Jour dix. Motif : accident
vendredi 1 juillet 2016, 11:00 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Jour dix
Motif : accident.
C'est. D'une. Brutalité. Sans. Nom.
Ils ont appelé vers 19h30. Ils avaient quinze minutes de route. J'avais donc dix minutes pour me préparer : allumer la radio, monter une perfusion, sortir le cathéter, chauffer une cage, attraper les antalgiques.
- Nous avons écrasé notre chien. Les deux pattes arrières, elle sont cassées.
Je n'ai même pas discuté. Pour quoi faire ? Venez, tout de suite, j'y serai avant vous.
Je ne suis de garde que depuis une demi-heure. Le temps d'achever mes préparatifs, ils sont entrés, avec un minuscule panier contenant un minuscule chien emballé dans une couverture. Seule sa tête dépassait. Un petit bout de museau de pinscher en état de choc. Shiff Sherrington. Trauma médullaire. Il n'a pas mal. Enfin si. Mais… il n'est pas vraiment conscient. Je le soulève, il tourne à peine la tête. Réflexe proprioceptif ou … ? Ses pattes arrières pendent, fracassées. Je ne sais pas comment il est encore en vie. Je regarde le monsieur. La dame sort en pleurant. Il n'y a pas vraiment besoin de mot, mais il faut les dire. Je ne peux rien pour lui.
Je ne peux rien pour lui
- Je le sais. Je suis venu pour…
Pour que je lui fasse sans attendre une injection d'anesthésiques. En intra-musculaire, pour commencer. En une minute ou deux, la tétanie s'efface, son cou retourné se détend. Il dort tandis que je lui tonds la patte et pose mon cathéter. Un dérisoire bout de plastique jaune pour une minuscule veine de chien en hypotension. Je scotche. J'injecte, des anesthésiques encore, à doses massives. Le sommeil s'approfondit, et j'injecte l'euthanasique.
Son maître n'est pas resté silencieux. Moi non plus, d'ailleurs, j'ai stimulé sa parole. Il y a des silences qui doivent être occupés. Il m'a expliqué l'accident, le truc idiot, le chien sourd, et aveugle, ils y faisaient attention, toujours. Ils savaient que ça pouvait arriver. La culpabilité sera très dure à effacer. Je le dis, je l'appuie, c'est une évidence, c'est normal. Ça arrive, ça arrivera toujours, et on ne peut pas ne pas culpabiliser. J'évite les « c'est un très bel âge » ou les « il a été heureux ». Ce monsieur n'a pas besoin de formules creuses. Il vit depuis plus de seize ans avec ce chien. Et il finit comme ça, entre mes mains. J'explique l'état de choc, la perte de conscience qui préserve l'organisme. Oui, il a souffert. Mais pas autant qu'il peut l'imaginer. Il s'est lui-même débranché. Et maintenant, c'est terminé.
Commentaires
C'est bien triste parfois le quotidien d'un vétérinaire...
J'imagine la culpabilité (et la douleur) que les propriétaires doivent ressentir mais si cela m'arrivait un jour, alors je crois que je voudrais que mon véto aie les mêmes gestes et paroles que vous ! Ni plus, ni moins, juste la bonne dose d'humanité.
Tellement triste :(
J'ai des copains de promo comme ça qui ont roulé sur leur Jack Russel... le véto qui écrase son propre chien, c'est encore pire je crois...
Je ne suis pas vétérinaire donc je ne comprends pas très bien ce qu'il s'est passé :-(. Si la lésion est basse, il n'aurait pas été possible de remplir pour rétablir la tension et de laisser vivre un chien devenu paraplégique ou amputé des membres inférieurs ? Après je suppose que le fait qu'il était déjà aveugle et sourd a dû jouer dans la décision :-/.
Non. Le fait qu'il soit aveugle et sourd n'a pas joué dans la décision. Parce qu'en fait nous n'avons pas pris de décision. Nous avons simplement tiré les conclusions de l'état du chien. Deux membres fracassés (fracassés : irréparables), une colonne vertébrale brisée (et personne n'a parlé d'atteinte basse, malheureusement : il y avait un trauma médullaire au moins au niveau des omoplates). Sans même parler de tout le reste, que je n'ai pas cherché (état du diaphragme, des poumons, du foie, des reins, de la rate, de la paroi abdominale...).
