Second avis
samedi 12 septembre 2015, 23:32 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Mme Lauze est venue pour un second avis.
Avec son bouledogue au bout de sa laisse, souriante, inquiète. Attentive. Je l'invite à entrer, me demandant comment me situer. Je suis, moi aussi, souriant, inquiet, et attentif. Vient-elle parce que l'autre est un con, parce qu'il lui a donné une mauvaise nouvelle, parce qu'il l'a prise pour une conne, parce qu'elle n'a rien compris ? Ou juste parce qu'elle ne lui fait pas confiance ? S'est-il trompé, serai-je d'accord avec lui, saurai-je avant de me prononcer, ce qu'il lui a expliqué ? Va-t-elle chercher à me piéger ? Ou veut-elle juste se rassurer ?
J'examine Marty - le bouledogue - en discutant. Je n'ai bien sûr jamais vu ce chien, ni cette dame, et l'exercice suppose que je ne les reverrai jamais. Alors, nous faisons connaissance, quelques banalités, et tout de suite, elle m'explique : le diagnostic, et la prise en charge proposée par le confrère, qui implique une chirurgie. La dernière anesthésie générale sur ce chien s'est plutôt mal passée. Elle espère donc qu'il a tort, qu'il y a moyen d'éviter le bloc. Elle parle vite, mais elle est précise. Il y a une vraie urgence dans son maintien, mais elle se détend. Est-ce parce que je viens de lui demander de m'expliquer précisément ce qu'elle attendait de moi sans commenter ou juger les motivations de cette seconde consultation ? Ou est-ce simplement parce que son chien est à l'aise sur la table de consultation, content d'être papouillé et ausculté ? Et puis d'ailleurs, est-ce que les clients se demandent ce que le vétérinaire va penser d'eux, lorsqu'ils viennent ainsi remettre en doute les compétences d'un confrère ?
La boufiole suspecte, sujet de la chirurgie proposée, ne prête pas vraiment à discussion. Oui, il faut l'enlever, même si Marty n'est vraiment plus très jeune, même s'il est un peu cardiaque, un peu insuffisant respiratoire, un peu mal foutu de partout, en fait, sous le poil ras de sa robe grise. On ne nait pas bouledogue sans devoir faire de lourdes concessions à la physiologie normale de l'espèce canine.
Madame Lauze interroge, s'inquiète et se rassure en constatant que mon avis et celui de mon confrère convergent. Marty, lui, corne, ronfle et s'étouffe joyeusement dans mes bras, où il vient d'aterrir en échouant dans sa tentative de suicide par chute fatale depuis une table de consultation.
Le bât blesse un peu lorsque que je lui précise que si je devais l'anesthésier, je préférerais qu'échographie d'abord son coeur, pour mieux comprendre le souffle entendu. Pour, à plus long terme, accompagner au mieux son vieillissement. A dire vrai, OK, je n'hésiterai pas trop à l'anesthésier sans cet examen. Mais puisqu'il serait très pertinent de le faire, autant le faire avant de l'endormir, non ?
Sauf que...
Sauf que, m'explique-t-elle, le rendez-vous chirurgical avec mon confrère du premier avis est déjà pris. Pour demain. Et que je ne sais pas faire une échocardiographie. Cet examen ne pourra pas être fait pour le lendemain.
Elle ne veut pas annuler.
Et elle ne peut pas repousser, pas sans expliquer à son vétérinaire pourquoi, or elle ne veut pas lui annoncer qu'elle a demandé un second avis. Ne risquerait-il pas de penser qu'elle ne lui fait pas confiance ? Lui, qui, m'explique-t-elle maintenant, est, en plus, un ami ?
Elle se sent coincée. Alors, elle me demande : et si je l'opérais, sans rien dire ? Elle n'y croit pas, ça se voit, mais l'idée lui a traversé l'esprit. Je souris : hors de question. Et puis, de toute façon, il faudrait voir à ne pas le prendre pour un con : ça risque de se voir, que la masse cutanée n'est plus là.
Elle est entrée dans ma salle de consultation en s'inquiétant pour son chien, et pour l'anesthésie. Elle la quitte inquiète pour elle, et pour son ami. Et pour ça, aussi, elle me demande mon avis ?
