Fil de fer
samedi 23 mai 2009, 14:07 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
La plupart du temps, l'éleveur m'appelle parce qu'elle a le dos voussé, ou qu'il la trouve patraque, ou qu'elle ne fait plus de lait. La fameuse chute de lait, premier symptôme de la vache laitière malade, celui qui ne veut rien dire, sinon qu'elle est malade.
Lorsqu'on la regarde de loin, elle a cette attitude plus ou moins marquée du bovin qui souffre. C'est souvent discret. Une raideur dans la démarche, une respiration un peu trop rapide, un peu trop appuyée. Parfois, elle se tient là, au cornadis. Ou au milieu de la stabulation, patiente. Elle a sans doute le dos voussé, mais ce n'est pas systématique. Le plus souvent, elle ne rumine plus, ou beaucoup moins que la normale. Sa tête allonge son encolure, très raide. Au pire, elle a la bouche ouverte, et bave.
Souvent, elle a un petit 39.1, ou pas de fièvre du tout. Par contre, en général, elle ne mange pas. Pire, elle ne rumine plus. Ou mal. Par contre, un transit digestif se maintient.
Lorsqu'on l'ausculte, le plus souvent, on ne trouve pas grand chose. Une fréquence cardiaque trop élevée, un reflux jugulaire marqué. Sa panse fonctionne au ralenti, ou pas du tout, répondant à l'arrêt de rumination.
En général, elle vient de vêler, mais ce n'est pas systématique.
Avec les corps étrangers, rien n'est systématique.
Corps étranger ?
Fil de fer. Barbelé. Ou tout autre bout de ferraille, clou, cavalier, n'importe quoi. Un rumen, plus communément appelé panse, c'est comme une grosse machine à laver qui brasse des millions (milliards ?) de bactéries et de fibres végétales, un gros incubateur destiné à digérer ce qu'aucun mammifère ne peut digérer : l'herbe et ses glucides complexes. Les micro-organismes digèrent ce que la vache avale, et la vache digère les micro-organismes. Le souci, c'est que lorsqu'une ferraille se balade là-dedans, elle a tendance à aller se planter dans la paroi du réseau, petit pré-estomac attenant à la panse. Le fil de fer se plante, et au fil des contractions, s'enfonce dans la fine paroi du pré-estomac. Derrière, il y a la cavité abdominale, et le foie. Heureusement pour les bovins, leur organisme possède des capacités exceptionnelles de cicatrisation. Sans doute pour compenser leur tendance à avaler n'importe quoi... La fibrine, fruit de la réaction inflammatoire, est souvent capable d'emprisonner le bout de ferraille qui dépasse un peu du réseau.
Et tout va bien.
Jusqu'au jour où la vache vêle. La vache pousse, le veau sort, et, éventuellement, le bout de fer plus ou moins stabilisé aussi. S'il y avait un abcès enfermé, autour du corps étranger, il peut aussi se rompre et se déverser dans l'abdomen.
La vache risque la péritonite. Et s'il elle a juste un peu plus de chance, le fil de fer peut partir se balader vers le foie, traverser le diaphragme, serpenter un poil et finir dans le péricarde, voire dans la paroi cardiaque. Du pus peut alors se former dans le sac qui enveloppe le cœur (on appelle ça le péricarde). Et même si la vache a d'exceptionnelles capacités de cicatrisation, en général, ça finit mal.
Voilà ce que l'on résume par "fil de fer".
Évidemment, on peut être à n'importe quelle étape du processus. S'il y a une péricardite, les symptômes sont tels que je peux difficilement les louper. Un cœur qui fait un floutch floutch assourdi au lieu d'un beau poum ta sec et sonore, c'est mauvais signe. Si on aime convaincre son auditoire, et si on aime les diagnostics spectaculaires, surtout si l'éleveur ne veut pas entendre que la vache va mourir, il existe une technique imparable : prendre une aiguille très longue et, d'un geste théâtral, la planter droit sur le cœur. Normalement, on aboutit dans le péricarde. Mon record : deux litres de pus. Accessoirement, ça soulage la vache, même si ça ne la sauvera pas. Une réticulo-péricardite traumatique (RPT pour les adeptes de TLA), ça ne pardonne pas.
Et puis il y a toutes ces vaches qui n'en sont pas là, qui ne sont pas si malades, qui ont juste un bout de fil de fer planté dans le réseau, ou pas, qui bricolent, qui ont l'air d'avoir un peu mal, à qui on donne un coup de pied en regard du réseau, pour voir si ça fait mal, ou à qui on pince le garrot pour voir si elles accepteront de plier leur colonne vertébrale vers le bas (et donc d'appuyer là où ça fait mal, en bas), autour desquelles on tourne, on cherche, ou farfouille. Pour, en général, ne rien trouver. Quand le signe du garrot est positif (quand elle refuse de se plier), c'est qu'on n'avait pas besoin de le tenter pour savoir ce qu'avait la vache.
