Bronx Attitude

Samedi, 16h

Il fait plutôt beau, moins froid que les jours précédent, il y a peu de rendez-vous. Plus qu'un sur le carnet, à 17h : "puce électronique chien". Sans doute un chiot-cadeau-de-Noël, ça va être sympathique. Je ne connais pas ce client, ce sera une bonne occasion.

Samedi, 16h50

La porte s'ouvre, un courant d'air, quelques feuilles mortes, une femme souriante, la quarantaine. Elle tient un magnifique pitbull de deux ans au plus au bout de sa laisse, un vrai tracteur impatient de renifler notre comptoir et, éventuellement, de lever la patte dessus. Non muselé, bien sûr. Je soupire.

"Bonjour madame
- Bonjour docteur ! Je vous amène ce chien pour un tatouage électronique."

Vu son âge, il serait temps. Je fais passer la dame devant moi dans la salle de consultation. Le chien semble très jeune dans sa tête, curieux, attentif et mal maîtrisé. Aucun danger en tout cas. Vu qu'il me précède d'un mètre, il est facile de voir qu'il n'est pas castré.

Je reboutonne ma blouse, j'attrape mon stéthoscope - donnons nous un air de docteur. "Alors, madame, parlez-moi de ce chien.
- Bon, il n'est pas à moi."
Ca commence mal.
"Ah bon ?
- Oui, c'est le chien du fils de mon compagnon. Il l'a eu quand il était chiot, mais depuis, il a trouvé un emploi en ville et n'a qu'un appartement, il cherche une maison. En théorie, je devais le garder 15 jours, mais ça fait trois mois. Alors il est bien gentil, mais je ne peux pas m'en occuper, je suis visiteuse médicale, il reste attaché parfois deux jours. Et le papy d'à côté en a peur depuis qu'il l'a bousculé en jouant. Je veux le mettre au chenil et envoyer la facture à mon beau-fils, histoire qu'il comprenne, mais au chenil ils veulent qu'il soit identifié et vacciné.
- Normal, de toute façon c'est obligatoire." Je reprends, l'air de rien, en caressant distraitement le cabot. "Il s'appelle ?
- Bronx.
- Il a un carnet ?
- Oui, mais c'est mon beau-fils qui l'a.
- Vous savez s'il a des papiers ?
- Le carnet, oui oui.
- Je pensais plutôt à un arbre généalogique, quelque chose comme ça, passons. Vous savez son vrai nom, je veux dire, a-t-il un nom plus compliqué que Bronx, genre "Bronx des vertes prairies de la vallée des colons" ?
- Je sais pas."
Évidemment, il n'en a pas. Si ce chien avait une affixe, s'il était inscrit au Livre des Origines Françaises, il serait également tatoué ou pucé. Je fais comme si de rien n'était, cette femme a l'air de bonne foi.
"Bon, lui mettre une puce et faire les papiers, ce n'est pas vraiment un problème."
En fait, si : cette femme n'est pas la propriétaire du chien, je ne sais rien d'elle, et elle n'a pas l'air de réaliser que c'est un type "American Staffordshire terrier", autrement dit un pittbull. Identifier un chien inconnu à un nom inconnu, c'est limite. Je lui ferais bien confiance, mais il va falloir la responsabiliser.
Allons-y franco.
"Vous savez que ce chien est un pittbull ?"
Je guette ses réactions. Elle n'a pas l'air plus surprise que ça, mais un peu hésitante. Elle ne dit rien, je poursuis.
"La loi de 1999 définit des races de chiens dits "dangereux", d'après des critères physiques. Ils correspondent exactement à Bronx. En soit, ça ne change rien pour le chien, mais ça change beaucoup de choses pour moi, et pour vous et votre beau-fils. J'ai besoin de savoir, pour lui faire sa carte d'identification, s'il a un arbre généalogique ou pas, ce qu'on appelle un LOF. Votre beau-fils le saura forcément. C'est important pour la gestion légale du chien."
La dame est attentive : "et alors, je fais quoi ? J'aurais son maître au téléphone demain, je pourrais lui demander tout ça. Le chenil, ça peut attendre un jour de plus, s'il faut.
- Ce serait mieux, oui."
Je voudrais surtout que cette femme tire les choses au clair avec le véritable propriétaire du chien. Qu'il réfléchisse à tout ça. Je lui donne rendez-vous pour lundi, je lui conseille de contacter son assureur, pour la responsabilité civile. La dame n'a pas l'air d'être affolée à l'idée que Bronx est un pitbull. Elle connaît le chien, elle l'apprécie même s'il l'encombre.

