Le 6 novembre : des vétos en grève ? Qui manifestent ?

Vétérinaires en colèreMercredi 6 novembre 2013, je serai à Paris, comme beaucoup de mes consœurs et confrères.

Imaginer des vétérinaires praticiens libéraux se rassemblant dans un tel mouvement me sidère. A ma connaissance, ce n'est jamais arrivé. Il y a bien eu une grève du mandat sanitaire il y a quelques années, pendant laquelle les vétérinaires ont cessé d'accomplir les actes de police sanitaire, mais ceci va bien au-delà (et n'exclue pas une telle grève, d'ailleurs).

C'est brutal, et inattendu.

Notre profession est plutôt habituée aux avalages de couleuvres à répétition, dans le silence. Parce que nous sommes des soignants, parce que nous sommes des chaînons importants de la sécurité sanitaire, nous ne laissons pas nos postes vacants, nous ne bloquons pas. Parce qu'il y aura toujours des malades, parce que nos clients éleveurs souffriraient trop d'un blocage de la chaîne sanitaire.

Depuis plusieurs années, notre profession essuie nombre d'attaques sur la délivrance du médicament vétérinaire. J'en ai déjà parlé ici, les vétérinaires sont pro-pharmaciens. Cela signifie que nous avons le droit de vendre les médicaments que nous prescrivons, pour les animaux que nous avons examiné ou pour ceux pour lesquels nous assurons le suivi de l'élevage (dans ce dernier cas, moyennement la mise en place d'un protocole de soin sur mesure). Je vous invite à lire ce billet écrit en 2011 et abordant les problématiques qui motivent cette manifestation.

Vous trouverez ici une FAQ pas trop mal foutue sur les antibiotiques à usage vétérinaire.

Les vétérinaires ne sont ni des idiots, ni des irresponsables.

On nous dit que notre utilisation des médicaments risque d'induire des résistances aux antibiotiques, on nous dit que comme nous prescrivons et vendons, nous sommes dans un insupportable conflit d'intérêt qui nous pousse à vendre toujours plus d'antibiotiques, et les plus rentables évidemment.

Nous disons que nous connaissons très bien les règles de bon usage des antibiotiques.

Nous acceptons la mise en place de procédures lourdes permettant une traçabilité maximale et une démonstration de l'usage raisonné des médicaments vétérinaires, bien au-delà des règles habituelles de prescription. Notre profession s'est engagée dans plusieurs démarches visant à prouver sa bonne volonté et la qualité de son travail, notamment le plan écoantibio 2017, la mise en place de référentiels, la réalisation des visites sanitaires bovines, la mise en place des bilans sanitaires d'élevage et des protocoles de soins.

Nous faisons remarquer que nous sommes responsables, devant notre client, de nos factures. Que nous vivons au quotidien les difficultés financières des éleveurs, et que le choix des traitements est guidé tant par un souci de leur bon usage thérapeutique que par la nécessité d'être réalistes vis à vis des coûts supportables par un élevage. Les médicaments "critiques" sont ceux qui coûtent le plus cher.

Nous savons aussi ne délivrer que la quantité nécessaire à un traitement.

Nous pensons sincèrement que la qualité de notre travail est un gage de sécurité sanitaire. Nous ne sommes pas les seuls à penser que le système actuel n'est pas mauvais. Je cite le très récent (mars 2013 !) rapport sur l'encadrement des pratiques commerciales pouvant influencer la prescription des antibiotiques vétérinaires :

