Boules de Fourrure - Mot-clé - déontologieLe blog d'un vétérinaire, pour parler d'humains et d'animaux.2024-01-30T08:53:22+01:00Sylvain Balteauurn:md5:03f0528b2f66dce766736b70ed91928cDotclearRascalurn:md5:626c4b5df5cae220300fe0fc7b1000c82022-09-29T16:16:00+02:002022-09-29T16:16:00+02:00Sylvain BalteauVétérinaire au quotidienargentchiendéontologieempathieeuthanasieurgence <h3>Premier jour</h3>
<p>Dire que je suis dépité serait bien en dessous de la réalité.<br />
J’ai réussi à stabiliser le chiot : retrouvé dans un fossé par sa maîtresse, il est arrivée ici choqué, en détresse respiratoire, mais encore assez conscient pour hurler si on lui touchait le coude. Il a des plaies un peu partout, plus impressionnantes que dangereuses, un genou gonflé, et puis, et puis ?<br />
J’ai posé ma voie veineuse, envoyé les analgésiques, dégainé ma sonde échographique, cherché l’hémorragie abdominale, l’hémorragique thoracique, vite, vite. Pas d’épanchement. Alors je l’ai couché sur la table, et radiographié : des hémorragies diffuses un peu partout dans les poumons. Je décide qu’il n’en mourra pas. J’avais placé son coude pour pouvoir jeter un œil dessus. C’est certainement cassé, mais la radio n’est pas adéquate pour juger de la gravité de la lésion. Ce n’est pas urgent. On ne meurt pas d’un coude cassé.<br />
La dame pleure.<br />
Elle est agenouillée devant la table de radio, dont je n’ai pas encore bougé le petit berger allemand. Le chiot est couché sur son côté droit, son coude gauche fait un angle gênant, et en le regardant, je vois ce chat euthanasié deux heures plus tôt dans des circonstances trop similaires. Après avoir radiographié, exploré et examiné dix fois son atroce blessure à la colonne et au bassin, en avoir parlé avec deux consœurs pour m’entendre dire ce que je savais déjà, c’est à dire que même un miracle ne suffirait pas, je m’étais résolu à l’euthanasier. Je ne veux pas recommencer. Je ne peux plus. C’est forcément moins grave. Il n’y a a priori pas de lésion vertébrale, tous les membres bougent, la sensibilité est présente, et même si je n’en sais pas encore assez, il vivra.</p>
<p>Je dois expliquer la démarche à Mme Tolzac. Dans cette minuscule salle d’imagerie, je ne peux m’empêcher de regarder ses yeux aussi trempés de larmes que son masque de tissu distendu. Je me concentre sur les mouchoirs qu’elle tient à la main, sur ses reniflements et sur les virus pandémiques, sur n'importe quel détail, pour ne pas me prendre sa peine de plein fouet. Ce chiot a quatre mois à peine, et il a suffi d’un instant pour que la boule de poils joueuse et indisciplinée finisse dans un fossé, avec du sang plein la gueule et un avenir rempli d’incertitude. Je regarde cette dame de cinquante ans, qui est venue seule, désemparée, qui ne nous connaît pas, et à qui je ne peux même pas sourire vraiment, caché derrière mon masque. Elle n’a téléphoné à personne quand je lui ai donné les premiers éléments, n’a envoyé aucun sms, aucun message sur les réseaux. Est-elle aussi seule que je l’imagine, dans cette épreuve ?<br />
Je ne peux pas lui sourire vraiment, et pourtant c’est bien un sourire triste qui étire mes lèvres tandis que ma main se perd dans les longs poils noirs de Rascal. Machinalement, je les écarte de la large plaie cutanée qui ouvre une faille rosée dans son pelage sombre. Je pose quelques compresses imbibées de désinfectant, un cache-misère, mais je crois que le geste est important.<br />
Je prends la parole, doucement, j’utilise des mots simple, des phrases sans nuances. Le coude est cassé, oui. Et c’est une fracture grave, forcément difficile à réparer. Mais ce n’est pas l’important, pour le moment. Rascal a de multiples hémorragies pulmonaires, il est en état de choc, et c’est cela qui doit nous préoccuper, c’est le boulot de ma perfusion, de mes analgésiques. Nous allons suturer cette grande plaie, mais elle est sans importance. Je ne peux pas encore faire un vrai bilan neurologique, me prononcer sur un pronostic définitif. Il faudra attendre demain au moins. Je ne peux pas immobiliser la fracture, pas à cet endroit.<br />
Elle hoche la tête, essuie ses larmes.<br />
Tandis que je file gérer une autre urgence (nettement plus relative), je demande à ma consœur si elle pourrait suturer la plaie à la fin de sa consultation.<br />
Une bonne demi-heure plus tard, je dicte à Elodie, une de nos assistantes, les proportions d’une perfusion MLK, morphine-lidocaïne-kétamine, le bonheur de l’analgésie en goutte à goutte. Nous branchons la pompe à perfusion, et dans le calme du chenil, j’essaie de ne plus penser à tout ce que je dois gérer avant la fin de cette journée, et je reprends les faits. Le chiot est stabilisé. Il n’y a presque aucun risque qu’il décède des suites directes de cet accident. Il n’a plus mal. Il dormira ici, cette nuit. Demain, s’il est vraiment stabilisé, il faudra l’amener à des confrères capables de l’opérer. Je n’ai pas de bonne image du coude, mais autant les laisser s’en occuper. Je sais déjà qu’il est cassé, et personne d’autre qu’un vrai orthopédiste ne pourra le réparer. Demain matin, je referai un examen complet, j’essaierai d’évaluer les points cruciaux qui manquent encore : est-ce qu’il y a d’autres fractures ? Est-ce qu’au niveau neurologique, tout est parfait ?<br />
Et puis, parce qu’il va bien falloir y penser : combien tout cela va-t-il coûter ? Ma prise en charge, ici, entre réanimation, écho et radios, analgésie et petite suture, à la louche, j’annonce deux cents, trois cents euros. Mme Tolzac hoche la tête. <br />
La fracture du coude ? 1200 à 1500€ chez mes confrères.<br />
Alors Mme Tolzac s’effondre, retient à grand peine un sanglot. Je ne la laisse pas parler. Pas encore. Je ferai confirmer le devis, mais ce sera dans cette échelle de prix. Il n’y aura personne capable de bien opérer ça pour moins cher. Il n’y aura pas moyen de bricoler, de trouver une solution moins bien, mais moins onéreuse. Pas d’attelle, de plâtre ou de résine. Pas pour une articulation. Il sera forcément possible d’étaler le paiement, ils ne feront pas de difficulté, ils ont l’habitude.<br />
Mme Tolzac ne proteste pas.</p>
<p>Quelques heures plus tard, alors que la clinique est fermée, je l’appelle. J’ai eu Vincent, un jeune chirurgien, au téléphone, je lui ai envoyé ma mauvaise radio, mon compte-rendu, il a confirmé mon impression et mon estimation de prix. Ils finiront le bilan radiologique et clinique. Elle pourra l’amener demain, ils devraient pouvoir l’opérer après-demain. Le timing est parfait. Je la rassure, Rascal est très calme dans sa cage, il savoure son MLK et attend tranquillement. Il respire déjà normalement, ses muqueuses sont rosées, je ne suis vraiment plus inquiet. Du boulot bien fait.</p>
<h3>Deuxième jour</h3>
<p>Il est à peine 9h quand elle arrive. Je ne l’attendais pas si tôt. Je suis dehors avec Rascal, en train d’essayer de le promener. Il ne tient pas vraiment debout, mais le contrôle nerveux est excellent, il chaloupe, je crains que le bassin soit cassé. Je la laisse avec lui, vautré dans le jardin de la clinique, je dois filer, je laisse les ASV gérer son transfert chez les spécialistes.<br />
Quelques minutes plus tard, l’une d’elle m’interpelle entre la salle de consultation et la pharmacie : elle m’annonce qu’elle ne l’amènera pas là-bas. Elle n’en pas les moyens.
Au temps pour le timing parfait. Cette journée n’a pas fini de se compliquer, nous sommes déjà débordés. Je dois partir vacciner des veaux, il manque un véto, il y a quatre animaux hospitalisés, Amande revient car elle ne va pas mieux, Doudou n’a toujours pas mangé, et j’ai beaucoup de trucs administratifs dont je dois vraiment m’occuper.
Il est onze heures lorsque j’arrive à la rappeler, mes ASV ont réussi à me libérer. Gestion de planning aux forceps. Elle pleure, elle n’a pas l’argent, elle n’aura pas l’argent, elle parle de l’euthanasier. Mais…<br />
Mais je ne veux pas. Je ne veux pas l’euthanasier. Il n’a plus mal. C’est juste un coude cassé, et peut-être, peut-être aussi le bassin, ok, sans doute aussi le bassin, mais le reste fonctionne, c’est un chiot. C’est un chiot ! Je ne veux pas le tuer, pas parce qu’elle n’a pas les moyens de l’opérer. Je lui parle des cagnottes sur internet, des caisses de solidarité, je lui dis qu’au pire, nous pouvons amputer, que ça coûterait beaucoup moins cher. Qu’un chien ou un chat vit très bien sur trois pattes, même si avec le bassin, au début, ce sera un peu compliqué. Mais ce bassin, il va se ressouder, c’est une question de semaines, on peut se débrouiller. Et puis, ça reste à confirmer.<br />
Elle hoche la tête, mais je l’ai sentie blêmir à l’idée d’amputer. Je m’échappe, on m’attend, on garde Rascal, on va faire les radios, on va s’en occuper.</p>
<p>Une heure plus tard, je m’effondre devant mon écran. Vautré sur son siège éventré, j’ai juste envie de hurler, je suis épuisé, je ne veux plus courir, je veux juste me poser. Il y a ces jours-ci une tension permanente, à laquelle Rascal et sa maîtresse contribuent grandement. Je retourne au chenil, je prends le berger dans mes bras, je vois qu’il a uriné : sur ce point au moins, je suis rassuré. Je l'emmène jusqu'à la salle de préparation, et grâce à sa perfusion, il ne nous faut que quelques injections pour l'anesthésier. Rascal s’endort, et nous pouvons enfin tout radiographier. Le coude : fracassé. L’autre coude : intact. Le bassin : disjonction sacro-iliaque, plus deux fissures, non déplacées. Le gros genou gonflé : rien à signaler. La colonne : impeccable.<br />
On va forcément réussir à le sauver. Bien sûr, ça va être compliqué : avec une patte au moins et un bassin disjoint, il va falloir beaucoup, beaucoup de soins.</p>
<p>C’est en toute fin de matinée qu’elle me rappelle. Je n’ai pas vraiment envie de l’écouter, je suis accaparé par l’hésitation, l’idée de l’amputation, l’envie de réparation. Je l’entends sangloter au téléphone, me dire qu’elle a consulté sa famille, qu’il faut l’euthanasier, qu’elle veut l’euthanasier. Ses mots titubent et s’emmêlent, sa voix se brise, je ne comprends pas tout. J’entends surtout ses larmes. Je ferme les portes, de la salle de consultation où je me suis réfugié. J'ai besoin de m’isoler de la clinique, il me faut une bulle pour lui parler. Pour la convaincre.<br />
Non : il ne faut pas l’euthanasier. Il n’a plus mal. Aucune décision urgente n’est nécessaire. Est-ce que c’est un problème d’argent ? Pas de problème, je bloque la facturation à cet instant. Je ne la laisse pas vraiment parler, j'anticipe les obstacles habituels, je devine qu’elle ne peut se permettre le spécialiste, mais nous pouvons amputer, pour un tiers de la somme demandée, ou moins. Je lui explique les chiens qui continuent à jouer, et même ceux qui chassent toujours le sanglier, les chats qui grimpent aux arbres, la vie qui continue, sans douleur, sans même la notion de handicap, je pressens le regard qu’elle porte sur la vie d’amputé, je ne dois pas la culpabiliser, je lui répète que je ne peux rien lui reprocher. Je comprends la violence de cette vie qui a basculé, le choc, les décisions à prendre, la peur de la souffrance, les problèmes d’argent.<br />
Je lui explique que je ne veux pas l’euthanasier. Que je ne peux l’empêcher de me le retirer, de trouver ailleurs un vétérinaire qui acceptera peut-être de le tuer. J’ai les larmes qui me montent aux yeux, lorsqu’elle me dit qu’elle ne peut pas assumer. Je devine les mots égoïste et « raisonnables » de sa famille, de ces enfants bien loin de maman, qui n’ont jamais vu ce chiot, pour qui il n’est qu’une information, un problème, « bien du souci ». Je les ai si souvent subis, les conseils de ceux qui ne sont pas impliqués.<br />
Je répète que je ne suis pas devenu vétérinaire pour tuer. J’explique que si j’étais certain qu’il ne pourrait récupérer, si sa moelle était endommagée, j’accepterais, triste mais résigné. Mais là, là ? Nous avons de grandes chances de le sauver !<br />
Alors elle me dit qu’elle ne peut pas, qu’elle ne pourra pas y arriver. Cela, je peux l’accepter. Je ne sais rien de sa vie, des épreuves qu’elle a traversées, de son passé.<br />
Je réfléchis, vite, très vite, je trie les possibilités, les arguments, je déploie dans ma tête mon catalogue de solutions. Je ne pense pas au pire, je refuse le pire, le pire ne m’intéresse pas, j’ai besoin d’une solution pour Rascal et pour elle.<br />
Je sais ce que je vais lui demander.<br />
Accepterait-elle de l’abandonner ?<br />
Je choisis mes mots. Je suis prêt à l’adopter. Pas moi, mais la clinique. A le soigner, à nos frais, à le gérer, à l’accompagner, à le porter. Puis à le faire adopter. Nous avons des réseaux, des contacts, des gens de bonne volonté, comme ces retraités qui cherchent parfois de vieux chiens brisés à cocooner, ou, pour les portées de chatons, cette mère de famille toujours prête à biberonner.<br />
Je ne veux pas le tuer.<br />
Elle ne dit plus rien, j’écoute le silence du téléphone, puis, sa réponse : elle accepte. Sa voix s’est raffermie, un peu. Ses larmes ont séché. Elle accepte, et quand je lui explique comment, concrètement, la suite va se passer, elle me répond qu’elle nous apportera les documents pour le transfert de propriété. Lorsque je sors de la salle de consultation, je suis à moitié sonné. J’ai encore les larmes aux yeux, et je m’approche des assistantes. « Il va nous falloir un feuilleton de Noël, là. Elle va nous l’abandonner, on va s’en occuper. Ce chiot va vivre ici, avec nous, avec vous, jusqu’à ce qu’on puisse le faire adopter. »<br />
Je n’ai pas besoin de leur demander si elles sont d’accord, ou motivées. Je les connais.</p>
<p>J’ai filé : une prophylaxie sur quelques vaches au milieu des prés, et puis des lots de broutards à vacciner, pour l’export, en Espagne ou en Italie. Je n’en peux plus de ces journées où nous sommes continuellement débordés. Passer du chien au chat puis au cheval ou au veau, du cas désespéré au vaccin, du diagnostic facile à celui qui maltraite les livres de médecine, de l’animal apaisé qui ronronne sur mes genoux à celui qui essaye (et parfois réussit) à me bouffer. L’horreur et la beauté de mon métier. J’ai filé et j’ai prélevé, j’ai piqué, j’ai repris ma voiture, téléphoné en roulant vers la visite suivante, pour donner des instructions sur des animaux hospitalisés. Il n’y a pas de temps mort. A l’entrée de la ferme suivante, mon téléphone a sonné. La clinique. Je frémis en craignant une urgence.</p>
<p>« Il faut que vous reveniez, c’est Mme Tolzac, elle est là, elle ne veut plus nous le donner, elle veut que vous l’euthanasiez, ou l’emporter.<br />
- MAIS ELLE ME FAIT CHIER ! » ai-je crié en tapant sur mon volant !</p>
<p>Je fais demi-tour sur le chemin d’accès à la stabulation, je reprends la route, je souffle, je râle, je tempête, il faut que je sois en colère maintenant pour ne plus l’être quand il faudra lui parler. J’ôte mes bottes à l’entrée de derrière, je glisse dans les couloirs, directement vers le chenil, je suppose que c’est là que je vais la trouver. A ses pieds, il y a son grand sac à main. Elle me tourne le dos, elle caresse son chiot. Penchée dans la cage surélevée, elle pleure et cajole Rascal, je sais que je vais devoir peser mes mots. Je sais aussi que je dois d’abord me taire. Je dois l'écouter. Et je n’ai pas le droit d’être en colère, j’ai une vie à sauver.<br />
« Il faut tout arrêter, il faut l’euthanasier… » Les sanglots mangent ses mots. Elle s’est tournée vers moi, Rascal lui lèche les doigts. Je suis appuyé contre le mur, les bras derrière mon dos, je suis en chaussettes, j’ai de la bouse sur mon pantalon, j’ai fermé la porte, je nous ai isolés.<br />
Je prends la parole, de ma voix la plus apaisée, la plus grave aussi.<br />
« J’ai besoin de comprendre. Je vous l’ai déjà dit, je n’ai rien à vous reprocher, je ne suis pas là pour vous critiquer, ou vous juger, je suis là pour le soigner. Je me suis échappé entre deux visites pour venir vous parler. J’ai besoin que vous m’expliquiez. J’ai besoin que vous me fassiez confiance, même si c’est difficile, même si vous ne me connaissez pas, même si je ne vous connais pas. Je veux le sauver, je n’ai pas d’argent à y gagner, au contraire, tout cela va nous prendre beaucoup de temps et d’énergie, tout cela nous en prend déjà. Je ne veux pas l’euthanasier alors qu’il n’a pas mal, qu’il peut vivre une vie sans souffrance, qu’il peut grandir et jouer et courir et être aimé. »<br />
Je crois qu’elle ose à peine me regarder, je sens toute sa culpabilité, il ne faut surtout pas que j’appuie dessus. « J’ai besoin que vous m’expliquiez pourquoi vous me demandez de l’euthanasier alors que j’ai levé l’obstacle financier.<br />
- Mais, comment il va vivre alors que je l’aurai abandonné ! Il sera traumatisé ! » Je réalise qu’elle ne porte pas son masque, de toute façon il ne servirait à rien, de toute façon il serait trempé. Je peux voir son visage, ses yeux et sa bouche décomposée, les larmes sur ses rides, ses cheveux défaits. Sa fragilité.<br />
Je n'hésite pas un instant, mais je contrôle mon souffle, je contrôle ma voix. Pas de colère, pas d'excitation.<br />
« Vous savez, cette histoire des chiens traumatisés parce qu’ils ont été abandonnés, je crois vraiment que c’est un mensonge que nous inventons pour nous rassurer. J’en connais plein, des chiens qui ont été abandonnés. Et adoptés. Ils vivent, ils sont heureux, ils sont aimés, nourris, caressés. Ils seraient peut-être ravis de revoir leur ancien maître, mais ils ne vivent pas dans le regret. Ils vivent dans l’instant, ils ne se construisent pas ces fiertés et ces raisonnements compliqués. Pardonnez-moi mes mots : Rascal n’a pas besoin de vous pour être heureux. Je suis désolé de vous dire ça…<br />
- Mais vous me rassurez ! » Elle pleure encore, mais il y a un sourire sur son visage.<br />
« Et puis, mieux vaut être abandonné que mort. Il n’a que quatre mois. Il a la vie devant lui. Il va grandir. C’est un bébé ! J’ai besoin que vous me fassiez confiance. Des chiens laids, vieux, abîmés, blessés, handicapés, agressifs, on a presque toujours réussi à les placer. Parfois, ça a été compliqué, certains ont passé des mois ici avant d’être adoptés. Ils ont dormi dans une cage la nuit, ils sont restés à l’accueil la journée. Nous en avons même un qui a vécu cinq ans avec nous, qui est devenue notre mascotte. Les clients passaient prendre de leur nouvelle, ou les caresser…<br />
- J’ai parlé de vous à mes voisines, qui vous connaissent. Elles m’ont dit de vous écouter... »<br />
Qu’elles soient bénies, ces voisines.<br />
« S’il-vous-plaît : laissez-moi le sauver.<br />
- Mais il va vivre dans cette cage ?<br />
- Non, non, il ne va pas vivre dans cette cage, il va y rester le temps qu’il faudra, parce que là, il est tout cassé, il ne doit pas bouger, mais dès que nous le pourrons, il sera avec nous, à l’accueil, il ne sera pas seul au fond de la clinique. »<br />
Je lui souris, voit-elle mes yeux se plisser ?<br />
« Je comprends aussi, excusez-moi. Ce n’est pas très facile à dire.»