Lundi, 10h

La porte s'ouvre. Ce matin, il fait très froid, mais ça n'a pas l'air de gêner Bronx qui voudrait bien renifler les sacs de croquettes. Et lever la patte dessus ?
Je fais entrer la dame, détendue, dans la salle de consultation. Mon confrère lève des yeux interrogateurs en voyant un pittbull non muselé, je lui fais un petit signe, tout va bien. L'air de rien, je caresse le chien, il se met sur le dos, histoire de se faire gratouiller le ventre. Pas de tatouage sur les cuisses. Il n'en a pas non plus dans les oreilles. Pas de problème.
"Alors, vous avez pu discuter avec votre beau-fils ?
- Juste quelques minutes, et je lui ai envoyé la facture du chenil, histoire qu'il comprenne. J'aurais le carnet demain. Il m'a dit qu'il fallait aussi faire le rappel de vaccins, et que Bronx était un Bull terrier.
- Mais il n'a pas de papiers qui disent que Bronx est un Bull terrier ?
- Juste le carnet."
S'en suit une explication sur la définition "légale" d'une race de chien. Bronx a beau avoir la tête d'un Amstaff, ou d'un Bull si ça fait plaisir à la dame, il n'en est pas "officiellement" un. Même s'il en est un, et ses parents aussi. Ca ne change rien pour le chien, mais ça change tout au regard de la loi.
"Bronx est, d'un point de vue légal, un chien de première catégorie, un chien dit "d'attaque"."
J'insiste sur les guillemets.
"Un pittbull, quoi. Ca veut dire qu'il y a un certains nombre de règles à respecter : l'identifier, le vacciner contre la rage, l'assurer, et le déclarer en mairie. Et puis le castrer, aussi." Là, en général, les gens tiquent. La dame m'écoute attentivement, et, apparemment, se fiche des roubignolles de Bronx. Tant mieux. Elle a l'air de réfléchir. J'insiste :
"La loi est très stricte pour ces chiens, et si jamais il arrivait un accident, avec votre voisin par exemple, vous pourriez avoir beaucoup d'ennuis. Je parle de très lourdes amendes, de prison.
- A ce point ?
- Ouip, la loi n'est pas tendre avec les chiens qui ont une tête pas conforme, et encore moins avec leur maître.
- Vous pourriez expliquer tout ça directement à mon beau-fils ?"
Le piège classique. Elle se rend compte qu'il a mis les doigts dans un engrenage sans rien demander, et que ça peut lui retomber sur le nez. Tant mieux. Elle veut responsabiliser le maître du chien. Bonne idée. Mais ça va être pour ma pomme.
"Il a quel âge, votre beau-fils ?
- 24 ans."
On devrait pouvoir discuter, je compose le numéro. Il va falloir être concis, clair mais pas trop autoritaire, je dois incarner le professionnel-qui-vous-veut-du-bien. Ne pas tout rejeter tout sur le dos de cette loi stupide, à 24 ans il pourrait vouloir l'ignorer si je lui sers cette excuse.
"Bonjour, c'est le cabinet vétérinaire. Dr Fourrure au téléphone, je vous appelle au sujet de Bronx. Bon, c'est votre belle-mère qui m'a demandé de vous appeler pour vous expliquer un peu la situation.
- Ah euuhhh..."
Hésitation. Il n'a pas l'air surpris que le chien soit chez moi, plus que je l'appelle. C'est bon. J'enchaîne.
"Parce que d'après la loi, votre chien est un pittbull ! Vous le saviez sans doute ?
- Mais non ! Quand je l'ai acheté, on m'a dit que c'était un Bull terrier !
- Et on ne vous a pas menti, mais en jouant sur les mots : si votre chien n'a pas de papiers prouvant qu'il est un Bull terrier, un arbre généalogique officiel, alors la loi ne le considère pas comme un Bull terrier, mais comme un chien de première catégorie. Pour le dire vite : un pittbull. Ca ne change rien à la gentillesse du chien, comprenez-moi bien : je ne dis pas que votre chien est dangereux. C'est la loi qui dit qu'il faut s'en méfier, et, qu'on approuve ou pas, il va falloir s'y plier. Je vais donc l'identifier, le vacciner contre la rage, et votre belle-mère a pris rendez-vous chez son assureur.
- D'accord, d'accord, pas de problème.
- Il faudra aussi le déclarer à la mairie. Et le castrer." Je me prépare au refus, il a 24 le gars, pas l'âge où l'on aime entendre parler de castration.
Ca ne loupe pas : "Le castrer ?
- Oui, la loi ne veut pas que ces chiens puissent se reproduire. C'est comme ça. On en discutera à tête reposée si vous voulez, mais il faudra y penser rapidement.
- Mais le pauvre !
- Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas si grave que ça, encore une fois, nous en reparlerons." Repousser le problème, lui lancer l'idée, qu'il la soupèse et l'examine, ce n'est pas le moment de prendre une décision, même s'il n'a pas le choix.
Fin de la discussion sur quelques formules de politesse. Le gars a l'air sympathique, j'ai confiance, je vais faire l'identification. D'autant que je me suis renseigné, ce week-end : la famille est connue, on m'a confirmé l'essentiel.
Je redeviens le docteur, j'examine le chien, je le vaccine, je le puce. Il est foufou, mais adorable. A cadrer.
"Vous faites la facture à son nom, hein.
- Pas de problème."

La discussion continue ailleurs

1. Le jeudi 10 janvier 2008, 23:16 par Tarn-Et-Garonne, Photo Rando...

Un petit garçon tué par un chien

Quand j'entends cette nouvelle je ne peux m'empêcher de penser au petit garçon[1] que j'ai souvent à la maison bon c'est sur il n'a plus 2 ans puisque demain il fêtera ses 9 ans. A coté de chez lui vit une famille détentrice d'un Rottweiller je

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