jeudi 23 juin 2016

Jour deux. Motif : vaccination

Jour deux

Motif : vaccination

Un berger allemand. Il n'y en a plus tant que ça, des bergers allemands. A l'époque de Mabrouk (que je n'ai pas connue, enfin en tout cas pas en tant que véto), c'était un des chiens n°1 en France. Et puis, bon, ils faisaient peur, finalement, quand ils n'étaient pas sur une planche à voile à la télé. Le « chien-loup ». Et la reproduction massive aidant – c'est toujours la même histoire quand une race a le malheur d'être à la mode – on a vu se développer et exploser les problèmes de hanches malformées, ce qui n'a pas aidé à la bonne image de la marqu… heu de la race.
Aujourd'hui, de toute façon, ce sont plutôt des petites races qui sont à la mode. Avec des poils ras. Plus facile à gérer, à entretenir à l'intérieur. Comme les chats, dont le nombre et la proportion augmentent considérablement. Les races à la mode, aujourd'hui, ce sont les Jack Russel terriers (quoique, ça commence à passer) et les bouledogues français.

Bref. Mon berger allemand vient pour une consultation vaccinale. Un examen annuel de santé. Comme vous voulez. Une consultation dont le but est de faire un bilan de santé (ça c'est mon objectif prioritaire) et de faire une injection de vaccins (ça c'est en général l'objectif prioritaire du maître), de préférence le plus vite possible (ça c'est en général l'objectif prioritaire du chien, qui ne s'accorde pas très bien avec le mien).

C'est une drôle de consultation, la consultation vaccinale :
- elle n'est pas obligatoire (sauf pour la rage si on doit voyager à l'étranger), mais souvent vécue comme telle. Ou en tout cas comme une contrainte.
- elle est très intéressante, mais rarement appréhendée à sa juste valeur, que ce soit par le maître ou même par le vétérinaire, parfois (sans parler du chien).

C'est la première fois que je vois Mabrouk. La première fois que je vois son maître, aussi. Hasards du planning, puisque nous le vaccinons depuis sept ans déjà. Il est toujours tombé sur mes confrères. Mabrouk a très, très envie d'être ailleurs. Il halète, il bave, il neurovégétative. Je baisse la table d'examen, je vois son maître serrer la mâchoire. En imaginant l'effort à faire pour mettre les 35kg du berger sur le plateau ? Je le vois se pencher, et arrête son geste. Ce type a le dos ruiné. Je m'assieds sur la table, à 30 cm du sol, fait asseoir monsieur Hutin sur une chaise, et place Mabrouk entre nous. Le chien planque sa grosse tête entre les cuisses de son maître. Je vais commencer par les fesses, alors. Palpation des cuisses, exploration des nœuds lymphatiques, palpation abdominale, sa rate est grosse, mais normale. Je lui caresse le dos, je parle, de tout, de rien. Je sens une tension, j'y reviendrai. Je prends mon stéthoscope, il a un cœur parfait. Rien à la respiration. J'apprends que Mabrouk a une peur panique des orages, étendue aux coups de vent et aux explosions – tout a commencé avec un feu d'artifice, un quatorze juillet. Qu'il se promène partout en liberté dans le micro-village où ils habitent, mais qu'il sort de moins en moins et reste de plus en plus collé à son maître. Un « hyper-attachement raisonnable » qui leur convient très bien, à tous les deux. Je lui palpe les testicules, à peu près symétriques, et de consistance normale. Je pousse l'outrage jusqu'au thermomètre. 38,4. Mabrouk bave.

L'air de rien, en le poussant et le caressant, je le fais tourner sur lui-même. Je crois que Mabrouk n'a rien vu venir. Il planque sa tête entre mes cuisses comme il le faisait avec son maître. Je palpe, je caresse. Nœuds lymphatiques, inspection des dents – parfaites ! -, des oreilles, des conjonctives. Je sors l'ophtalmoscope, le cristallin est limpide mais la rétine est un peu floue. Un début de myopie ? L'otoscope, rien à signaler. Je laisse Mabrouk se retourner vers son maître, et reviens à son dos. M Hutin a continué à me parler de Mabrouk. Je « mmmhh-mmmhhh » et j'acquiesce. Je reprends ma palpation des muscles du dos. Ça coince clairement à la palpation de la jonction thoraco-lombaire. J'attire l'attention de M. Hutin sur la réaction de Mabrouk, le spasme algique. Ce chien a vraiment mal au dos.

Je le libère, le regarde se coucher, puis se relever quand je me lève moi-même. La colonne comme un manche à balai. Oui, Mabrouk a du mal à monter dans la voiture, mais il court, il joue, il lui semble « normal ». Nous discutons arthrose – M. Hutin voit très bien de quoi je parle – et gestion de la douleur. Signes d'alerte. Facilité à sous-estimer la souffrance d'un animal.

Je vais chercher les vaccins, et laisse tomber l'arthrose. Le sujet est abordé, nous y reviendrons, un jour. J'explique les nouveaux protocoles de vaccination, le rythme triennal pour certaines valences, le rythme annuel pour d'autres. Les tenants et aboutissants de nos choix techniques. Je crois que nous n'expliquons pas assez ce que nous faisons à nos clients.

