Auxiliaire
dimanche 8 mai 2011, 21:29 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Il est... quoi, 6h30, 7h00 du mat' ?
Je poireaute depuis dix minutes avec deux grands gaillards silencieux sur un parking désert. Il fait froid, il y a un vent pas possible. Heureusement, il ne pleut pas. Au plus froid de l'hiver, ce n'est pas à un temps à mettre un véto dehors. Ou un gendarme. Nous nous sommes dit bonjour, guère plus. Nous attendons l'autre voiture, celle de l'OPJ.
J'ai été réquisitionné, pour conclure une enquête concernant un chat. Volé, je suppose. Je n'en sais guère plus. Je me les gèle, mais je suis particulièrement excité : je n'ai jamais fait ce genre de truc, moi. Alors, je me demande si je serai à la hauteur. Si ça va être compliqué. Je ne suis pas très inquiet, plutôt curieux, et intrigué. Et puis, ça fera un excellent sujet de billet pour le blog, non ? Même si je pressens que l'aventure pourrait être amère. Bref, je cogite et... je suis impatient que tout cela soit terminé.
Les deux gendarmes fument une cigarette en discutant à voix basse. Je ne saisis pas un mot de leur conversation. Pour eux, il doit s'agir d'une banale routine. La Kangoo de l'OPJ arrive. Il salue ses collègues, s'avance vers moi, avec mon bonnet vissé sur le crâne.
- Vous êtes le vétérinaire ?
Une évidence, avec ma voiture garée derrière moi, le caducée bien visible sur le pare-brise. Je hoche la tête.
- Bon, c'est une affaire de vol de chat. Une chatte de six ans, de race heu... sphynx. On croit savoir où elle se trouve, mais il faudrait contrôler qu'elle a bien une puce électronique, dont j'ai le numéro ici.
Il tapote la poche de sa veste marine.
- La chatte est stérilisée, si la puce n'y est plus, il faudrait vérifier, par échographie si nécessaire, si elle a été opérée. Ah, et il lui manque deux dents du haut.
Bon. Sur une sphynx, il devrait être facile de voir qu'elle a été opérée - ce sont des chats nus. Pas besoin d'écho a priori.
- Bon, je dois vous faire signer un papier.
Je le lis en diagonale. Rien d'extraordinaire. Ne pas communiquer sur l'affaire tant qu'elle n'est pas achevée. Je vous rassure. Elle l'est, depuis longtemps maintenant. Ah, et on m'a indiqué d'apporter un RIB. On verra ça tout à l'heure. les gendarmes se retrouvent, discutent. Apparemment, l'OPJ se renseigne sur l'organisation de la maison, du quartier, sur le suspect. Il n'est pas du coin, manifestement. Je suis remonté dans ma voiture, attendant le départ. Les gendarmes s'équipent de gilets pare-balles, discutent déroulement de la perquisition. L'officier veut du calme et du silence.
Nous roulons quelques kilomètres, pour atteindre une petite ville où l'on me fait signe de me garer, loin derrière les deux véhicules de la gendarmerie. Je dois attendre dans ma voiture, mon lecteur de puce sur les genoux, avec un bloc-note pour noter le numéro de puce. Eux se déploient sur l'arrière de la maison, bloquant les sorties du jardin. Ils sautillent sur place pour se réchauffer. Un des gendarmes sonne, puis tambourine à la porte. Deux, trois minutes passent. De là où je suis, je ne vois rien, mais il y a maintenant de la lumière, jaune et sale, qui éclaire le carré de trottoir devant la maison. Le vent balaie les quelques feuilles mortes qui restent accrochées aux arbres. Le quartier fait le mort, il n'est pas encore l'heure où les gens se lèvent. Je me sens froid, et liquide, avec, désormais, le moral du genre fluide visqueux qui a du mal à s'écouler. Je ne suis plus du tout excité, cette aventure est sinistre.
Un gendarme se recule de la façade et me fait signe de venir. Je me lève, ferme ma porte, et m'avance vers la maison. J'aurais juré que des rideaux se seraient entrouverts un peu partout, mais pas du tout. Si des gens observent, ils sont très discrets. Je me glisse entre deux gendarmes dans le hall d'entrée de la maison, le lecteur de puce glissé dans une cage de transport pour chat. A droite, un escalier. Face à moi, le séjour, où deux gendarmes discutent avec un type et une femme en robe de chambre. Lui ne dit rien. Elle tempête et fait valoir ses droits, veut savoir pourquoi ils sont là. Eux sont très calmes, silencieux. Un seul parle. Il finit d'expliquer à l'homme qu'il doit recopier un papier. Lui demande une pièce d'identité, un permis de conduire. Pendant ce temps, les autres patientent, observent autour d'eux. Voient la même chose que moi. L'écran plat modèle XXL, la Hi-Fi, l'ordinateur de film de science-fiction. Personne ne peut s'empêcher de se dire que pour un couple au chômage, cela fait beaucoup. Moi, je reste dans l'ombre. Je ne veux plus être là. Seul le chien offre une gaieté incongrue dans cette scène sombre et maussade, où les exclamations de la femme en robe de chambre semblent une simple ponctuation du silence ambiant. Il va de gendarme en gendarme, remue la queue, va chercher une balle, puis finit par se coucher avec un grand soupir joyeux.