J'en fais souvent, des « consultations de second avis ». Je suppose que'un certain nombre de mes propres clients vont chercher d'autres réponses, ou d'autres questions. Ca me convient : je ne suis pas susceptible, et je ne suis pas omniscient ou omnicompétent. Il est naturel de chercher à confirmer ou infirmer un diagnostic, un pronostic, ou une proposition de traitement. Même si, bien sûr, dans ces circonstances, je peux ressentir un pincement, un défi ou parfois, même, un petit sentiment de trahison. Personne n'aime être remis en question. Surtout quand on joue aux devinettes avec un diagnostic et que l'on sait bien que l'on pourrait avoir tort. Que le client pourrait avoir mal compris, et raconter n'importe quoi au confrère. Que le confrère pourrait être indélicat, ou pire, incompétent. Que…
Je lui souris, et je lui dis : moi, ça me vexerait, un peu, oui. Mais je comprendrais. Et puis, hé, j'avancerais. A vous de gérer.
Commentaires
Je trouverais rassurant qu'un client demande un autre avis et que tous puissent en profiter. Il est plus facile de prendre une décision critique à plusieurs, non ?
Vétérinaire c'est décidément un vaste un métier : non seulement il faut mettre les animaux à l'aise (vos confrères n'y pensent pas toujours, c'est ce qui motivait les réserves exprimées dans mon commentaire à "Music") et ne pas se tromper dans ses diagnostics, mais encore il faut accepter des manifestations d'angoisse pas toujours très élégantes de la part des propriétaires.
Je comprends tout à fait la dame qui demande un second avis avant une intervention délicate. Mais si vous êtes consulté la veille de l'intervention, et que celle-ci ne peut être ni annulée ni même reportée le temps d'un examen complémentaire, il ne vous reste plus que deux possibilités aussi inconfortables l'une que l'autre : ou bien vous approuvez sans réserve l'ami dont la dame se méfie, ou bien vous la mettez en situation de rupture avec cet ami ! Ce n'est pas très sympa comme demande.
@Cecile
"Ce n'est pas très sympa comme demande."
Je pense que la dame a du hésiter un peu trop longtemps. Genre quand son ami lui a dit qu'il fallait opérer, elle a eu un doute, mais n'a pas osé l'exprimer puisque l'avis venait, justement, de son ami. Puis le doute a fini par la ronger et en urgence, au dernier moment, elle a consulté un autre vétérinaire. Je pense que si le premier véto n'avait pas été son ami, elle aurait consulté pour un second avis tout de suite.
Ce billet m'interpelle ... pour une autre situation sans doute "dérangeante" pour les 2 parties et à laquelle j'ai été confrontée pour la 1ère fois !
J'envisageai avec mon mari l'adoption d'un chien dans un refuge à 25 km de chez nous. Il présentait un nodule à l'encolure et nous nous posions des questions. La SPA nous a dirigé vers un véto partenaire qui a examiné l'animal sans nous demander le moindre centime.
Examen pris en charge par la SPA ou par le véto, je ne saurai dire ...
Nous avons adopté l'animal et en reconnaissance envers ce véto qui s'impliquait pour cette SPA, j'ai continué à le consulter.
Quand celui-ci a pris sa retraite, nous avons continué à consulter la véto qui a repris son cabinet pendant longtemps.
Mon chien a une dysplasie.
Il a fait une grosse crise d'arthrose et j'ai appelé ma véto en urgence. Elle était en congé et n'avait indiqué aucun confrère de remplacement.
J'ai cherché un autre véto autour de chez moi et me suis retrouvée chez un véto bien plus près de chez moi. Il a vu mon chien en urgence, a mis un traitement en route (anti inflammatoire et anti douleur par injection, puis traitement continu par anti inflammatoire oral).
Je n'ai pas cherché plus loin, je n'ai pas pensé plus loin ... je suis restée chez lui.
Parce qu'il était plus près, parce que mon chien ne peut plus monter seul en voiture et que nous devons être 2 pour l'y accompagner ... pour des raisons de confort du chien et de proximité pour nous.
... j'ai mis une croix sur ma véto habituelle, je l'ai simplement "zappé" , pas méchamment, pas intentionnellement, simplement parce que les choses se sont faites ainsi.
Jusqu'aux rappels de vaccins pour mon chien ... je reçois le carton de rappel de mon nouveau véto ... mais aussi celui de ma véto "d'avant" ... et là, je suis mal ... je "l'ai oublié", je n'avais même pas pensé à lui téléphoner pour lui expliquer les choses ... que dans l'urgence, j'ai fais appel à un confrère, que suite aux problèmes de déplacement de mon chien, j'avais choisi de garder ce véto ... j'étais mal
Je l'ai appelé. C'est naturellement son ASV qui a décroché, je lui ai expliqué la situation, je lui ai indiqué que j'allais désormais visiter ce véto plus proche de mon domicile ... elle a compris, du moins elle a comprendre mes raisons, je lui ai demandé de préciser à la véto que je l'ai toujours apprécié et que je l'apprécie toujours, que cela n'a rien à voir avec ses compétences professionnelles...