Ma voix s'est adoucie.<br />
« Je comprends aussi la facilité qu’il y a à euthanasier. Au moins, tout serait terminé. Plus d’incertitude…<br />
- Plus de souffrance, m’interrompt-elle.<br />
- Mais il ne souffre pas, là. On n’est plus en 1980, on a plein de solutions à proposer. Je dois vous expliquer : nous sommes humains, nous sommes égoïstes, c’est pas joli, mais ça m’est arrivé d’être soulagé par la mort d’un animal que je ne parvenais pas à gérer. D’être soulagé pour moi, de ne plus avoir ce poids à porter. D’être soulagé pour ses maîtres, et pour lui, ou du moins, c’est ce que je me disais. Mais l’animal. Il ne se demande pas s’il veut vivre ou mourir. Il fait avec ce qu’on lui donne. Et l’euthanasie, ce n’est pas un reproche, ne le prenez pas comme ça : ça peut être une solution de facilité. Pour nous. Là tout ce que je vous propose, ce n’est pas facile. Ni pour vous, ni pour moi. »<br />
Je reprends ma respiration. Elle est terriblement attentive à mes mots. Soulagée, parce que j’ai osé prononcer ce qu’elle n’osait pas penser ?<br />
« Je m’engage à ce qu’il n’ait pas mal. Bien sûr, là, ce n’est pas idéal, il a cette fracture, il est tout mâché, mais vous avez vu, il remue la queue, il vous lèche les doigts, il peut être heureux. Je m’engage à chercher la meilleure solution pour son bien-être, à mettre en œuvre tout ce qui sera dans mes moyens pour qu’il ait une belle vie. Nous lui trouverons une famille, nous le laisserons pas dans un refuge, ou sur le bon coin. A tout ça, je peux m’engager. Nous pourrons vous donner des nouvelles, si vous le souhaitez, ou ne rien vous dire du tout, si vous préférez. Bien sûr, je ne serai pas dans sa future famille pour regarder ce qui va s’y passer, mais… »<br />
Elle hoche la tête.<br />
« Vous êtes d’accord pour nous le donner ? »<br />
Elle me monte son carnet et ses papiers.<br />
« Je vous laisserai voir avec les filles à l’accueil, je dois y aller, on m’attend. » Je la salue et je m’éloigne sur la pointe des pieds, je me glisse à l’accueil pour bien préciser aux ASV de faire le changement de propriété sur la clinique. Je leur explique le blocage sur la notion d’abandon. Et puis, je saute dans mes bottes et repars sur la route. Avec mon retard, ça n’a pas raté : l’éleveur a bien gueulé. Pas grave, ça au moins c’est simple.</p>
<p>A 19h30, je suis de retour à la clinique désertée. Le chiot est dans sa cage, je vérifie sa perfusion, les traitements qui ont été administrés. Je fais mes factures de la journée, je regarde le planning du lendemain, je ne vois pas trop quand nous pourrons l’amputer, mais on va bien y arriver. Je laisse un message au confrère orthopédiste qui devait l’opérer, pour des conseils sur la manière de gérer une patte en moins avec un bassin en vrac. J’envoie toutes les radios, et le dossier. Et puis je me remets sur mon ordinateur, je suis loin d’en avoir terminé avec les papiers…</p>
<h3>Troisième jour</h3>
<p>Comme d’habitude, je suis arrivé le premier à la clinique. Elle est encore déserte, silencieuse comme je l’aime. J’en profite pour faire le tour du chenil et démarrer les ordinateurs. Rascal me regarde et s’excite dans sa cage, en essayant de se redresser. On dirait un scarabée maladroit, renversé sur la terrasse. Je n’ai pas de brin d’herbe à lui tendre pour l’aider, mais je plonge distraitement les doigts dans cette boule de fourrure. J’ai mal dormi. Je sais que je fais bien, enfin je crois. J’ai menti quand je lui ai annoncé être presque certain que les nerfs n’étaient pas touchés. Je n’en savais rien. J’espérais. Finalement, j’avais raison, mais bon. Je ne voulais pas donner plus de prise à l’euthanasie. Je lui ai menti quand je lui ai dit être confiant sur ses capacités de cicatrisation. Qu’un chiot de quatre mois arriverait forcément à récupérer de sa fracture du bassin, trois pattes ou pas. Je n’étais pas confiant. J’ai forcé la main de Mme Tolzac. Je m’en veux. Un peu. Je n’arrive pas à lui en vouloir, à elle. Je n’aimerais pas être à sa place.<br />
Je n’ai pas eu Vincent, le confrère orthopédiste, au téléphone. Pas encore. Je voudrais qu’il me rappelle. Il m’a laissé un court message, pour m’annoncer 1500€ pour le coude, 1000 pour le bassin. Mais faut-il absolument opérer ce fichu bassin ? Je prends le téléphone et je compose le numéro de sa clinique. Une de ses ASV m’explique qu’il sera là dans peu de temps. Elle peut prendre mon numéro pour qu’il me rappelle.<br />
Il a déjà mon numéro. « Dites-lui que c’est urgent, s’il-vous-plaît, je sais qu’on vous a posé un lapin, je suis désolé, mais c’est au sujet du chiot qu’il devait opérer ce matin. La dame nous l’a abandonné, elle voulait l’euthanasier, je l’ai convaincue de nous le laisser. Nous l’avons adopté. »<br />
J’entends le « ohlala » catastrophé de la jeune femme. « Il vous rappellera ! »<br />
Est-ce que ce fichu bassin va bien se ressouder si il titube sur trois pattes, dont deux qui ne peuvent pas supporter son poids ?</p>
<p>Les assistantes sont arrivées, mon associé aussi. C’est sans doute lui qui va l’opérer, c’est lui, le chirurgien. Il n’a pas encore vu Rascal, il n’était pas là ces deux derniers jours. Nous bossons moins qu’avant. Fini, les 245 jours de boulot par an. Alors nous remplissons et rallongeons chaque journée. Tout se densifie. En 48h, j’ai vécu une semaine. Alors en quelques mots je lui explique, l’accident, les lésions, l’abandon, la situation. Après tout, c’est notre temps et notre argent que j’ai engagés.<br />
« Mais. Tu es vraiment sûr qu’on ne peut pas éviter de l’amputer ? Ce serait mieux, quand même, remarque-t-il.<br />
- Je ne demande que ça, de ne pas l’amputer. Mais il y en a pour 2500€. »<br />
Il siffle doucement entre ses dents. Moi, je l’ai, cet argent. Je peux les lui consacrer. Mais je n’en veux pas, de ce chiot. En fait, je m’en veux : je m’en veux d’hésiter. Je veux parler à Vincent.</p>
<p>Lorsque je sors du bureau, Élodie me lance un regard hésitant, à moitié caché derrière ses lunettes. Ce n’est pas la plus bavarde de nos assistantes. Je sais déjà ce qu’elle va me demander.<br />
« Et… déglutit-elle. Vous allez l’opérer ?<br />
- Pas maintenant, nous n’avons pas le temps, et il n’y a pas d’urgence. Je veux parler au chirurgien, avant toute décision.<br />
- Elle coûtera combien, l’opération ?<br />
- Là-bas ? Pour les deux, 2500, au bas mot. »<br />
Elle pique du nez sur son clavier tandis que je fuis vers les consultations.</p>
<p>Plus tard dans la matinée, avec sa collègue Francesca nous nous battons avec le bien nommé « Gros Matou » pour lui déboucher le nez à coup de seringues d’eau salée, elle me parle de Mme Tolzac, encore, alors qu’elle signait les papiers, hier. Je lui réexplique la peur du traumatisme et de l’abandon.<br />
« Il y avait aussi l’amputation, me glisse-elle entre deux coups de griffes esquivés. J’ai vraiment cru qu’à la dernière minute, elle n’allait pas signer. Elle n’arrivait pas à imaginer un chien heureux sur trois pattes. Elle ne vous croyait pas, alors lui ai montré les vidéos de Gluon. »<br />
Gluon... Gluon appartient à des amis de Francesca. Gluon est un énorme rottweiler. 50kg, et pas de gras. Âgé de trois ans, nous l’avons amputé d’un antérieur il y a à peine un mois : un ostéosarcome ou une autre saloperie du même genre attaquait son avant bras. Le genre de cancer qui ronge l’os jusqu’à le briser, et qui se permet souvent de métastaser. Agressif, douloureux, sans traitement décent. Son maître aussi avait beaucoup hésité, et pensé à l’euthanasier. C’est son amour pour son chien qui l’avait décidé. Laisser sa chance à la vie. Aujourd’hui Gluon court partout alors que son moignon est à peine cicatrisé. Il gueule sur les voitures, course les poules et ne laisse aucun répit aux chats qui le contemplent d’un air méprisant, depuis les branches du cerisier.<br />
« Alors, c’est vrai ? » avait commenté Mme Tolzac, avant de signer.<br />
Elle butait donc encore sur l’amputation, et pas seulement sur l’abandon. Je n’avais pas su lui laisser me le dire. Mais qu’est-ce que j’aime mes ASV !<br />
Par contre si les propriétaires de chats pouvaient comprendre qu’il est facile d’éviter les lavages de nez de ces boules de griffes et de dents, matin, midi et soir voire plus encore. Le dernier est resté quinze jours ! Quinze jours à lui rincer les narines à l’eau salée, à aspirer au mouche-bébé des morves insensées, à le perfuser, à le stimuler pour manger. Un chat qui ne sent pas ne mange pas. Alors qu’il suffit de le vacciner !<br />
« Mais il ne sort pas !<br />
- Mais les virus entrent ! »</p>
<h3>Quatrième jour</h3>
<p>« Bon, pour le coude, tu as un salter sur l’interne, et une fracture de la branche montante externe. Des broches d’un côté, une plaque vissée de l’autre. Facile. Pour ta question sur le bassin, oui, il vaudrait mieux opérer. Franchement, ce que j’ai appris, c’est que si l’écart est de plus de 50 %, il faut opérer. Et là, sur ta radio, il y a 100 %. »<br />
100 % de quoi ? Il est 9h et Julien m’appelle enfin. Il me parle du bassin et de la disjonction. Ça doit être l’écart entre le sacrum et l’ilium comparé à l’épaisseur de l’ilium. Je ne lui demande pas : dans le fond, je m’en fous, c’est son travail, pas le mien.<br />
« Et puis, il y a une fracture de l’autre ilium, aussi, ça mérite deux vis, à condition qu’on soit loin de l’acétabulum. Sinon ce sera plus compliqué. »<br />
Mais c’est loin de l’acétabulum, je l’ai vue cette fracture, j’ai décidé de la mépriser. Il faut que je cesse de m’occuper de ce chiot, je ne veux pas voir ce qui complique mon projet de le sauver.<br />
« Je peux opérer le coude demain, c’est le plus urgent. Le bassin, lundi. On le garderait jusque mardi, ton chiot, » rigole-t-il à moitié.<br />
Ce n’est pas mon chiot. Mais là, objectivement, j’ai sa vie et son destin entre les mains. Et un chaton à vacciner, j’ai déjà 20 minutes de retard, alors que la journée n’est pas vraiment commencée.</p>
<p>Une heure plus tard, c’est la patronne de Vincent qui m’appelle sur mon téléphone perso. Une des big boss de la grosse clinique. Je ne l’attendais pas, mais ça tombe bien, j’ai le temps de décrocher :<br />
« Bonjour Sylvain, je sors de la réunion des associés, on a parlé de ton chiot.<br />
- C’est pas vraiment mon chiot, tu sais, on va la faire adopter, bredouillé-je<br />
- Ouais, peu importe, Julien te l’opèrera pour le prix du matériel et des consommables. Vise dans les 1000, 1200€, il te dira. Pour le coude et le bassin. »<br />
Ce n’est pas souvent que je leur demande une faveur, à ces confrères et consœurs. Là, je n’en ai même pas eu le temps. En général, je leur demande de bien vouloir accepter un client en qui j’ai confiance, mais qui mettra forcément très longtemps à payer. Alors encore une fois dans cette histoire, j’ai les larmes qui montent aux yeux et la gorge nouée. Il va falloir très vite se décider. En plus, dans clinique, ça se remet à crier :<br />
« Sylvain, il y a un vêlage chez monsieur Lhers ! Le GAEC de l’Hers, pas Benoît Lhers. Un siège sur une première ! » appelle Élodie depuis l’accueil.<br />
Je raccroche sur un remerciement « je suis désolé, je file, un vêlage, merci encore ». J’adore cette consœur : elle m’admire parce que je persiste à soigner tout type d’animaux. Je l’admire parce qu’elle est tout simplement la plus brillante vétérinaire que j’ai jamais rencontré. Celle à qui j’ai confié mon chien lorsque j’ai été complètement dépassé.</p>
<p>Dans ma voiture, je ne cesse d’y repenser. A ça, au siège que je vais devoir réduire, aux prophylaxies bovines qui commencent, à ce client mécontent à qui je dois écrire, trouver les mots pour apaiser, aux entretiens individuels des salariés. Je n’ai plus rien pour me distraire, l’autoradio est cassé. 250000 bornes, l’électronique commence à lâcher.<br />
Bien sûr, il y a notre caisse de solidarité. Essentiellement alimentée par une cliente pourtant peu fortunée, qui nous demande de consacrer cet argent aux soins aux animaux défavorisés. De petites sommes offertes par-ci, par-là, mais qui à force de s’accumuler, pourraient bien représenter la moitié de l’argent demandé. Cela fait longtemps que nous ne l’avons pas mobilisée. Il y a déjà quelques années, lorsque cette caisse a été créée, nous avions décidé que nous offririons autant que nous y prendrions, pour les soins que nous réaliserions nous-même. La dernière fois, c’était pour un chat fracassé. Cette fois, la patte ne pouvait vraiment pas être sauvée, alors nous l’avions amputée. Encore une amputation. C’était il y a un an. Rusty (ses propriétaires sont anglais) continue de chasser et de se promener. Un jour, il se fera vraiment écraser. Mais pas ici : avec le Brexit, il sont repartis. A Londres.</p>
<p>L’après-midi, entre deux tiroirs, tandis que je vérifie les stocks d’anesthésiques et de sondes endotrachéales, Élodie demande à me parler. Sa voix est un peu cassée. Je devine le sujet. Élodie est ici depuis bien plus longtemps que moi. C’est la première ASV, le membre le plus ancien de notre équipe, même si elle n’est pas la plus âgée. Elle m’a vu, blanc-bec en tongs et bermuda, postuler pour ce contrat « d’une année ». Je me souviens m’être dit que je devais avoir l’air un peu con, alors qu’elle me souriait derrière son bureau. A l’époque, il n’y avait qu’une seule assistante, elle ne bossait pas le samedi, ni le soir après 17h, on inventait le métier d’ASV et je ne suis même pas sûr que leur formation existait déjà. Elle recopiait les factures à la main, classait les fiches papiers et tenait la comptabilité. L'année dernière, nous avons retrouvé quelques duplicatas, avec son écriture très soignée. Une césarienne facturée au GAEC de l’Hers. Après avoir converti les francs, nous avions même calculé son prix à euro constant, pour constater que nos tarifs avaient baissé...<br />
Je ne suis pas sûr d’avoir déjà entendu sa voix se casser, ni de l’avoir jamais vue essuyer ses larmes. Un geste discret. Elle ferme la porte, se concentre sur les serviettes qu’elle est en train de plier. Je la laisse parler.<br />
« J’ai parlé de Rascal à Bruno ». Son mari. « Tu sais, Rascal, c’est le chien dont il a toujours rêvé, celui qu’il veut prendre pour sa retraite. Un berger allemand. Il m’a dit : mais un chiot de trois mois, enfin, on ne peut pas l’euthanasier ! On ne peut pas l’amputer ! On va l’adopter ! » Imite-t-elle sans reprendre son souffle, tandis que je la regarde dans un demi-sourire dissimulé par mon masque.<br />
« Tu n’es pas encore à la retraite, Bruno, je lui ai dit. Tu crois que tu auras le temps, pour un chien comme ça ? Tu ne pourras pas le laisser au chenil avec les courants ! Mais Sylvain : on n’a pas l’argent. On peut peut-être mettre 1000€, pas 2500.<br />
- J’ai entendu ta question, hier. Le chirurgien peut l’opérer demain. Les associés nous font leur tarif maison. 1000€. Peut-être 1200. On va sortir l’argent de la caisse de solidarité. 500. Mme Tolzac paie tous les soins jusqu’au moment de l’abandon. Nous t’offrons le post-op. Les pansements, les radios, les médicaments. »</p>
<p>Et c’est Francesca qui m’interpelle alors que je passe du chenil au labo avec un seringue de sang dans les mains :<br />
« Sylvain, je remplacerai Élodie demain, pour qu’elle puisse amener Rascal se faire opérer.<br />
- Pas la peine, j’habite à côté, je l’amènerai ce soir », propose Lucie, une de nos vétérinaires salariées, qui hésite devant les étagères sur l’antibiotique qu’elle va délivrer.</p>
<h3>Onzième jour</h3>
<p>Rascal est désormais au chaud chez Élodie et Bruno. L’équipe s’est mobilisée pour trouver de grandes chaussettes solitaires plus ou moins trouées afin de protéger son pansement. Je ne l’ai pas revu depuis sa chirurgie. Je continue à courir et à rebondir, d’une euthanasie à un vaccin, d’une chirurgie de chien de chasse éventré à une visite sanitaire bovine, du planning 2023 des ASV à un cas de médecine compliqué. Pour quelques semaines encore, j’ai une ancre à laquelle me raccrocher, un chiot qui cicatrise patiemment dans une maison bien chauffée. Qui va être tellement couvé que je me demande s’il sera bien éduqué.</p>