Lui a fini. A signé. L'OPJ prend la parole, il n'a qu'une question : "est-ce que vous avez un chat ?".
- Un chat ? Vous êtes venus aussi nombreux pour un chat ?
Elle toujours. Lui, il reste assis, il regarde le sol. Elle, elle s'indigne. Elle a deux enfants qui dorment, qui doivent aller à l'école, et on les dérange pour un chat ? Un gendarme lui signale qu'elle est la seule à faire du bruit. Cela ne l'interrompt pas. D'autres leur demande la permission de regarder ici, ou là. Courtois. Mécaniques. Est-ce moi qui voit tout en gris ? Elle accorde. Puis l'un d'eux me tire par la manche, vers la porte d'entrée. Je suis content de ne pas être amené à traverser le salon, à passer là-dedans, devant eux. Je fais la gueule, c'est certain. En fait, le gendarme m'amène dans une petite pièce qui sert plus de débarras qu'autre chose. Il y a plein de cartons estampillés aux couleurs d'une chaîne de supermarché, pleins de boîtes sans étiquettes. Et un chat. Une chatte. Une sphynx. Il lui manque les deux dents du haut, elle cherche à me chiper la main avec ses griffes lorsque je lui ouvre la gueule. Je la tiens en berceau, on devine une très discrète cicatrice abdominale. Le chien est venu renifler ce que nous faisions avec les boîtes.
Depuis là, j'entends celui qui m'accompagnait demander à l'homme ce que sont ces boîtes. Il explique que c'est son père qui les lui a données, que ce sont des conserves maisons. Les silences de chacun en disent long sur la crédibilité des explications. Je déteste ces mots, et ces silences. J'aime croire que tout le monde est gentil, j'aime l'innocence et la tranquillité, et ici, tous les préjugés deviennent des réalités qui me heurtent en pleine face. Je remercierai presque le ciel d'avoir fait que ce couple soit parfaitement blanc de peau...
J'ai la chatte dans les bras, lui passe le lecteur de puce en la caressant. Elle ronronne comme une tondeuse à gazon, elle est belle, propre, bien soignée, la peau parfois insupportable de cette race est ici parfaitement sèche et souple. On sent qu'elle est heureuse dans ce débarras, dans cette maison, avec cette famille et ce labrador. Mais j'ai le numéro de puce, et l'OPJ me regarde en hochant la tête. Dans le couloir, la femme explique à un gendarme qu'ils ont trouvé ce chat sur une petite route, là où ils habitaient avant. Qu'elle était maigre, perdue, que personne ne la connaissait dans le voisinage, qu'elle est montée toute seule dans la voiture et les a adopté, que sa petite fille s'y est attachée. Petite fille qu'elle a d'ailleurs dans les bras. Trois, quatre ans au plus, les yeux encore engourdis de sommeil. Le gendarme parle à voix basse, demande pourquoi ils ne l'ont jamais faite vacciner, pourquoi ils ne se sont pas plus inquiétés de savoir si elle appartenait à quelqu'un, surtout que c'est une race rare. Elle répond qu'elle ne savait pas que les chats pouvaient être identifiés, que personne ne l'a réclamée, que sa fille s'y est attachée, et depuis quand est-ce qu'on vaccine les chats ?
J'en ai ras-le-bol. Je connais ces gens, je connais le chien. Ils sont venus demander le prix d'un tatouage, d'une puce, pour un chien, pour un chat, pour les deux. Elle sait très bien qu'ils peuvent être identifiés, elle ment, flagrant délit, je peux donc la détester sans plus culpabiliser. Elle joue sur le chantage émotionnel, mais je ne peux m'empêcher d'admettre que ce chat est très bien ici, peut-être mieux que là où il était avant, pour ce que j'en sais. L'une des gendarmes me fait signe d'emporter le chat, elle m'accompagne dehors.
Elle me voit partir avec le chat.
- C'est qui ce type, et pourquoi il emporte Caline ?
Le chien a l'air de se poser la même question, avec son air ahuri et joyeux, reniflant mes chaussures avec enthousiasme.
Je ne me retourne pas. Celui qui parle avec elle depuis tout à l'heure lui explique que le chat ne lui appartient pas, qu'il va retourner chez ses vrais propriétaires, et que elle et son mari vont les suivre au poste.