En fait, je ne sais pas vraiment comment cet animal était encore en vie, mais je suis heureux que sa colonne ait été endommagée au niveau thoracique, coupant la sensibilité, au moins partiellement, sous ce segment.
@Assam, vous pensez vraiment que c'est une possibilité acceptable ?
Que c'est une vie pour un animal, sourd, aveugle, et en plus qui se traine sur les pattes avant ?
Sans compter qu'à 16 ans, pas sûr que son organisme soit à même de gérer une cicatrisation pareille...
On milite contre l'acharnement thérapeutique pour les humains, mais les animaux c'est pareil, ce sont des êtres vivants, pas des peluches...
Merci Fourrure pour votre réponse. Je comprends mieux. Je m'étais mal figuré son état :-/.
La Vachère : Justement, si un être humain sourd et aveugle venait a subir un accident le rendant paraplégique, on ferait tout pour le maintenir en vie puis pour lui assurer la meilleure autonomie possible. Cette personne pourrait alors continuer à vivre longtemps, ce ne serait donc pas de l'acharnement thérapeutique.
Et je suis navrée, mais ce n'est pas parce que vous avez 90 ans qu'on ne va pas tenter de vous réanimer si vous faites un infarctus du myocarde isolé. Ca ne serait pas non plus de l'acharnement thérapeutique.
C'est arrivé à la maison avec le chat, il dormait sous la voiture.....mon mari s'est mis en quatre pour me trouver le même. On a du faire 500 bornes pour un chat qu'on nous a vendu sur un parking de grande surface pcq sa proprio se faisait de l'argent croisant des des siamois avec du rien (le bon c*oin antre du trafic en tout genre).
Votre série " un jour une consultation" : j'adore. Un grand merci !
Bjr.
Ce genre d" accident n'est pas rare.En fait, c'est très bizarre, on peut aimer son animal quasiment comme un fou, veiller sur une tonne de détails, et commettre des faux-pas qui sont incompréhensibles, d'où la culpabilité liée justement à cet amour là. Alors, on ne se sent pas digne de cet animal...On se sent assassin. De toute évidence le chien qui tient son maître pour son Dieu n'est pas garanti de tout. Parfois l'humain passe à côtés de choses basiques mais à conséquences fatales. Ce phénomène là m'interroge beaucoup. C'est alors que oui, parfois, dans le meilleur des cas, le véto réparera autant le maître que le chien s'il y a sauvetage.
Acharnement thérapeutique. Les deux camps se retrouvent aussi dans
le domaine concernant les animaux. Oui, c'est dur d'arrêter la vie mais
être un humain, c'est aussi oser
faire des choix et les assumer,
en prenant parfois le risque de se
tromper. Même quand c'est un récit
avec une fin triste, il est réconfortant de savoir qu'il y a partout des gens courageux qui
assument et, en plus, réconfortent
les proches.
Juste un mot pour vous dire à quel point je me régale de vos billets. J'ai acheté et dévoré votre livre, l'ai offert à une jeune AVS de ma connaissance qui l'aime aussi et va découvrir votre blog.
Surtout, continuez, vous écrivez si bien les joies et les doutes de tous les jours !
J'ai écrasé mon labrit il y a maintenant 16 ans, sous les yeux de mes enfants entre 2 et 8 ans...c'est juste horrible de vivre avec ça, je m'en veux tellement, depuis si longtemps. Je ne méritais plus de chien ! Et puis 5 ans après, j'ai fini par me pardonner, et je me suis autorisée à en reprendre.Ils sont 3 maintenant, et on s'est arrangé pour que ça ne puisse plus arriver, jamais.
J'aurai aimé avoir un Dr fourrure ce jour là, mon vétérinaire, appelé juste avant midi, m'a dit de venir à 14h...mais c'était trop tard, j'ai regardé mon chien agoniser. Pardon Gribouille...