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dimanche 25 octobre 2015

Panique hors-bord

Comme à mon habitude, je me suis à moitié assis sur la table, calant sans forcer le petit ratier entre ma hanche et ma main gauches. De la droite, je le caresse et le palpe, nœuds lymphatiques, trachée, ma main glisse et recherche les masses, les irrégularités, appuie doucement sur une paupière pour voir la muqueuse oculaire. Il se dérobe, je le rassure. Je lui parle, tout le temps, doucement, lancinant. Des mots qui ne veulent pas dire grand-chose. Des mots pour occuper l'espace, pour faire un pont, pour accompagner mes gestes. Tout va bien.
Il s'est tendu. En douceur, en lenteur, je garde le contact pour ne pas le laisser s'échapper, sans le coincer, sans le braquer.
Tout va bien.
Près de moi, son maître et sa maîtresse, un couple souriant de personnes âgées ne cessent de me parler alors qu'avec mon stéthoscope sur les oreilles, je n'entends plus que le cœur – un peu rapide, mais parfaitement régulier – et la respiration – normale – du vieux ratier.
Je pose mon stéthoscope. Le monsieur a fini de parler. Je ne sais pas vraiment ce qu'il racontait, je ne sais pas s'il a compris que je ne l'entendais pas, je ne voulais pas le rabrouer. J'ai fait comme si je n'avais pas vu qu'il me parlait. De toute façon, tête penchée, je regardais le chien. Nous faisons comme si de rien n'était. Je ne suis pas malpoli, et il n'est pas ridicule.
Tout va bien.
Le chien tousse. Enfin, pas là, maintenant, en consultation. Non, parfois, à la maison, il tousse. Je palpe sa trachée entre deux caresses peu appuyées. Pas de sensibilité particulière. Reste à voir ses dents et le fond de sa gorge. Je passe ma main droite sous sa gueule, et, avec deux doigts, j'écarte doucement les babines. Je suis assis, je suis presque derrière lui, il découvre ses crocs, je me méfie. Je ne le tiens toujours pas vraiment, mais j'appuie un peu plus le contact. Il menace. J'insiste un peu. Et puis j'esquive le coup de dents dirigé sur ma main droite, tout en le saisissant, cette fois, de la main gauche. J'écarte mon visage. Il se retourne sur ma main gauche, ma prise est mauvaise, je lâche. Il saute de la table, et se réceptionne avec la grâce d'un étudiant vétérinaire qui, en fin de soirée au cercle des élèves, vise son lit et s'endort en se vautrant sur sa table basse.
Tout va b…
Bon, c'est le bordel.
Il se secoue la tête, un peu assommé. Il a vraiment fait un son creux en cognant son crâne sur le carrelage, à la fin de sa culbute. J'évite les plaisanteries sur le vide de sa boîte crânienne, je souris, je le prends à partie.
- Et bien bonhomme ? On panique ? Je ne t'ai pas fait mal, pourtant ?
- Ben oui, Libellule, il ne t'a pas fait mal, le docteur ! reprend sa maîtresse.
- Nous supposons qu'il a été battu, avant, nous l'avons récupéré il y a un an à la SPA, vous savez. Un vieux chien dont personne ne voulait…

Bon.
Je ne sais toujours pas pourquoi il tousse. En tout cas, du coup, j'ai bien vu ses dents, et ce n'est pas à cause du tartre. Le fond de gueule, par contre, je ne sais pas, et je ne saurais pas. Ses propriétaires préfèrent les certitudes. Je propose d'exclure une pathologie pulmonaire en faisant une radio, même si, comme je le leur précise, je n'y crois pas.
Ils sont partants. Le chien, non, clairement.

- Vous allez devoir le museler, docteur !

Oui.
Libellule montre les dents à tout le monde, maintenant. Je ne pourrais pas le reprendre sur la table ou dans les bras, pas aujourd'hui, et ses maîtres ne pourront pas faire grand-chose non plus. Il n'est pas encore en panique, mais il y va tout droit. Pour l'instant, il menace, il gronde, comme un trouillard qui sait qu'il ne peut pas avoir le dessus. Alors va pour un nœud sur le nez. Un lien, plus facile à poser et plus sûr qu'une muselière.

J'appelle une assistante, et nous le surprenons. Nous voyant approcher, il a mordu dans le vide, nous lui avons cloué le bec. Quelques gestes rapides, le tenir fermement, sans le brutaliser, il se tortille, je le suspends par la peau du cou, à deux mains pour l'empêcher de se retourner, mon assistante finit le nœud, il se chie dessus, vide ses glandes anales, urine, j'en ai plein mes godasses, il y en a sur le lien qui étale la merde sur mes mains. Je lâche la peau du cou, le soulève simplement par le thorax, une main de chaque côté, je le cale et le pose sur la table de radio. Tout au long du trajet, il s'est déchaîné, tentant tout à la fois de fuir et de me mordre, étalant à grand coups de queue ses excréments sur son pelage, sur mes bras, ma blouse, la porte, le couloir…

Derrière moi, une assistante a sorti le chariot du ménage.

Je continue à lui parler, fermement, doucement, j'essaie de reprendre un contact que nous avons perdu, je sais que c'est en vain mais la litanie m'aide à canaliser ma colère devant sa stupidité, devant mon échec, devant cette panique qui l'a fait replonger loin dans son passé, et ça pue, je pue, il pue, toute la clinique pue la merde, et en plus sur la radio, il n'y a rien.

La dame, dans le couloir :
- Si vous pouviez lui couper les griffes ? Nous, on ne peut pas ! Parce qu'il est comme ça dès qu'on le contrarie. Il accepte de plus ne plus de choses, mais ça, non !

Alors nous coupons, ses griffes sont si longues qu'elles tordent ses doigts : ce n'est vraiment pas du luxe, non. Mais Libellule panique complètement, il bouge tant et tant qu'évidemment, il saigne un peu d'un doigt. Ce n'est rien, mais lorsque je le repose au sol en faisant glisser le nœud, il constelle de sang le carrelage blanc conchié par sa diarrhée…

- Bon, et bien ses poumons sont nickels à la radio comme à l'auscultation, son cœur est impeccable, il n'a pas de sensibilité à la trachée, pas de tartre, je suppose qu'il a plus ou moins le fond de gueule enflammé, ou qu'il fait quelques reflux gastriques, mais je ne pourrai pas le prouver… et puisqu'il ne tousse pas trop, et bien… nous n'allons rien faire.

Je suis tellement déçu par cette consultation que je m'attends à ce qu'ils soient déçus, eux aussi.

Mais non.

Au milieu de ma salle de consult', de la merde, du sang et de la pisse, tendis que deux assistantes passent éponge et serpillière, ils sourient.

- Ah, ben on est bien contents alors !

lundi 1 juin 2015

A sec

- Elle est super gonflée derrière, elle se couche et pousse de grands soupirs de douleur, surtout pour faire ses crottins, et ça dure depuis que je vous ai appelé !

Elle s'est levée quand je me suis approché. La jument est mal apprivoisée : très jeune, et Mme Hers vient de la récupérer. Pas sauvage, mais de là à l'examiner paisiblement, non. J'arrive à la caresser, elle baisse les oreilles, retrousse ses lèvres, roule des yeux mauvais.
Du cinéma. Ça va.
Je lui parle doucement, elle tolère bien que je lui caresse l'arrière-main. Pas l'encolure. On ne lui mettra pas de licol, il faudra faire dans ce champs, en liberté. Mes doigts glissent sur son dos, sa croupe. Je parle, je touche, doucement, mais fermement, je m'appuie contre elle. Ne pas rompre le contact, et tout faire en douceur, avec tact. Elle garde un œil mauvais, pour la forme, mais elle me laisse faire. J'écoute son ventre. Elle gargouille, peut-être pas tout à fait autant qu'il faudrait, mais cela me rassure. Je continue à la caresser, je tourne autour d'elle, je ne cesse pas de parler. Elle me tolère. Elle me laisse faire.
Je lui soulève la queue, doucement. Je glisse mes doigts, le thermomètre, elle n'apprécie pas, évidemment. Elle s'éloigne de moi, mais le thermomètre est bien en place. Je le récupère une minute plus tard, je m'approche d'elle comme je m'approchais des poulains au débourrage, à demi-sauvage, à l'époque où j'avais l'énergie et l'inconscience de monter des animaux peu domestiqués. Ils me font marrer, les chuchoteurs, à nous faire croire qu'ils réinventent le lien avec le cheval.
40.1°C
Elle me fuit à nouveau. Mollement, mais en prenant son air méchant.
Elle n'a pas encore fait mine de me taper. Je me glisse contre elle, je la caresse, toujours, ne pas rompre le contact. Mme Hers ne dit rien, elle nous regarde nous tourner autour, il faut que j'arrive à l'examiner. Elle n'a jamais eu de licol, je ne pourrais pas la sédater. Je soulève sa queue, à nouveau.
J'avais bien vu.