- Au poste pour un chat ?
Moi, je suis déjà dehors lorsqu'elle répond qu'elle doit poser ses enfants à l'école.
- Alors vous viendrez ensuite au poste de gendarmerie, nous vous attendrons.
Il fait toujours aussi froid. Je ne pense plus. Les premières lueurs de l'aube pointent à peine. La gendarme m'explique un peu plus la situation, après m'avoir demandé comment un chat aussi moche pouvait coûter aussi cher. Je lui ai répondu par un sourire de circonstance. Le chat a été volé il y a plus d'un an, et un appel anonyme à ses maîtres a été passé avec une demande de rançon. Quand ils ont refusé, l'homme au téléphone a annoncé qu'ils la feraient reproduire jusqu'à ce qu'elle en crève, que les chatons se vendraient très chers. Il ne savait pas qu'elle était stérilisée.
J'ai mon méchant, je suis avec les gentils.
Je n'arrive pas à m'en réjouir.
Voir cet homme sortir de chez lui avec des menottes cachées sous un pull me déprime.
Commentaires
Des menottes....??...
Incroyable... ça me rappelle une anecdote du même genre. Une jeune femme rencontrée sur le net possédait un chat magnifique, un balinais, très sociable avec un regard bleu azur superbe. Des cambrioleurs ont forcé la porte de son appart. Ils n'ont presque rien piqué... mais ils ont pris le chat.
La propriétaire a écumé les cliniques du coin en donnant sa description ; quelques semaines plus tard un véto l'a appelé en lui disant qu'il avait castré un matou correspondant à la description donnée. Bien évidemment, le nouveau "propriétaire" avait donné de fausses coordonnées. La jeune femme n'a jamais retrouvé son chat adoré.
Woooo véto ! on est presque collègues dis donc !
Mon chien Rémi (de marque allemande) vous transmet toutes ses amitiés et vous waf cordialement. Et moi itou.
@+
Fourrure :
Je me suis senti plus boulet que collègue, sans que les gendarmes y soient d'ailleurs pour rien, mais peu importe ! Mes amitiés également à la meute-de-chiens-à-lui-tout-seul et à vous-même.
Fourrure :
Oooh, mais que vois-je passer ici ? Le Troll Detector TM de maître Eolas a encore frappé !
Petit sentiment de malaise à la lecture de cette anecdote policière.
A priori ce chat n'appartenant pas aux propriétaires surpris au petit matin, la gendarmerie intervenait quand même dans la plus stricte légitimité. Après, de là à dire que le chat était plus heureux ici qu'ailleurs et que d'une certaine façon on doit se sentir gênés à reprendre l'animal...
Je suis malgré tout étonné que capables de lire une plaque minéralogique à plusieurs kilomètres de distances, les gendarmes aient besoin d'un véto et de son lecteur de puce !!
Fourrure :
Je ne remets pas en cause un instant la légitimité de l'intervention. L'intervention s'est déroulée de façon très calme et civile, je n'ai rien, mais alors rien à reprocher aux gendarmes. C'est juste que... je ne sais pas, on aime bien avoir des gentils et des méchants. Il a fallu que les deux personnes qui avaient le chat en leur détention deviennent de mauvaise foi pour que je me sente plus à l'aise. Parce qu'il y avait de nouveau des gentils et des méchants, clairement.
Si le chat avait eu l'air malheureux, mal soigné ou je ne sais quoi, je suppose que sur l'instant, j'aurais aussi été plus à l'aise (c'est un comble, non ?). A posteriori, je pense que ce qui me gênait le plus, c'est que les enfants devaient vraiment s'être attachés au chat. Ses propriétaires légitimes aussi, je ne dis pas le contraire, mais dans ce matin glacé, ils étaient virtuels. Pas la gamine.
Pour la nécessité de mon intervention, je pense que cela déchargeait surtout les gendarmes de toute remise en question de leur gestion de l'animal. Je n'ai pas eu la présence d'esprit de le leur demander.
Moi, j'étais surtout très curieux de la façon dont j'allais vivre ça. Je me doutais que cela n'allait pas me plaire, et cela a été le cas.
... Et puis d'abord les Sphinx ne sont pas moches, monsieur le gendarme.
Plus sérieusement, ils ont été condamné pour vol de chat, maltraitance, ou un truc du genre ?
Fourrure :
Je ne sais pas. Je sais simplement que l'affaire est terminée.
Je peux comprendre que l'on soit mal à l'aise dans une telle situation ! Mais "la demande de rançon" remet les choses à leur place... Ne pas se laisser impressionner par des menteurs, remarquables comédiens, doit être un exercice difficile. Je comprends mieux certaines prises de positions de personnes de la gendarmerie lors de discussions à bâtons rompus...Il doit falloir une belle maîtrise de soi pour ne pas s'énerver.
