Première fois : Tétanie
lundi 30 novembre 2009, 20:07 Vétérinaire au quotidien Lien permanent
Un magnifique soleil de juillet.
Une superbe cour de ferme, son herbe verte, sa petite étable et son muret en pierre sèches, ses quatre vaches attachées à la chaîne.
Un papy, avec pipe et béret.
Un veau, un gros broutard charolais, couché sur le flanc, un poil immaculé, des membres tétanisés.
Un jeune véto, à peine sorti de l'école, second rempla, qui tourne autour du bestiaux, ausculte, écoute, manipule.
Je n'en menais pas large. Je me disais justement que je développais l'art de tourner autour du pot, enfin du veau. Ma blouse cachou n'était pas trop propre, mes bottes déjà bien vieillies par les campagnes de pique, mais n'empêche, je ne pouvais pas l'ignorer : là, je ne faisais pas illusion. Et je n'avais aucune idée de ce qu'il foutait, ce veau. Le papy tirait sur sa bouffarde sans piper mot, sa femme observait de loin, par la fenêtre de sa cuisine. A contre-jour, je ne pouvais que la deviner. Le veau roulait des yeux affolés, panse gonflée sans plus, tremblant et soufflant comme un cheval affolé.
Dans ma tête, j'énumérais. Tétanos, méningite, ESB (et puis quoi encore ?), botulisme, tétanie d'herbage, fièvre vitulaire (et pourquoi pas la rage tant qu'on y est ?), nécrose du cortex cérébral, je voyais encore le prof sur son estrade, entamant son cours de petaucasquologie. Expliquant qu'il y avait bien toute série d'entités pathologiques neurologiques chez les bovins, mais que l'examen clinique étant ce qu'il était avec ces bestioles, en général, on tournait en rond autour des probabilités.
N'empêche.
Ça faisait bien une demi-heure que je tournais en rond, justement, en marmonnant pour me donner une contenance (échec avéré), posant et reposant mon stéthoscope ou enfilant mon gant de fouille, constatant et éliminant. Une tétanie d'herbage, forcément. Je n'en avais jamais vu, ça n'avait pas l'air de coller avec mes cours au niveau épidémiologique, mais le reste était encore moins probable. Alors ?
Alors je décidais finalement de passer un coup de fil à un confrère que j'avais remplacé quelques semaines plus tôt, qui me confirma sans hésitation mon diagnostic et orienta mon traitement.
Je décidais finalement de l'expliquer au papy dont le silence et la pipe me mettaient profondément mal à l'aise. Perfusions, injections, une tentative de "il sera debout dans quelques heures" qui se voulait assurée... Assuré du diagnostic, finalement, je l'étais, malgré toutes ces hésitations. Un peu moins sur l'évolution pratique de la chose, mais bon... je trouvais le silence était encore pire que le risque de dire des âneries.
Je finis par oublier le veau.
Quelques semaines plus tard, alors que je remplaçais à nouveau ce confrère, je vis arriver à la clinique un papy, sa pipe et son carnet de chèque. Le visage fermé, le sourcil sévère.
A nouveau, je n'en menais pas large. Je n'osais pas demander. Peut-être venait-il pour autre chose ? Le souci avec les remplacements de courte durée, c'est qu'on ne suit pas du tout les animaux soignés. Le vieux véto qui venait de repartir en vacances avait peut-être eu des nouvelles, mais il ne m'en avait pas parlé. Il faut dire qu'avec mon courage et mon intrépidité, j'avais soigneusement oublié le veau tétanisé. Déjà, il ne m'avait pas rappelé pour m'engueuler. C'était bon signe, non ?
"M'a coûté cher ce veau !
- Oh ben une visite, une perfusion et quelques médicaments..."
Cela ne me semblait pas si cher, sauf s'il était mort ?
"C'est qu'j'ai appelé un autre véto, vous voyez."
Horreur.
Décomposition livide.
Tétanie.
Les dix secondes de silence les plus longues de ma courte carrière.
Il fallait trouver quelque chose à dire.
Au pire, croasser : "ah ?"
"J'ai app'lé l'docteur Dubois, l'est pas un habitué d'chez moi mais l'est là d'puis longtemps.
- Ah ?
- Oui, ben z'aviez raison, alors j'mescuse, pour l'veau l'a dit pareil que vous, tétanie d'herbage, et l'a pas fait plus d'piqure, vu que c'était bon. Mais l'a fallu payer sa visite hein."
Alors la coco, c'est pas mon problème. Tu ne veux pas que je la paye, non plus ?
Du coup, retour de l'assurance et du sourire, un poil crispé quand même. Baisse de rythme cardiaque.
Essayer de ne pas sourire trop largement quand même, histoire de ne pas le vexer.
Et puis, finalement, l'était pas si chère que ça, cette visite...
Commentaires
à moi :
premier "vrai" ALD en canine, l'après-midi c'était sans RDV. Je prends donc un couple avec un vieux chien avec une asymétrie testiculaire. Sans une seconde de doute après l'examen clinique parce que là vraiment c'était facile, j'explique les tumeurs testiculaires, le traitement (=castration), le pronostic (bon en général). Ils repartent en semblant satisfaits de la consultation.