- Mme Hers, l'étalon, je suppose qu'il est là pour la saillir ? Depuis combien de temps ?
- Ah oui, heu, une quinzaine. Et puis, il n'arrête pas. Il l'a mordue, c'est lui, c'est ça ?
- Heu... pas de trace de morsure, hein. Par contre. Il est du style à la grimper même quand elle ne veut pas ?
- Oui...
- Manifestement. Et puis là, il a visé l'autre trou. Parce qu'en fait... elle a l'anus défoncé. Et je suis bien infoutu de vous dire si elle a le rectum lacéré, parce que bon, elle me laisse faire pas mal de chose, mais elle ne me laissera pas y toucher. Mais c'est un risque à ne pas négliger.

Alors antibios. Et anti-inflammatoires.
A injecter en liberté.

Et puis... on va voir.

vendredi 8 avril 2011

Machisme ordinaire

Elle a réceptionné le chien, gravement mordu lors d'une bagarre. Elle a accueilli les gens, nettoyé la plaie devant eux, a endormi le chien puis, en leur disant qu'elle les rappellerait le soir-même, elle a emmené le chien vers le bloc.

Je me suis contenté de passer et de ne presque rien dire, vu que je n'avais rien à faire, à part saluer ces deux dames, et les rassurer en leur disant que tout se passerait bien, et que ma consœur allait le rafistoler, leur petit bonhomme. Ce sont des inquiètes, je les connais...

Ma consœur les a appelées pour leur dire que la chirurgie s'était bien passée, que le chien se réveillait, et qu'elles pourraient venir le récupérer quelques heures plus tard.

Elles sont revenues chercher leur loulou, ravies, inquiètes, puis rassurées de le voir aussi en forme avec son gros pansement. J'étais en visite. Ma consœur leur a expliqué comment surveiller la plaie.

Lorsqu'elles sont parties, tellement contentes, elles n'ont pas oublié de remercier la vétérinaire et l'ASV.

"Merci mesdemoiselles, vraiment, merci de tout cœur. Vous n'oublierez pas de remercier le docteur, hein ? Il s'est tellement bien occupé de notre petit loulou !"

mardi 2 mars 2010

Brèves d'évaluations comportementales

- Bah, ces évaluations, c'est comme la ceinture dans les voitures: on l'a rendue obligatoire mais ça n'a jamais diminué le nombre d'accidents.

- Je viens pour l'évaluation comportementale parce que bon, c'est normal, la loi s'applique à tout le monde.
- Mmhhh
- Mais je sais qu'à la base c'est fait pour les croisé arabes avec leurs croisés pitbulls.

- Mon chien n'est pas méchant !
- Il a quand même mordu cinq fois...
- Il n'est pas méchant, mais il est très con.

- Ce qui devrait être interdit c'est de laisser un rott' à une femme. Les femmes, elles sont pas faites pour ces chiens là.

Au téléphone : Oui, ce serait pour prendre rendez-vous pour une évaluation comportementale, mais je voudrais savoir si le vétérinaire a peur des rottweilers ?

- Comment ça c'est pas un rottweiler mon chien ?
- Ben non, le texte de loi est assez précis sur la taille des chien de type rottweiler et j'ai le plaisir de vous annoncer qu'étant donné qu'il est trop petit, il n'appartient en fait pas à la seconde catégorie - ni à la première d'ailleurs. Fini la muselière, la déclaration en mairie...
- Mais c'est un rottweiler mon chien !
- Pas aux yeux de la loi.
- Mais oh c'est un rot' j'te dis !
- L'évaluation c'est 110 euros, la décatégorisation 60, vous préférez quoi ?
- Ouais mais bon, ya du rot' dedans quand même ?
- Mais oui, c'est un très joli mini-rot', et super sympa en plus. Mais pas un rot'.

Dans la même catégorie, par une mère de famille âgée d'une cinquantaine d'année :
- Quand même : pas une rottweiler ? Je crois que je ne la regarderais plus jamais de la même façon. Je me sens presque trahie...

Ou aussi :
- Docteur, je ne vous permets pas : mon chien n'est pas un bâtard.

Pour en savoir plus sur la diagnose de catégorie ou les évaluations comportementales, consultez la catégorie de billets intitulés "chien dangereux".

Et pour ceux qui se poseraient la question : 110 euros l'évaluation correspond à mon tarif spécial "rottweiler ou pit' adorable juste venu se mettre en conformité avec la loi" pour une heure à une heure et demie d'évaluation, plus un rapport d'expertise dans les formes.

mercredi 3 février 2010

Il m'a souri

Assis à mon bureau, je regarde, à travers la grande baie vitrée, le grand-père et son petit-fils s'avancer vers la porte de la clinique. Devant moi, mon bloc-notes, des stylos éparpillés, le recueil de la formation sur l'évaluation comportementale. L'écran de l'ordinateur est figé sur la fiche de Loupiot, un beau brin de braque âgé de 7 ans, suivi depuis toujours à la clinique pour ses vaccins, ses piros et ses bobos, mais aussi pour une arthrose galopante du coude droit.

Loupiot qui est venu ce matin pour une évaluation, après avoir mordu au visage le petit blondinet qui tient, bien serrés, deux doigts de la main droite de son "Dédé". J'anticipe leur arrivée, ouvrant la porte de la salle de consultation au moment où ils franchissent le seuil de la clinique, les invitant à s'assoir devant moi. Le bol de bonbons est posé sur le bord du bureau, et Dédé en propose un à Jonathan, après l'avoir installé sur un des deux sièges.

Je n'ai pas grand chose à raconter sur Loupiot. Chien banal dans une famille banale, il chasse quand son maître a envie de se dégourdir les jambes et mène, le reste du temps, une vie de famille tranquille chez ce couple de personnes âgées. Cela fait bien longtemps que je le fréquente, et même s'il a toujours été sur la réserve à la clinique, il ne m'a jamais posé de problème en salle de consultation, endurant plus ou moins stoïquement toutes les manipulations, même les plus douloureuses. Un joli gris fumé, un panache blanc sur le poitrail, une cicatrice sur sa babine, à droite, une queue un peu pelée et un collier orange fluo : un chien comme les autres.

Jonathan a cinq ans environ, une bouille de gosse adorable, une masse de cheveux blonds coupés au bol - ça se fait encore ? - et un joli anorak rouge. Un de ces jean's d'enfants qui n'ont pas le temps de s'user qu'ils sont déjà trop petits, et une paire de baskets qui clignotent - clignotaient ? - lorsqu'il marche. Un gosse comme tant d'autres.

Mais Jonathan a quelques points de suture sur l'oreille gauche, et une vilaine marque violacée à l'angle de la mâchoire. Comme l'a dit le médecin : ça aurait pu être pire.

Jonathan passe, depuis des années, la plupart de ses journées chez ses grands-parents. Avec Loupiot le chien et Minou le chat. Il ne fréquentait pas particulièrement le braque, mais ne manquait jamais l'occasion de lui faire une caresse, ou de lui donner une croquette. Surtout s'il lui avait bien donné la patte, le genre d'exercice qui n'avait pas l'air d'intéresser beaucoup le chien, qui l'ignorait la plupart du temps. Dédé m'avait décrit une relation très neutre, normale. Un gosse attaché mais pas envahissant, un chien plutôt indifférent. Jamais menaçant, ni collant.