Mais je garde un sentiment de culpabilité ... si ce courrier de rappel n'était pas arrivé, aurai-je pensé à l'appeler pour lui expliquer pourquoi je ne venais plus !
J'ai sauvé mon chat d'une mort lente et douloureuse grâce à un second avis...
Certes, on a du lui retirer quelques dents, mais monsieur chat est très content de manger de la pâtée (même s'il a repris les croquettes assez rapidement) et a repris le poids perdu pendant la période où la seule chose que l'on me proposait était une injection de cortisone tous les deux mois... Maintenant il vit sa vie de chat sans souffrir, et parvient même a attraper des pigeons avec les dents restantes.
Dans le monde médical, celui qui soigne les humains, j'ai déjà demandé un second avis. Parce qu'il s'agissait d'une grosse opération, pour un truc pas fréquent, avec des conséquences lourdes. J'ai même demandé un troisième avis. Ca m'a aidé à prendre une décision.
En tant que propriétaire d'un chien mal foutu de partout lui aussi bien qu'encore jeune car mal configuré de naissance (double malformation cardiaque congénitale!) j'ai été contrainte de visiter plusieurs vétérinaires avant de trouver celui qui serait à la hauteur des lourdes pathologies de mon chien. Lui aussi appartient au club bien spécial des "faces plates" encore mal connu de pas mal de vos confrères, et je me suis arrêtée définitivement chez celui d'entre eux qui a su m'expliquer que pour mon chien, toute chirurgie serait contre indiquée sauf urgence vitale, et que si ça devait arriver un jour, il serait vivement conseillé de procéder à une anesthésie gazeuse beaucoup moins risquée pour lui.
Il semblait bien connaitre son sujet et surtout bien connaitre les spécificités liées aux races brachycéphales. De plus, il savait prendre le temps de m'expliquer et me parler comme si c'était moi qu'il soignait sans omettre de papouiller mon chien. Je me souviens que suite à ma première visite chez lui, j'ai même regretté qu'il n'existe pas son équivalent en médecine humaine !
Depuis 4 ans donc, plus besoin de 2ème avis, je le consulte les yeux fermés. Mais avant de le connaitre, j'ai dû bien malgré moi céder au nomadisme vétérinaire et je comprends tout à fait l'inquiétude et la démarche de cette dame.
Bonjour,
Ce billet me serre le cœur parce qu'il montre à quel point certaines personnes ont peur de demander un deuxième avis. Peur des conséquences pour leur animal. Peur qu'au final il ne soit pas soigné du tout et qu'elles doivent chercher un 3eme praticien (ce qui est facile dans une grand ville mais pas partout). Elles sont inquiètes de se faire jeter par l'un de deux vétos (en général le 1er, si il apprend qu'elles en ont consulté un 2eme). Cette dame voulait avoir un avis qui confirme ou infirme, pour son animal.
Les gens ont peur de la susceptibilité du véto. Ca ne devrait pas être le cas.
J'avais demandé un second avis il y a qls années, pour mon chat, en envoyant les radios par mail à la clinique 2 avant, et en expliquant clairement pour quoi je voulais un RV. Personne ne l'a mal pris. Ma véto et la véto 2 avaient 2 ans de différence d'âge, elles se connaissaient même si elles ne se voyaient plus. Elles m'ont même demandé des nouvelles l'une de l'autre.
Quand j'ai déboulé chez ma véto "en titre" je lui ai dit direct que j'étais allée ds une autre clinique, par doute. Elle m'a dit "mais qui je suis, moi, pour reprocher à quelqu'un d'aller demander un 2eme avis?" et là j'ai su que c'était quelqu'un de humble, et je suis restée avec elle.
Ce serait bien que les spécialistes pour les humains acceptent ça aussi, mais c'est un autre débat.
Bref, j'ai de la peine pour cette dame parce que quand on a peur pour ses animaux on n'est pas bien. Au final qu'a-t-elle choisi?
"On ne nait pas bouledogue sans devoir faire de lourdes concessions à la physiologie normale de l'espèce canine"
Cette phrase est magnifique...