Fin
jeudi 19 mars 2009, 12:36 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Deux camions blancs.
Des meuglements.
Un filet d'urine qui coulait par l'une des portes du camion.
Tout le village était réuni. Au moins... 6 personnes. Les transporteurs étaient presque aussi nombreux qu'eux.
Moi, j'étais là pour signer quelques papiers, presque par hasard.
Quand je suis arrivé, elles étaient déjà embarquées.
Elles étaient une cinquantaine, plus quelques veaux et génisses "de renouvellement".
Elles ne sont plus que deux, qui partiront demain, pour l'abattoir.
Un petit vieux m'a dit : "un paysan de moins".
Il n'a rien ajouté.
Moi, j'avais le cœur gros.
Les camions sont partis.
L'éleveur m'a regardé : "je crois que je n'ai pas encore réalisé".
Commentaires
C'est triste.
Pour quelle raison ? Retraite, faillite, .. ?
Fourrure :
Retraite, avec un repreneur pour les terres mais qui n'a pas eu les crédits pour racheter les bêtes...
C'est vraiment triste cette histoire... Le détail du filet d'urine appuie le drame de la scène je trouve.
Alors ? Quelles sont les raisons de ce départ pour l'abattoir ?
Je me demande toujours si les bêtes peuvent avoir peur ou pas lorsqu'elles sont regroupées dans un camion, serrées les unes contre les autres ? Sans vouloir tomber dans l'anthropomorphisme.
Fourrure :
Elles étaient très calmes, et l'extrême majorité ne partait pas pour l'abattoir, mais pour d'autres élevages. Seules les deux vaches grasses y partiront - dont celle qui est sur la photographie.
Il est vrai que c'est bien triste...
Les éleveurs ont souvent du mal à s'en remettre!
Mais c'est malheureusement une chose que l'on voit de plus en plus. Les jeunes ne veulent pas "s'embêter" avec des animaux (Leur conjoint ne les y poussent pas non plus).
Seuls les gros élévages resisteront... et c'est bien dommage. Je regrette le temps des toutes petites étables où le contact avec l'eleveur était beaucoup plus familial...
Fourrure
Au delà des contraintes de l'élevage (non, tout le monde n'a pas envie de travailler 70-80 heures par semaine pour un gros SMIC), il est illusoire aujourd'hui d'espérer nourrir une famille avec moins de 50 mères...
Que c'est triste ces photos... De belles patures verdoyantes qui devraient nourrir des vaches heureuses de retrouver le pintemps. Nos paysages ruraux ne seront plus les mêmes après ça. Quel gachis !
J'ai peur de cette échéance, peut être as tu lu mon billet ??????? Ici, il restera des vaches, que faire d'autre ? Mais un jour , ce ne seront plus les miennes !!!!
Hier au téléphone, un ami a évoqué à mot couvert l'arrivée prochaine de liquidation pour des éleveurs ne pouvant plus payer ! j'ai cru au début de ton billet qu'il s'agissait de cela... Encore pire que ce que tu décris !
Une des valeurs ou un des objectifs majeurs du monde paysan est la transmission de la ferme, il reste un sentiment d'échec quand tout s'arrête ! Je pense que c'est incompréhensible pour beaucoup de contemporains, on vit trop dans le présent et le "tout , tout de suite " sans se rendre compte de la lente et patiente construction qui est nécessaire à une activité comme celle-ci ( comme à la plupart d'ailleurs )!
vetonat a dit :"Que c'est triste ces photos... De belles pâtures verdoyantes qui devraient nourrir des vaches heureuses de retrouver le printemps. Nos paysages ruraux ne seront plus les mêmes après ça. Quel gachis !"
Je jurerais que ces "vertes prairies" sont en fait de la céréale en train de lever. Au mois de mars, les prés sont encore bien ternes, l'herbe commence à peine à repousser.
Et je jurerais que ces vaches-là passent plus de temps à manger de l'ensilage de mais et du tourteau de soja d'importation dans leur stabulation qu'à pâturer dans les alpages.
J'ai bon Docteur ?
Fourrure :
Oui, et non. Les prés ici sont bien verts au mois de mars, et si ces vaches étaient bien au régime ensilage et foin en hiver, elles étaient en pâtures tout l'été (printemps et automne aussi, d'ailleurs). Et pas de tourteaux, inutiles sur de tels animaux (gasconne, race rustique, et élevage extensif).
A vingt ans, je prenais la défense des agriculteurs français, pas question d'acheter une tomate d'Espagne ou une pomme hors saison.
Aujourd'hui, j'ai changé d'avis.
Il faut longer à pied chaque mois de l'année un champ cultivé pour comprendre la réalité de l'agriculture d'aujourd'hui.
Au mois de février, c'est un désert stérilisé. Pas un bout de quoique que ce soit n'a pu pousser depuis la récolte. Il y règne une odeur pestilentielle de désherbant. Il n'y a que de la terre et des cailloux. On se croyait sur la Lune. C'est sinistre. Au mois d'aout, ce sera probablement une culture de mais, irriguée à coup de centaines de m3 d'eau, pulvérisée de pesticides. Il n'y aura rien que du mais, pas trace d'un oiseau, d'un mulot, pas un insecte, rien. C'est vert, mais c'est mort. Du mais sur des cailloux. Et ça irrigue, à toutes heures, en plein cagnard, peu importe. Quand l'enrouleur automatique a fini d'enrouler, on le re-déroule, et c'est reparti ! La nappe phréatique est inépuisable.
Moi, c'est cela que je vois de l'agriculture chaque jour.
De la terre défoncée, des chemins que l'on rogne chaque année de 50 cm pour agrandir la zone de culture, des haies qu'on arrache. La seule chose qui survive au milieu de ça, ce sont les pylônes EDF qui viennent de la centrale nucléaire ! Ceux-là, le soc de la charrue les évite...
Il ne faut pas faire d'angélisme.
On parle bien d'une EXPLOITATION agricole.
Fourrure :
Cela fait partie des choses que j'apprécie dans ma région : ce genre d'agriculture ne fonctionne pas ici, pas plus que dans le massif central par exemple : les sols n'y sont pas adaptés. C'est aussi pour cela que tant d'exploitations ferment leurs portes : pas d'élevage rentable possible, maïs ou pas maïs.
Cela dit, en jetant la pierre (qui n'est pas injustifiée), et pour défendre ceux qui ne sont pas là, n'oubliez pas non plus que l'exploitant agricole ne s'amuse pas particulièrement à mettre en place des telles pratiques : comme je le disais plus haut, on ne nourrit plus sa famille qu'avec une cinquantaine de vaches, sinon plus. L'élevage coûte cher, très cher, sans parler du boulot à abattre, et le prix de la viande ou du lait font tout sauf augmenter.
Ici, j'ai un joli bocage, des haies, des bois, pas d'enrouleurs, ou très peu (mais quand même des pylônes, ça, ça pousse partout), des mulots, des rapaces en pagaille et même des papillons, mais bientôt plus de vaches, par contre...
Je peux être "vache" si vous voulez, pour compenser...
Bien que je préfèrerai vous faire tourner en "bourrique".
Ou bien devenir "chèvre"...
;-)
Fourrure :
S'il n'y a personne pour me contredire et me contrarier, c'est moins drôle.