Neige

On ne l'avait pas prévue. Ou en tout cas, pas à ce point. Elle a commencé à tomber ce matin, en un flot dru et continu. Il a fait très doux ces derniers jours, même dans ces reliquats de tempête du nord échoués dans notre sud-ouest, et tout le monde croyait qu'elle fondrait aussi vite qu'elle tomberait.

En fin de matinée, les toits blanchissaient.

A 14h, il y avait entre 5 et 10 centimètres sur la départementale en bas de la colline de mon village.

Féerie si classique et pourtant toujours aussi magique... la neige recouvrait déjà les arbres tombés pendant la tempête, il y a deux semaines, les piles de panneaux indicateurs au carrefour ou les bûches soigneusement rangées à côté des lignes rafistolées. A 14h30, je quittais la clinique : tous les rendez-vous de l'après-midi ont été annulés en quelques minutes, je n'ai pas de 4x4 et mes pneus sont aujourd'hui plus des pneus lisses que des pneus neiges.

J'habite tout en haut d'une colline, à dix kilomètres de la clinique. Sept kilomètres de départementale, pas encore dégagée mais assez large et plate, puis trois kilomètres de montée. Je sais que je n'arriverai pas au bout, pas en voiture en tout cas. S'il ne neige qu'à un seul endroit du canton, c'est chez moi. Alors aujourd'hui... !

Il y a un petit côté héroïque, à la fois ridicule et délicieux, dans ce genre de situation : dans le regard des mamies qui nous apportent un thé en cours de vêlage, tellement heureuses que nous ayons accepté de braver la neige quand elles-mêmes n'osent plus conduire lorsque tombe le soir... Ce ne sera pas pour moi cette fois-ci, je ne serais pas le héros de la nuit. Chacun son tour. Moi, je vais me contenter de mon fauteuil, d'un chocolat fait maison et peut-être de mon ordinateur, si les micro-coupures qui font sonner mon onduleur depuis quelques minutes n'annoncent pas une soirée bougies...

Sur la route, je n'ai croisé que des C15 et des tracteurs. Une Clio dans un fossé, avec un gros 4x4 paré à l'en extraire. Les éleveurs me font de grands signes de la main, ils ont l'habitude de me sortir de la cour de leur ferme lorsque je m'y noie avec mon petit utilitaire. Pas aujourd'hui, pas ce soir.

Je rentre chez moi, je ne serai pas de garde, je n'ai pas de gros cas lourd et complexe hospitalisé, pas de mourant en souffrances, les enfants sont en vacances et je croise leurs doudounes roses et violettes, tractant des luges vers les pentes de "ma" colline. Un faisan, débile et gracieux, traverse la route en quelques bonds devant ma voiture, qui n'arrivera pas à grimper le dernier kilomètre. J'enfile mes bottes, mais pas pour le fumier ou la bouse.

Il y a un petit parfum de joie tranquille dans ces flocons...

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