Jour un. Motif : problème pour respirer
mercredi 22 juin 2016, 11:00 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Jour un
Motif : problème pour respirer
C'est un chien. Un chien pas tout jeune, le genre rata-border colley qui abonde dans ces campagnes. Une petite quinzaine de kilos, un caractère de chiotte, aussi teigneux et tenace qu'un fox terrier mal luné. Du style à bouffer la taupinière avec la taupe, si ça gratte sous l'herbe du jardin. Extra pour creuser des tranchées.
Du genre à bouffer un crapaud, tiens.
Il n'a pas « juste » un problème pour respirer. Il est à moitié dans le coaltar, il tient à peine assis, ses troisièmes paupières lui couvrent presque les yeux. Il s'affaisse. Je le soutiens pour qu'il ne tombe pas de la table. Les poils de son poitrail sont couverts de salive. Beaucoup de salive.
- Il a vomi, plusieurs fois ce matin, et depuis, il respire bizarrement, il est tout mou, on ne le reconnaît pas.
Il est en train de plonger, oui.
Il est en train de plonger et j'ai l'impression de revivre la mort d'un chien samedi dernier. Un putain de crapaud.
- Il a bavé beaucoup, longtemps ?
- Oui, mais c'est passé, après et pendant qu'il vomissait.
Je vérifie la gueule. Aucun signe d'inflammation. Vomissements, hypersalivation, troubles digestifs et neurologiques. J'écoute le cœur. Stable. Pas de fièvre. Je connais le chien, je connais ses maîtres, je sais ce qu'ils vont me répondre.
- Il y a des crapauds dans le jardin ? Il a pu sortir, manger un truc toxique ?
- Oui. Non.
Oui. Non. Je vais vérifier l'abdomen, au cas où, mais je n'y crois pas. C'est une de ces foutues intoxication au crapaud, cet ahuri en a forcément mâchonné un. De toute façon, ce sont toujours ces teignes qui attaquent tout ce qui passe dans le terrain, et les chiots qui veulent jouer, qui subissent ce genre d'intoxication. Toxicité digestive, nerveuse, cardiaque. Et la mort. Pas d'antidote, juste des palliatifs à certains symptômes. Ces bestioles ont sur le dessus du corps des vésicules - c'est à dire des poches - remplies de poison. Ils sont incapables de vous le balancer à la figure, de vous l'injecter, leur peau n'est pas toxique. Il faut crever ces vésicules pour que le poison soit répandu, le danger majeur étant pour les muqueuses. On peut toucher un crapaud, ou même l'embrasser, mais il ne faut pas le mâchouiller.
Alors je prends le chien dans les bras jusqu'à la baignoire, et je lui rince la gueule avec la douche. Rincer, rincer, rincer, c'est trop tard, mais rincer. Il boit en passant, et vomit aussitôt.
Je lui pose une perfusion, et j'explique. J'ai une quasi-certitude pour le diagnostic. Il n'y a pas vraiment de traitement. Le pronostic est très réservé : pour les chiens de moins de 10kg, aucune chance de s'en sortir. Pour ceux de plus de 20, presque aucun risque. Et pour ses 15kg ? Pour ses troubles digestifs et neuros sans atteinte cardiaque (pour le moment) ?
Pile ou face. Mon boulot va être d'essayer d'orienter le résultat.
Essayer de comprendre, dans l'après-midi, si ses brusques accélérations de rythme cardiaque sont dues à la douleur ou au poison, s'il est pertinent d'injecter plutôt du diltiazem ou de la morphine, si je dois me méfier et sortir l'atropinique ? Poser mon stéthoscope, compter. Le rassurer quand il hallucine. Le caresser. L'accompagner.
Et espérer.
Nuit une
Il est minuit. Je me suis extirpé de mon lit pour aller réécouter le cœur du rata-border colley.
Sauf qu'il n'y a plus rien à écouter.
J'en ai marre.
Commentaires
Ce sont des situations difficiles et parfois décourageantes, mais il faut te dire que tu as fait ton maximum pour l'aider. Malheureusement on ne peut pas tous les sauver lorsque le pronostic vital est trop engagé…
Pense à tous ceux que ta as sauvé déjà, ceux que tu sauveras encore. C'est un métier magnifique, et dur.
Courage à toi
Juste le regarder mourir, c'est tout le contraire de ton boulot. Ca doit être frustrant et triste.
j'ai appris quelque chose avec cet article ! c'est très triste !!! votre métier et magnifique mais comme cela doit être difficile souvent !
Merde...Il hallucinait, c'est horrible..Quelle triste fin..
Il y a longtemps que je me demande comment se passent les surveillances de nuit dans les cabinets, les cliniques?? Comment fait-on pour gérer les perfs, les agitations , tout ça?? Comment peut faire un véto tout seul??Et dans un groupement?? J'ai toujours eu des doutes (pardonnez-moi) sur le suivi..
Fourrure :
En général, il n'y a personne la nuit. Car en général, il n'y a besoin de personne, la nuit. Dans les très grosses structures, un vétérinaire ou au moins une ASV. De plus en plus, des webcams. Qui objectivement, ne servent à rien ou presque, à part rassurer le propriétaire.
Et puis dans de rares cas, on revient, plus ou moins souvent. Il m'arrive d'amener un animal à la maison, parfois. Cela reste très rare.
Ah, zut. J'y ai crû jusqu'au bout. C'est triste. Pensées pour ses maîtres et courage à vous.
C'est triste et frustrant à la fois de faire face à ce genre de chose. Faut dire que votre métier n'est pas du tout facile. Mais on a besoin de vous, surtout dans ce genre de cas. Vous êtes notre seul espoir.
Merci de nous faire partager un peu de votre métier, de nous le rendre plus réel, nous qui n'avons qu'une vision tronquée de votre profession.
Merci pour vos mots, votre blog, merci d'avoir le courage et la volonté d'essayer.
Je vous lis régulièrement "en sous-marin"... Hé bien voilà quelque chose que j'ignorais totalement... Je n'imaginais pas la toxicité des crapauds à ce point-là...
Darwin effect : «machouiller autrui est mauvais pour la santé»…