<p>Il faut que j’envoie la facture à Mme Tolzac. Je ne sais plus si elle m’a dit qu’elle voulait des nouvelles, ou si elle préférait ne rien savoir. Tout couper. Je pense écrire quelques mots dans une enveloppe scellée, qui accompagnerait la facture. Elle l’ouvrira. Ou pas. Je me dis que toute cette énergie, tout cet argent auraient pu être mobilisés par elle et pour elle. Mais elle a choisi l’euthanasie. Cela lui a-t-il ôté tout droit de savoir et de décider ? Au fond de moi, je pense que oui. Mais au fond de moi, je sais aussi à quel point nos décisions sont le fruit de nos histoires de vie. Je peux comprendre qu’elle se soit sentie dépassée, qu’au-delà des questions d’argent, elle n’ait pas pu imaginer gérer tout ce que cette prise en charge impliquait. Toute l’incertitude, aussi, qui accompagne à chaque instant chacune de nos prises de décisions. Nous sommes des soignants, nous savons que nous ne savons jamais vraiment, que nous ne pouvons jamais dire « à 100 %, voilà ce qui va se passer ». J’aimerais pouvoir l’apaiser, j’aimerais qu’elle sache que ce chiot qui a traversé sa vie est heureux et en bonne santé, parce que, aussi, elle a eu le courage de nous faire confiance et de nous l’abandonner. Trouver des mots, pour délivrer. Je n’ai ni colère, ni rancœur, mais beaucoup de tristesse, heureusement tempérée par le bonheur d’avoir sauvé Rascal.</p>
<p><strong><em>Chère Mme Tolzac,</em></strong></p>
<p><em>Je ne me rappelle plus si vous souhaitiez ou pas avoir des nouvelles de Rascal, d’où cette enveloppe scellée. Votre chiot a été adopté, dans une famille dont je peux vous garantir qu’elle lui offrira du temps, de l’amour et une belle vie de chien. Les chirurgies se sont bien passées. Rascal est encore en train de récupérer, il lui faudra plusieurs semaines de repos et de soins attentifs pour redevenir autonome.</em><br />
<em>Je tiens à vous remercier pour votre confiance.</em><br />
<em>Je vous l’ai déjà dit, mais je souhaite vous le répéter : je peux imaginer à quel point tout ceci a été difficile pour vous, et, si cela peut apaiser votre sentiment de culpabilité, je veux vous dire, en tant que vétérinaire, que je n’ai sincèrement rien à vous reprocher, je n’ai jamais douté de votre envie de bien faire, d’éviter à Rascal de souffrir, alors même que les mauvaises nouvelles et les incertitudes s’accumulaient. J’ai peine à imaginer la violence que vous avez traversée.</em><br />
<em>Vous nous avez permis de sauver Rascal.</em><br />
<em>Merci.</em></p>
<p><em>Bien sincèrement,</em><br />
<em>Dr Sylvain Balteau</em></p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2022/09/29/Rascal#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/415La médecine vétérinaire implique-t-elle d'opposer éthique et économie ?urn:md5:9ee4b5bc8bcc611ffe476a4d16293c082017-12-08T09:36:00+01:002017-12-10T20:49:41+01:00Sylvain BalteauUn peu de reculargentdéontologie<p><em><strong>Titre original : Choosing the way you work : does ethics have to be opposed to economics ?</strong></em></p>
<p><em>Cette conférence a initialement été écrite pour le congrès vétérinaire de Leon au Mexique, en septembre 2017, où j'ai été invité pour deux conférences suite à la traduction de mon livre en espagnol. Le président du congrès, le Dr Cesar Morales, a voulu proposer des conférences plus « sciences humaines » qu'habituellement. 17000 personnes, 27 conférences simultanément pendant 4 jours… et pour moi deux conférences en anglais, devant des hispanophones.</em><br />
<em>Cette conférence a été pensée pour un public de vétérinaires qui connaissent aussi bien notre métier en France que je connais le leur au Mexique (spoiler : pas du tout). Je pensais avoir un certain nombre d'étudiants pour cette conférence, et j'ai décidé de réagir à certaines plaintes entendues de la part de jeunes consœurs et confrères entendues autour de moi ou sur les réseaux sociaux, qui vivent mal la perte de sens de leur pratique quotidienne et le conflit entre questions éthiques et économiques dans notre métier. Le coût des soins que nous prodiguons et la nécessité de rentabiliser nos structures sont en effet des sources de conflits avec l'idéal d'une médecine "pure" et le souci du bien-être animal.</em></p>
<p>J'ai donc envie de vous parler d'éthique et d'économie. Quitte à être un peu provocateur, mais tant qu'à écrire, autant vous faire réagir. Par contre, soyons clair : je ne suis ni un juge, ni un genre de gourou ou de maître à penser. J'ai simplement réalisé, au fil des années, en écrivant sur mon travail -notre travail - sur internet ou pour mon bouquin, que je n'avais jamais réfléchi à un problème éthique avant d'y être violemment confronté. Je n'étais pas prêt, je ne l'ai jamais été à temps, j'ai fait beaucoup d'erreurs. Autant en faire quelque chose d'utile.</p> <a data-flickr-embed="true" href="https://www.flickr.com/photos/21345015@N06/38966460891/in/dateposted/" title="Jument"><img src="https://farm5.staticflickr.com/4589/38966460891_c46f3f893e_z.jpg" width="640" height="425" alt="Jument"></a><script async src="//embedr.flickr.com/assets/client-code.js" charset="utf-8"></script>
<h4>Devons-nous opposer éthique et économie dans notre pratique quotidienne ?</h4>
<p>Bien sûr, la réponse devrait être non. Dans un monde idéal, nous ne devrions pas mettre en opposition questions éthiques et économiques, ni même les mettre en compétition. Plus précisément, nos choix éthiques et médicaux ne devraient pas être limités par des considérations financières.<br />
Bien sûr, ce n'est pas le cas.<br />
La réponse cynique est facile aussi : chère consœur, cher confrère, jeune padawan, ne rêve pas, ne sois pas naïf, tu ne pourras jamais faire ce que tu veux, et encore moins ce que tu devrais.<br />
Ma réponse, bien entendu, se trouve quelque part entre les deux. Je ne crois pas que nous soyons condamnés à une implacable logique comptable. Je crois aussi que nous ne pouvons pas bien travailler sans garder à l'esprit toutes ces questions d'argent - les ignorer ne résout rien à moyen terme. Le point essentiel, finalement, est que chacun doit réussir à travailler de la façon qui lui convient. Je lis trop souvent sur les réseaux sociaux de jeunes vétérinaires qui écrivent : "je n'aime pas la façon dont je dois travailler". Et je me permets, à ce stade où l'on peut craindre que je commence à donner des leçons, de faire remarquer que oui, je suis vétérinaire praticien, que j'ai été longtemps salarié, et que non, mon boulot n'est pas plus facile ni évident que le vôtre. Alors, voyons ce que nous pouvons faire pour aimer notre métier - si ces questions nous préoccupent. Parce qu'évidemment, si les questions éthiques ne vous intéressent pas, vous allez beaucoup vous ennuyer en me lisant. Et, après tout, continuez comme ça, c'est probablement plus facile.</p>
<h4>Le rêve d'une médecine sans contrainte et la couverture médicale universelle</h4>
<p>Quand on est un enfant de dix ans qui décide que plus tard, il sera vétérinaire, on n’imagine pas un instant que ce rêve sera pollué par des questions financières. A 15 ans non plus, d’ailleurs. On s'en fout. Je serai vétérinaire parce que j’aime les animaux. Je serai vétérinaire pour soigner les animaux. Des dauphins. Des chevaux. Des licornes. Et même après, quand on est étudiant dans une école dotée d’un hôpital de pointe, où on n'est pas responsable des factures et encore moins des encaissements, on sous-estime l’importance de ces questions financières. On n'est pas là pour ça, on est là pour apprendre un métier : soigner.<br />
Dans un monde idéal, il n’y aurait pas de question financière. Pour les vétérinaires français, c’est un rêve d’autant plus évident que c’est le cas ou presque en médecine humaine. La sécu française permet à nos médecins de soigner sans se poser les questions qui constituent notre quotidien. Il n’est donc pas étonnant que les jeunes vétérinaires tombent de haut lorsqu’ils déboulent dans une clinique pour leur premier poste et se rendent compte que non, ils n’auront pas le « minimum database » pour travailler. Qu’ils devront hiérarchiser leurs propositions diagnostiques et thérapeutiques en fonction de critères médicaux, bien sûr, mais aussi de critères pratiques (le propriétaire pourra-t-il administrer ces comprimés à ce chat?) et surtout économiques : telle information change-t-elle réellement les décisions thérapeutiques ? Ce chien a-t-il vraiment besoin de ce médicament pour guérir ?<br />
C'est un bon moyen d'apprendre - d'une façon sans doute un peu violente - que l'on peut faire de bons diagnostics probabilistes (<em>educated guess</em> disent les anglo-saxons) avec peu d'examens complémentaires, et que nombre de médicaments de notre pharmacopée sont d'une très faible utilité : je me suis rendu compte avec le temps que je faisais de moins en moins d’analyses, et que mes ordonnances étaient de plus en plus courtes. Mes patients ne guérissent pas plus mal pour autant. Alors attention : je ne suis pas en train de prôner des thérapeutiques alternatives ou une fuite de la médecine basée sur des preuves, au contraire. Je ne suis pas un croyant, ni un partisan du "c'était mieux avant, quand on faisait de la vraie médecine avec ses cinq sens et pas avec des analyseurs et des échographes". Je suis un grand fan de mon Ettinger. Non : je veux dire que j'ai appris (hérité ?) de mes aînés - et de certains de mes enseignants - trop d'habitudes qui ne sont pas fondées sur une base scientifique solide, et que me concentrer sur l’essentiel (sous, notamment, la pression économique) m'a appris à soigner mieux, et pour moins cher.</p>
<h4>Médicalement parlant, nous savons ce qui est le mieux pour nos patients.</h4>
<p>Revenons aux questions éthiques. Parlons un peu de médecine humaine (j'utilise ce terme en opposition à vétérinaire) en France. Parlons de quelques scandales qui sont arrivés - et se poursuivent sans doute - dans nos hôpitaux et cabinets médicaux.<br />
Réfléchissons-nous parfois à l’absence de consentement de nos patients ? C’est une question qui agite le monde médical français depuis quelques années, une « révolte » des patients et notamment des patientes contre la maltraitance médicale, contre toutes ces habitudes pas forcément toujours très scientifiquement prouvées qui amènent les médecins à pratiquer des actes ou simplement à se comporter comme si l’avis du patient n’avait pas d’importance. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Pc4rdcjuPoY" hreflang="en" title="Interview Guy Vallancien">Un grand professeur d'un hôpital parisien a été interviewé par la BBC</a> au sujet d'un scandale dont vous avez sans doute entendu parler : la pratique a priori courante, dans un but pédagogique, de touchers vaginaux sur des patientes anesthésiées - sans consentement préalable bien entendu. Ce professeur n'a pas compris la question. Pour lui, si cela était fait dans un but d'enseignement, il n'y avait pas de problème, parce que le patient doit avoir confiance en son médecin, parce que le médecin sait ce qui est bon pour lui, mais... s'il fallait remplir un autre papier, on remplirait un autre papier. Pour lui, le concept de consentement, c'est un formulaire.<br />
Ça n'arriverait pas en médecine vétérinaire ? Vraiment ? Je suis sûr qu'en y réfléchissant vous trouverez des exemples. Que pensez-vous du chien mort dans votre chenil d'hospitalisation, dont vous conservez le corps, au sujet duquel vous vous posez beaucoup de questions - pourquoi exactement est-il mort, par exemple. <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2009/01/31/Autopsie">Pratiquer un examen nécropsique</a> semble une excellente idée, mais vous n'osez pas demander au propriétaire de l'animal, ou vous n'en avez juste pas envie. Après tout, personne n'en souffrira et ça servira à d'autres. Oui. Mais vous ne pouvez pas ne pas demander au maître de l'animal, et cela implique d'accepter son éventuel refus.</p>
<p><em>Nous sommes docteurs, nous savons ce qui est le mieux pour nos patients.</em></p>
<p>Vraiment ?</p>
<p>N’oublions pas que notre patient, lui, si on le laissait décider, se barrerait en courant, en volant ou en nageant lorsque nous approchons avec nos aiguilles et nos scalpels. Nous imposons même au propriétaire de maltraiter son animal en l’empêchant de bouger après un accident, en lui faisant avaler des comprimés, en lui faisant manger des croquettes qu’il n’aime pas. Imposer un traitement est une forme de maltraitance, une maltraitance que nous justifions - a priori à juste titre ! - par l’avantage que l’animal en retirera une fois le traitement achevé. Il sera guéri de sa maladie, il n’aura plus mal, bref, il ne souffrira plus. Ou moins. Nous préviendrons des problèmes ultérieurs en le stérilisant, ou en le vaccinant.</p>
<p>Nous tuons, même : l’euthanasie est quand même un paradoxe qui demande une sacrée confiance en soi pour être justifié. Je veux dire : des soignants qui tuent ?<br />
Quand je disais que je n'avais pas réfléchi avant de me prendre les choses à grande vitesse dans la figure, en voici un exemple. Ma première euthanasie de vache. Je me suis un jour retrouvé, jeune vétérinaire stagiaire, aux côtés d'un confrère pour une vache couchée. Appel pour euthanasie. Je ne me souviens plus du motif, mais il ne m'avait pas choqué (l'aurait-il dû ? Je ne pense pas, mais je ne m'en souviens pas). Mon maître de stage m'avait alors glissé à l'oreille, tandis que l'éleveur regardait sa prim' holstein d'un air dépité : "bon, c'est toi qui fait l'injection. Si tu rates, ça va se voir : c'est le seul médicament qui marche à tous les coups". J'ai pris les seringues et fais mon intraveineuse. La vache, déjà couchée sur le sternum, a glissé sur le côté, puis a soupiré deux ou trois fois. J'ai écouté son cœur s'arrêter. Elle était morte et moi, j'étais content d'avoir bien réalisé le geste technique. Sur le coup, ma première euthanasie de vache s'est résumée à ça. Je n'étais pas responsable de la décision, ce qui me simplifiait la vie (je l'ai réalisé plus tard). J'ai tué sur commande en faisant confiance (à juste titre !) à mon maître de stage, et j'étais content que ça ait marché, pas tant parce que la vache était morte vite et "proprement" mais parce que j'avais bien réalisé un geste technique. C'est naturel, mais c'est idiot. Ça n'a pas de sens.</p>
<p>Nous tenons pour acquis que nos clients (ou les patients, pour les médecins) doivent nous faire confiance parce que nous savons. Mais si nous en restons là sans nous remettre en question, nous risquons d'en arriver à des absurdités semblables au raisonnement du professeur dont je parlais plus haut !</p>
<p>Ceci étant, nous connaissons notre métier. Nous connaissons les balances bénéfice/risque. Donc oui, nous savons ce qui, médicalement parlant, est le mieux pour nos patients. Mais... Voyons un peu les "mais".</p>
<h4>Oui mais... Parlons un peu d'argent.</h4>
<p>Nous savons aussi ce que coûte chaque acte, chaque médicament. Au fil de notre consultation, nous savons où nous en sommes, financièrement. Enfin, en tout cas, les libéraux le savent. Les salariés, moins. Ce n’est pas directement leur problème. Et il faut le leur apprendre : combien ils coûtent, eux. Ce que vaut leur compétence, et ce que coûtent les choix diagnostiques et thérapeutiques qu’ils proposent. Toutes ces données qui sont naturelles pour le type qui paie les factures et les charges à la fin du mois ne le sont pas du tout pour le salarié, ne l’oublions pas. Et c’est très important : parce qu’une mauvaise maîtrise de la simple connaissance de ces coûts amènera forcément des conflits avec les clients, qui n’apprécieront pas de ne pas avoir de devis, qui râleront devant une facture qu’ils penseront injustifiée… alors qu’ils l’auraient peut-être acceptée si elle avait été anticipée. Ou qui aurait été différente s’ils avaient eu l’opportunité d’annoncer leurs limites financières.</p>
<p>Je reviens sur la méconnaissance des vétérinaires de la valeur de leur travail :<br />