@François #5 : ce n'est pas une question de besoin !
Ils en sont largement capables y a pas de soucis là dessus !
C'est juste que d'un point de vue procédurale et/ou légale (bref pour éviter les erreurs), ils ont besoin d'un expert (ici représenté par notre bien aimé Fourrure).
De la même façon, ils doivent faire appel à des "experts" de chaque profession quand ils en ont besoin (électricien, gazier etc etc) pour des opérations bien précises (pour rester sur les deux professions ci dessus : branchements sauvage et/ou non respectueux des normes)
Cela évitera que la défense puisse dire qu'ils se sont plantés, qu'ils mal utilisé l'appareil etc etc
Le fait que les gendarmes aient recours à un vétérinaire ne m'a pas interpellée outre mesure.... Après tout, il s'agit d'un chat de valeur, et valeur ou pas il leur faut quelqu'un qui sache manier les chats.
Un animal acculé (ou presque) qui sent que son vis à vis est effrayé peut devenir agressif. En tout cas mon rat fonctionne comme ça, si j'ai peur il mord, si je le manipule sans rien manifester, il est sage.
Merci pour votre réponse, et tant pis pour ma curiosité ;)
"Pour la nécessité de mon intervention, je pense que cela déchargeait surtout les gendarmes de toute remise en question de leur gestion de l'animal. Je n'ai pas eu la présence d'esprit de le leur demander." (Fourrure)
j'ai été mandaté une fois pour prélever des poils sur un cheval (ce qui était à la portée de n'importe qui)
j'avais posé la question concernant la spécificité de ce geste hautement technique.
un gendarme m'avait répondu que bon, comme j'étais véto cela évitait les contestations possibles plus tard, en gros à chacun son métier.
@10 - Francois: si un gendarme aurait prélevé les poils sur le cheval , la défense aurait pu invoquer que le gendarme a pu se tromper d#animal. La gendarmerie est partie (en principe celui de l'accusation) prise dans une affaire et l'expert, Fouroure pour le chat, vous avec les ppoils de cheval, est neutre: ni pour ni contre envers l'une des parties.
@Fourture: vou croyez que la gendarmerie ait un appareil pour lire la puce électronique? J'en doute. Très bonne note, même si c'est triste. J'espère que le chien va bien et n'était pas volé.
Voler un animal pour extorquer une rancon à son propriétaire est une affaire qui arrive malheureusement bien plus souvent qu'on le pense ou lit. Un vol reste un vol, celui d#un animal encore plus puisque un être vivant. Personne ne se demande ce que peut ressentir l'animal ainsi enlevé, la crainte et l#incertitude de son maître.
Alors je rentre du bureau, je lance Thunderbird, je vais lire les flux auxquels je suis abonné, je clique sans trop regarder, et j'entame la lecture d'un billet, "Auxiliaire".
Je lis - trop vite - le premier paragraphe. OK, un gars qui a rendez-vous avec des OPJ de bon matin, c'est familier.
Puis j'attaque le second paragraphe, et, la première phrase lue, je me dis, vraiment, "Ben..? Pourquoi y réquisitionnent Zythom pour une histoire de chat?"...
Fourrure :
Effectivement. Mais la confusion est compréhensible. Il est sans doute parfois appelé sur des histoires de souris.
C'est glauque comme un polar en tous les cas. L'escroquerie, la mauvaise foi, le chantage affectif, ouah voilà un bon scénar.
Ne serait-ce pas le Dr Fourrure qui était à la télévision hier soir ?
@Eau de source
Je me suis fait la même reflexion !!??
@ Eau de source & Cerise (quelle poésie !)
Moi également : j'ai cru "reconnaître" notre Docteur Fourrure. Surtout lors de la scène où le protagoniste fait face, à l'aube, à une campagne à laquelle il se dit fort attaché.
Exactement !
Je n'ai vu que la fin du documentaire, malheureusement, mais j'ai cherché à voir les Pyrénées dans le panorama que ce véto contemplait.
Savez-vous où se déroulait le tournage ?
"Les terres reculées de Bourgogne" dit le reportage
Fourrure :
Si je suis passé à la télé, c'était en caméra cachée !
La peau des sphynx est chaude et douce, je ne vois pas trop en quoi c'est si insupportable. C'est vrai que ça peut laisser un peu de sébum sur les mains mais nettement moins que les poils de chien...
Pour l'histoire ça aurait valu le coup de vérifier l'identité du chien :-O
ça fait peur ces histoires !
Je me demande comment les gendarmes ont réussi à trouver les voleurs, il me semble que les vols d'animaux sont rarement résolus :-(