ce ne sont que des cas isolés ? J'ai du mal à retrouver l'écoute et le professionnalisme de mon premier véto. A tel point que dès que j'ai la possibilité de retourner chez mes parents, j'essaye de caser les rendez-vous des poilus ... à 250km !
Gaëlle : je pense que c'est assez rare.
J'ai eu un veto à Marseille qui était comme Fourrure, vraiment. Ensuite j'ai dû déménager en région parisienne, j'ai fait bcp de vétos différents (des rats, un chien, cinq chats, on est de bons clients) mais jamais je n'ai retrouvé le Docteur Pavard, une fois un presque aussi bien mais j'ai encore déménagé (et une fois de plus la semaine dernière).
Dans ma nouvelle cambrousse il n'y a qu'un veto, j'ai été voir la clinique hier, j'espère qu'il sera ce genre de veto que je cherche, un qui aime les bêtes ça serait déjà bien, mieux que celui qui a stérilisé notre petite dernière déjà...
Euthanasier un animal que l'on sait perdu et qui souffre est à la fois un grand soulagement et un crève-coeur. Pour la propriétaire de chats que je suis, le fait que ma vétérinaire accepte de se déplacer pour euthanasier mes chats à la maison, sur mes genoux, dans la douceur et sans stress est une énorme chance. Merci à elle et à vous de ne pas seulement tenir compte des animaux. Je vous lis depuis des années avec un plaisir infini, que vos billets soient jolis ou moches, j'ai beaucoup d'admiration et de respect pour la façon dont vous envisagez votre travail. Merci !
une vie trop courte mais une vie quand même.
" on ne remercie jamais les vétérinaires" pour ce genre de démarche!
merci car il en faut du courage: autant pour la bête, le propriétaire et le vétérinaire !
merci
Pour un véto qui m'a dit "il est fichu" avant d'emporter mon chat sans ménagements pour lui et moi, j'en ai rencontré d'autres attentifs et concernés. Ceux-là je les remercie.
L'autre... je n'oublierai jamais la panique dans les yeux de mon chat d'être ainsi emporté par un inconnu.
Les animaux ne craignent pas la mort. Ça n'est pas une justification pour les traiter comme des colis.
J'ai aussi vécu des décès naturels, à la maison. C'est difficile aussi mais à tout prendre c'est le mieux.
L'euthanasie d'un animal que l'on sait perdu et qui souffre est à la fois un soulagement et un crève-coeur. Pour moi qui suis propriétaire de chats, je suis consciente d'avoir une chance énorme que ma vétérinaire accepte de se déplacer pour pour le faire, en douceur et sans stress, dans leur environnement et sur mes genoux. Elle est exceptionnelle par sa gentillesse et son dévouement. Merci à elle et vous Fourrure de tenir compte des humains aussi dans ses situations difficiles. Ce n'est sûrement pas simple non plus pour les vétérinaires. J'ai un plaisir infini à vous lire depuis des années et que vos billets soient des histoires jolies ou moches, j'ai beaucoup de respect et d'admiration pour votre travail de qualité et votre sensibilité. Merci !
c'est tellement touchant !!! triste... mais c'est ainsi !!! des moments pas faciles pour les maîtres mais sans aucun doute aussi pour les vétérinaires. ça me ramène à margot chérie (cancer foudroyant à 10 ans), endormie dans mes bras, avec toute la gentillesse de ma petite véto ! mais quelle douleur !
quelle triste et pourtant belle histoire...
Quand j'ai du euthanasier mon chat, la véto extraordinaire m'ai laissé pleurer dans son cabinet, a piqué le chat dans mes bras et m'a laissé le tenir jusqu'au bout...
il y a des jours où il est aussi dur d'être vétérinaire/asv que propriétaire. Même s'ils ne sont pas à nous avec nous h24 c'est toujours dur de les faire partir doucement. On les voit grandir changer vieillir ...
Merci pour ses billets. Ils font désormais partis de mon quotidien avec délectation.
Merci pour ce joli reçut empreint d'une grande humanité. Je rejoins ce qui a été dit précédemment. Ma chienne, ma compagne fidèle de mon adolescence est morte à la clinique. Et quand j'ai voulu la voir une dernière fois, la véto l'avait déjà mise dans un sac poubelle. Autant vous dire que cette image reste gravée en moi, même plus de 20 ans après. Elle s'était justifiée en disant que c'était pour la cacher aux yeux des autres maîtres qui venaient chercher leurs animaux et qui auraient pu être choqués. C'est moi qui ait été profondément choquée. Un animal au fond d'une cage qui ne bouge plus , on peut bien lui mettre une couverture sur lui et prétexter qu'il sort de chirurgie, non?
... la même samedi matin avec Virus, mon dogue argentin de 12 ans récupéré à la SPA il y a 2 ans... Le cancer a eu raison de lui, opéré de la rate il y a 1 ans et demi, cette merde s'est propagée partout (poumon, coeur..). Il buvait des litres d'eau, avait du mal à respirer et puis il s'est paralysé du train arrière... Malgré tout, il est monté tout seul dans le coffre de la voiture dans un dernier effort, comme si il savait et qu'il était prêt, il est décédé pendant le trajet...c'est moche la vieillesse...
Les pelles ??? Pour un chien d'une "bonne soixantaine de kilos" ??? Ça ne ferait pas un peu vingt kilos de trop pour que ça soit autorisé ?
Fourrure :
Oh, bah je vous laisse aller le leur expliquer. En plus, je crois bien que la balance est cassée.
Non, sérieusement : on s'en fout. Leur jardin doit faire environ 4 hectares, le premier voisin est à 500 mètres, et c'est un règlement mis en place pour éviter le défaut d'équarrissage des brebis. Je ne vais pas empêcher un maître d'enterrer son chien pour ça.
Bjr.
Qu'elle est touchante cette dernière phrase de 4, 5 mots : "il faut s'en aller".elle en donne de multiples sens!
Bonjour Fourrure, je sais que les vétos peuvent s'attacher beaucoup aux animaux qu'ils soignent et aux maîtres aussi parfois, mon véto s'est éloigné les larmes aux yeux avec mon chat mort dans les bras qu'il venait d'euthanasier, enveloppé dans sa couverture, c'était un tout, le chat et nous, totalement éplorés, qu'il connait depuis vingt ans, je n'oublierai jamais cette image, ce jour-là. Merci pour vos billets