Alors on pose des diagnostics de fil de fer quand on ne trouve rien d'autre et que les symptômes, très frustes, collent. On fait avaler un gros aimant à la vache, en espérant qu'il retienne le fil de fer. On colle un coup d'antibio, histoire de. Des poudres pour faire ruminer. Et puis on attend, on espère. La plupart du temps, la vache reprend sa vie, cahin-caha, et nous déconseillons formellement de la faire vêler à nouveau : si la ferraille y est toujours, elle pourrait bouger à nouveau.
Ah, et puis on peut aussi essayer la poêle à frire. Vous savez, le détecteur de métaux, pour entendre le frshhhhh qui va bien s'il y a du métal là, de l'autre côté de ce cuir. L'idée géniale, non ? Puisque c'est très difficile à diagnostiquer, et qu'il paraît peu envisageable de faire des radios à une vache, on va utiliser un détecteur de métaux. S'il bippe, c'est qu'il y a un fil de fer, et hop, on a la solution !
Ou pas. Non, vraiment. En fait, ce truc, c'est complètement inutile, voire néfaste : amusez-vous, un jour, si vous vous retrouvez avec l'un de ces engins entre les mains. Passez toutes vos vaches au détecteur de métaux. Vous allez apprécier le concert. Ces bestioles avalent vraiment n'importe quoi. Si ça bippe, ça veut juste dire qu'il y a du métal. Pas que la vache est malade à cause d'un foutu fil de fer planté dans son réseau. Et si ça ne bippe pas ? Ben ça ne veut pas non plus dire qu'il n'y a pas de corps étranger. Plastique, verre, bois, cordes, une vache peut vraiment avoir n'importe quoi dans la panse, et la plupart de ces trucs l'empêchent de fonctionner correctement. Ma plus belle trouvaille lors qu'une autopsie fut une tête de poupée (non, elle n'est pas morte de ça, enfin la vache, pas la poupée). Mais j'y ai aussi trouvé 10 mètres de cordes irrémédiablement agglutinés, des bâches, des pierres, et plein de trucs pas identifiables.
Cette poêle à frire m'amène à parler de quelque chose que j'aime beaucoup. L'imputabilité : si je trouve quelque chose, est-ce que ça veut dire que ce quelque chose est responsable des symptômes que j'observe, et, plus largement, de l'état de la bestiole ? C'est une des plus jolies problématiques du diagnostic, la culture du doute...
Commentaires
Finalement, il ne vous reste plus qu'à engager quatre jeunes vétos et faire des diagnostics différentiels, comme Docteur House :)
Plus sérieusement, pourquoi ne pas contacter l'école d'ingénieurs la plus proche pour leur demander si la fabrication d'un scanner à vaches ne serait pas dans leurs cordes? Vous seriez peut-être surpris...
Fourrure :
Le souci n'est pas la réalisation technique, quoique le déplacement du bousin jusqu'à la vache, ou l'inverse, pourrait poser un problème. C'est juste qu'au niveau financier, heuuuu...
Elles avalent tellement de choses que les plastics aussi y passent...et là aucun aimant ne peut aider...
Même un requin ne mange pas forcément une proie qui ne lui convient pas...pourquoi les vaches n'ont pas de "goût" ?!!
Il me semble qu'il y a des herbivores monogastriques donc non ruminants qui digèrent plutôt bien l'herbe et ses glucides complexes…
Fourrure :
Ils trichent aussi... Pour les chevaux et les lapins, par exemple, cela se passe dans le gros intestin, qui est aussi un réservoir d'une taille démesurée dans ces espèces.
Bien cher Docteur,
Ah! J'allais également poser la question à propos des chevaux. Est-ce donc parce qu'ils 'trichent' avec leur gros intestin, que ce dernier est si sujet aux torsions, coliques et autres?
Fourrure :
Oui, et non. Ces gros réservoir peuvent effectivement se déplacer, ou se coincer, et le transit peut y ralentir, provoquant des bouchons, ou tout du moins des douleurs.
Pas pour publication, juste pour correction :
Et puis il y a toutes ces vaches qui n'en sont pas là, qui ne sont pas si malades, qui ont juste un bout de fil de fer planté dans le réseau, ou pas, qui bricolent, qui ont l'air d'avoir un peu mal, à qui on (sans t) donne un coup de pied en regard du réseau,...
et plus loin :
Et puis on attend (sans s), on espère. La plupart du temps, la vache reprend (idem, sans s) sa vie, cahin-caha, et nous déconseillons formellement de la faire vêler à nouveau : si la ferraille y est toujours, elle pourrait bouger à nouveau.
Merci pour votre blog, si intéressant et humain !
Fourrure :
Le troisième groupe est mon ennemi.
Le seul animal (autre que les bactéries) capable de digérer la cellulose n'est il pas un molluque du nom de Limnée ? un qui s'accroche aux coques des bâteaux et est utilisé dans les aquariums pour les débarrasser justement des algues qui prolifèrent...
On se demande d'où provient cette symbiose animal-bactéries assez spéciale puisque les bactéries y laissent leur peau à chaque repas....comment le "stock minimal" est il maintenu et que se passe -t-il quand il est trop dimiué ?