3 jours après, je vois qu'ils ont repris un rdv avec mon patron (à la louche 30 ans de plus que moi, et du sexe opposé). Je le vois passer, je lui demande le motif : "pff, ils voulaient voir si tu ne t'étais pas trompée!! J'ai forcément dit pareil, et ils payeront une deuxième consultation, ça leur fera les pieds"
Maintenant, j'en rigole, mais sur le coup ça m'avait vraiment vexée (mais mon patron était génial pour me rassurer)!
Arf ! Faut nous comprendre, aussi, nous autres clients. Inquiets, apeurés, parfois, et tellement pas sûrs de nous non plus ! Et si c'était notre faute ? Une erreur d'alimentation (je pense aux poulains, surtout)... Et si on n'avait pas reconnu suffisamment tôt les symptômes, appelé trop tard le véto ? (Piroplasmose, par exemple...) Et puis il y a les autres, les vétos qu'on a vus se planter (ça arrive), avoir peur de nos bestiaux (ça arrive aussi :-D) et encaisser un chèque énorme...
Et puis il y a les vétos qu'on a vu se défoncer pour sauver un cheval en colique, se casser le dos (littéralement) à soigner un poulain incapable de se tenir debout, et j'en passe...
Je sais pas mais j'ai l'impression que vous êtes dans la deuxième catégorie ;-)
Je ne vois pas où ça vous choque qd on demande un second avis ! (c'est certain l'Ego en prend un coup mais bon).
Au contraire c'est pas le premier truc à faire qd on doute de son vétérinaire jeune, débutant, vieux... (même s'il établit un bon diagnostic) ?
Fourrure :
Qui est choqué ?
Pas moi en tout cas. Il est normal de douter, et ce vieux monsieur avait toutes les raisons de se méfier de moi, il ne m'est jamais venu à l'esprit de lui en vouloir (mais de là à lui payer l'intervention du second véto ou à réduire ma propre facture, non !).
Je ne suis pas devenu "livide et décomposé" parce que j'étais choqué par la réaction de ce monsieur. Plutôt parce que j'avais surtout la crainte d'avoir fait une grosse ânerie !
Je suis ce blog depuis quelque temps et je suis à chaque fois captivée par les récits.
Très bonne façon d'écrire et de tenir le lecteur "en haleine".
Confiance ! Un maître mot dans la relation éleveur/véto ! Sans elle, les soins sont difficiles !
Certains éleveurs sont tout de même gonflés ! Non seulement, à sa place, je n'aurai rien dit d'un deuxième avis( je ne pratique pas ). Mais vouloir déduire le prix de la consultation, là , j'en tombe un peu sur le ...
Fourrure :
Mais là j'étais un jeune remplaçant, et manifestement je ne maîtrisais pas la situation. Sa réaction (appeler un deuxième véto) me paraît très légitime. Notons par ailleurs que ce second véto a été très correct, que ce soit vis à vis de moi ou de l'éleveur. Est-ce que cet éleveur voulait déduire le prix de la seconde visite ? Je ne sais pas, il ne l'a pas demandé directement. Je pense qu'il a un peu lancé le sous-entendu en l'air, histoire de voir !
Confiance en son véto, oui, lorsque je le connais depuis longtemps, qu'il ne me donne pas l'impression de sortir tout juste de l'école, et que mon chien ne voit pas son état empirer dans les jours suivant la consultation...
J'avais emmené mon malinois croisé on ne sait trop quoi, pour des testicules enflées et rouges, chez un véto à côté de chez mes grands parents, pas le mien donc.
Le véto était jeune, de ce que j'ai compris, un nouvel arrivé dans le cabinet. il lui a prescrit une pommade a appliquer 3 fois par jour (me souviens plus de ce qu'il avait expliqué, mais bénin selon lui), 2 jours après, les testicules avaient encore doublées de volume, et avaient noircies.
On s'est fait 20km de plus pour aller chez une autre, mais aucun regret, elle a annulé ses RDV de la matinée et l'a opéré dans la foulée: castration rendue obligatoire, avec ablation d'une partie des chairs qui avaient commencées à nécroser...
On aurait continuer le traitement un jour de plus en faisant confiance au premier véto de consulter, il n'y avait plus de chien.
Remarquez que je ne lui en veux pas, l'erreur est humaine, mais mon chien serait mort, je ne tiendrais peut être pas le même discours... Pas pour autant que je lui ai fait une mauvaise pub, mais je reste quand même chez la plus éloignée, et la plus ancienne dans le métier...
Depuis, le chien a choisi sa maison (il n'a pas vraiment supporté mon déménagement en ville), vit chez mes grands parents, un brin trop gâteux avec lui, et voit toujours celle qui lui a sauvé la vie pour ses rappels de vaccin. A qui il fait une fête monstrueuse à chaque fois !