Jour vingt-quatre. Motif : Asticots.
vendredi 15 juillet 2016, 11:00 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Jour vingt-quatre.
Motif : Asticots.
Le motif de consultation préféré de tous les vétérinaires : la verminière. Cette fois-ci, sur un colley. Un vieux colley. Un très vieux colley.
Ses propriétaires se dandinent devant moi, dans la clinique vidée de toute activité : il est 21h, c'est ma première urgence de la soirée, et, je l'espère, la dernière. Je n'ai même pas envie de parler. J'ai enfilé des gants, ouvert la fenêtre, et je ne respire plus que par la bouche.
Mon silence est sans doute pour beaucoup dans leur inconfort. J'imagine qu'ils se demandent ce que j'en pense. Ce que je pense d'eux. Ils viennent juste d'arriver dans un gîte des environs, des vacanciers qui ont eu le bon goût de ne pas laisser leur vieux derrière eux, mais qui l'ont clairement négligé. J'ai autre chose à faire que les accuser.
Je tonds avec application. Sur la table de consultation montée au maximum, le chien est couché, il ne sait de toute façon plus vraiment se lever. Arthrose, déficit neuro, incontinence, un sous-poil et un poil terriblement denses, il pue l'urine à en suffoquer. Sous les bourres, avec la chaleur, la peau et l'urine ont macéré. Les mouches ont pondu, et je soulève la queue. Je tonds le poil en dessous, autour de l'anus qui bée tandis que s'en échappent les asticots. Je continue sur le périnée, tranche la vermine avec le peigne de la tondeuse, il y en a de toute les tailles, de tous les âges, ils grouillent, ils roulent, ils s'échappent. Je bascule le chien sur le côté, je tonds entre les cuisses, je me dirige vers la verge, je parie qu'il y en aura aussi dans le fourreau.
Les vacanciers se dandinent. Ils sont horrifiés, ils sont fascinés. Leur adolescente de fille hésite entre le rire incrédule, l’écœurement et les larmes. Je lui explique. Que oui, c'est dégueulasse. Que la peau a pourri avec le sous-poil et l'urine, qu'il faut que tout ça respire, que comme il ne se lève pas, parce qu'il est vieux, et un peu paralysé, il faut le tondre, le laver, le savonner, le rincer, le sécher. Que personne n'a envie de rester dans ses excréments. Qu'il n'a pas vraiment mal, même s'il se dandine sous mes coups de tondeuse. Ça doit sévèrement gratter. Je tonds et tranche, les asticots tombent, grouillent et s'échappent, j'écarte deux bourres de poils et ils éclosent comme une fleur de charogne, il y en a sur la table, il y en a par terre. Je la rassure : non, il ne va pas mourir. Oui, il va guérir, même s'il y a des plaies, même si elles sont infectées. Les asticots n'ont mangé que les tissus nécrosés, ils ont irrité, mais ils ne vont pas le bouffer.
- Les petites bêtes ne mangent pas les grosses, pas la peine de t'écarter en sautant parce qu'il s'avance vers toi, celui-là.
Je repose la patte. Je change le peigne de la tondeuse, je soupire. Les lombes, maintenant. J'écarte les poils, j'attaque à la base, lentement, en tournant autour des bourres les plus tendues. Ils sont toujours là, partout, jeunes et maigres, ou gros et gras.
- Haha, on pourrait partir à la pêche, ose le papa vacancier.
Sa plaisanterie tombe à plat dans un silence gêné. Le halètement du chien, la tondeuse. Il n'y a rien d'autre à ajouter. Je tonds et tourne, je finis de lui nettoyer tout le train arrière, jusqu'à, enfin, arriver dans le poil sain.
- Le reste, c'est pour le toiletteur, ce ne sera pas du luxe. Moi j'arrête là pour ce soir.
Je prends la brosse douce, la vétédine savon, de l'eau tiède, et je frotte, je masse, je gratte. Je décroche les asticots, entiers ou tranchés, la peau est piquetée de milliers de petits points rouges, je décroche les œufs. Le chien se tord et se dandine, halète et me regarde, avec la patience de ces chiens qui crèveraient pour nous - et en silence, pour ne pas déranger. Il a de la fièvre, et les asticots sortent encore de l'anus lorsque je retire le thermomètre. Tant pis. Il les déféquera demain. Des antibiotiques, pour la pyodermite. De la cortisone, pour la douleur et les démangeaisons. De la pommade grasse, surtout, pour apaiser.
Il me reste le fourreau à nettoyer. Alors que je lui extériorise la verge, les asticots roulent et tombent. Il résiste, planque son pénis. J'insiste, il cède et je nettoie à l'éponge douce. Vétédine savon, encore, rinçage, pommade. Il ne résiste plus et se laisse soigner.
Des conseils, beaucoup de conseils. Quoi surveiller, comment gérer. Tout ce qui peut se compliquer. Mais je ne suis pas très inquiet, tout ça devrait bien se passer. Par contre, il y a certainement des choses à améliorer, ce chien doit être aidé et accompagné.
Dans le silence de la tonte et du nettoyage, je me suis demandé si je devais les engueuler ou les culpabiliser. En parlant à leur fille, j'ai pu esquiver, ou plutôt, j'ai pu expliqué comment gérer, sur le ton des généralités que tout un chacun connaît. J'ai pu leur faire réaliser. La négligence n'est que rarement de la malveillance… Et je crois pouvoir compter sur leur bonne volonté.
Commentaires
Quelle horreur...
La première fois que j'ai été confrontée à une plaie avec asticots, j'avais 16 ans, canicule de 2003, on fait la tournée des pâtures avec la tonne à eau tous les jours avec le voisin d'une soixantaine d'années...
Coup de bol, celle où on arrive a un râtelier à cornadis au milieu, des génisses de deux ans environ, des montbéliardes.