Devant moi, Jonathan balance ses jambes, l'une après l'autre, et engloutit un, puis deux chocolats.

Avant hier, Dédé est allé faire du bois, avec son C15, son Loupiot et son petit-fils. Le gosse jouait tranquillement dans le sous-bois à côté de la voiture, le chien vaquait à ses occupations. Lorsqu'il est revenu en courant se terrer dans le C15, se glissant par la porte arrière encore ouverte, Dédé n'y a pas trop prêté attention. Il lui a bien semblé que le bruit de course était un peu rapide, mais, sur le coup, il n'a pas réagi. Loupiot finit toujours par aller dormir dans la voiture après sa promenade. Dédé s'est même demandé s'il n'a pas entendu un couinement, mais il n'en est pas sûr, il se l'est peut-être inventé après coup. Le reste, il ne l'a pas vu. Lorsqu'il a entendu son petit-fils hurler, il s'est précipité vers la voiture, à une vingtaine de mètres de lui, a vu son chien détaler et le sang, le sang sur le visage de Jonathan. Ensuite, la voiture, la chemise déchirée et nouée autour du visage, les urgences, les sutures. Les parents paniqués, les cris, la colère. Le père voulait tuer le chien, alors Dédé a pris son fusil et son C15, il est retourner chercher Loupiot. Le braque l'attendait à côté de la tronçonneuse, patient.

Dédé a levé son fusil.

Il l'a armé. Puis il l'a baissé, et rangé dans son étui. Il a battu le chien, il a frappé sa colère, sa peur, sa frustration, sa lâcheté, sa déception, sa culpabilité, son impuissance. Puis il l'a jeté dans l'arrière du C15. Il pleurait. Il est venu directement à la clinique, et j'ai hospitalisé le chien le temps de laisser les choses se calmer. J'ai gardé Loupiot deux jours. Il attendait, paisible, au fond de la courette, profitant des promenades et pleurant lorsqu'il restait tout seul trop longtemps.

Puis Dédé et revenu, j'ai sorti son chien du chenil, et nous avons parlé. Loupiot avait une petit blessure au bout de la patte droite, les anti-inflammatoires et les soins locaux avaient suffi à tout faire rentrer dans l'ordre. Le maire avait demandé une euthanasie, j'avais évoqué l'évaluation comportementale. Alors nous avons parlé, parlé, abandonnant les sentiers des fiches, des petits carrés à cocher et des questions ritualisées, des rapports et des arrêtés. Comme moi, Dédé pense que le chien s'est fait mal, que son arthrose l'a sévèrement lancé, et que l'enfant l'a approché alors qu'il se terrait et souffrait. Que le gosse a déconné.

Dédé voudrait garder son chien, parle de pièces séparées, de loquets, de verrous, de l'enfant qui pourrait ne plus l'approcher, mais il est résolu, il veut bien qu'il soit euthanasié. Mais il ne pourra pas le tuer.

Comme lui, j'ai besoin de savoir : est-ce qu'il recommencera ?

- Jonathan, dis-moi.
- Écoute le docteur, Jojo.

D'un signe de la main, j'isole Dédé. Ce sera entre Jonathan et moi.

- Jonathan, est-ce que tu peux me raconter ce qu'il s'est passé ?

Jonathan regarde ses pieds, ses jambes qui se balancent, l'une après l'autre.

- Comment ça s'est passé lorsque tu es rentré dans la voiture ?
- Loupiot était couché, et il pleurait.
- Il pleurait ? Pourquoi il pleurait ?
- Il s'était fait momo à la patte. Il saignait.

L'enfant regarde toujours ses pieds, la clinique est silencieuse, le soleil baigne le bureau. Les chocolats vont fondre.

- Alors je lui ai dit que c'était pas grave et que ça allait passer, et je l'ai consolé. Je lui ai pris sa patte qui faisait momo. Il ronronnait, parce qu'il était content.

Il prononce ronron-nait.

- Alors je lui ai fait un bisou sur la patte, parce qu'il souriait. Et puis...

Et puis sa voix s'étrangle, et j'en ai assez.

Il souriait.

Il ronron-nait.

Loupiot a grogné. Loupiot a montré les dents, acculé dans le C15, blessé, il a averti l'enfant, a voulu le chasser. Mais l'enfant est resté, Jonathan n'a pas compris les signaux du chien, ces avertissements pourtant évidents. Évidents pour un adulte, pas pour un enfant. D'après mes cours, les jeunes enfants ne savent pas interpréter le langage des chiens, leurs attitudes et leurs signaux. Le cours venait brutalement de se faire rattraper par la réalité.

En ce qui me concernait, je n'avais pas grand chose à reprocher à Loupiot. Le reste de la discussion est venu confirmer cette interprétation. Le chien qui vient se cacher, l'enfant inquiet, qui veut le consoler, qui appuie là où ça fait mal, le chien qui prévient, cohérent, et puis qui repousse l'agresseur d'une unique morsure contrôlée, à sa hauteur, celle du visage de l'enfant agenouillé dans le C15.

Comme l'exige l'évaluation comportementale, j'ai donc classé ce chien.
Niveau de risque II : le chien présente un risque de dangerosité faible pour certaines personnes ou dans certaines situations.

Faible, car même dans une situation "critique", le chien a prévenu et contrôlé sa morsure, utilisée en dernier recours pour chasser un importun.
Pas en niveau I, car l'enfant, même s'il en sera désormais séparé, pourrait réussir à se retrouver avec lui (quoique les conditions pour une nouvelle morsure seraient probablement difficiles à réunir).
Par contre, la persistance de la douleur arthrosique crée un facteur de risque supplémentaire, je recommanderai d'améliorer la prise en charge de la douleur.

Le maire a suivi mes recommandations. J'ai eu une explication calme avec le père de Jonathan, qui, une fois la colère passée, a parfaitement compris l'évaluation.

Quant à Loupiot... il continue à aller faire du bois avec Dédé, car maintenant, Jonathan est assez grand pour passer l'essentiel de ses journées à l'école...

vendredi 12 décembre 2008

L'évaluation comportementale

Le 12 novembre 2008 est paru au JO le décret n°2008-1158 du 10 novembre 2008 relatif à l'évaluation comportementale prévue dans la loi du 20 juin 2008 sur les chiens dangereux.

Comme le décret n°2008-897 du 4 septembre 2008 relatif au permis provisoire de détention de chien de catégories (selon les termes de la loi du 6 janvier 1999), il vient progressivement mettre en place les mesures votées dans ces deux lois.

Article D211-3-1
Modifié par Décret n°2008-1158 du 10 novembre 2008

L'évaluation comportementale prévue à l'article L. 211-14-1 du présent code est réalisée dans le cadre d'une consultation vétérinaire. Elle a pour objet d'apprécier le danger potentiel que peut représenter un chien. L'évaluation comportementale est effectuée, sur des chiens préalablement identifiés conformément aux dispositions de l'article L. 212-10, par un vétérinaire inscrit sur une liste départementale établie par le représentant de l'Etat dans le département. Les modalités d'inscription des vétérinaires sur cette liste sont fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de l'agriculture.

Quels sont les chiens concernés ?

L'article évoqué, qui prévoit l'évaluation comportementale, est le suivant :

Article L211-14-1
Une évaluation comportementale peut être demandée par le maire pour tout chien qu'il désigne en application de l'article L. 211-11. Cette évaluation est effectuée par un vétérinaire choisi sur une liste départementale. Elle est communiquée au maire par le vétérinaire.
Les frais d'évaluation sont à la charge du propriétaire du chien.

Ce "chien qu'il désigne en application de l'article L. 211-11, c'est un animal [...] susceptible, compte tenu des modalités de sa garde, de présenter un danger pour les personnes ou les animaux domestiques.

Cela concerne donc potentiellement tous les chiens, selon l'appréciation du maire, ou à défaut du préfet.
Les chiens de catégories (ceux de l'article L211-12) sont par contre directement concernés puisque cités dans l'article 211-13-1.

Qui réalise l'évaluation comportementale ?