La perspective de gain financier du professionnel peut en effet avoir une influence tant sur la qualité (type de médicament) que sur les volumes (quantités prescrites). La dissociation semble ainsi un moyen simple d’échapper à ces deux composantes du conflit d’intérêts et d’éviter toute prescription abusive d’antibiotiques. Pour autant, tant l’examen des autres pays européens que l’impact économique qu’aurait le découplage pour les vétérinaires en milieu rural et les autres professions agricoles ont amené la mission à écarter cette solution dans l’immédiat.
D’une part, l’examen des modèles choisis par les autres pays montre qu’il n’y a pas de corrélation entre découplage et moindre prescription d’antibiotiques. Hormis le Danemark qui a formellement limité la délivrance d’antibiotiques par les vétérinaires en obligeant ces derniers à les revendre au prix coûtant, les autres pays comme l’Espagne et l’Italie qui ont choisi le découplage total ne sont pas considérés comme des modèles dans la lutte contre l’antibiorésistance. Ainsi, les pays comme la Hollande, la Belgique ou encore l’Angleterre font sensiblement mieux en termes de volume d’antibiotiques vendus et d’antibiorésistance alors qu’ils ont conservé la possibilité pour les vétérinaires de délivrer des antibiotiques.
D’autre part, la France s’appuie depuis longtemps sur le réseau des vétérinaires pour obtenir sur l’ensemble du territoire une expertise sanitaire permettant de garantir le dépistage des maladies contagieuses et la mise en œuvre des mesures de prévention adaptées, indispensables à la protection de la santé publique. Le maintien d’un maillage suffisant de vétérinaires impose de bien peser les bénéfices attendus face aux risques sanitaires liés à une désorganisation de ce réseau. De nombreux cabinets en milieu rural, seraient menacés par le découplage alors même que le nombre actuel de vétérinaires pour animaux de rente répond déjà difficilement aux besoins.
Enfin, la dissociation existe déjà en France pour les aliments médicamenteux. Ceux-ci représentent environ 50 % du volume d’antibiotiques vendus, et le découplage complet entre le prescripteur et le fournisseur du médicament n’a pas limité son utilisation.
Par ailleurs, la mise en place d’un nouveau modèle économique, qui viserait à asseoir la rémunération des vétérinaires sur leurs seuls actes et plus du tout sur la délivrance des médicaments vétérinaires, serait très difficile pour de nombreuses raisons : impossibilité pour l’État de compenser cette perte de revenus, difficultés économiques des éleveurs, risque important de développement de l’automédication pour éviter le coût du vétérinaire, etc.
Au regard de ce bilan bénéfices-inconvénients, les rapporteurs n’ont pas retenu l’interdiction de la délivrance de médicaments, même limitée aux antibiotiques, pour les vétérinaires. Pour autant, si dans cinq ans, l’ensemble des mesures du plan Ecoantibio ne devait pas parvenir à faire baisser la consommation d’antibiotiques de 25 %, cette solution devrait alors être réétudiée.

Je suis convaincu que personne n'aurait à gagner à un tel découplage (sauf peut-être les pharmaciens).

Les vétérinaires y perdront, c'est une évidence. Certains cabinets fermeront, la plupart licencieront.

Nous augmenterons le prix de nos actes pour compenser la perte de revenu. C'est vous qui paierez. Et vous paierez toujours vos médicaments au pharmacien, ce qui ne nous concernera plus vraiment. Le choix du traitement sera moins guidé par un prix choisi à votre avantage.

Vétérinaires en colèrePar ailleurs, est-il crédible de les imaginer ne délivrer que quelques millilitres d'antibiotiques nécessaires au traitement d'un veau ? Nous nous le faisons. Nous reprenons les comprimés délivrés mais pas utilisés. Eux aussi ? Trouverez-vous un pharmacien le dimanche matin ? Ou la nuit ? Aura-t-il le médicament disponible ? Pourra-t-il vous conseiller sur le traitement à choisir comme nous le faisons, gratuitement ? Comprenez-moi bien : je n'ai rien contre les pharmaciens, et je comprends qu'ils veuillent récupérer ce marché. Mais je crois que nos métiers sont complémentaires.

Je ne crois pas que la sécurité sanitaire y gagnera grand chose. Il y aura plus d'automédication pour éviter la visite du véto. Moins de vision globale sur un élevage. Nous sommes dans une position de conflits d'intérêts, mais les variables de ce conflit sont nombreuses et je les trouve bien équilibrées.

Vous me direz, bien entendu, qu'il y a des affairistes, et des vétos qui profitent de la situation. Croyez-vous vraiment qu'ils disparaîtront avec le découplage ?

La manière

Comme je l'indiquais ci-dessus, les vétérinaires se sont impliqués avec le ministère de l’agriculture et nombre de partenaires professionnels à assurer la qualité de prescription et diminuer l'utilisation des antibiotiques critiques. Le dialogue a toujours été ouvert entre nos représentants et les autorités sanitaires.

Très récemment, un avant-projet de la loi de modernisation agricole a circulé, et pas pour information : ce sont par des voies dites parallèles que notre profession a pris connaissance de ce projet. Une petite phrase a été ajoutée (en gras et italique ci dessous), alors que tout le monde pensait que ce débat, pour un temps au moins, était clos. Sans concertation.