Imaginons un chien de chasse, qui vient de se faire ouvrir le thorax par un sanglier. Il arrive en urgence à la clinique, nous prévenant quelques minutes à l'avance. Il est reçu par une consœur et une ASV (auxiliaire spécialisée vétérinaire, nos infirmières bi-classées secrétaires). Le chasseur porte le chien jusqu'à la salle de soins, laissant sur son chemin taches de boue et de sang. En quelques minutes, la patte du chien est tondue, rapidement désinfectée. La vétérinaire pose un cathéter, branche une perfusion, choisit le débit et le soluté adaptés. Démarre une antibiothérapie intraveineuse. Dans le même temps, elle évalue l'état du chien et l'étendue des dégâts, en constatant l'entrée d'air dans le thorax par une blessure intercostale. Elle choisit un protocole anesthésique et analgésique adapté à l'état du chien, l'endort tandis que l'ASV obstrue plus ou moins le trou tout en nettoyant la plaie. Elles intubent le chien, le branchent sur la machine d'anesthésie gazeuse et le concentrateur d'oxygène et se relaient à l'assistance respiratoire tout en finissant de préparer le chien. La vétérinaire a enfilé ses gants et explore la blessure, vérifie l'absence de dégâts sur les poumons et le diaphragme, referme la paroi thoracique tout en rétablissant le vide pleural avec l'aide de l'assistante, pose un drain thoracique, finit de parfaire le vide pleural, puis suture les couches musculaires et sous-cutanée, puis cutanée, en posant un drain dans la plaie. Un bandage compressif est réalisé. Elles surveillent le réveil du chien, qui passera la nuit à la clinique avant de rentrer chez lui le lendemain.<br />
Tout cela a pris très peu de temps. 40 minutes ?<br />
J'ai demandé à la vétérinaire (salariée) de me donner, de tête, le montant de la facture à venir. Elle a réfléchi au temps passé, au fait qu'il y avait très peu de matériel utilisé... et donné un montant dramatiquement faible en regard de la disponibilité et des compétences déployées. Je lui ai ensuite résumé ce qu'elle avait fait (le paragraphe ci-dessus). Et je lui ai rappelé qu'elle n'avait pas bossé seule mais mobilisé une ASV. Cette fois-ci, après avoir passé un peu de temps sur l'ordinateur, elle m'a donné une facture bien plus élevée. A mon avis assez juste. Mais bien trop au-dessus du prix du marché et des moyens financiers de la moyenne des propriétaire des chiens.</p>
<p>Bref, revenons-en au sujet : nous savons ce qui, médicalement parlant, est le mieux pour nos patients. Nous connaissons les coûts, et nous en avons averti nos clients.</p>
<h4>Oui, mais... nous pouvons avoir tort.</h4>
<p>Nous pouvons nous tromper : qui ne s’est jamais complètement planté sur une prise en charge ? Qui n’a jamais prédit une mort rapide à un animal encore en vie quelques années plus tard ? Qui n’a jamais entendu un client nous signaler que les chiennes de sa grand-mère n’ont jamais été stérilisées ni vaccinées, et qu’elles ne sont jamais tombées malades pour autant ? Nous devons connaître nos biais et ceux de nos clients. Nous devons prendre en compte notre marge d’erreur dans chacune de nos décisions, et malgré tout, décider. Parce qu’il y a un moment où il faut bien avancer. J’ai eu une stagiaire que cette perspective affolait, et paralysait, sur le mode : « Je pourrais avoir tort. »<br />
Bien sûr : elle aura tort, un jour ou l’autre. Mais si elle ne fait rien, est-ce que les choses ont plus ou moins de chances de mal se passer ? Est-ce que son intervention a plus de chances de faire une différence dans le bon sens que dans le mauvais ?<br />
Quels sont les risques ? Les probabilités ? La médecine, ce sont, tous les jours, des probabilités. C'est l'essence de la balance bénéfice/risque !</p>
<p>Je crois que nos erreurs ne seront jamais aussi graves que le jour où on ne les anticipera pas… Je préfère un collaborateur qui connaît ses limites qu’un bourrin qui fonce sans penser aux conséquences. Et j’ai pratiqué les deux. Les premiers, avec tous leurs doutes (même injustifiés), ont fait de bien meilleurs vétérinaires. Parce qu'avec le temps, ils ont pris confiance en eux, sans oublier de douter pour autant.</p>
<p>Alors, où en somme-nous ?<br />
A priori, nous savons ce qui, médicalement, a le plus de chances d’être le mieux pour nos patients. Nous connaissons la valeur de nos compétences et leurs limites, et nous en avons informé nos clients.<br />
Nous avons donc toutes toutes les clefs pour proposer le meilleur traitement pour chaque cas.<br />
Non ?</p>
<h4>Et le propriétaire de l'animal ?</h4>
<p>Non : il reste un élément essentiel, comme dans la vieille blague des informaticiens : le principal obstacle au bon fonctionnement d’un ordinateur se trouve entre la chaise et le clavier.<br />
Nous devons savoir ce que le propriétaire de l’animal attend, et ce qu’il ne veut pas. Nous devons nous enquérir de ses contraintes financières aussi, ou de leur absence. Il y a deux types de problématiques qui se mêlent ici :<br />
- la représentation que le propriétaire se fait de son animal : vaut-il le coût, même si j’en ai les moyens ?<br />
- les moyens, au sens strict du terme : puis-je payer la somme nécessaire ?<br />
Il ne faut pas non plus oublier tous les autres facteurs qui viennent influencer la décision du client : toutes ces représentations, ces idées reçues que nous ne pouvons pas négliger, que nous devons anticiper, écouter, comprendre, sans juger ! "La chimio, c'est forcément mal." "Il faut qu'elle fasse une portée."</p>
<p>Nous ne pouvons nous abstraire de ces questions, mais attention : NOUS NE DEVONS PAS RÉPONDRE A LA PLACE DU CLIENT. Et c’est une erreur que nous faisons facilement, même lorsque nous sommes des vétérinaires expérimentés. Y compris en médecine des animaux de rente ! C’est une erreur que nous faisons par excès, quand nous sous-estimons les freins de nos clients, qu’ils soient concrets (ils n’ont pas forcément les moyens que nous leurs prêtons, pour quelque raison que ce soit) ou subjectifs (ils peuvent être motivés pour soigner son animal, mais dans certaines limites, financières ou autres).<br />
C’est aussi une erreur que nous faisons lorsque nous décidons de privilégier par exemple une prise en charge peu onéreuse parce que nous pensons que le client ne pourra ou ne voudra pas payer. Et nous ne devons pas faire ça ! Nous devons proposer les alternatives, préciser les coûts, expliquer les avantages et inconvénients de chaque prise en charge, et conseiller le client dans son choix. Bien sûr, nous sommes juge et partie : on pourra nous reprocher, à juste titre, de gagner en général plus d’argent lorsque nous proposons une prise en charge plus onéreuse. Cependant, ce point qui peut sembler évident mérite réflexion :</p>
<ul>
<li>il peut être bien plus rentable de faire de la médecine rapide et pas chère que de passer beaucoup de temps sur un cas, même si on réalise plus d'actes au final. Un exemple simple : je reçois le propriétaire d'un chien âgé et arthrosique, qui vient pour euthanasie - il a mal et a besoin d'assistance pour se lever. Cela peut ne prendre que dix minutes, et me rapporter environ 30€. Je peux aussi creuser un peu et vérifier si le propriétaire est réellement arrêté sur cette décision d'euthanasie. Discuter prise en charge de la douleur, évaluer si c'est humainement et médicalement réaliste, convaincre, prescrire. Ça ne me prendra pas moins de trente minutes, et même si j'ai entre temps réalisé une analyse d'urines et une prise de sang et prescris 10 jours d'anti-inflammatoires, je n'aurais gagné qu'environ 40€. C'est beaucoup moins rentable (même au long terme : il n'est pas du tout évident que le propriétaire du chien donnera suite au traitement entrepris - et si en plus le chien reste à pourrir dans son panier et que son maître attend le dernier moment, lui aurons-nous rendu service ?).</li>
<li>lorsque nous confions un patient et un client à un confrère spécialisé, cela ne nous rapporte rien, tandis que si nous essayons de tout gérer nous même, nous pouvons gagner plus. Référer et travailler en réseau me semble être une base pour une bonne pratique médicale, mais ça ne rapporte rien financièrement.</li>
</ul>
<p>Quoi qu'il en soit, c’est à nous de rester droits dans nos bottes en ayant conscience de notre conflit d’intérêt et en démontrant, si nécessaire, notre bonne foi à nos clients. Ça ne doit pas être difficile si nous avons réfléchi et exposé correctement notre démarche. Mais ça demande du temps, du temps qu’il faut savoir prendre ! C’est en prenant ce temps que nous n’aurons pas à opposer systématiquement contraintes éthiques et économiques.</p>
<p>Quant aux animaux de rente : a priori, dans ce cas, la réflexion est plus simple. L’animal a une valeur brute, et potentielle. Combien vaut-il aujourd’hui, combien rapportera-t-il plus tard si on parvient à le soigner. Quelles sont les chances de succès du traitement, combien coûte-t-il ? Une fois ces données connues, l’éleveur peut faire son choix. Mais même un éleveur peut avoir envie qu’on soigne un animal pour des raisons autres que strictement économiques, <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/03/20/76-2298" hreflang="fr" title="2298">il ne faut pas l’oublier</a>.</p>
<p>Nous devons valoriser notre travail : soigner l’animal au mieux, avec l’accord de son propriétaire, sans le faire souffrir plus qu’il n’est justifiable pour son bien-être, en respectant les contraintes financières. C’est à mon avis le seul moyen de se regarder tranquillement dans son miroir le matin si on est sensible aux questions d’éthique.</p>
<h4>Concilier éthique et économie, réconcilier les vétérinaires avec leur travail</h4>
<p>Je ne sais pas comment fonctionnent les relations hiérarchiques entre vétérinaires au Mexique.<br />
Nous avons en France beaucoup de petites structures où travaillent des vétérinaires isolés avec éventuellement un ou plusieurs assistants « infirmiers/secrétaires ».<br />
Des structures de taille moyenne, de petites cliniques comme la mienne où bossent de 3 à 8 vétérinaires et autant ou un peu plus d’assistants.<br />
Et de grosses structures, jusqu’aux hôpitaux vétérinaires…<br />
Dans tous les cas, deux statuts se côtoient : les libéraux, ou associés, et leurs salariés. Si ceux-ci sont évidemment hiérarchiquement subordonnés à ceux qui les paient, ils conservent en théorie une réelle indépendance dans leurs choix médicaux, dans les limites de ce que propose la structure qui les emploie.<br />
J’insiste sur la réalité de cette indépendance, garantie par notre code de déontologie : de l’époque où j’étais salarié à aujourd’hui où je suis employeur, dans toutes les structures où j’ai travaillé, et cela reste vrai pour les amis salariés plus jeunes ou de mon âge, personne ne nous impose réellement une manière de travailler. Et nous assumons nos choix devant les clients, même si c’est la structure qui nous emploie qui sera responsable financièrement et légalement en cas de problème… Mais un rapide sondage sur Twitter m'a apporté des réponses contraires : la majorité se déclarait sous influence forte de ses employeurs.
Je précise tout ça car l’une des plaintes les plus fréquentes lue sur les réseaux sociaux, de la part de jeunes vétérinaires souvent, mais parfois aussi de vieux vétos qui s’emprisonnent eux-mêmes, quand ils ne succombent pas au cynisme et à l’amertume, est l’impression de ne pas pouvoir travailler de la façon qui leur convient. Patron buté, impossibilité de faire ou décider ce qu’ils souhaitent, absence de choix dans les prises en charge, force des habitudes… Je ne sais pas, pour chacun, ce qui contraint ces consœurs et ces confrères, mais je trouve que c’est un discours difficile à entendre : si vous avez la malchance de vous retrouver dans une telle situation, changez-là (et chères consœurs, chers confrères, employeurs : n'oubliez pas que vous aussi, vous avez été salarié, et rappelez-vous du plaisir que vous avez eu à être conseillés, mais indépendants, ou des mauvais souvenirs liés à ce que l'on vous a injustement imposé).<br />
Notre profession connaît le plein emploi. Elle est financièrement favorisée, même s’il y a de grandes disparités, même si à niveau de compétence et de responsabilité égal nous gagnons moins que d’autres professions, même si nous sommes astreints par la permanence de soins… nous sommes privilégiés. Mais c’est à chacun de se construire son exercice idéal du métier de vétérinaire. Qu’en pense l’enfant de 10 ans, l’ado de 15 ou l’étudiant de 20 ans qui persiste en nous ? Qu’en pense le vétérinaire de 30 ans qui commence à bien cerner les contours de son métier ?<br />
Si la façon dont l’équilibre entre questions économiques et éthiques ne correspond pas à l’idée que vous vous faites de votre métier, il n’est pas utile de vous répandre en amertume sur Twitter ou Facebook. Changez-ça ! Vous le pouvez ! Vous pouvez vous lancer, même seul(e) ! Vous pouvez bouger. Trouvez l’employeur qui vous conviendra si vous ne pouvez ou ne voulez pas de l’exercice libéral. Mais ne soignez pas un animal d’une manière qui vous paraît indigne. N’euthanasiez pas l’animal qui, selon vous, ne doit pas mourir. Il y a toujours une autre solution. Toujours.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/ethique-economie#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/383Second avisurn:md5:170193a64605b02fa8842eeddcb3703b2015-09-12T23:32:00+02:002015-09-12T23:32:00+02:00FourrureVétérinaire au quotidienchiendéontologieempathie <p>Mme Lauze est venue pour un second avis.</p>
<p>Avec son bouledogue au bout de sa laisse, souriante, inquiète. Attentive. Je l'invite à entrer, me demandant comment me situer. Je suis, moi aussi, souriant, inquiet, et attentif. Vient-elle parce que l'autre est un con, parce qu'il lui a donné une mauvaise nouvelle, parce qu'il l'a prise pour une conne, parce qu'elle n'a rien compris ? Ou juste parce qu'elle ne lui fait pas confiance ? S'est-il trompé, serai-je d'accord avec lui, saurai-je avant de me prononcer, ce qu'il lui a expliqué ? Va-t-elle chercher à me piéger ? Ou veut-elle juste se rassurer ?</p>
<p>J'examine Marty - le bouledogue - en discutant. Je n'ai bien sûr jamais vu ce chien, ni cette dame, et l'exercice suppose que je ne les reverrai jamais. Alors, nous faisons connaissance, quelques banalités, et tout de suite, elle m'explique : le diagnostic, et la prise en charge proposée par le confrère, qui implique une chirurgie. La dernière anesthésie générale sur ce chien s'est plutôt mal passée. Elle espère donc qu'il a tort, qu'il y a moyen d'éviter le bloc. Elle parle vite, mais elle est précise. Il y a une vraie urgence dans son maintien, mais elle se détend. Est-ce parce que je viens de lui demander de m'expliquer précisément ce qu'elle attendait de moi sans commenter ou juger les motivations de cette seconde consultation ? Ou est-ce simplement parce que son chien est à l'aise sur la table de consultation, content d'être papouillé et ausculté ? Et puis d'ailleurs, est-ce que les clients se demandent ce que le vétérinaire va penser d'eux, lorsqu'ils viennent ainsi remettre en doute les compétences d'un confrère ?</p>
<p>La boufiole suspecte, sujet de la chirurgie proposée, ne prête pas vraiment à discussion. Oui, il faut l'enlever, même si Marty n'est vraiment plus très jeune, même s'il est un peu cardiaque, un peu insuffisant respiratoire, un peu mal foutu de partout, en fait, sous le poil ras de sa robe grise. On ne nait pas bouledogue sans devoir faire de lourdes concessions à la physiologie normale de l'espèce canine.</p>
<p>Madame Lauze interroge, s'inquiète et se rassure en constatant que mon avis et celui de mon confrère convergent. Marty, lui, corne, ronfle et s'étouffe joyeusement dans mes bras, où il vient d'aterrir en échouant dans sa tentative de suicide par chute fatale depuis une table de consultation.</p>
<p>Le bât blesse un peu lorsque que je lui précise que si je devais l'anesthésier, je préférerais qu'échographie d'abord son coeur, pour mieux comprendre le souffle entendu. Pour, à plus long terme, accompagner au mieux son vieillissement. A dire vrai, OK, je n'hésiterai pas trop à l'anesthésier sans cet examen. Mais puisqu'il serait très pertinent de le faire, autant le faire avant de l'endormir, non ?</p>
<p>Sauf que...<br />
Sauf que, m'explique-t-elle, le rendez-vous chirurgical avec mon confrère du premier avis est déjà pris. Pour demain. Et que je ne sais pas faire une échocardiographie. Cet examen ne pourra pas être fait pour le lendemain.