Pour revenir au fil de fer : et si on inventait des bactéries mangeuses de métal ?!!!!
si ça peut aider : 3eme groupe : toujours un s à la fin avec je / tu, mais jamais avec il,elle,on (fais/fait, prends/prend, peins/peint, bats/bat, etc...).
Un commentaire parle du requin, qui est un poisson extrêmement difficile sur ses choix alimentaires. Heureusement pour les éleveurs que les vaches ne le sont pas autant que lui. Mais c'est vrai que la vache bouffe vraiment n'importe quoi (j'en ai la preuve tous les jours en croisant les cousines indiennes des grosses Normandes, les sabots dans les détritus et la tête dans les égouts... en même temps, elles n'ont guère le choix...)
Quelle histoire ce fil de fer ! Je suis impressionnée d'apprendre qu'une vache avale absolument n'importe quoi. Je l'ignorais.
Risquer sa vie pour un bout de fil de fer maladroitement avalé, quel dommage.
Merci comme toujours de tes récits si intéressants.
Et ce "fil de fer", tu as eu le cas récemment pour songer à nous en parler ?
Fourrure :
Non, pas particulièrement, en fait j'en voie très régulièrement. Là, c'est plutôt une remarque d'un éleveur sur cette foutue poêle à frire qui m'a fait réagir, il a fallu que je lui réexplique (pour la troisième fois) l'inutilité de ce test...
Alors ça, c'est un des souvenirs les plus étonnants qui me restent de mon stage chez les vétos en 3ème.
"- La vache marche un peu étrangement, mal au ventre mais pas d'autres symptômes. On va la traiter par aimant.
- ...?
- Ben comme son nom l'indique, on va se servir d'un aimant qu'on va faire avaler à la vache pour coincer le corps étranger si il y en a un."
Le véto doit encore se souvenir de ma tête quand j'ai vu la taille de l'aimant en question ;D
Fourrure :
C'est sûr que l'aimant est impressionnant !
Étant donné la taille d'une panse bovine je trouve l'aimant bien petit et serait tenté d'en mettre deux ou trois pour que toute la ferraille ingérée trouve la place de s'y coller.
Fourrure :
C'est une fausse bonne idée. D'abord, ces deux-trois aimants vont se coller les uns aux autres. Ensuite, les fils de fer ne se plantent qu'à un seul endroit, dans le réseau, qui lui est tout petit, et où se retrouve en général l'aimant aussi. Enfin, j'ai une fois assisté à une autopsie d'anthologie : deux aimants prennent en tenaille un pli entre le rumen et le réseau, écrasant les tissus et provoquant une péritonite localisée. La vache étant morte... d'un fil de fer qui, lui, avait migré jusqu'au cœur.
Au moins , j'aurai appris en lisant ce billet ! J'ai désormais une idée de concert pour le prochain hiver ! sourire
C'est une de mes hantises : Je peux rechercher un crampillon tombé pendant des heures alors qu'ils tombent souvent tous seuls avec le temps ! Je n'aime pas laisser des ficelles traîner car elles les avalent... Mais il est impossible de tout prévoir ! Un de tes collègues à qui j'expliquais qu'en cas de sécheresse, je mets du foin ou de la paille très tôt , me disait qu'il trouvait dans ce cas des vaches dont les rumens étaient pleins de terre ! Les vaches tirent sur l'herbe qu'elles arrachent plus qu'elle ne coupent ! Du coup, quand c'est trop raz, les racines...
Pour info : Il y a 1 à 10 milliards de bactéries dans le rumen d'un bovin ce qui représente 10% du volume ruminal !!
Fourrure :
Quand je dis que ça grouille, là-dedans ! Il y a aussi nombre d'autres micro-organismes, par ailleurs : champignons unicellulaires et protozoaires.
bonjour, j'ai un vache qui a un probleme elle est a terme le 20-06-09 elle ne mange plus rien elle boit quand meme un peu. pour le moment elle se leve. elle a deja avaler 2 aimant mais elle est toujours pareil. elle respire bizarement et elle est trés maigre.c' est une vache de race montbeliarde quii a 13 ans.elle a deja fait des jumeaux une fois a terme et la deuxieme avant terme (mort) avez vous une petite idé de son probleme ? merci de me repondre sur : <clic-clac> par avance merci
Fourrure :
Contactez plutôt monveterinaire@monveto.fr .
ou trouvé detecteur de metaux pour des vaches merci
Fourrure :
Vous avez lu mon billet ?
J'aime bien vos billet et votre style. Concernant la ponction du péricarde, peut-on en parler un peu( je suis jeune veto).
Fourrure :
J'emploie une très longue aiguille (10-12 cm), je ponctionne à gauche, pile sur le point d'auscultation, en plaçant mon aiguille en avant de la côte, un geste sec sur les 4-6 premiers cm, ensuite j'enfonce doucement, jusqu'à ce que le pus coule. Attention, la vache apprécie modérément le premier geste, ensuite, elle ne dit plus rien.