En consultation avec un aveugle
jeudi 7 février 2008, 14:12 Un peu de recul Lien permanent
Il y a, dans notre clientèle, deux ou trois personnes aveugles qui viennent régulièrement avec leur chien en consultation. Je m'impose de leur réserver un traitement très particulier : ne pas leur réserver un traitement particulier. Ou plutôt : ne pas faire comme si elles n'étaient pas aveugles, sans pour autant les traiter avec la compassion froide et détestable que l'on peut réserver aux handicapés.
J'ai eu la chance de côtoyer, pendant l'un des stages de ma scolarité, une équipe de personnes aveugles ou malvoyantes. J'ai appris à leur contact un certain nombres de "trucs" difficiles et essentiels. Le plupart d'entre eux avaient l'habitude des stagiaires comme moi, et n'hésitaient pas à exprimer facilement leurs attentes, leurs envies, leurs espoirs ou leurs critiques.
Je suppose que j'ai eu, à cet égard, le même abord de ce handicap que la plupart des gens : croiser parfois un aveugle dans la rue, avoir une grand-tante qui n'y voit plus rien depuis longtemps. On hésite entre une envie de jouer au boyscout en aidant à traverser, une espèce d'indifférence teintée de peur de l'autre et de peur de soi, la peur de blesser - et donc, esquiver tout contact, en jouant l'évitement. On dit "non-voyant" au lieu de dire "aveugle". Ca fait moins peur.
Pendant ce stage, les aveugles, entre eux, ou parlant d'eux, n'utilisaient pas ces périphrases politiquement correctes. C'était franc et direct, ils venaient au contact pour briser la peur et chercher l'humain. Ils le trouvaient très vite, du coup ! Ils n'hésitaient pas à demander de l'aide s'ils ne pouvaient se débrouiller seuls.
C'est une évidence ?
Pas pour le jeune étudiant vétérinaire que j'étais.
Je n'osais plus utiliser des tournures de phrases spontanées, de peur d'utiliser une expression du genre : "tu vois, je pense qu'on devrait plutôt faire ça". L'auto-censure cassait le naturel, et les relations humaines avec. Quand j'ai entendu leurs plaisanteries, je me suis senti stupide. Ignorant, orgueilleux, et plutôt lâche.
J'ai pris sur moi, et le naturel a fait le reste.
Quand j'ai un maître aveugle en consultation, certains trucs me reviennent en mémoire.
Décrire tout ce que je fais, tout ce que je perçois, mais sans en rajouter.
"Je vais écouter le cœur de Rex, je ne pourrais pas vous entendre pendant quelques dizaines de secondes avec ce stéthoscope sur les oreilles."
Ne pas chercher à minimiser l'impact de mes mots, de mon diagnostic, sous prétexte que la personne face à moi est aveugle. Traiter l'autre normalement ! C'est bête à dire, et pourtant, il ne me semble pas que ce soit une évidence.
Surtout, parler directement au maître du chien et pas à celui ou celle qui l'accompagne.
Le regarder dans les yeux quand je m'adresse à lui.
Je n'hésite plus à prendre ce client par la main, à lui indiquer qu'il y a une chaise juste derrière lui, à un mètre, et le bureau à 50 centimètres sur sa gauche. A lui remettre la laisse du chien directement. A le toucher, à l'orienter.
Je trouve ça difficile : j'ai du mal à toucher les gens. Une poignée de main, pas de problème, mais au-delà, j'ai presque l'impression d'agresser, surtout quand mon interlocuteur ne peut pas voir venir le contact. Et pourtant, ces aveugles avec lesquels je travaillais cherchaient, au contraire, ce toucher. Testaient-ils mon assurance, mes intentions dans ces échanges ? Y lisaient-il ce que nous décryptons naturellement dans les expressions faciales et corporelles de nos interlocuteurs ?
Il reste un facteur à ne jamais oublier dans la relation qui unit un maître aveugle et son chien : l'animal n'ignore généralement pas le handicap de son maître, d'une certaine façon, il le gère. Mais il ne juge pas, évidemment. Je crois que c'est un bien très précieux, dont parlent souvent ceux que la société place à sa périphérie : handicapés physiques ou mentaux, alcooliques, dépressifs...
La relation est différente entre un aveugle et un chien-guide, car le premier est généralement très fier du second. Le chien-guide, de plus, est un formidable facteur d'intégration pour son maître : il est tellement facile et naturel de dire à cet homme chaussé de lunettes noires que son chien est magnifique, quand on ne lui aurait pas adressé la parole autrement. C'est d'ailleurs essentiellement pour ça que les chiens-guides, aujourd'hui, sont des labradors ou des golden retrievers, et non des rottweilers ou des bergers allemands. Personne n'a peur des premiers, peluches à caresses, quand les second inquiètent ou affolent... Pourtant, il est bien plus simple de dresser un berger allemand qu'un labrador !