Article L5143-2 du Code de la Santé publique "Seuls peuvent préparer extemporanément, détenir en vue de leur cession aux utilisateurs et délivrer au détail, à titre gratuit ou onéreux, les médicaments vétérinaires :
1° Les pharmaciens titulaires d'une officine ;
A l’exception des antibiotiques d’importance critique mentionnés à l’article L. 5141-14-3, et sans toutefois qu'ils aient le droit de tenir officine ouverte, les vétérinaires ayant satisfait aux obligations du chapitre Ier du titre IV du livre II du code rural leur permettant d'exercer la médecine et la chirurgie des animaux, lorsqu'il s'agit des animaux auxquels ils donnent personnellement leurs soins ou dont la surveillance sanitaire et les soins leur sont régulièrement confiés. Pour ces animaux, la même faculté est également accordée aux vétérinaires ayant satisfait aux obligations du chapitre Ier du titre IV du livre II du code rural et de la pêche maritime et exerçant la médecine et la chirurgie des animaux au sein du même domicile professionnel administratif ou d'exercice, tel que défini dans le code de déontologie prévu à l'article L. 242-3 du code rural et de la pêche maritime."

Cela signifie qu'en pratique, cette liste, qui sera modifiable par décret, restreindra notre droit de délivrance. Seraient concernés, dans un premier temps, les fluoroquinolones et céphalosporines de 3ème et 4ème génération, ces fameux antibiotiques "critiques".

Nous ne nous faisons pas d'illusion. Une ordonnance n'est pas sécable : l'éleveur n'ira pas chercher son anti-inflammatoire chez le véto puis son antibiotique chez le pharmacien. Un découplage partiel, c'est un futur découplage total.

Nous ne nous faisons pas d'illusion. Si l'on se permet de nous restreindre nos prérogatives sans concertation, malgré nos efforts et un rapport qui écarte sans équivoque le découplage, nous imaginons bien que la liste saura s'étendre sans que nous ayons notre mot à dire.

Nous comprenons parfaitement l'importance de ces antibiotiques. Nous nous demandons cependant pourquoi il serait plus judicieux de restreindre ainsi leur délivrance plutôt que d'en interdire l'usage vétérinaire. Et encore une fois, les vétérinaires ont fait preuve de leur bonne volonté pour limiter leur utilisation.

Sommes nous des gamins irresponsables, que l'on nous balance à la gueule une telle modification de notre métier sans nous en parler, et au mépris de tous les engagements pris précédemment, ceux de notre profession comme ceux du ministère ?

Est-ce qu'on n'a pas bientôt fini de nous prendre pour des idiots utiles ?

En conséquence

Le 6 novembre, les vétérinaires sont invités à venir manifester à Paris. Ma clinique, et de nombreuses autres probablement, seront fermées et n'assurerons que les urgences. Nous ne laissons pas tomber nos patients.

Nous ne serons pas nombreux, parce que les vétérinaires ne sont pas une profession pléthorique (16000 vétérinaires en France pour autant que je sache). Les vétérinaires praticiens salariés, les vétérinaires non praticiens, ainsi que les profs et étudiants vétérinaires sont les bienvenus ! Et je n'oublie pas non plus les ASV, sans lesquelles nos cliniques ne pourraient tourner... ! Nous ne ferons pas déborder les Champs-Elysées, mais voilà : ce seront des vétérinaires qui manifesteront. Et je ne pensais pas que cela pourrait arriver.

La pétition concernant ce sujet se trouve ici, n'hésitez pas à diffuser !

PS : je modèrerai sans préavis les commentaires provocateurs ou agressifs. Critiquez si vous voulez, mais soyez constructifs, et pas agressifs.

PPS : Chers lecteurs pharmaciens. Je n'ai pas tapé sur les pharmaciens dans mon billet, pas plus qu'en commentaires. Vous avez des confrères très actifs pour récupérer le marché des médicaments vétérinaires, et certains se sont jetés sur cette proposition en se frottant les mains, mais il n'en sont pas à l'origine et ce n'est pas là le sujet : cette guéguerre là, elle est ancienne, connue et, on va dire, relativement saine. Ici c'est de l'intervention du ministère de la santé sur nos prérogatives qu'il s'agit.

PPPS : suite à de nombreuses demandes, je place ce billet sous licence de libre diffusion CC-BY-NC-ND : vous pouvez l'utiliser librement, le recopier, le diffuser, sur le net ou dans votre salle d'attente, à condition de citer sa source, de ne pas le modifier et de ne pas en faire un usage commercial. N'hésitez pas : si cela peut informer, tant mieux, je n'aurais pas perdu mon temps. Je souhaite simplement qu'on ne transforme pas mes mots et leur sens.

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