Et y'en a une qui avait une plaie au chignon, on surveillait, mais les mouches avaient pondu quand même.
Du coup on a tout tondu, paré, nettoyé, à l'eau oxygénée, vétédine, etc.
C'était dégueulasse...
La fois suivante, c'était l'été dernier, mon bouc motte qui s'est écorché la calotte cranienne en se battant contre le mur comme un crétin.
Je surveille deux fois par jour, l'odeur, la consistance, dès que ça fait un peu de pus j'arrache la croûte... Il y a quand même eu deux ou trois asticots. Je les ai dégommés à l'eau oxygénée et à la bétadine, et finalement mon Lazare a eu un casque argenté pendant quelques jours, avec l'aluspray.
La nature c'est super, mais des fois c'est immonde...
Je n'en crois pas mes yeux de vous lire.
histoire très paradoxale, comment peut-on d'un côté tenir suffisamment à son vieux chien pour l'emmener avec soi en vacances et ne pas s'en débarrasser malgré son incontinence et sa paralysie, et de l'autre le laisser macérer dans ses déjections et envahir par les asticots alors qu'un minimum d'entretien permettrait de l'éviter. étonnant.
Histoire réellement surprenante
Bjr..
Encore une fois, une fois de plus, je reste pantoise devant la connerie humaine..De la négligence!!..??.Un chien pas même lavé, qui perd sa mobilité...Non, de la maltraitance...Et vu le discours du père, oui, au final, j'admets qu'on peut sûrement rire de tout, mais pas avec tout le monde...Là, moi si caustique en général, ça m'afflige..Et, pour avoir gardé mon chien paralysé, sans avoir tout réussi, mon ressenti à la lecture de cette chronique c'est ...du chagrin, de la désolation...Pauvre chien, il est mal barré...Tenir son animal propre n'est pas une question de moyens, juste de jugeotte..Et surtout d'amour...
Le chien vous doit une fière chandelle et chapeau pour le nettoyage et avoir pu garder
votre calme et maitrise de soi
devant un tableau aussi apocalyptique !Pauvre chien,
qu'est-ce qu'il a du souffrir !
Pauvre vieux! Des asticots, j'aurais jamais cru qu'on pouvait en arriver là...
Fourrure :
C'est intéressant, de lire vos réactions. Je suis d'abord surpris que vous soyez surpris. Et, concernant la colère : je n'ai pas été en colère un seul instant pendant ces soins (il faut dire qu'il est quand même très compliqué de me mettre en colère).
Non, j'étais concentré sur les soins à apporter à ce chien, sur ce que je pouvais faire moi bien entendu, mais surtout comment gérer la suite au mieux. Comment faire pour qu'ils arrivent à bien s'en occuper.
Je pense que vous ne réalisez pas à quel point la souffrance animale est fréquente, surtout parce qu'elle n'est pas comprise (ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas importante, bien au contraire !). Bien sûr il y a des gens qui maltraitent leurs animaux, mais ce n'est pas le problème principal. Ce qui m'intéresse, c'est d'alerter, expliquer, décortiquer. Juger et engueuler, je ne vois pas en quoi ça rendrait service, à l'animal notamment. D'autant que j'ai la conviction que ce genre de chose pourrait arriver à n'importe qui. Bien sûr, là, c'est spectaculaire. Mais combien de chiens se traînent une arthrose douloureuse qui passe complètement inaperçue auprès de leurs maîtres ?
Je ne dis pas qu'on s'habitue à la souffrance au point de ne plus en tenir compte (pour ça je me méfierais bien plus des vétos, membres d'assos de protection, éleveurs etc que de particuliers), je dis qu'on ne la comprend pas. Qu'on ne la dépiste pas.
Et qu'un chien peut se retrouver couvert d'asticots bien plus vite que vous ne l'imaginez sans doute.
Ça donne matière à reflexion en effet. Je réalise du coup qu'il y a sans aucun doute bien plus de maltraitance due à une simple négligence, a une méconnaissance aussi et contre celle là comment se battre puisqu'elle n'a rien d'évident. Je vous rejoint dans le fait que de se mettre en colère ne changera rien bien au contraire.
L'arthrose chez son chien devient encore plus compliqué quand la puce l'a depuis des années legerement et que l'aggravation ne se remarque point. Il faut aussi compter avec l'aspect que son chien tente de cacher sa souffrance. Ensuite, il faut trouver ce que soulage son animal le mieux/plus sans provouqer d'autres souffrances (les effects secondaires peuvent être source de mal-être, de douleur gigestives). Alors où commence la maltraitance, la néglience?! Je craisn que parfois la ligne est grise.
Bonne soirée
.... Pffffiou.....
Juste pffffffiou.....
Sans voix, quoi........
Attention monsieur Fourrure, je suis en manque de vos récits! Il est tellement agréable de vous lire (même quand vous parlez d'asticots!), qui plus est un gros matou sur les genoux!
Ce que j'apprends tous les jours avec mes chats qui prennent d l'âge c'est que leur observation est primordiale. Dès qu'une problématique apparaît le comportement de l'animal change. Je me retrouve parfois chez le véto sans pouvoir exactement expliquer ce qui ce passe, mais lui, ou plutôt elle, à chaque trouve la problématique....
Encore une histoire très touchante,j'ai beaucoup de peine pour ce chien..... Je me pose quand même la question, comment on ne peut être dérangé par un chien qui sent les excréments et qui y baigne dedans, c'est juste pas possible....
Bonjour,
vous êtes un bon véto parce que tous les vétos que j'ai connu il l'aurait euthanasié. J'ai moi même refusé de l'euthanasier, et je l'ai soigné. Mais 99% des gens se fient au véto et les font piquer. Beurk