Commentaires
J'ai cotoyé au quotidien une personne aveugle (c'est le père d'une amie)et j'ai été surprise dans un premier temps de tout ce que pouvait accomplir cet homme (même si cette surprise est crétine quand on y pense ensuite...) et il n'a jamais hésité à exprimer clairement ses attentes comme tu le dis (exemple : lui tenir le bras d'une certaine manière pour marcher ensemble, ainsi il "analysait" mieux ma démarche et pouvait mieux appréhender la route sur laquelle nous marchions.
Y a pas à dire, on est nul dans notre apporche des personnes handicapées quand on est pas habitués...
J'ai eu un client aveugle également, et c'est vrai que certains réflexes doivent être modifiés : le fait de tendre la main en beuglant "enchanté" a des suites surprenantes, le fait de s'effacer en disant "allez-y, c'est la troisième porte sur votre droite" itou... on se retrouve rapidement con, ou plutôt circonspect, essayant de prévenir la boulette et, du coup, le naturel s'enfuit.
J'ai eu un énorme avantage sur ce coup, le client avait 26 ans, était doté d'un humour dévastateur et avait l'air fermement décidé à être traité normalement. Du coup, c'est lui qui m'a guidé... simplement, juste en me précisant ses besoins.
Ayant été secouriste et en contact avec des handicapés moteur, je n'ai habituellement pas de réticences particulières face au handicap, mais ce premier contact avec la cécité a été perturbant.
Je l'ai par exemple trouvé plus difficile que certains dialogues avec des hémi ou tétraplégiques, parceque certaines notions ne sont pas accessibles aux aveugles de naissance, comme les couleurs, ou l'emploi d'explications visuelles (j'ai l'habitude de faire des croquis pour appuyer mes propos) et même si votre interlocuteur a de l'humour et un naturel patient, il est délicat de faire attention, en plus de la forme et du fond, aux tournures de phrase employées, au vocabulaire à bannir (en tout cas c'est ce que l'on croit)...par ailleurs, je partage la réticence de Fourrure face au contact, souvent requis lorsque l'on a affaire à un aveugle.
Pour rebondir sur le commentaire de Sophie, je ne pense pas que l'on soit nul dans l'approche du handicap, mais que l'inexpérience se voit justement à l'incapacité de sentir à quel moment il convient de faire attention et quand on peut être naturel.
J'ai beaucoup d'amis ergothérapeutes, et leur vocabulaire peut être extrêmement cru, voire choquant, et ce en face même des handicapés qu'ils côtoient. C'est lors de ces moments que je me suis rendu compte du fait que ces derniers semblent apprécier que, de temps en temps, on arrête de ne voir que leur handicap pour les traiter normalement.
les chiens d'assitance pour personnes handicapés , remplissent aussi ce rôle de "lien" social ( je suis famille d'accueil , benevole , pour l'education d'un chien ) en eduquant le chien , on découvre le handicao sous un tout autre jour , on vit vraiment le quotidien de ces personnes
Ouh que je ne suis pas d'accord avec cette dernière phrase !! Pas d'accord du tout même! Et vous avez beau être véto; la je conteste royalement lol
Le Labrador comme tout autre chien est autant éducable que le berger... La seule différence entre ces deux chiens est que le berger est un chien exclusif avec son maitre... il est donc plus difficile de dresser un berger qui va forcement s'attacher a son maitre, puis de lui retirer pour le donner a une personne qui aura besoin de ses compétences (et accessoirement de sa compagnie ;) ). Le labrador a une prédominance sociable (je ne dis pas qu'il 'existe pas de berger sociable; seulement que c'est plus rare); il est donc plus facile de le passer de main en main...
Maintenant il y a des exceptions comme dans tous cas d'ecole; car par exemple ma chienne qui est une labrador est completement exclusive avec moi et a 6mois elle connaissait deja assis, debout et couché... Ce que je trouve enorme pour son age, pour une chienne de maison "classique".
De plus, je n'aime pas faire de généralité sur les races car je n'aime pas les préjugés; mais je me méfie vachement plus d'un berger allemand (pas dans le sens ou j'en ai peur; mais je ne confierais pas un chaton a ma berger alors qu'a ma lab oui...) que de tout autre chien... Et ça n'a rien a voir avec les statistiques "bidon" que des gens ont sortis d'on ne sait où concernant les berger allemand comme race de chien la plus mordante de France.
Bref; vous aurez compris que je suis plus passionnée (et très bien renseignée en faisant mes propres recherches et mes propres constatation dans la vie) par tout ce qui est dressage et comportement ;)