Elle ne veut pas annuler.<br />
Et elle ne peut pas repousser, pas sans expliquer à son vétérinaire pourquoi, or elle ne veut pas lui annoncer qu'elle a demandé un second avis. Ne risquerait-il pas de penser qu'elle ne lui fait pas confiance ? Lui, qui, m'explique-t-elle maintenant, est, en plus, un ami ?</p>
<p>Elle se sent coincée. Alors, elle me demande : et si je l'opérais, sans rien dire ? Elle n'y croit pas, ça se voit, mais l'idée lui a traversé l'esprit. Je souris : hors de question. Et puis, de toute façon, il faudrait voir à ne pas le prendre pour un con : ça risque de se voir, que la masse cutanée n'est plus là.</p>
<p>Elle est entrée dans ma salle de consultation en s'inquiétant pour son chien, et pour l'anesthésie. Elle la quitte inquiète pour elle, et pour son ami. Et pour ça, aussi, elle me demande mon avis ?</p>
<p>J'en fais souvent, des « consultations de second avis ». Je suppose que'un certain nombre de mes propres clients vont chercher d'autres réponses, ou d'autres questions. Ca me convient : je ne suis pas susceptible, et je ne suis pas omniscient ou omnicompétent. Il est naturel de chercher à confirmer ou infirmer un diagnostic, un pronostic, ou une proposition de traitement. Même si, bien sûr, dans ces circonstances, je peux ressentir un pincement, un défi ou parfois, même, un petit sentiment de trahison. Personne n'aime être remis en question. Surtout quand on joue aux devinettes avec un diagnostic et que l'on sait bien que l'on pourrait avoir tort. Que le client pourrait avoir mal compris, et raconter n'importe quoi au confrère. Que le confrère pourrait être indélicat, ou pire, incompétent. Que…</p>
<p>Je lui souris, et je lui dis : moi, ça me vexerait, un peu, oui. Mais je comprendrais. Et puis, hé, j'avancerais. A vous de gérer.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2015/09/12/Second-avis#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/340Contre son gréurn:md5:2e888476bfbe7196cd4ba726b6d928c72014-03-11T11:51:00+01:002014-03-11T22:13:15+01:00FourrureVétérinaire au quotidienchienchirurgiedéontologieurgence <p>Le silence est étouffant. Dans la semi-obscurité de la salle de radio, nous sommes trois.</p>
<p>Il y a ce monsieur, dont je ne connais pas exactement la place dans la famille. Il est appuyé contre le mur, les mains jointes dans le dos, il regarde surtout le plafond. Il fait parfois des signes de dénégation avec la tête, mais il s'est exclu de la conversation quelques trente minutes plus tôt. "C'est Francette qui décide, c'est son chien."</p>
<p>Il y a Mme Rodriguez. Francette. Elle a dans les soixante-dix ans, ses lunettes lui donnent un air sévère, tout encadrées de rides dures. Elle est toute petite, elle a la bouche pincée, pincée avec force. Il y a de la violence dans ses lèvres et dans ses rides. De la colère ? Peut-être.</p>
<p>Il y a moi. Grand, le visage creusé, avec mes joues mal rasées, ma blouse blanche et mes grolles douteuses. Perdu au milieu de la pièce, je parle en regardant la chienne plutôt qu'en regardant mon interlocutrice. Je n'arrive pas à regarder les gens qui ne sont pas d'accord avec moi.</p>
<p>Il y a Duchesse, évidemment. C'est pour elle que nous sommes là. Duchesse est un genre de pinscher nain. Orange. Presque brune sous la lumière jaune du plafonnier. Elle gît sur son flanc droit, elle respire vite, trop vite, trop superficiellement. Elle est en train de mourir.</p>
<p>La pièce est sombre. Une lampe à variateur réglée sur son minimum, un négatoscope dont la lueur est cachée par une radio. Je viens de poser la sonde de l'échographe, le diagnostic est facile. Aujourd'hui en tout cas, parce que deux jours plus tôt, je suis passé complètement à côté. Duchesse allait mieux avec mon traitement, elle s'était remise à manger, et puis ce matin, vers 6h, elle a couiné, et puis elle s'est dégradée. Maintenant, il est à peine 10h, elle est en train de mourir. Je sais pourquoi, je sais ce qu'il faut faire. Mais entre elle et moi, il y a Mme Rodriguez.</p>
<p>Je viens d'énoncer mon diagnostic. Et mon pronostic, à la louche. C'est vraiment grave, mais elle a vraiment ses chances. Elle n'est pas toute jeune, mais elle n'a que dix ans. Dix ans, pour un pinscher, ce n'est pas vieux. Pour qu'elle vive, il faut que j'opère, tout de suite.</p>
<p>Mme Rodriguez vient de me demander l'euthanasie.</p>
<p>Le monsieur est appuyé contre le mur, il regarde le plafond. Il secoue la tête. Il sort, en prenant son téléphone portable.</p>
<p>Je suis assommé, je ne réfléchis plus, je n'y arrive plus. J'acquiesce. Je la laisse là, seule, avec Duchesse. J'ai remonté la lumière, mais la pièce reste obscure. Je croise une ASV, qui ne demande rien, elle a vu mon visage. Je dois avoir la bouche pincée. Avec force. Je prends les euthanasiques, dans le petit meuble sous clef. Mon associé me regarde l'air effaré.</p>
<p>"Tu la piques ?<br />
- Elle refuse les soins. "Trop cher". Je lui ai proposé une aide à la prise en charge avec l'asso, et un paiement sur 6 mois. Elle refuse.<br />
- Ah..."</p>
<p>J'aperçois le monsieur, dehors, il marche sur le parking, il fait des aller-retour en agitant son bras gauche, la main droite vissée sur l'oreille.</p>
<p>Je soupire, je prend un tube vert dans le tiroir, je retourne vers Duchesse.</p>
<p>"Bon, je ne vous compterai rien, mais je veux faire une prise de sang, voir si ses reins fonctionnent encore."</p>
<p>Elle ne répond rien. Je parle doucement à Duchesse, autant pour briser le silence que pour la rassurer, même si elle est sourde. On ne soigne pas un chien de la même façon quand on lui parle. Elle ne sent pas ma piqûre. Je repars avec mon millilitre de sang. Trois minutes à tapoter sur la capot de l'analyseur. Trois minutes à serrer les dents, réaliser que je serre trop mes dents, les desserrer, les resserrer.</p>
<p>Créatinine inférieure à 0.50 mg/dL</p>
<p>Ses reins fonctionnent parfaitement. Un point de plus pour le pronostic. Je retourne vers la salle de radio, incertain. Dans le couloir, le monsieur m'attrape par le bras.</p>
<p>"Elle a vraiment ses chances, docteur ?<br />
- Je vous l'ai dit, je reste là-dessus : au moins une sur trois. Peut-être plus. Je ne peux pas dire mieux. Les reins sont bons, la marche à suivre est évidente. Mais il faut faire vite.<br />
- Une sur trois, hein ? Hé, de l'argent, elle en a. Beaucoup."</p>
<p>Je rentre dans la salle de radio, le monsieur sur mes talons. Toujours la respiration de Duchesse, si courte, si rapide. Elle devrait déjà être sous perfusion.</p>
<p>"Francette, j'ai eu Pauline au téléphone, elle dit qu'il faut l'opérer. Que Jean-Paul peut payer.<br />
- Oui, c'est facile, Jean-Paul peut payer. Mais elle souffre, et elle va mourir."</p>
<p>Ses mots sont durs, ils frappent sec.</p>
<p>J'interviens, accroupi devant la table, en train de poser un garrot tout en me tortillant pour être dans l'axe de sa patte.</p>
<p>"Bon, je pose le cathéter, quoi qu'on décide, on en aura besoin. Elle va mourir si on ne fait rien. Si je l’opère, je ne suis pas sûr de la sauver, mais elle a ses chances. Une sur trois, ou plus. Elle n'est pas en insuffisance rénale.<br />
- Elle a déjà dix ans, elle est vieille !<br />
- Mme Rodriguez, un pinscher, ça peut vivre 15, 16 ans. Ou plus. Elle n'est pas vieille. Pour un humain, ça fait dans les soixante ans. Soixante-dix tout au plus. Les docteurs ne laissent pas mourir les patients sous prétexte qu'ils ont soixante-dix ans, à l'hôpital.<br />
- Ils ne les sauvent pas tous !<br />
- Non, ils ne les sauvent pas tous."</p>
<p>Elle a soixante-dix ans, cette dame. Ou un peu moins.</p>
<p>"Vous avez dit que c'est très grave !<br />
- Je le maintiens, mais on peut opérer, elle peut récupérer sans séquelle, et vivre 5 ans de plus. Ils n'auraient plus beaucoup de boulot, les médecins, si ils arrêtaient de soigner les maladies graves quand il reste un tiers de sa vie à vivre."</p>
<p>Être convaincant, parler sans violence, avec un sourire mais pas trop, sans condescendance. Le juste ton, sa vie en dépend. Ne pas la braquer, la faire tourner.</p>
<p>"Je peux vous proposer un truc. Je l'opère, de suite. C'est risqué, parce qu'elle est très mal, mais elle ne s'améliorera pas avec des médicaments, on n'a pas le temps. Je peux l'anesthésier, j'ai ce qu'il faut, les bonnes machines, les mêmes qu'à l'hôpital, avec les gaz anesthésiques. Ça ne m'inquiète pas plus que ça, l'anesthésie. Je l'ouvre, je vois comment c'est dedans. Si tout est pourri, on arrête, je l'euthanasie pendant son sommeil, elle ne sentira rien, elle ne souffrira pas. Pour elle, ce sera comme si je l'euthanasiais sans l'opérer, et ça ne vous coûtera pas très cher. Mais si c'est jouable, je termine la chirurgie. Je ne veux pas m'acharner, je veux lui donner sa chance, ok ?"</p>
<p>Ses lèvres, pincées. Ses mains, serrées sur son sac à main.</p>
<p>"Francette, c'est Pauline. Là, au téléphone. Elle dit qu'il faut opérer. Qu'il faut lui donner sa chance, qu'une chance sur trois, c'est bien.<br />
- Pauline, Pauline, oui, mais bon, elle souffre, et elle va mourir, alors faut la piquer, c'est comme ça, et j'en reprendrai un autre."</p>
<p>La voix est ténue, au téléphone, je l'entends, nous l'entendons tous dans le silence à peine froissé par la respiration de Duchesse. Le monsieur tient le téléphone dans la main, à un mètre de moi, à un mètre de Mme Rodriguez. Elle vient de loin, cette voix. "MAMAN ! Tu laisses le docteur opérer ! C'est Duchesse, merde !"</p>
<p>Le silence, la respiration de la chienne. Je prends Duchesse dans les bras, je ne regarde personne, je vais au bloc. Dans le couloir, je me retourne.</p>
<p>"Je l'opère tout de suite. Dans trente minutes à peine, je saurai si c'est pourri ou pas. Attendez trente minutes en salle d'attente, d'accord ?"</p>
<p>Les trente minutes sont passées. La péritonite était aiguë, l'utérus n'avait percé que ce matin, sans doute vers six heures, quand Mme Rodriguez avait entendu la chienne se plaindre, et vomir. J'ai passé plus de deux litres de chlorure de sodium tiédi pour nettoyer chaque cul de sac du péritoine. Posé un drain. Elle n'était qu'à 35°C de température rectale quand j'ai commencé. Elle était dans le coma, et la chirurgie a duré plus d'une heure. Ovario-hystérectomie, résection d'un bout de mésentère. Lavage, lavage, lavage. Malgré toutes nos précautions, sa température rectale était passée à 32°C en fin de chirurgie. Il lui a fallu douze heures pour émerger. Elle a passé deux jours dans le gaz, avec des troubles neurologiques qui m'ont fait craindre le pire. Puis elle s'est tenue debout. Elle a mangé. Au bout de cinq jours, elle rentrait à la maison.</p>
<p>Duchesse va bien. Elle aurait tout aussi bien pu mourir.</p>
<p>Cette fin ne justifie pas du tout ces moyens.</p>
<p>Mais...</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2014/03/11/Contre-son-gr%C3%A9#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/325Soigner, parce qu'il le faut ?urn:md5:40904a982ce70b5fbad272b4bc49480b2013-07-10T20:03:00+02:002013-07-23T11:54:42+02:00FourrureUn peu de reculargentchirurgiecode de déontologiedéontologiehonorairehospitalisationobligation de soinsurgence <p>C'est un samedi soir.