Tout vétérinaire peut réaliser cette évaluation, s'il est inscrit sur les listes départementales (ce qui relève d'une démarche volontaire et individuelle de la part du vétérinaire). Les maires disposent de ces listes. Les vétérinaires inscrits sur ces listes sont des praticiens, pas forcément des spécialistes.

Ils peuvent avoir suivi la formation organisée par l'association Zoopsy et plusieurs organisations professionnelles. Ce n'est pas obligatoire (d'ailleurs, cette formation n'est pas diplômante).

L'évaluation comportementale est réalisée dans le cadre d'une consultation vétérinaire. Ce n'est pas une expertise, c'est une consultation : votre vétérinaire habituel peut donc évaluer votre chien. Il peut y rechigner un peu (il n'est pas forcément facile d'être objectif avec un chien que l'on suit régulièrement, et surtout délicat, dans les cas les plus sérieux, de dire ses quatre vérités au propriétaire d'un chien pas net...), mais il ne peut pas refuser formellement de le faire, puisqu'il s'est porté volontaire en s'inscrivant sur les listes départementales.

Qui a connaissance des résultats de l'évaluation comportementale ?

Article D211-3-2
Créé par Décret n°2008-1158 du 10 novembre 2008 - art. 1
A l'issue de la visite, le vétérinaire en charge de l'évaluation communique les conclusions de l'évaluation comportementale au maire de la commune de résidence du propriétaire ou du détenteur du chien et, le cas échéant, au maire qui a demandé l'évaluation comportementale en application de l'article L. 211-11 ainsi qu'au fichier national canin. Les modalités de transmission au fichier national canin des informations relatives à l'évaluation comportementale canine et la teneur de ces informations sont fixées par arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche.

Les résultats de l'évaluation sont communiqués au maire par le vétérinaire, c'est expressément une clause de non-respect du secret professionnel. Le maire de la commune où réside le détenteur du chien, et au maire qui a demandé l'évaluation, le cas échéant.

Le fichier national canin devrait également recevoir les résultats, mais l'arrêté n'est pas paru à ce jour.

Évidemment, ces résultats ne seront communiqués à personne d'autre.

Combien ça va coûter ?

L'évaluation est réalisée dans le cadre d'une consultation vétérinaire. Les honoraires sont donc libres, à chaque praticien de choisir son tarif selon les règles habituelles (ne pas fausser la concurrence, être raisonnable etc.).

A prendre en compte :
La responsabilité du vétérinaire sera lourde.
L'évaluation d'un chien à problèmes sera longue.
Une formation est utile (pas très chère car très aidée, mais une journée de "perdue" quand même).
Beaucoup de réflexion est indispensable !

Dans mon cabinet, selon les cas, je pense que nous oscillerons entre 50 et 150 euros selon le temps passé. En réalité, je n'en suis pas encore sûr, je n'en ai pas fait assez pour évaluer ce que cela me coûte.

A quoi ressemblera un résultat d'évaluation comportementale ?

Article D211-3-2
Créé par Décret n°2008-1158 du 10 novembre 2008 - art. 1
Le vétérinaire en charge de l'évaluation comportementale classe le chien à l'un des quatre niveaux de risque de dangerosité suivants :
Niveau 1 : le chien ne présente pas de risque particulier de dangerosité en dehors de ceux inhérents à l'espèce canine.
Niveau 2 : le chien présente un risque de dangerosité faible pour certaines personnes ou dans certaines situations.
Niveau 3 : le chien présente un risque de dangerosité critique pour certaines personnes ou dans certaines situations.
Niveau 4 : le chien présente un risque de dangerosité élevé pour certaines personnes ou dans certaines situations.
Selon le niveau de classement du chien, le vétérinaire propose des mesures préventives visant à diminuer la dangerosité du chien évalué et émet des recommandations afin de limiter les contacts avec certaines personnes et les situations pouvant générer des risques.
Il peut conseiller de procéder à une nouvelle évaluation comportementale et indiquer le délai qui doit s'écouler entre les deux évaluations.
En cas de classement du chien au niveau de risque 4, le vétérinaire informe son détenteur ou son propriétaire qu'il lui est conseillé de placer l'animal dans un lieu de détention adapté ou de faire procéder à son euthanasie. Un lieu de détention adapté est un lieu dans lequel, sous la responsabilité du propriétaire ou du détenteur, l'animal ne peut pas causer d'accident.

On aura donc deux parties distinctes :

  • Un résultat chiffré allant de 1 à 4, comme explicité ci-dessus
  • Des recommandations

Qu'est-ce qui va influencer la note de mon chien ?

C'est la question la plus complexe, et la plus intéressante. Heureusement, la loi ne fige rien : nous sommes dans le domaine du vivant, et plus encore, du comportement. Une loi trop précise aurait conduit à un grand n'importe quoi. Le législateur a fait confiance à l'association Zoopsy et aux représentants professionnels qui lui ont proposé une démarche d'évaluation aboutissant à ces quatre notes.

Risque et danger

Avant d'en venir aux critères de l'évaluation, il faut d'abord la définir : l'évaluation comportementale n'est pas une consultation de comportement destinée à poser un diagnostic de trouble du comportement, domaine qui relève pour les cas les plus graves de vétérinaires spécialistes. L'évaluation comportementale est une analyse de risque.

Un risque, c'est la probabilité de survenue d'un danger (les articles wikipedia mis en lien ici sont bien fichus pour expliquer ces mots mal compris). Une météorite de deux kilomètres de diamètre qui s'écrase sur la terre, c'est très dangereux. Mais il y a peu de chances que cela arrive, le risque est donc très faible.

Pour l'évaluation comportementale du chien, c'est le même principe : est-il dangereux ?

La réponse est oui, plus ou moins. Toujours. Le libellé du niveau 1 reflète bien cet état d'esprit : le chien ne présente pas de risque particulier de dangerosité en dehors de ceux inhérents à l'espèce canine. D'ailleurs, il n'y a pas de niveau 0.

La question est donc : ce chien représente-il un risque particulier ?

Notez que l'évaluation comportementale n'est pas non plus une boule de cristal. Le vétérinaire ne doit pas répondre à la question : "ce chien mordra-t-il un jour ?"
La loi peut être stupide, mais elle ne l'est pas à ce point, sachons mettre au crédit de ceux qui ont conçu celle-ci d'avoir approfondi leur réflexion, et écouté les spécialistes. Ce que l'on veut savoir, c'est si un chien présente un risque supérieur à la moyenne.

Si c'est le cas, on veut également savoir comment limiter ce risque.

Un exemple ? Un chien effrayé peut facilement mordre s'il est acculé. En lui évitant d'être en contact avec ce qui lui fait le plus peur, on évitera la morsure. Si Kiki est mort de trouille quand il voit belle-maman, pourquoi le lui fourrer dans les bras sous prétexte qu'elle aime les animaux et qu'elle est triste que Kiki ne la comprenne pas ? Pourquoi risquer une morsure de caniche au visage ? Laissez Kiki se planquer au fond du couloir, dans son panier, et servez une tisane à votre belle-mère, vous passerez certainement un très agréable moment avec elle.

Les critères de l'appréciation

L'appréciation sera globale, et tiendra compte de très nombreux éléments. Ce n'est pas une démarche figée.

  • La puissance physique du chien :

C'est un critère objectif et facile à imaginer. Un berger allemand peut faire plus mal qu'un caniche, même si ce dernier n'est pas inoffensif. Un berger allemand est donc plus dangereux qu'un caniche, si toutes choses sont par ailleurs équivalentes.

  • Le milieu de vie du chien :

Vit-il avec des personnes vulnérables (enfants, personnes âgées) ?
Vit-il dans un jardin clôturé, à la chaîne, dans un chenil, dans une maison, sort-il dans la rue ?
Avec quelles personnes sera-t-il mis en contact, et avec quelle fréquence ? Souvent avec des petits vieux, parfois avec les petits cousins ?
Vit-il avec d'autres animaux ? Lesquels, comment, pourquoi ?

Bref, tous ces éléments de contexte qui vont nous permettre d'appréhender le risque.