J'injecte, sans y penser. Mabrouk n'a rien senti, mais il bave toujours. Je tamponne le carnet. Serre la main de M. Hutin. C'était une chouette demi-heure.

jeudi 4 décembre 2014

Je veux qu'il ne souffre pas

C'est devenu une litanie. Quand les questions deviennent compliquées, les pronostics défavorables, les diagnostics trop sombres, on me dit, presque toujours : je veux juste qu'il ne souffre pas.
Parce qu'on sait qu'on ne peut pas vraiment le guérir, que l'on peut sans doute ralentir la maladie, améliorer ses symptômes.
Qu'il ne souffre pas.
On peut choisir l'euthanasie, tout arrêter dès aujourd'hui.
Pour qu'il ne souffre pas.
Oh, non, docteur, pas d'analyses, de toute façon. Moi, je veux juste...
Qu'il ne souffre pas.

Cette litanie est parfois une fuite. Qu'il ne souffre pas, ça peut être la réponse facile. Celle qu'on ne vous reprochera jamais. A juste titre, d'ailleurs.

C'est aussi, simplement, souvent, la conclusion logique d'un raisonnement parfaitement sain, et construit : arriver aux soins palliatifs, dans le sens le plus noble de cette terme. Soulager la douleur, accompagner l'évolution inéluctable d'une maladie.

C'est souvent moi qui le précise, alors : faire adhérer le maître de l'animal à la démarche, lui rappeler que c'est la motivation finale de mon travail. Soigner, certes, guérir, de préférence, mais atténuer la souffrance, avant tout. Ne me demandez pas pourquoi, d'ailleurs. Je ne sais pas. Il est simplement inenvisageable de voir les choses autrement. Drôle de question, non ?

D'autant que nous avons vraiment les moyens de gérer la douleur et la souffrance, maintenant.

Alors pourquoi écrire ce texte ?

Parce que cette litanie, cette formule tant répétée, « je ne veux pas qu'il souffre », est la réaction normale et réflexe du maître tétanisé. Je viens de vous assommer. De vous apprendre, ou de vous confirmer – souvent, vous vous en doutiez – que la douleur, ou la souffrance au sens plus large du terme, ne disparaîtra jamais tout à fait. Alors je voudrais, que plus souvent, dans un second temps, vous vous demandiez : « qu'est-ce que je veux vraiment ? ».

Alors, dans ce second temps, une fois que l'urgence, le court terme, aura été géré, on pourra étudier toutes les possibilités. Soigner vraiment, parce que c'est la meilleure façon de faire disparaître la souffrance. Ou utiliser les bons médicaments, sans se cacher derrière de faux nez. Des anti-inflammatoires, des morphiniques, pour la douleur. Des diurétiques, des IECA, pour soulager cette insuffisance cardiaque et cet œdème pulmonaire que vous remarquez à peine. Parce que finalement, c'est souvent ça, mon problème : vous faire admettre que l'animal souffre, quand vous trouvez juste qu'il vieillit. Ou que vous n'avez rien remarqué, ce qui d'ailleurs, peut régulièrement vous vexer. On n'aime pas entendre que l'on a rien vu, et qu'on a laissé, plus ou moins consciemment, son animal se dégrader.

« Boaf, de toute façon, il est vieux, qu'est-ce qu'on peut y faire. »

On s'habitue à la souffrance. Surtout quand ce n'est pas la nôtre.
D'ailleurs, on préfère ne pas la voir, la minimiser. C'est naturel. C'est confortable.

C'est insupportable.

C'est mon boulot. Vous dire que s'il se lève difficilement le matin, c'est qu'il a mal. Que s'il pue autant de la gueule, c'est parce qu'il a des abcès dentaires, et ça fait mal. Que son otite chronique, sa maladie de peau qui ne disparaît jamais vraiment, non, ce n'est pas anodin. Que sa respiration courte et rapide, c'est un signe de souffrance.
Que oui, il vaut mieux prendre des anti-inflammatoires tous les jours de sa vie que d'avoir mal tous les jours de sa vie.

Personne ne souhaite qu'un animal souffre.

Mais qui se donne les moyens, simples, au quotidien, de lutter contre cette douleur ? De la reconnaître, de l'accepter, puis de la traiter ?

Et ne me sortez pas l'argument du prix. Oui, soigner un animal, ça peut coûter cher. Très cher. Mais au long terme, pour la grande majorité des cas, il existe des traitements efficaces et accessibles.

Bien sûr, tout ne se soigne pas, toutes les souffrances ne se soulagent pas. Et finalement, finalement, oui, on pourra finir par choisir l'euthanasie. Pour qu'il ne souffre pas.


***

Petit complément en réaction à plusieurs commentaires :
Ce billet n'est pas une critique ou une moquerie. Il est peut-être un constat d'impuissance, comme, pourquoi pas, un appel à la remise en question sur la gestion de la douleur. On s'enferme si vite dans ses habitudes et ses référentiels, que l'on soit propriétaire d'animaux ou vétérinaire. Et on est souvent obligés de se replier sur un compromis. De se demander s'il vaut mieux soigner une cause, une conséquence, si intervenir est vraiment une bonne idée ? C'est une démarche qui devrait être systématiquement issue de la confrontation et de la collaboration entre deux points de vue : celui du soignant, et celui du maître de l'animal.
Et c'est là dessus que je voulais insister : il ne faut pas simplement dire "je ne veux pas qu'il souffre". Il faut réfléchir, dans toutes ses implications, le sens de cette demande.