Il est 19h00, j'aimerais bien rentrer chez moi, mais, pas de bol, j'ai eu quatre appels entre 18h45 et 19h00.</p>
<p>Le premier a été vite expédié. Un chien qui s'étranglait avec un os, mais qui l'a vomi dans la voiture (technique à retenir pour quand je n'aurai plus d'apomorphine).</p>
<p>Le second, je l'ai mis sous perf' et hospitalisé direct, dans la cage à côté de son frère qui est là depuis hier. Une portée de chiots, un parvovirus, un week-end à nettoyer et désinfecter cages et chenil, histoire de mieux apprécier la valeur de nos assistantes.</p>
<p>Le troisième ne m'a pas pris bien longtemps non plus. Plus de peur que de mal sur un accident de la route, le conducteur a pilé, le pare-choc a juste bousculé le chien.</p>
<p>Le quatrième m'a occupé jusqu'environ minuit.</p>
<p>C'est une cliente que je ne vois pas souvent, mais régulièrement et depuis longtemps, qui me l'a amené. Mme Baïs. Sa fille l'accompagnait. Je soigne leurs chevaux, et leurs chiens à l'occasion. Ils ne sont pas très véto. Leurs animaux vivent leur vie, plus ou moins en liberté autour de la maison. Ils les nourrissent bien, s'en occupent, mais les chiens, les chats ou les autres bestioles ne sont que ça : des chiens, des chats, des bestioles. Pas des enfants de remplacement, des confidents ou des compagnons de vie.</p>
<p>Je les aime bien : ils sont clairs et cohérents.</p>
<p>Leur jack russel a déconné. Dans les grandes largeurs. Il n'a rien trouvé de plus intelligent qu'attaquer un chien qui passait avec une joggeuse sur la route devant la maison. Un jack russel, c'est un petit chien. Un terrier. Un genre de fox, si vous voulez (là, normalement, les fans de jack russel ET de fox devraient me sauter dessus). Le chien qui passait, c'était un leonberg. 60kg. Le jack russel est vite rentré chez lui, avec quelques trous dans la peau.</p>
<p>Une fois l'émoi de la bagarre passé, chacun est retourné à ses occupation. Les trous, ce n'était objectivement pas grand chose. Ils ont désinfecté et espéré que "ça lui apprendrait" - sans trop y croire. Puis oublié.</p>
<p>Le lendemain soir, ce samedi, à 18h30, le chien a vomi du sang.</p>
<p>Une bonne partie de son aine droite était tuméfiée. Il y avait un petit coup de croc. Pas grand chose. La peau avait pris une vilaine teinte violacée, nuancée de noir. C'était gonflé, mais la douleur était impossible à estimer. Le chien n'était vraiment, vraiment pas bien. Très abattu, un peu déshydraté. Il endurait.</p>
<p>Un examen rapide à l'échographe m'a rapidement confirmé ma suspicion : le muscle abdominal était déchiré, les intestins était sous la peau. Avec les vomissements, j'imaginais une occlusion liée à une hernie étranglée : l'intestin faisant une boucle par la déchirure abdominale, trop serré, étranglé par l'étroitesse de la plaie d'éventration. Le sang ne circule plus, l'intestin meurt.</p>
<p>C'est évidemment une urgence, c'est évidemment très grave. Je démarrerai l'opération environ une demi-heure plus tard. Finalement, le croc avait même percé l'intestin, qui déversait son contenu dans la poche entre la peau et le muscle abdominal. Il m'a fallu enlever environ 30cm d'intestins. C'est la chirurgie la plus complexe que je sache faire.</p>
<p>Tout s'est très bien passé.</p>
<p>Lorsque j'ai établi mon diagnostic, avec la propriétaire du chien et sa fille, j'ai évidemment expliqué les tenants et aboutissants du problème. Que j'ai eu tort sur la nature exacte de la blessure n'y changeait finalement rien : la prise en charge était la même.</p>
<p>Elles étaient évidemment d'accord pour que j'opère. Madame s'est d'ailleurs excusée, plusieurs fois, pour la soirée que j'allais passer. J'ai eu beau lui expliquer que j'étais là pour ça, elle avait bien conscience que mon samedi soir se passerait en tête à tête avec les intestins de son chien et pas avec ma famille. Elle avait compris que c'était une chirurgie complexe, et que le risque anesthésique était relativement important. Qu'il faudrait sans doute quelques jours d'hospitalisation, et une alimentation spéciale pendant deux semaines au moins.</p>
<p>J'ai donc recueilli dans les règles de l'art son consentement éclairé.</p>
<p>Je n'ai pas fait signer de demande de soin, ou de document prouvant le consentement éclairé. Ici, ça ne se fait pas. Nous n'avons pas de problème à ce niveau. Les gens sont d'accord ou pas, mais nous n'avons pas (encore ?) formalisé cette étape indispensable de la relation de soins. La parole donnée, la confiance et le respect mutuel entre client et vétérinaire fonctionnent bien. J'ai bien conscience que ce n'est plus le cas partout, et je chéris cette relation précieuse.</p>
<p>Nous n'avons pas parlé d'argent. Parce qu'avec eux, ça ne se fait pas. C'est monsieur qui gère, et, ce soir-là, il n'était pas là. Je le connais, il me connaît, je sais qu'il serait d'accord. N'y voyez aucun sexisme, ou mépris, ou catégorisation : c'est comme ça que leur famille fonctionne. Je n'ai pas abordé le sujet, elles non plus. Elles avaient pourtant parfaitement conscience que ça risquait de coûter cher.</p>
<p>J'ai préféré ne pas le mettre sur la table pour me concentrer sur le plus urgent : enlever ses intestins pourris à ce chien.</p>
<p>Elles ont préféré ne pas aborder la question pour des raisons qui leur appartiennent.<br />
Ce n'était certainement pas parce que ça n'avait pas d'importance. Ce sont des gens modestes.<br />
Ce n'était pas parce qu'il n'y avait pas le temps, ou que l'occasion a manqué.<br />
C'était peut-être parce qu'on ne parle pas de ces choses là, et encore moins au docteur. Cela, j'en avais conscience, ce n'était peut-être pas à mon honneur de n'avoir pas brisé le silence sur cette question. On flirtait sans doute à la limite de la manipulation, comme c'est souvent le cas dans la relation entre le soignant et le soigné (ou le propriétaire du soigné, dans le cas d'un animal...).</p>
<p>D'habitude, je mets les pieds dans le plat. Je sais le problème de <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/02/20/57-la-valeur-de-la-vie">la valeur de la vie</a>, je sais que les soins que je prodigue peuvent être chers. Je connais également leur coût. Je me suis dit qu'il était plus pertinent de ne pas aborder la question. Je ne sais pas exactement pourquoi.</p>
<p>La facture s'est finalement élevée à 700 euros, pour une entérectomie sur éventration souillée (anesthésie gazeuse, environ deux heures et demie d'intervention, seul, un samedi soir, deux boîtes de chirurgie...), surveillance du réveil (environ 3/4 h de plus dont j'ai profité pour nettoyer le bloc et les boîtes de chirurgie), trois jours d'hospitalisation dont un dimanche, des tas de médicaments (analgésiques surtout, anti-inflammatoires, antibiotiques), un petit sac de croquettes et tous les petits soins qui accompagnent une telle intervention.</p>
<p>Objectivement, je pense que ce n'est pas cher. Comme me le disait un confrère très spécialisé, habitué des grosses factures : "c'est pas cher, mais c'est beaucoup d'argent."</p>
<p>Nous n'avons abordé la facture que lors du retrait des points, deux semaines plus tard. Tout s'était très bien passé, quoique cette précision ne soit théoriquement pas pertinente concernant le prix des soins.</p>
<p>Cette fois-ci, c'est M. Baïs qui était venu, avec sa fille. Lorsque j'ai abordé la question de la facture, prévenant et anticipant sur une possibilité d'étalement de paiement, il se doutait bien que ce serait cher. Mais il ne pensait manifestement pas que ce serait autant. Je savais que, pour eux, c'était une somme très importante. Pour certains, ce serait une somme insurmontable (qui condamnerait leur animal ?). Pour d'autres, un simple détail.</p>
<p>M. Baïs n'a pas du tout contesté le prix. Mais il s'est visiblement décomposé. Du coup, j'étais encore moins fier de n'avoir pas abordé la question avant. Je ne sais toujours pas si c'était une erreur de ne l'avoir pas fait. Il m'a fait confiance, par procuration certes, mais peu importe. Il a apprécié la réussite de mon travail, et réalisé en voyant avec moi le détail de la facture, que d'une part le prix était "juste", et que d'autre part je lui avais "remisé" certains actes dans une logique de forfait de soins.</p>
<p>M. Baïs a eu très précisément les mots suivants :</p>
<p>"Je paierai, oui, bien sûr.<br />
C'est normal, c'est mon chien, il faut bien le soigner.<br />
Mais quand même, c'est sûr, ça fait beaucoup d'argent.<br />
Mais quand on a un animal, c'est sûr, on le soigne, il le faut."</p>
<p>Je n'ai pas oublié ses mots.</p>
<p>J'ai entendu l'idée, considérée mais vite évacuée, de ne pas me payer. Il savait qu'il n'avait aucune raison de ne pas me payer, et c'est un homme honnête qui me considère comme un homme honnête.</p>
<p>J'ai entendu ce que je savais : c'était vraiment beaucoup d'argent. Il l'énonçait sans honte, ni comme un aveu, ni comme un reproche, et d'autant plus facilement sans doute que je l'avais déjà précisé. J'ai conscience du prix, de ce que représente cette somme pour une famille modeste. J'ai aussi conscience des coûts et de la valeur des soins, ce qui me permet de présenter sans honte mes factures (et il m'a fallu beaucoup de temps pour apprendre à assumer mes factures).</p>
<p>J'ai surtout entendu cette obligation morale à laquelle je n'avais pas vraiment réfléchi. J'avais bien sûr déjà entendu la formule "quand on a un animal, on l'assume", et ses diverses variantes. Mais cette phrase, jusque là, était restait pour moi une idée prête à penser, une formule toute faite. Je m'interroge encore régulièrement sur les questions liées à <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/02/20/57-la-valeur-de-la-vie">la valeur de la vie animale</a>, évitant autant que possible ses dilemmes inhérents à mon métier. Là, ce n'était pas la question.</p>
<p>M. Baïs interprétait devant moi, avec beaucoup d'honnêteté, cette contrainte morale.</p>
<p>Il faut soigner son animal.</p>
<p>Pourquoi ?</p>
<p>Parce qu'on en a la responsabilité, et qu'avec elle vient une obligation morale qui n'existe pas s'il s'agit de réparer une voiture.</p>
<p>Cette obligation morale envers un animal n'existait pas, ou en tout cas n'était pas la règle, il y a quelques décennies. Elle ne vaut d'ailleurs que pour notre société et celles qui lui ressemblent. Elle sous-tend l'essentiel de mon activité professionnelle, surtout avec la baisse de l'activité "rurale" depuis quelques années. Elle est même entrée dans la loi avec la notion d'<a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/03/18/75-obligation-de-soins">obligation de soins</a>.</p>
<p>Dans le même temps, les progrès de la médecine vétérinaire, sur les traces de la médecine tout court, sont fulgurants. L'augmentation des moyens financiers consacrés aux animaux accompagne l'augmentation des moyens médicaux disponibles. Pharmacopée, imagerie, chirurgie, compétence... Les vétérinaires d'aujourd'hui ne font plus le même métier que les vétérinaires de la génération qui les a précédés.</p>
<p>Dans le même temps, les vétérinaires, comme les propriétaires des animaux, deviennent un enjeu financier pour les labos, les assureurs et les affairistes divers et variés.</p>
<p>Puisqu'il faut soigner l'animal, puisqu'on le doit, autant s'en donner les moyens.</p>
<p>Jusqu'où ?</p>
<p>Et comment devons-nous désormais comprendre l'obligation de moyens inhérentes à l'exercice loyal de la médecine ?</p>
<p>Parce qu'un moyen existe, faut-il l'utiliser ? Doit-on l'utiliser ? Le proposer, oui, on le doit, et c'est finalement ici que s'achève a priori le principe de l'obligation de moyens, réduite à une obligation d'informer sur l'existence des moyens. Ensuite, il faut composer avec les contraintes, les attentes, les limites et possibilités financières et techniques de chacun - aussi bien vétérinaire que propriétaire. De cette confrontation entre le "possible" et le "disponible" renaît l'obligation de moyens, définie cette fois par un devis qui tient lieu de contrat de soins.</p>
<p>Un médecin me disait l'autre jour : "nous, quand on ne sait pas, on fait un scanner." Curieuse logique, d'un point de vue médical d'une part, mais d'un point de vue économique également. Le moyen existe, on <em>doit</em> l'utiliser, d'autant plus qu'on pourrait lui reprocher de ne pas le faire. En médecine "humaine", la question économique est pour l'instant évacuée (du point de vue du patient en tout cas). Pour le meilleur et pour le pire, notamment l'insupportable "j'y ai droit, je cotise", à la fois parfaitement logique et totalement vicié. Je commence à le voir apparaître avec les <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2013/01/25/mutuelle-de-sante-pour-animaux-de-compagnie">mutuelles de santé pour animaux de compagnie</a>, qui permettent de fausser la décision médicale d'une manière inédite : avant, on était contraint par défaut de moyens, nous dirigeons-nous nous aussi vers une contrainte par excès ?</p>
<p>Jusqu'où faut-il aller ? Et puisque la question est par essence morale, quel est le seuil immoral ? Celui qui rabaisse l'homme sous le niveau de l'animal de compagnie ?</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2013/07/23/soignerparcequillefaut#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/313Mutuelle de santé pour animaux de compagnieurn:md5:5cb3b480e6d9663d6a844f17e8db78ec2013-01-25T12:07:00+01:002013-01-28T08:30:36+01:00FourrureUn peu de reculargentcode de déontologiedéontologie <p>Prendre une assurance-santé pour son chien, son chat ou tout autre animal de compagnie : l'idée n'est pas nouvelle, et creuse lentement son sillon en France. Elle peut sembler excellente, on peut imaginer ses limites...</p>
<h3>De quoi parle-t-on ?</h3>
<p>Une société d'assurance (il y en a plusieurs sur le marché, évidemment), vous propose de rembourser tout ou partie des frais vétérinaires de votre animal de compagnie. Vous payez une cotisation mensuelle, qui évolue, ou pas, avec l'âge de votre animal. Cette cotisation est plus ou moins élevée selon l'âge de l'animal, selon sa race, selon, éventuellement, le nombre de fois où vous avez fait appel à cette assurance santé.<br />
Il y a en général une franchise, ou plancher : vous avez une facture de 100 euros, la franchise est de 20, l'assurance ne rembourse que 80.<br />
Il y a en général un plafond, annuel ou par facture. Vous avez une facture de 2000 euros, un plafond de 1000, une franchise de 20 : l'assurance vous rembourse 2000-1000=1000 euros.<br />
Les conditions définissent les actes ou produits remboursés ou pas : la liste peut être longue, il faut la regarder de près. Souvent, les vaccins ne sont pas remboursés, et les maladies qui auraient pu être vaccinées non plus (que l'animal soit vacciné ou pas, c'est aussi à vérifier). Bref, beaucoup de détails compliqués et essentiels.<br />
Les cotisations mensuelles couramment rencontrées s'échelonnent entre 15 et 50 euros.</p>
<h3>Le point de vue du propriétaire de l'animal</h3>
<p>Les avantages semblent évidents : payer moins de frais vétérinaires, et avoir la possibilité d'offrir des soins plus onéreux à votre animal.</p>
<p>Mais il y a quand même quelques limites à garder à l'esprit :</p>
<p>Nous sommes tous pareils, et nous voulons qu'un investissement soit rentable. Ce n'est pourtant pas le but d'une assurance, par définition, et c'est un très gros frein à la motivation des maîtres. La plupart du temps, lorsque j'aborde le sujet, le dialogue est à peu près le suivant :<br />
- Mais, docteur, est-ce que c'est rentable ?<br />
- Rentable ? Non. L'idée, c'est de vous permettre de soigner votre animal en cas de coup dur. Mais s'il n'y a pas de coup dur, s'il ne tombe pas malade, s'il n'a pas d'accident, cet argent aura été investi "pour rien".<br />
- Pour rien ?<br />
- En réalité, non : vous aurez acheté une sécurité, à vous de voir si cela en vaut la peine. Car par contre, si votre chien est renversé par une voiture et que le chirurgien orthopédiste fait un devis à 2000 euros, vous allez y gagner énormément.</p>
<p>Les assurances, c'est comme les vaccins : quand on n'en a pas besoin, ils ne servent à rien.</p>
<p>Pourtant, il ne me semble pas que ce soit une bonne façon de réfléchir...</p>
<p>Il faut également tenir compte des avantages et inconvénients de chaque contrats. Et là, c'est la jungle : ils sont tous différents, difficiles à comparer au vu du nombre de paramètres, l'augmentation des tarifs selon le nombre de "sinistres" est imprévisibles dans les contrats qui prévoient ce paramètre...</p>
<h3>Le point de vue de l'assureur</h3>
<p>Son but est de gagner de l'argent.</p>
<p>Mais...</p>
<p>Je note presque systématiquement une augmentation du nombre de consultations pour les animaux assurés. cela semble évident : on hésite moins à aller voir le véto si l'on sait que l'on ne perdra "rien" si l'on y va finalement "pour rien".<br />
La règle des trois jours, du coup, est faussée. Oui, vous savez, quand je demande depuis combien de temps l'animal est malade, en général, la réponse est "trois jours". Le premier jour, se rendre compte que quelque chose ne va pas. Le second, se dire que cela ne semble pas être juste un pet de travers. Le troisième, aller chez le véto.</p>