  • Le comportement du chien :

Cela semble évident dans le contexte d'une évaluation comportementale :
Est-il bien éduqué, soumis à l'homme, à tous les humains ? Comment se comporte-t-il dans la salle de consultation, avec le vétérinaire, en situation de stress ?
Et avec des "groupes" particuliers, quel est son comportement ? D'ailleurs, en a-t-il déjà rencontré ? Enfants, porteurs d'uniformes, un chien observateur mais rarement sorti de chez lui pourrait avoir peur de ces humains à l'apparence différente des autres.
Comment réagit-il en présence d'autres animaux ?

  • L'existence d'une morsure

Le chien a-t-il déjà mordu ? Ou même simplement pincé ? D'ailleurs, est-il dans cette salle de consultation pour cette raison ?
S'il a mordu, pourquoi, que s'est-il passé ? Le vétérinaire ne voudra pas des interprétations, il voudra des faits. Restez factuels. Toute appréciation que vous pourriez ajouter sera entendue d'une oreille distraite. Ce n'est pas parce que le chien a déjà mordu qu'il va être placé en niveau 4, mais le vétérinaire aura besoin de comprendre.
Il se demandera si le chien chassait, s'il se défendait, si l'agression était causée par un conflit hiérarchique (sexuel, ou lié à la nourriture, à la gestion de l'espace). Si cette agression, du point de vue d'un chien (et pas d'un humain) était normale.

Un exemple ? J'ai déjà laissé vivre un mordeur d'enfant. Un chien de 7 ans, sans histoire, auquel un enfant de quatre ans est venu mettre un coup de bêche alors que le chien venait de se blesser, et qu'il se terrait au fond de la voiture de son maître. La morsure était simple, vulnérante mais non appuyée, elle est venue après un avertissement en bonne et due forme que l'enfant n'a pas respecté. Je crois que je ferai un billet sur cette évaluation, tiens...
J'ai interdit au maître de remettre le chien en présence d'enfants (facile, c'était déjà le cas avant, il n'y a aucun enfant qui vive dans ce foyer, ni même qui y passe régulièrement). J'ai constaté que les parents avaient (c'est assez rare pour être souligné, mais le cas était simple) bien compris que l'enfant était en faute. D'ailleurs, ils ne réclamaient pas l'euthanasie du chien... Ils voulaient savoir s'il y avait un risque majoré.

  • L'état de santé du chien :

L'évaluation a lieu au cours d'une consultation, il y aura un examen clinique. Est-il bien nourri, bien soigné, est-il atteint de maladie qui peuvent affecter le risque ?

Un chien qui souffre d'arthrose, et qui a donc des douleurs chroniques, peut être très susceptible : comment va-t-il réagir lorsque le petit cousin ira le chahuter dans son panier alors qu'il a déjà mal partout ? Quand vous avez mal, vous êtes de mauvaise humeur, plus susceptible, plus violent. Un chien, c'est pareil.

  • Le comportement du maître :

A-t-il peur de son chien, méconnaît-il le danger potentiel qu'il représente ? Est-ce qu'il le gère bien ?

Est-ce qu'il comprend quelque chose aux chiens ?

Est-ce qu'il peut physiquement le maîtriser ?

Est-ce qu'il sera capable de le maîtriser ?

  • La catégorie du chien :

La catégorie du chien (1 ou 2 selon la loi du 6 janvier 1999) n'est pas un critère.

Renouvellement de l'évaluation comportementale

Article D211-3-3
Créé par Décret n°2008-1158 du 10 novembre 2008 - art. 1
Le propriétaire ou le détenteur d'un chien mentionné à l'article L. 211-12 est tenu de renouveler l'évaluation comportementale prévue à l'article L. 211-14-1 dans les conditions définies ci-après :
1° Si l'évaluation comportementale conclut que le chien est classé au niveau de risque 2, elle doit être renouvelée dans un délai maximum de trois ans ;
2° Si l'évaluation comportementale conclut que le chien est classé au niveau de risque 3, elle doit être renouvelée dans un délai maximum de deux ans ;
3° Si l'évaluation comportementale conclut que le chien est classé au niveau de risque 4, elle doit être renouvelée dans le délai maximum d'un an.

Le vétérinaire a manifestement la possibilité de prescrire une réévaluation plus précoce. Je pense notamment aux cas de pathologies organiques qui doivent être traitées, ou aux familles dans lesquelles la relation homme-chien n'est pas cohérente par défaut de compétence du maître. Dans ce dernier cas, six mois de travail en club d'éducation peuvent aplanir bien des difficultés...

Voilà tout ce que m'inspire ce texte pour le moment, je complèterai le billet selon vos questions ou les oublis que je pourrais éventuellement remarquer dans les jours qui viennent, n'hésitez pas à réagir.

samedi 18 octobre 2008

Permis provisoire de détention

Il y a un petit peu d'agitation dans le monde des "chiens dangereux" depuis quelques semaines : depuis la promulgation de la loi du 20 juin 2008, tout le monde attends les décrets la concernant (et les décrets manquants de la loi du 6 janvier 1999, mais j'y reviendrai).

Pourquoi ?
A cause de ce minuscule décret créant l'article D211-5-2 du code rural :

Lire la suite...

samedi 28 juin 2008

Solitude

Jour 1

Il est 18h45. Dans quelques minutes, la clinique va fermer ses portes. Je suppose que je serai parti... d'ici une heure ?
Je suis assis dans la courette du chenil, à même le sol, sur le carrelage.
Mon regard se perd dans le vague. Devant moi, il y a le grillage et, derrière, la forêt.
Dans ma main droite, il y a le téléphone, que je viens de raccrocher. Une cavalière inquiète pour sa jument.
A ma gauche, tout contre moi, il y a Loulou.

Loulou, c'est un bâtard de chien de chasse à poil dur, du genre pas trop identifiable. Il a presque 14 ans. La dernière fois que je l'ai vu, c'était il y a environ un an, pour une crise d'insuffisance rénale aiguë sur fond chronique. Incurable, mais, pour une fois, la perfusion avait bien fonctionné, et la machine était repartie. Loulou n'allait pas si mal, et, cahin-caha, il vivait sa petite vie de chien de chasse retraité.
Les propriétaires de Loulou me l'ont amené vers 15h.
Un peu chancelant, mal assuré. Déshydraté. En légère hypothermie, malgré la température étouffante. Il y a des ulcères atones en regard de ses crocs, sur la muqueuse de ses gencives. Il ne mange plus depuis deux jours, et ne boit plus beaucoup. Je n'ai pas besoin d'analyses, mais les maîtres de Loulou, oui, pour mieux appréhender la réalité.
Ses urines sont diluées, alors qu'il ne boit plus assez, au point de se déshydrater. Elles sont bourrées de protéines qui n'ont rien à faire là. L'analyseur biochimique refuse de me donner ses valeurs d'urémie et de créatininémie : trop élevées.
Loulou va mourir.
Il n'y a aucun espoir.

Le maître de Loulou s'est mordu la lèvre, sa moustache a tremblé. Les yeux de sa femme étaient rouges alors que j'évoquais l'euthanasie. Loulou, c'est le vieux briscard de la meute, celui qui a tout traversé, et même survécu à une crise d'urée. La première.
Ils ne sont pas prêts à accepter sa mort : après tout, la dernière fois, ça a bien marché. Il y avait des larmes derrière ses lunettes lorsqu'il m'énonçait cet espoir.
Je l'ai balayé d'une voix désolée.
Parce qu'ils me l'ont demandé, je vais garder Loulou, et le perfuser.

Trois jours. Pas plus.

Il y a 20 minutes, Francesca, notre ASV, s'est précipitée dans ma salle de consultation. "C'est Loulou, ça ne va pas du tout !" Sa voix tremblait. J'ai compris quelques minutes plus tard qu'elle s'en voulait de ne pas avoir entendu ses gémissements à cause du jet d'eau dont elle se sert pour nettoyer les cages. Loulou était dehors, dans la courette.
Le chien semblait plus ou moins convulser, tout en tentant de rester debout. Lorsque j'ai posé ma main sous sa gueule, il s'est appuyé de tout son poids. Il tremblait.

Il tremblait comme un perdu.

Il paniquait.

Je l'ai couché délicatement, puis je lui ai débouché sa perfusion, tout en rassurant Francesca. Elle culpabilisait.

