Des petits vieux oubliés

C'était un froid mois de janvier, neige et branches glacées dans nos futaies.

Je me perdais sur un long chemin oublié, l'une de ses routes que, déjà, l'herbe recouvrait. A la recherche d'un vieux jardin, d'une vieille baraque, celle de deux petits vieux, avec leurs quatre chiens, leurs deux chats, leur cochon et leurs deux laies. D'une petite vieille, surtout, à saluer.

Un été, un hiver et encore une autre année s'était déjà écoulés depuis ce conte de laies.

Le petit vieux ne m'avait rien dit , il m'avait servi un verre de goutte, en silence.

Mais tout cela était terminé. Aujourd'hui, alors que je me garais, je voyais cette petite vieille recourbée, en train de jeter du grain à ses poulets. Son mari était parti, avec peut-être, quelques regrets. Quelques heures étaient passées, comme quelques années, alors que j'étais venu "la visiter". Elle s'était livrée, s'était racontée, son enfance, son mariage, quelques bribes, quelques nuages, un voile de souvenirs et d'idées, une guerre et des champs, des enfants, des petits-enfants, la voisine et ses canards à plumer, une existence comme celles des grands mères de mon enfance, celles qui puaient et qui piquaient. Mais j'avais là une petite vieille, et, sans que je lui ai rien demandé, elle devenait une femme, une mère, une voisine ou une petite fille, pour moi, et pour la première fois, j'entendais ce passé, cette vie sous ces rides. Je n'étais plus un meuble distrait, mais un véto en train d'écouter. De réaliser.

Pour la la première fois, j'écoutais une vieille se raconter.

Cette cour, ces chiens, ce cochon et ces poulets n'étaient plus le décors naïf d'un conte de fée idéalisé, je me sentais à la fois blessé, humilié et honoré. Parce que dans cette histoire, j'aurais au mieux et au moins été l'acteur et le témoin du conte de laies. Parce qu'elle n'avait rien oublié, parce qu'elle me les livrait, ses regrets, ses faits, avec humilité et simplicité, replaçant l'Histoire dans un quotidien que je pouvais, directement, appréhender. Car ici, finalement, tout et rien avait changé. Les petits vieux sont immortels, leurs souvenirs, leurs cochons et leur potager, comme ces cartes postales que, soudain, je voyais s'effacer.

Mais lui était mort, des suites d'une longue maladie. Et pour elle, la vie continuait, comme avant, comme si, pour moi, pour eux, rien n'avait été altéré. Je me sentais tout petit devant cette vie obstinée, devant cette femme qui n'avait jamais, probablement, quitté le canton, qui depuis plus de 60 ans habitait cette maison.

Il était mort, et ses laies avaient, à leur tour, été tuées. De la mort de la plus vieille, la grosse, elle ne pouvait décolérer : ils auraient du la reconnaître, ils ne pouvaient pas se mélanger. La seconde avait rejoint les chiens, elle les entendait aboyer, alors qu'ils chassaient. A cela, elle s'était résignée. Il y avait de la tristesse, comme une brume d'humanité, un nid de regrets et, pourtant, sans déclaration, sans résolution, une évidence dans la continuité. Ce fantasme fait réalité, l'image transformée en son sujet.

Elle était la petite vieille du conte de laie, mais aussi une femme que j'avais, ce jour, rencontrée.

Alors je suis revenu, juste comme ça, pour discuter, à la fin du printemps, au début de l'été. Et dans les bras, elle avait un magnifique bébé, pour lequel, quelques jours plus tard, elle m'avait appelé. Une fichue diarrhée, classique vue la fragilité de ces rescapés des barres de coupe.

J'étais venu plusieurs jours, quelques minutes, en prétendant avoir, toujours, une visite dans le coin, comme s'il restait, dans cette commune désolée, des bêtes à visiter. Pour un piqûre, pour la grâce, pour le plaisir, pour cette fois, ne pas simplement écouter, mais partager.

Jeune chevreuil

Et, oui, il a bien été sauvé.

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