<p>Et puis il y a les maîtres qui veulent absolument passer leurs 5 chiens sur le compte du seul assuré. Et qui ne voient pas du tout en quoi cela pose un problème.</p>
<p>Il y a également ceux qui font assurer leur chien en prévision d'une grosse tuile diagnostiquée par le véto : "votre chien est dysplasique, dans 6 mois au plus, il va avoir besoin, d'une chirurgie lourde".</p>
<p>Vite, assurons-le.</p>
<p>C'est de la fraude, oui. Les assureurs sont conscients de ces limites, et certains se sont même retirés du marché en voyant la faible rentabilité de l'histoire. Une cliente, courtière en assurances, m'a un jour expliqué que lorsqu'elle assurait un chien de chasse, elle était sûre à 100% d'avoir un sinistre dans l'année. Elle a arrêté.</p>
<p>Je vous entends me répondre que les assureurs ne sont pas à plaindre. Ce n'est pas mon problème : je me contente de vous expliquer les enjeux. Il me semble que c'est un point essentiel lorsque l'on essaie de saisir les tenants et aboutissants de ces assurances-santé.</p>
<p>Et puis, cela incite à la réflexion sur notre assurance-santé, non ? je vous invite à écouter <a href="http://www.franceculture.fr/emission-avec-ou-sans-rendez-vous-les-assurances-maladie-2012-07-10" hreflang="fr">cette émission</a>, avec ou sans rendez-vous, qui aborde bien le sujet.</p>
<p>S'il y a des assureurs qui me lisent, leur point de vue m'intéresse beaucoup.</p>
<h3>Pour le vétérinaire</h3>
<p>Au début, je ne voyais que des avantages à l'assurance-santé des animaux de compagnie.</p>
<p>Elles allaient me permettre de proposer un panel de soins complet, sans être bridé par des considérations financières. Depuis 2-3 décennies, l'offre de soin gagne énormément en qualité. Progrès de la science, progrès de la technologie, nous diagnostiquons plus de choses, avec beaucoup plus de moyens, nous pouvons également en traiter bien plus qu'avant.</p>
<p>Mais combien de chirurgies lourdes avortées faute de moyens financiers ?<br />
Combien de chimiothérapies, d'immunosuppresseurs ou d'antiviraux laissés dans les frigos faute d'argent pour les payer ?<br />
Quelle qualité de suivi pour les maladies chroniques lorsque le temps devient, forcément, de l'argent ?</p>
<p>Combien d'euthanasies pourrions-nous éviter ?</p>
<p>Ma clinique a investi lourdement. Bâtiments, renforcement de l'équipe (nombre d'ASV plus que doublé en moins de dix ans !), formation, matériel, temps. Et j'ai une conscience aiguë des limites financières de mes clients. Je sais que je ne peux pas faire correspondre les tarifs à l'offre de soin. Nous avons choisi de nous lancer à corps perdu dans la qualité, parce que c'est ce qui nous fait avancer, mes collaborateurs et moi, mais était-ce financièrement une bonne idée ?</p>
<p>En l'état actuel des choses, non. Nous gagnerions bien mieux notre vie si nous avions fait d'autres choix. Je ne pleure pas sur mon sort, soyons clairs, mais il n'y a pas de quoi pavoiser. Les vétérinaires ne sont plus du tout les notables qu'ils étaient dans les décennies 60-80, et nous trustons désormais les dernières places des classements en terme de rentabilité et de revenus dans les dossiers des organismes de gestion agréés. Des vétos font faillites, d'autres vivent décemment. Certains s'en sortent très bien.</p>
<p>Du coup, l'assurance-santé animale représente un espoir non négligeable pour notre profession.</p>
<p>Mais il n'empêche que cette problématique me file des nœuds à l'estomac.</p>
<h3>De la pub ?</h3>
<p>Je ne suis pas courtier en assurance. Les assurances ne me paient pas pour que je les vende, et il n'est pas non plus question que je distribue leurs flyers gratuitement. Je reçois très souvent des enveloppes pleine de pub à laisser en salle d'attente. Je fous tout à la poubelle.</p>
<p>D'ailleurs, chers assureurs, le code de déontologie interdit le courtage (article R242-62 du code rural). Je précise, car certains ont essayé, avec leurs gros sabots, en me proposant carrément un pourcentage. Youhou !</p>
<blockquote><p>Tout courtage en matière de commerce d'animaux, la collecte ou la gestion de tous contrats d'assurance en général, y compris ceux qui couvrent les risques maladie, chirurgie ou mortalité des animaux, sont interdits aux vétérinaires exerçant la médecine et la chirurgie des animaux.</p>
</blockquote>
<p>Et si je dois mettre la com' d'un assureur dans ma salle d'attente, j'aimerais autant mettre la com' de tous les assureurs. Distribuer ces pubs implique un message à mes clients : "cet assurance est bien foutue, allez-y".</p>
<p>Je ne suis pas là pour ça.</p>
<p>Et je n'ai pas non plus envie que mes clients pensent que ces assureurs me filent un pourcentage, ou je ne sais quoi. Je n'ai pas envie de prêter le flanc à ce type de critique.</p>
<p>Par contre, quand un client me demande mon avis sur un contrat, si j'en ai le temps, je le donne. Je regarde avec lui, je discute ses besoins, et vérifie les pièges les plus courants. Ce n'est pas vraiment mon boulot, mais je suis là pour conseiller, après tout.</p>
<h3>Inéluctable ?</h3>
<p>Je n'apprécie pas non plus le discours ambiant : on nous vend ces assurances comme "inéluctables". Une chance, une opportunité, et de toute façon une évolution nécessaire et souhaitable. Et si vous n'en voulez pas, vous l'aurez quand même.</p>
<p>Sans doute. Mais dois-je pour autant vendre mon stéthoscope aux assureurs ?</p>
<p>Je n'apprécie pas que certains assureurs s'appuient avec un message quasi-institutionnel sur la profession. J'ai l'habitude des messages du genre "formulé par un vétérinaire". "Créé par des vétérinaires." "Approuvé par des vétérinaires." Les gens ont, je l'espère, assez d'esprit critique pour ne pas se jeter béatement dans tout ce qui porte ce genre d'étiquette. Mais cela commence à aller plus loin, de nouveaux assureurs communiquant assez finement sur le sujet avec les vétérinaires : "fondée par trois vétérinaires, blablabla, du coup nous sommes plus pertinents, plus indépendants, nous ne voulons que votre bonheur." Sans déconner.</p>
<p>Et vas-y que j'installe mes fiches de remboursement dans ton logiciel vétérinaire, mais pas celles de la concurrence. Voilà un truc que je trouve profondément anormal : lors d'une mise à jour apparait un nouveau bouton qui permet de remplir automatiquement la fiche standard d'une mutuelle. D'une seule. je vous assure, vu comme c'est chiant de remplir ces fiches, ça donne forcément envie de pousser les clients vers cette mutuelle. Bien joué. Et puis, ça met son nom à l'esprit en permanence.</p>
<p>Vous trouvez ça normal ?</p>
<p>Pas moi.</p>
<h3>Et après ?</h3>
<p>J'en discutais il y à peu avec un dentiste, confronté à certaines de ces problématiques, mais avec beaucoup d'avances sur nous. Certaines mutuelles conseillent à leur client un cabinet plutôt qu'un autre, assurant un meilleur remboursement dans ce cas. Avons-nous vraiment envie de ça ? En tant que patients (ou clients pour les vétérinaires), ou en tant que praticiens ? La liberté, pour chacun, de choisir son vétérinaire (ou son dentiste, son kiné, bref...), remise en question ? Sur des critères financiers, puisque tout va se résumer à cela ?</p>
<p>Un vétérinaire anglais me décrivait un jour le système des mutuelles dans son pays, bien plus développé que dans le nôtre. Un détail m'avait frappé : la mise en place de protocoles liés à diverses situations médicales ou chirurgicales : si le protocole a été respecté, l'assurance rembourse. Sinon, allez vous faire foutre. Sans déconner ? Un assureur, m'expliquer comment je dois travailler ? Refuser de rembourser des soins, mettons, pour une parvo, parce que je n'ai pas fait le test-qui-va-bien en me contentant de traiter en fonction des symptômes observés, amplement suffisants dans la majorité des cas pour cette maladie ?</p>
<h3>Et alors ?</h3>
<p>Le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne suis pas enthousiaste. Je me réjouis de la "solvabilité nouvelle" de ma clientèle assurée. Je râle sur la paperasse, mais je sais que l'on n'a rien sans remplir de papiers. Je comprends bien que l'augmentation du coût des soins vétérinaires ne peut pas être assumée par tous mes clients, que la situation n'est plus celles des années 80.</p>
<p>Mais je suis foutrement inquiet.</p>
<p>Parce que mon indépendance risque, une fois de plus, d'être mise à mal.</p>
<p>Parce que l'argent vient un peu plus s'insérer dans mes problématiques quotidiennes.</p>
<p>Parce que j'ai l'impression que la profession s'en fout, ou ne réalise pas les dangers qui nous guettent.</p>
<p>Je ne veux pas jouer à l'oiseau de mauvaise augure, passer pour le vieux con qui refuse le progrès, pour un chantre du "c'était-mieux-avant". Je suis persuadé que l'âge d'or est devant nous. Je ne suis pas un nostalgique.</p>
<p>Mais vous, mes confrères installés, les étudiants, les vieux briscards, les retraités, qu'en pensez-vous ?</p>
<p>Et vous, qui venez sur ce blog pour lire mon quotidien de vétérinaire, vous qui payez nos factures, quel est votre avis sur ces questions ?</p>
<h3>Des sources pour aller plus loin</h3>
<p><a href="http://www.unasa.fr/statistiques/rechercher/" hreflang="fr">Union nationale d'associations de gestion agréées</a> : vétérinaire 2008, consultez la ligne bénéfice tout en bas. Attention, ce bénéfice n'est pas le "net" d'un salarié : retirez 40-50% d'URSSAF, RSI et retraite pour avoir le net avant impôt. Notez la forte disparité entre les 4 quartiles de revenus.</p>
<p><a href="http://www.quechoisir.org/services-vie-sociale/vie-privee-societe/vie-familiale/enquete-tarifs-des-veterinaires-la-sante-n-a-pas-de-prix" hreflang="fr">UFC Que choisir ?</a> : Dossier sur les tarifs des vétérinaires et sur les mutuelles de santé pour animaux de compagnie (pour abonnés)</p>
<p>AVERTISSEMENT : ce billet parle d'argent. Si vous venez troller en commentaire, pas la peine de venir crier à la censure, je virerai vos commentaires sans préavis. Je suis ouvert aux critiques et aux remarques si elles sont constructives. Le fiel n'est pas constructif.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2013/01/25/mutuelle-de-sante-pour-animaux-de-compagnie#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/292Vieuxurn:md5:174e1bba45288282169b54dbc984a1372012-06-22T10:50:00+02:002012-06-22T11:41:12+02:00FourrureUn peu de reculchatchiendéontologieeuthanasie <p>"La vieillesse n'est pas une maladie." Cet axiome, je ne l'ai entendu qu'une fois ou deux, dans ma scolarité. Ou pendant mes stages, mes premiers remplas. Ou en entendant discuter des médecins. Ou des piliers de comptoir. Je ne sais pas.</p>
<p>Mais il m'a marqué.</p>
<p>Et cette phrase, pour moi, est devenue une litanie.</p>
<p>On ne guérit pas du vieillissement : ce n'est pas une maladie.</p>
<p>On ne prévient pas le vieillissement : ce n'est pas une maladie.</p>
<p>Mais la vieillesse est souvent le prétexte à une démission, lorsque je déroule un fil diagnostique, passant, étape après étape, les hypothèses les plus évidentes, pour m'acheminer vers la complexité.</p>
<p>"Oh, vous savez, docteur, <em>il est vieux</em>".</p>
<p>Entendez : "ne vous cassez pas le bol, ça ne sert à rien, de toute façon, il est vieux, il vaut mieux le piquer."</p>
<p>OK, il est vieux. Mais alors, pourquoi me l'avez-vous amené ? Pour que je mette un nom médical sur sa vieillitude, genre SVC ?</p>
<p>- Oh, madame, vous savez, c'est un SVC, et même, sans doute, un SVCEN (en anglais : ODSEN).<br />
- Un SVCEN, oh non docteur ?<br />
- Et si. Ca pourrait même être un SDC.<br />
- Un SDC !! Alors... on l'euthanasie ?</p>
<p>Parce que voilà, on veut un bon argument médical pour déculpabiliser d'en avoir assez, pour se faire entendre dire, que, oui, ça suffit ? Pour que quelqu'un d'autre décide ? Moi ?</p>
<p>Remarquez, j'exagère. Parfois, le constat "mais est-ce qu'il n'est pas tout simplement vieux ?" est parfaitement sincère. Cette sincérité étonnée, je la rencontre en général avec les plus jeunes de mes clients. Ils ou elles ont 18, 20 ans, et ils n'ont pas encore eu besoin de se demander, très personnellement, si la vieillesse était autre chose qu'une maladie inéluctablement incurable.</p>
<p>Parfois, la demande d'euthanasie est parfaitement assumée. Reste à en discuter, même si certains ne viennent pas pour discuter.</p>
<p>Et parfois - moins qu'avant - c'est le véto qui se fend d'un "boah, vous savez, il est vieux, alors on va le piquer hein". Ma première euthanasie, c'était ça. J'étais stagiaire, quatrième année, et le (vieux) vétérinaire a reçu ces personnes âgées. Il a flairé le pyomètre de cette vieille golden, lui, le véto à vaches. Il l'a prouvé d'un coup d'échographe. Et puis il a énoncé sa sentence. "Elle est vieille. Fourrure, tu t'occupes de l'euthanasie." Je ne l'ai pas remis en question, le maître. Les gens ont été impassibles. Pas de larmes, pas de mots, ils s'y attendaient, je suppose. Surtout : ils n'attendaient pas autre chose. Moi non plus ? Moi, j'ai euthanasié la chienne, avec la certitude zélée de l'élève paralysé par le respect. Quel con. Évidemment, même si on avait discuté chirurgie, même si, même si, ça aurait sans doute fini pareil. Peut-être. Peut-être pas.<br />
Nous ne sommes pas là pour décider à la place de nos clients. Nous pouvons avoir tort. Une cliente me reproche tous les trois mois d'avoir voulu, il y a deux ans, euthanasier son chat au taux de créat' délirant. Qui vit encore très bien sa vie de papy. <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2011/09/18/La-vie%2C-par-hasard">Nous pouvons aller trop vite</a>. Et puis, il y a cette routine qui nous encroûte, tous. Cette habituation, cette acceptation de la souffrance, cette certitude : de toute façon, on sait bien comment ça va finir. Autant abréger.</p>
<p>Non.</p>
<p>Ça ne marche pas comme ça. Parce que le chien, ou le chat, ben il est vieux, certes. Pas besoin d'un véto pour lire une date de naissance et calculer un âge. Mais le chien, il ne serait pas un peu cardiaque ? Le chat, beaucoup hyperthyroïdien ? Diabétique ? Ou plus simplement perclus d'arthrose ? Une hernie discale ? Un pyomètre ? Un hémangiome ? Une bonne vieille pyodémodécie des familles ?</p>
<p>Ah ben oui, il pue. Il est sale. Il bouge lentement. Mais, bordel, si on lui collait des anti-inflammatoires, il pourrait pas bouger plus vite ? Se remettre à remuer la queue avec un enthousiasme spontané ? Ou recommencer à dévorer ses gamelles, avec appétit ?</p>
<p>Comme avant.</p>
<p>Avant qu'il soit vieux, avant qu'il ne soit plus le compagnon que vous aviez choisi, celui qui pouvait faire des balades, celui qui jouait à la balle, celui qui venait ronronner dans le lit après avoir chopé quelques souris. Avant qu'un matin, soudain, vous réalisiez que, ça y est, il est vieux. Et qu'il doit souffrir, le pauvre, et qu'il n'y a plus rien à faire, alors, on va l'emmener chez le véto, qui va diagnostiquer un Syndrome du Vieux Chien (ou Chat), de préférence dans sa variante Euthanasie-Nécessitante, ou un Syndrome de Décrépitude Chronique. Comme ça on l'aura même amené chez le véto, on l'aura fait soigner, il n'aura rien pu faire, et on passera à autre chose. Facile.</p>
<p>Mais.</p>
<p>Non.</p>
<p>Alors, des fois, oui. Parce qu'il y a des maladies trop lourdes à soigner, ou juste pas soignables. Parce que, oui, l'âge est une excuse valable pour éviter certaines procédures médicales, lorsque le bénéfice est faible et le risque, ou les inconvénients, élevés. Je suis d'accord : imposer une mammectomie totale et une chimio à la doxo à une chienne avec des tumeurs mammaires métastasées de partout, dont l'espérance de vie se compte en jours, ou en semaines pour les plus optimistes, c'est plus que discutable.</p>
<p>Parce que lorsque <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/06/05/IRC">l'insuffisance rénale chronique arrive à son terme</a>, il faut savoir aider l'urémique en souffrance à partir.</p>
<p>Les plus observateurs parmi vous remarqueront que, bordel, si le vieux avait été amené avant, on aurait pu mieux l'aider. <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2011/06/24/Banale%2C-banale-souffrance">Était-il nécessaire d'attendre qu'il se paralyse pour se soucier de son arthrose ?</a> N'aurait-on pas pu gérer son diabète avant qu'il ne vire à l'acido-cétose délirante ? N'y avait-il pas des signes d'appel ? Après tout, depuis combien de temps avait-il du mal à se lever, à monter dans la voiture, à sauter sur le canapé ? Depuis combien de temps maigrissait-elle tout en mangeant comme quatre et en descendant dix fois plus d'eau qu'avant ?</p>
<p>Bien sûr, vous avez raison. On aurait pu faire du bon boulot, plus tôt. Et souvent j'hérite de situations effectivement irrécupérables qui auraient pu être évitées, ou sérieusement retardées. Et trop souvent, je n'ai pas le choix, entre une agonie mal gérée (parce que nous n'avons pas accès à assez de soins palliatifs, pour moult raisons), et une euthanasie.</p>