Loulou va mourir. Mais peut-être pas tout de suite.

Je me suis assis dans la courette, près de lui. Contre moi, à ma gauche, il y a Loulou, dont les antérieurs pédalaient dans le vide.
Il tremblait.
Il mâchonnait.

Il est comme un très vieil enfant perdu dans le noir, loin de ses maîtres, qui sont partis en pleurant leur compagnon.

"On est bête avec ces animaux".

Loulou est tout seul. Alors je m'assieds contre lui, je pose ma main sous son oreille, et je le caresse, fermement. Je lui parle, d'une voix grave et posée, sur un ton rassurant.
Juste quelques mots.
Quelques mots simples. Quelques mots idiots.
Les tremblement diminuent doucement, les antérieurs pédalent moins vite.
Sa respiration s'apaise. Il m'entend. Il comprend mes caresses.
Je ne peux rien pour lui. Juste l'accompagner, alors je reste là, et je lui parle, pour ne rien lui dire. Il n'y aura pas de médicaments.
Lorsque le téléphone sonne, le chien respire paisiblement. Je rassure la cavalière. Je sais qu'il m'entend. Je raccroche.

"Là Loulou, là..."

Passent les minutes.

Je suis si fatigué.

Loulou va mourir. Mais il remue la queue au rythme de ma main gauche.

Lorsque je me relève, il tente de me suivre, et je l'accompagne jusqu'à sa cage, où il s'allonge comme une masse.

Il ne passera peut-être pas la nuit.

Jour 2

Ce matin, Loulou s'est levé. Il m'a entendu lui parler, et je me suis accroupi devant lui. J'ai passé mes doigts à travers la grille, sans le toucher. Il voit, mais il ne me regarde pas. Il ne regarde plus rien.

Il refuse de manger, alors, j'ouvre la cage et tente de lui donner à boire. Il n'en a pas besoin, mais... Loulou s'intéresse à la gamelle d'eau, renifle la surface, plonge la truffe, il ne lape pas. Il ressort le museau mouillé de l'eau, et éternue.
Il se remet à mâchonner.

J'ai tenté de donner à manger à Loulou. Peine perdue. Même de force, c'est inutile : il vomit aussi vite que je le gave, malgré les anti-émétiques.

...

Je suis repassé dans le chenil. Il se tenait debout, un frisson a parcouru son épine dorsale.

Il attend.

...

La clinique va fermer. Loulou se tient couché, la tête posée à la verticale, dans un coin de la cage.
Quelques minutes plus tard, mes médicaments ont soulagé la douleur.

Il a tourné la tête vers moi quand je l'ai caressé. Je ne suis pas sûr qu'il m'ai regardé. Pourtant, il voit.

Jour 3

Cela fait deux fois que Loulou s'urine dessus, malgré les sorties régulières. Il pisse comme un chiot, debout, les quatre pattes posées. Toujours aussi chancelant.
Il n'y a aucune amélioration, mais cela n'empire pas non plus.

Je couche Loulou dans l'herbe, au pied de la forêt. J'enfile mes gants, j'ai l'impression que le temps ralentit. Une douchette au bout d'un tuyau, une bouteille de shampooing, je lui frictionne le bout des pattes, puis toute la cuisse droite. Mouvements lents, ma voix est grave, presque lancinante. Je lui nettoie le fourreau, puis tout l'abdomen. Le périnée, puis l'autre cuisse, après un demi-tour sur le dos. Il se laisse faire, tente vaguement de se redresser lorsque je lui shampooine un antérieur. Je suis sidéré par la douceur de cette douche.

Vient le temps du séchage, il fait si chaud !
Je relève Loulou, il tient vaguement sur ses quatre pattes et se prête avec complaisance à mes frictions, j'ai presque l'impression de le retrouver. Son regard s'est posé sur moi lorsque je l'ai appelé.

Suivant mes traces, il retourne s'effondrer comme une masse dans sa cage.

Pas d'eau, pas de nourriture, il refuse tout.

Que faisons-nous ?

Jour 4

Cette fois-ci, Loulou n'a pas passé une bonne nuit. Malgré le caillebotis, il s'est roulé dans sa diarrhée, ses premières selles depuis qu'il est arrivé. Il est couvert de merde jusqu'au-dessus des oreilles. Il se tient debout, frémissant.

Il attend.

Blouse.

Gants.

Bottes.

Je prends Loulou par la peau du cou, et le ramène dans la courette, au pied des arbres. Il semble guilleret un instant, puis s'effondre.

Je sais qu'aujourd'hui, Loulou va mourir. Je vais lui faire une prise de sang, les paramètres seront encore pire. Ensuite, je téléphonerai à ses propriétaires, et je leur dirai qu'il est temps. Puis je le tuerai.

Loulou est couché sur le flanc gauche. Malgré mes perfusions, il reste déshydraté. Je me rends compte qu'il a fondu.

A nouveau, je passe doucement la douchette sur son pelage rêche et collant, la boue diarrhéique s'écoule entre ses poils, ruisseaux bruns sur un carrelage blanc. Cette fois-ci, je ne parle pas. Il n'y a plus rien à dire. Je verse le shampooing, je ne sens même pas son odeur. Je me rends compte que, comme d'habitude, mon réflexe de respiration buccale a pris le dessus dès l'ouverture de la porte du chenil.
Je m'assieds. Ou plutôt : je tombe sur mes fesses. Puis je prends une grande inspiration. Une inspiration nasale. L'odeur est incongrue, quand se mêlent la douceur du shampooing et le parfum de la merde.

Je reprends la toilette de Loulou, qui tourne sa tête vers moi d'un air offensé lorsque je lui nettoie le périnée, l'anus et la queue. Le poil blanc prend une teinte plus conforme à sa nature, et je continue mes caresses. Cuisses, fourreau, abdomen, le dos est épargné. Je me rince les mains, puis lui nettoie les oreilles. En connaisseur, il apprécie le massage du conduit auditif. Par contre, il ne semble pas du tout goûter le rinçage des babines et du museau. A nouveau, il mâchonne.

D'ici une heure au plus, je le tuerai.

En attendant, je le rince, puis le sèche à nouveau avant de l'allonger au soleil. Il pousse un soupir de soulagement, presque un ronronnement.

Prise de sang. Il est encore humide, mais je pose un garrot sur son antérieur droit, mon aiguille s'enfonce sans erreur dans sa veine céphalique. 3 millilitres d'un sang noir, mais fluide. Loulou ne bronche même pas, il lève à peine la tête.

L'analyseur a commencé son travail. Plus que trente minutes.

Dehors, au soleil, Loulou s'est mis à japper comme un chiot. Je délaisse le petit laboratoire pour m'accroupir à ses côtés, je prends sa gueule entre mes doigts, il s'appuie instantanément. Je suis sûr qu'il ronronne.

L'analyseur a émit son bip fatidique. J'ai mal aux genoux en me relevant, un souvenir des vaches.

C'est pire qu'il y a trois jours.

Loulou va mourir.

"Madame Colombe ? Pardonnez-moi de vous déranger, c'est le cabinet vétérinaire. Je suis désolé, je vous appelle plus tôt que prévu, mais je viens d'avoir le résultat de l'analyse. Comme je le craignais, cela n'a servi à rien.
Comme d'habitude, j'aurais préféré me tromper.
Et puis... il perd doucement les pédales. Souvent, il agit comme un chiot.
Non, il ne mange toujours pas.
Non, je ne sais pas s'il souffre, mais je pense qu'il a des crises d'angoisse, il est perdu. Il faut arrêter, madame.
Oui.
Oui.
Je m'en occupe.
Il ne souffrira pas : je vais l'endormir, puis le second produit arrêtera son coeur.
Nous garderons le corps, vous pourrez venir le chercher quand votre mari rentrera.
Oui. Vous pourrez l'enterrer."

Je pose le combiné, je me relève. La porte du frigo, les anesthésiques. L'euthanasique dans son armoire fermée à clef. Quelques seringues. Olivier me jette un regard, je lui tends l'analyse. Il n'y a rien à dire.

Je m'assieds aux côtés de Loulou. Il relève la tête, et me regarde.
Finalement, je vais me mettre face à lui. Ses yeux semblent perdus au fond de puits obscurs, ses troisièmes paupières voilent son regard, Loulou va s'en aller. Je suppose que la clinique va continuer sa vie pendant ce temps, mais Francesca a fermé la porte de la courette.

J'ai disposé les seringues à côté de moi. Cette fois, ce sont les dernières caresses, Loulou. Je ne pleure pas, mais je me sens lourd. Sa tête est posée entre mes mains, mes doigts jouent avec la base de son oreille, je sais qu'il adore ça. Sa queue remue faiblement. Quelques minutes.

De ma main droite, je libère le cathéter et débranche le tuyau. Ma main gauche reste contre sa tête. Je branche la première seringue, et pousse doucement le piston.

Je reprends la tête de Loulou entre les mains. "Ca va aller, Loulou, ça va aller." Pas un son ne sort de ma bouche, mais c'est tout comme. Si j'avais parlé, je pense que j'aurais croassé. A la place, je bourdonne un peu, gravement, sans vraiment articuler.

Sa tête se fait de plus en plus lourde. Il soupire, son regard ne semble pas changer. Alors, je pose délicatement sa gueule par terre, puis j'injecte le contenu de ma deuxième seringue.

Un nouveau soupir.

Je mettrais son corps dans un grand sac blanc.

Un peu plus tard.

Loulou est mort.

jeudi 26 juin 2008

Loi du 20 juin 2008 sur les chiens dangereux.

Ca y est, la loi renforçant les mesures de prévention et des protection des personnes contre les chiens dangereux a été promulguée. Revue de détail.

Rappel des épisodes précédents :

Si vous avez un peu suivi, toute une catégorie de ce blog est dédiée aux chiens dits dangereux. Pour les plus intéressés, vous pouvez tout lire. Pour les autres, je vais récapituler rapidement.

A l'origine était la loi du 6 janvier 1999 sur les chiens susceptibles d'être dangereux, qui donna une existence légale au pitbull et tenta de trouver une solution de bon sens au problème : tous les stériliser, pour les faire disparaître, et punir les maîtres qui se promèneraient avec les survivants sans faire attention. On découvrit ainsi deux catégories de chiens dits dangereux, on réprima, et... on constata que ça ne marchait pas. On avait toujours de nouveaux pitbulls sur le marché, puisque le Journal de Mickey avait menti.
Le Journal de Mickey ? Oui, vous savez, Pat Hibulaire et autres brigands ont toujours un bandeau noir avec deux trous sur les yeux (on dit un loup, non ?), ça permet de comprendre qu'ils sont méchants. Le législateur aurait bien aimé qu'il en soit de même avec les chiens, et les pitbulls semblaient parfaitement coller au rôle. Idée splendide : en les stérilisant, ils disparaîtraient. Sauf que... un pitbull n'est finalement qu'un avatar raté de super-vilain et qu'un chien n'est pas génétiquement méchant. En plus, en croisant un boxer et un fox terrier, ou un labrador, ou à peu près n'importe quoi, on obtient un magnifique pitbull tel que défini dans la loi, et potentiellement aussi méchant que Pluto. Vous savez, l'ami de Mickey. Ou son chien. Bref.

Ca n'a pas marché. On a bien bidouillé un peu la loi ensuite, mais ça n'a pas été beaucoup mieux.

D'ailleurs, un gamin ou deux se sont fait manger par des chiens qui n'avaient pas leur bandeau noir. Il faut dire qu'entre 1989 et 2007, seules 5 décès sur 28 sont imputables à des chiens de catégories. Pour 23 provoquées par d'autres canidés ayant oublié de porter leur bandeau : des bergers allemands, des husky, un jagd terrier, etc. (et 6 qui n'ont pas été précisés). Et au-delà des morts, accidents dramatiques et spectaculaires, il y a aussi toutes les morsures qui restent généralement inconnues du grand public. Parfois, la presse et le président s'ennuient et s'éveillent soudain, promettant moultes répressions et punitions aux vilains porteurs de bandeaux. Ah zut, il ne portait pas de bandeau, celui-là.

Alors on s'est dit qu'on allait tous les euthanasier, tiens, les vilains pits et les Mirza qui avaient juste un peu une sale tronche. Un conseiller de bonne volonté a expliqué à la ministre que, par exemple, un croisement de labrador et de boxer ça donnait un pit, alors elle s'est dit qu'elle allait interdire ces liaisons accouplements dangereux, et surtout leurs produits (interdire, avec des chiens, ça veut dire tuer). Manifestement, le conseiller ne s'était pas bien fait comprendre. Puis finalement, ça n'a pas semblé très raisonnable, alors les débats ont avancé.

Le texte a fait des aller-retours entre le Sénat et l'Assemblée, subissant de nombreuses ajustements très importants. Les vétérinaires, notamment par l'intermédiaire de l'association Zoopsy, ont réussi à prouver que la profession pouvait s'impliquer dans le volet préventif,

Dans ces navettes, un observatoire des comportements canins, chargé de fournir des statistiques exploitables sur les morsures et autres impacts du chien dans la société française a joué le serpent de mer entre les deux chambres.
Le volet répressif s'est alourdi.
L'idée d'abandonner la catégorisation obsolète en fonction du bandeau noir n'a malheureusement pas été retenue, mais au moins les catégories n'ont pas été étendues.
Certains ont soutenu l'idée de catégoriser la dangerosité des chiens en fonction de leur poids.
L'idée d'évaluer le comportement du chien et de former le maître a été évoquée, puis retenue. Les conditions d'un détention d'un chien de garde par un professionnel du gardiennage ont également été définies.

La loi du 20 juin 2008

Je vous rappelle que vous pouvez trouver l'intégralité de ce texte sur Légifrance. J'ai déjà commenté une version assez aboutie de ce texte dans ce billet, consacré à la deuxième lecture au Sénat. Enfin, cette loi vient compléter celle du 6 janvier 1999, dont je parle ici, n'hésitez pas à vous y référer.
Le dernier rapport de Mme Vautrin, pour la commission mixte paritaire, détaille de façon intelligible les différents articles de la loi en précisant certains arguments des divergences entre l'Assemblée et le Sénat. Je reprends l'essentiel dans un ordre qui me semble plus logique.

Un observatoire du comportement canin

Il est institué, auprès du ministre de l'intérieur, des ministres chargés de l'agriculture et de la santé, un Observatoire national du comportement canin.
Un décret définit les conditions d'application du présent article.

Évidemment, le décret n'est pas paru. L'idée est de fournir des données et une structure capable de propositions dans le cadre de la lutte contre les chiens dits dangereux, mais aussi, plus largement, sur la place du chien dans notre société. Cette structure, souhaitée par le Sénat, était refusée par les députés qui craignaient, comme Authueil, une énième usine à gaz. Ou à pétrole, parce que c'est plus cher. A mon avis, cette structure est nécessaire, j'espère qu'Authueil se trompe et qu'elle sera productive.
Il faut quand même savoir que l'on légifère et argumente sans avoir de donnée fiable sur la dangerosité des chiens, sur le nombre de morsures, sur l'impact des lois précédentes, etc... Certaines mauvaises langues argueront que c'est une habitude de procéder ainsi, mais je ne serai pas fâché d'avoir des données sérieuses là où règne un mélange de bon sens (et je me méfie du bon sens), d'expérience empirique et un fatras de chiffres contradictoires.

L'obligation de déclarer les morsures

Les professionnels, dont je fais partie, devront passer outre le secret professionnel et déclarer au maire les morsures dont ils auront connaissance, même les plus minimes. Cette déclaration déclenchant éventuellement une action du maire dont vous allez découvrir les détails ci-après...

Une formation pour les maîtres de chiens considérés comme dangereux

Une des nouveautés de cette loi est de prendre en compte les chiens ayant déjà mordu, même légèrement. Les maîtres de ceux-ci, comme ceux des chiens des catégories créées par l'article L. 211-12 de la loi du 6 janvier 1999, devront suivre une formation dispensée par des éducateurs canins agréés.

Le rapport précise que :

La formation durerait une journée. Une partie théorique permettrait d’approfondir des connaissances sur le chien, son éducation, et les réseaux d’aide à l’éducation canine, ainsi que les règles fondamentales de sécurité relative à la garde de l’animal dans les espaces publics et privés. Lors d’une partie pratique, le propriétaire ou détenteur devra démontrer sa capacité à savoir faire marcher un chien à ses côtés et à le maîtriser, à savoir se faire obéir à des ordres élémentaires, savoir poser correctement une muselière, et maîtriser le comportement du chien en présence d’autres chiens et de leurs maîtres.

La formation sera à la charge du maître.

Une évaluation comportementale

Les chiens considéré comme dangereux, donc, par défaut, ceux des catégories 1 et 2 comme ceux qui auront déjà mordu (même légèrement !) devront passer par une évaluation comportementale. dans le dernier cas, ce sera donc éventuellement sur demande du maire. L'idée est de prendre en charge les chiens présentant des comportements agressifs même modérés afin d'éviter les véritables drames, car le bon sens et l'expérience (mais aucune donnée statistique ou validée, suivez mon regard vers l'observatoire) nous indiquent que les chiens qui ont mordu gravement avaient déjà fait preuve de comportements anormaux avant, comportements qui auraient du déclencher une alerte.

Notez que les sénateurs voulaient mettre en place un seuil de poids au-dessus duquel l'évaluation aurait été obligatoire en raison de la gravité supérieure des morsures des gros chiens. Ce critère a été abandonné, avec les justifications suivantes :

Les différents acteurs de la filière canine ne sont pas unanimes sur le poids critique. Le seuil de 30 kilogrammes, souvent évoqué, permettrait d’englober près du quart de la population canine. Mais de nombreux chiens considérés comme dangereux, appartenant aux catégories 1 et 2 notamment sont bien moins lourds. Un seuil plus bas concernerait un trop grand nombre de chiens, faisant peser des contraintes excessives sur leurs maîtres. Un tel dispositif serait sans doute inopérant, faute d’un nombre suffisant de professionnels qualifiés pour effectuer les évaluations comportementales. On ne peut pas non plus faire abstraction du risque de mauvais traitements de certains propriétaires de chiens qui ne les nourriraient plus assez, afin de maintenir leur poids en dessous du seuil réglementaire. Or on sait bien que ces mauvais traitements augmentent la dangerosité des chiens. Enfin, un tel seuil risque d’augmenter encore les abandons d’animaux.
En outre, comme l’indiquait le ministre de l’Intérieur, si le poids de référence était fixé à 30 kg, plus de 2 millions de familles seront concernées. Le contrôle de l'efficacité de cette mesure sera donc extrêmement difficile.
Votre rapporteur estime que l’article 4 apporte déjà une solution à ce problème, en soumettant à évaluation comportementale tout chien mordeur : les morsures sérieuses sont en général précédées de petits incidents. Si les chiens sont mis sous surveillance et leurs maîtres responsabilisés dès ce stade, cela doit permettre de prévenir les morsures dangereuses.

L'évaluation sera à la charge du maître.
Je reprendrais ultérieurement ce point spécifique qui concerne la profession vétérinaire dans un billet dédié.

Une augmentation des pouvoirs des maires

Dans le prolongement de la loi du 6 janvier 1999 et de l'extension du pouvoir des maires avec celle du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, le maire peut (et va) réclamer une évaluation comportementale puis une formation du maître pour tout chien ayant mordu, s'il ne choisit pas, comme il peut déjà le faire en cas de "danger grave et immédiat", de le placer dans un lieu de dépôt et, le cas échéant, et après avis (consultatif) d'un vétérinaire, de faire procéder à son euthanasie. Notons que rien ne définit un danger grave et immédiat...

Un permis de détention des chiens de première et deuxième catégories

Les détenteurs habituels de chiens de première et seconde catégories devront posséder un permis de détention réunissant les anciennes obligations (vaccination, assurance, etc) et les nouvelles, décrites ci-dessus. Ce permis sera délivré par le maire, qui pourra le refuser si le chien est considéré comme dangereux lors de l'évaluation comportementale (ou pour d'autres raisons d'ailleurs).

Le permis ne sera pas obligatoire pour les gens qui détiendront temporairement le chien, comme vos parents si vous leur laissez votre rottweiler pour le week-end. Par contre, dans ce cas, vous serez responsable de votre chien. L'idée est de responsabiliser les maîtres.

Je reprendrai les détails de ce permis dans un autre billet.

Un suivi administratif des animaux dont l'identification est obligatoire

Ou, le retour de Big Brother.

La collecte et le traitement des données ainsi que l'échange d'informations entre les structures professionnelles et la base de données nationale d'identification des animaux sont indispensables pour permettre le fonctionnement du dispositif de traçabilité des animaux et pour assurer une meilleure connaissance des filières.

Mouais. Fichons, fichons.

Les chiens de gardiennage

La loi prévoit toute une série de mesures concernant ces professionnels afin de s'assurer de leur qualification. D'importantes mesures répressives sont déployées afin d'obliger les employeurs de ces agents à assurer et contrôler la formation de leur personnel.
Je ne développerai pas ce point plus avant, à moins qu'il y ait des personnes intéressées ?

Renforcement des sanctions

Sur le modèle des accidents de la route, les accidents provoqués par les chiens entraînent pour leur maître des peines graduées qui peuvent être extrêmement lourdes. Maître Eolas, avocat, a déjà dit ce qu'il en pensait par ici, ou encore , et moi par là.

Mise en place des mesures

Elle sera progressive, jusqu'en décembre 2009. je reprendrai le calendrier dans les billets sur le permis de détention ou l'évaluation comportementale, mais vous pouvez le trouver ici.

Mon avis

Mon premier regret, c'est le manque de courage du législateur qui ne va pas au bout de son raisonnement et n'abandonne pas les catégories créées par la loi du 6 janvier 1999, qui ont largement prouvé leur inadéquation avec la réalité.

Mon second regret, c'est l'importance du volet répressif, qui, à mon sens, n'améliorera pas la situation. D'autant que les pouvoirs du maire sont très étendus et peu susceptibles de recours... le vétérinaire aura un rôle central à jouer dans ses décisions, mais sera-t-il écouté ?

Par contre, dans les bons points, on prend en charge les chiens mordeurs dans un dispositif à la fois préventif (évaluation comportementale, formation) et répressif (puisque ces deux points peuvent déboucher sur des sanctions, jusqu'à l'euthanasie pour les plus dangereux).

On prend enfin en compte la nécessité de données fiables avec l'observatoire du comportement canin.

Cependant, je pense sincèrement que cette nouvelle loi est inadéquate. Notamment avec la persistance des catégories. En réalité, avait-on vraiment besoin d'elle ? Il me semble que la loi aurait pu se résumer aux mesures concernant les chiens ayant mordu, avec évaluation et formation, et que tout le reste aurait pu être oublié... tout en abrogeant la loi de 1999.
Je me dis cependant que les choses auraient pu être bien pires, surtout pour une loi lancée sur un fait divers. J'apprécie que les professionnels, vétérinaires comme éducateurs, aient pu la faire évoluer dans le bon sens.
Alors je ferai avec, je réaliserai des évaluations comportementales et des diagnoses de catégories, et je soupirerai en entendant une dame m'expliquer qu'il faudrait tous les euthanasier, ces piteboules, tandis qu'elle caresse, d'une main distraite, le pit qui est venu lui dire bonjour au comptoir (ne riez pas, ça m'est arrivé).

jeudi 6 mars 2008

Rage

On entend à nouveau parler de la rage ces dernières semaines, suite à la découverte d'un cas en Seine et Marne le 26 février.

Comme d'habitude, cet épisode est la conséquence d'une importation illégale d'un animal depuis un pays où la rage reste une maladie courante. En l'espèce, il s'agirait d'un chien non vacciné, parti avec ses maîtres au Maroc, et qui aurait rapporté le virus dans ses souvenirs de vacances avant de le transmettre à ses petits camarades.

Comme d'habitude, c'est l'ignorance ou la négligence qui mettent des vies en danger et, accessoirement, lancent une alerte sanitaire d'ampleur.

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