<p>Mon discours n'est pas : "il ne faut pas tenir compte de l'âge de l'animal". Bien entendu : il faut en tenir compte, mais la vieillesse ne doit pas être une excuse ou un prétexte. Elle diminue les défenses de l'organisme, elle diminue les capacités de cicatrisation, de récupération, elle implique indirectement tout un tas de maladies qui, misent bout à bout, rendent nombre de prises en charge irréalistes.</p>
<p>Une ovario-hystérectomie sur un pyomètre, ce n'est pas irréaliste; Une mammectomie, même une, voire deux chaînes complètes, ce n'est pas délirant s'il n'y a pas de métastases. Une cardio-myopathie dilatée avec tachycardie paroxystique, ça se traite. Pas dix ans, mais quand même. Une arthrose douloureuse, une hernie discale avec début de perte de proprioception, ça se gère. <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2009/12/28/Un-vieux-chat">Même un cancer incurable, ça peut se gérer</a>.</p>
<p>Bien sûr, les critères financiers comptent. Le vétérinaire, ça peut vite coûter très cher. Mais <em>la vieillesse ne doit pas être un maquillage pour des problèmes d'argent</em> : ceux-ci doivent être envisagés pour ce qu'ils sont. Et il faut parfois - souvent ? - admettre qu'ils ne peuvent être surmontés.</p>
<p>Il faut aussi prendre en compte la volonté des propriétaires du chien ou du chat. Imposer une prise en charge, ça ne marche pas. Si refuser l'euthanasie aboutit à condamner le chien ou le chat à agoniser dans un coin de la cour, c'est nul.</p>
<p>Parce que c'est ça, mon boulot, et les bonnes âmes ne devraient pas trop vite l'oublier. Il est facile de s'indigner. Facile de juger, de reprocher aux gens de n'avoir pas mieux fait. Facile de refuser d'admettre les contraintes financières. De blâmer alternativement le véto, le maître et/ou le système capitaliste. Moi, mon problème, c'est de trouver, pour l'animal, les solutions les meilleures aux situations dont j'hérite. Par ailleurs, culpabiliser le propriétaire négligent est rarement constructif, au contraire. Le braquer, c'est le meilleur moyen de faire perdre ses chances à son animal.</p>
<p>Les incantations et les reproches, ça n'a jamais soigné personne.</p>
<p>Bien sûr, j'euthanasie, mais plus tellement des vieux. Maintenant, j'euthanasie plutôt des malades pour lesquels je n'ai pas d'alternative acceptable.</p>
<p>Beaucoup sont vieux.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2012/06/22/Vieux#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/291L'injustice, la Bonne Parole et le renoncementurn:md5:5669fe93ae10f49fe4a0386a3b7afa362011-10-19T21:36:00+02:002011-10-23T07:45:33+02:00FourrureUn peu de reculcroyancedéontologieempathie <h4>Le sentiment d'injustice</h4>
<p>Une dame, assez âgée, avait envoyé son mari pour leur vieille chienne à la clinique "parce qu'elle n'allait pas bien". Pyomètre, tumeurs mammaires a priori bénignes, un cœur plutôt bon et des reins corrects. Un de mes confrères - qui travaille avec moi - avait reçu le monsieur, posé le diagnostic, affiné le pronostic, proposé la chirurgie, avec ses limites et ses risques, établi un devis, puis donné le rendez-vous, après consentement du monsieur.<br />
La dame avait rappelé le soir même, incendié une ASV, et annulé le rendez-vous. Nous nous en étions rendu compte le lendemain, et puis nous étions passé à autre chose.<br />
Une semaine plus tard, la dame rappelait en demandant que je vienne (personnellement) euthanasier la chienne, à son domicile. J'y suis allé, et j'ai découvert la consultation de mon confrère, sur lequel la dame s'est répandue en critiques méchantes, sur un mode "il ne fait pas attention aux animaux, lui, il ne pense qu'à l'argent, lui..."<br />
Moi, je suis un saint, apparemment.<br />
Et la dame de me plaindre d'être "obligé de travailler avec un type comme ça parce qu'on ne trouve pas facilement des vétérinaires en zone rurale, de nos jours". Je pouvais bien argumenter, expliquer, et défendre mon confrère, non, j'étais tellement gentil que je ne voyais pas avec qui je travaillais. Et la dame - qui n'avait pas vu mon confrère en consultation, elle - de m'expliquer que tout son quartier, et même son médecin, étaient bien d'accord : on n'opère pas une chienne aussi âgée. D'ailleurs "la preuve, vous avez vu comment elle est, aujourd'hui ?" Son mari, qui avait amené la chienne en consultation, se réfugiait dans un silence malheureux.<br />
Je lui ai dit que si, on l'avait opérée, elle serait sans doute sur ses pattes. Que oui, elle était vieille, arthrosique, et malade, mais qu'un pyomètre, si les reins étaient bons, cela valait toujours le coup d'opérer. Elle ne s'est pas offusquée, et pourtant j'ai parlé assez crûment, mais sans méchanceté. Elle a pensé que je voulais juste défendre mon collègue.<br />
Il l'a très mal vécu.</p>
<p>A chaque fois, je ne peux m'empêcher de conclure par un "tout ça, pour ça ?". S'impliquer, expliquer, s'investir, décortiquer, nuancer, pour finir victime de ragots et commérages, se faire poignarder dans le dos par le coiffeur (on a l'habitude...), le voisin-qui-a-toujours-eu-des-chiens, le médecin-qui-s'en-fout-et-qui-ne-va-pas-se-fâcher-avec-sa-patiente-parce-que-bon-il-a-d'autres-problèmes-à-gérer, ou par un confrère qui s'en fout tout autant, qui ne sait peut-être même pas que la dame a déjà consulté ailleurs, ou qui a juste manqué les règles élémentaires de l'élégance... Bon, quand on a tort, ça fait mal où on appuie, mais c'est le "jeu". Quand on a raison, cela dit... c'est le genre de douleur lancinante qui empêche de dormir, qui travaille au réveil, et qui assombrit une journée.</p>
<p>Évidemment, il y a une série de clients qui sont à côté de la plaque parce qu'ils sont en deuil, bouleversés, bref : pas dans leur état normal. Avec eux, pas de frustration. Nous perdons parfois des clients sur ce genre de situations, et c'est normal. Il y a aussi ceux que nous mettrons, à tort ou à raison, dans la catégorie des "cons". Le beauf prétentieux qui se fâche parce qu'on soigne son Maine Coon comme un chat de gouttière, ou celui qui ne veut pas des explications, mais de l'action, puis qui se plaint parce que c'est compliqué.</p>
<p>La dame dont je parle ci-dessus avait, je le sais, de nombreux autres problèmes à gérer (des vrais, des sérieux), pensait que nous allions euthanasier sa chienne, et a du avoir du mal à accepter que nous proposions un traitement. Dans sa tête, le film était déjà tourné. Alors, parce que c'est le plus simple, elle a raconté le film à sa façon à ceux qui l'approuveraient, notamment parce qu'elle avait des problèmes bien plus graves à gérer. Je le sais, mon confrère le savait, mais n'empêche.</p>
<p>Il y a ceux qui nous font tomber les bras par terre au milieu d'une performance diagnostique. Un jour, j'ai eu un magnifique : "En Hollande, les vétérinaires, quand ils ne savent pas, ils font des antibiotiques et de la cortisone longue action, faites ça." Le type était dentiste à la retraite, en plus.</p>
<p>La vraie blessure vient plutôt de ces clients qui nous écoutent, qui sont attentifs, et qui interprètent mal nos motivations ou notre démarche. Et qui du coup se plaignent que l'on ne s'occupe pas "bien" de leurs animaux. Qui nous jugent indifférents, incompétents, menteurs, manipulateurs ou que sais-je. Certains ont été jusqu'au courrier à l'Ordre. Rien de méchant, nous étions droits dans nos bottes. Mais ça fait mal.</p>
<h4>Être un apôtre de la Bonne Médecine ?</h4>
<p>Lorsque nous comparons, avec mes confrères, notre façon de gérer les incohérences de nos patients, leurs demandes de médicaments qui ne servent à rien, leurs auto-diagnostics foireux, leurs idées fausses et leurs préjugés, je me rends à chaque fois compte du gouffre qui sépare notre façon de gérer. Et quand je constate que je suis souvent le plus jeune du lot, je me dis que c'est une question de génération, ou l'installation d'une tranquille lassitude chez les plus âgés. Et puis, parfois, je tombe sur un confrère ou une consœur plus jeune, qui, elle aussi, laisse aller. Est-ce une forme de renoncement ? Et... est-ce important ? Est-ce que je suis un chiant de donneur de leçons ? Et si oui, ce qui est sans doute le cas, est-ce que c'est grave ?</p>
<p>Notez bien que je ne dis pas que les vétérinaires n'ont pas, eux aussi, des habitudes à la con, des préjugés, des archaïsmes, des incohérences. Je parle de ma boutique, et de ce qui s'y passe, ainsi que des discussions que j'ai avec des confrères et consœurs. Je ne suis pas là pour juger le boulot des autres.</p>
<p>J'essaie de ne jamais laisser passer une ânerie. Je n'y passe pas l'après-midi. J'ai d'autres consultations à faire, d'autres enjeux plus importants, je peux admettre qu'on ne veuille pas m'écouter ou me croire - je sais la force des préjugés, des habitudes, de ces "certitudes" confirmées par l'expérience personnelle (en tout cas quand cette expérience va dans le bon sens). Mais je vis très difficilement ce sentiment d'injustice qui accompagne la mauvaise perception de mes motivations, de mes actes, de mes choix. Ou de la médecine, au sens large du terme. C'est le genre de trucs qui me pousserait à ouvrir un blog, tiens, juste pour... me justifier ?</p>
<p>Ou même justifier la pertinence de mon travail.</p>
<p>Il y a les situations "tarte à la crème". <em>Pour être heureuse, une chienne/chatte doit avoir fait des bébés. Si on le castre, il ne pourra plus chasser. Elle a été saille par un bâtard, elle ne pourra plus jamais faire des chiots de pure race. Il faut qu'elle ait deux portées pour ne pas avoir de tumeurs mammaires.</em> ce genre de conneries, je ne peux pas laisser passer. Ce sont des cas évidents, où le risque pour l'animal est réel en raison des préjugés. Alors j'explique, j'argumente, je démontre, par l'absurde s'il le faut, avec des exemples, toutes la dialectique qui me permettra de convaincre. Je suis bon à ce jeu là. Et si on ne m'écoute pas, au moins, j'aurais la conscience tranquille, celle d'avoir satisfait à mon devoir de conseil.</p>
<p>Anthropomorphisme, vieilles idées reçues, mauvaises interprétations. Parfois, sur ces sujets, ma blouse blanche me dessert, je serais plus convaincant si j'étais juste un individu lambda ! Alors, souvent, je triche, je mens, raconte une anecdote improvisée sur mes animaux, pour montrer que, moi aussi, j'ai constaté ce problème, ou ce petit machin qui n'est même pas un problème, et que je sais donc de quoi je parle. Et ça passe beaucoup mieux que les explications, même claires et pédagogiques, sur les faits, l'état des connaissances ou les biais de raisonnement.</p>
<p>Et puis il y a les cas plus anecdotiques, raisonnements tronqués, biaisés, interprétations erronées de la cause d'une maladie, parfois amusants, parfois navrants. Mais pas dangereux. En général, je corrige, mais sans insister. Si je vois que me mettre à dos le propriétaire de l'animal risque de faire échouer mon traitement, je reste discret, tourne autour du pot, suggère une autre étiologie, explique les autres possibilités sans discréditer les hypothèses du maître. Faire sentir aux gens qu'ils ont tort n'est pas toujours le meilleur service à rendre à leur compagnon. En général, je note sur la fiche l'interprétation du propriétaire de l'animal, pour en tenir compte dans le suivi du cas ou pour y revenir, à l'occasion lors d'une consultation qui n'aura rien à voir. Mériter et gagner la confiance des gens avant de heurter leurs convictions.</p>
<h4>Renoncement</h4>
<p>Comme celles concernant les gouttes ou les granules homéopathiques qu'ils ont rajouté au traitement. Là, je renonce. Sauf s'ils arrêtent ce que moi, j'ai prescris. J'ai testé plusieurs fois. Expliquer par A+B pourquoi ça ne marche pas, c'est le meilleur moyen de passer pour un incompétent (!). Et ce n'est un service à rendre ni à l'animal... ni à mon portefeuille ! Je ne suis pas un héros. Mais alors, si je renonce là dessus, est-ce que je vais finir par renoncer sur toutes les théories du complot, toutes ces interprétations foireuses et ces raisonnements absurdes ?</p>
<p>En fait, pour certains, j'ai renoncé : je ne les reçois plus en consultation, je les laisse à un de mes confrères qui s'est fait une spécialité, pour ces personnages, du "oui, oui" concerné et indifférent.</p>
<p>Le souci, c'est que ce genre de "oui, oui" discrètement sarcastique est déjà, en soi, un encouragement. Et qu'il peut parfois être très franc, ce qui est un excellent coup de poignard porté dans le dos de ceux qui espèrent faire passer un message. Alors tant qu'il s'agit de ceux qui travaillent dans ma clinique, nous prenons garde à prévenir les incohérences. Notamment, comme je le disais, en indiquant dans les fiches les interprétations des clients. Marrantes, ou pas marrantes.</p>
<p>Ce sentiment d'injustice qui vient souvent noircir ce boulot pourtant tellement lumineux, finalement, s'exacerbe lorsque j'ai la conviction que mentir, ou simplement laisser tomber me faciliterait énormément la vie. Lorsque j'ai l'impression que les gens me prendraient, du coup, pour un meilleur vétérinaire.</p>
<p>Mais là, même s'ils sont rayonnants, le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne suis pas fier.</p>
<p>Alors je sais que je ne vais pas, comme ça, du jour au lendemain, tout laisser tomber et renoncer. Je sais aussi que je ne serai pas toujours un héros, que je ne prêcherai pas tous les jours la bonne parole - c'est déjà le cas. Je sais que la grande majorité de mes confrères est comme moi. J'aligne les poncifs, mais cette souffrance est réelle.</p>
<p>Surtout lorsque l'on prend conscience que l'on est le seul à savoir que l'on se tient droit dans ses bottes.</p>
<p>PS : ce billet qui part un peu dans toutes les directions est le fruit de mes propres interrogations et réactions à la lecture des billets de <a href="http://boree.eu/?p=1941" hreflang="fr">Borée</a> et <a href="http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=1071" hreflang="fr">Martin Winckler</a>. Prenez-le pour ce qu'il est : une étape dans ma façon d'appréhender mon travail.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2011/10/05/Sentiment-d-injustice#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/272La vie, par hasard ?urn:md5:4b002ff26b6ec04b437fcedb12341a8e2011-09-18T17:00:00+02:002011-09-18T18:29:00+02:00FourrureVétérinaire au quotidienchiencroyancedéontologieeuthanasiemort <p>Un lundi matin comme les autres. Bousculé, pressé, avec son lot d'urgences plus ou moins fantasmées, qui ont attendu tout dimanche parce que les gens ne veulent pas appeler le service de garde, ou qu'ils ne savent pas qu'il existe. Avec les hospitalisés du week-end. Les visites, et les consultations, deux chirurgies.</p>
<p>Moi, je suis parti au plus vite. Une urgence relative, mais si je ne m'en occupe pas maintenant, ce sera pire après. Et lorsque je suis revenu, une heure plus tard, c'était n'importe quoi : un véto en chirurgie, encore bloqué pour au moins une demi-heure, un autre sur un vêlage, et des chiots plein la salle d'attente (qui a collé une vaccination/identification de portée un lundi matin ???), deux ASV qui courent dans tous les sens, avec la sonnerie ininterrompue du téléphone en guise d'accompagnement musical. Je vérifie le carnet de rendez-vous : une euthanasie, pour il y a une heure.</p>
<p>Une heure que ce vieux bonhomme attend la mort de son chien. Une heure qu'il patiente dans cette cohue pour qu'on lui tue son compagnon. J'en suis malade de honte... Vite, je contourne la salle d'attente, ignore l'éleveuse, salue un client, invite d'un geste doux le vieux monsieur à m'accompagner sur le parking, où je sais que Démon attend, dans le coffre de la voiture.</p>
<p>Démon, je le suis depuis dix ans. Il y a un an, j'ai diagnostiqué un hémangiosarcome, une vilaine tumeur de la rate, métastasée au foie, qui saignait dans son abdomen. Je lui avais donné quelques jours à vivre. Six mois plus tard, M. Tiburce me l'amenait, heureux de me contredire, et je contrôlais une métastase cutanée. Il "allait bien". Mal au dos, trop gros - il y a un an, j'avais dit à son maître de le gâter, puisqu'il ne lui restait plus que quelques jours. Il "allait bien", et M. Tiburce me prenait pour un héros, un Guérisseur. Parce que j'avais palpé l'abdomen de son chien, diagnostiqué le cancer à l'échographie, et re-palpé. Parce que lorsque je lui avais diagnostiqué sa douleur lombaire, j'avais laissé, longtemps, mes mains sur ses muscles lombaires, à la recherche des contractures et des tensions.</p>
<p>Et que dans tous les cas, il avait été mieux après. Pour l'hémangiosarcome, je n'y étais pour rien. Pour la douleur arthrosique, j'admets l'efficacité de mes anti-inflammatoires. Je l'avais expliquer à M. Tiburce, mais il ne m'avait pas écouté. D'ailleurs, en consultation, il ne voulait voir que moi, parce que, voilà, j'étais un Guérisseur. Il m'avait d'ailleurs conseillé de prendre garde à moi, de ne pas prendre le Mal en moi. Je l'avais rassuré, en plaisantant sur l'arthrose qui ne manquerait pas de me rattraper.</p>
<p>Ce matin-là, j'ai aidé M. Tiburce à porter son chien jusqu'à la table de consultation. Il pouvait à peine parler, comme Démon, qui pouvait à peine respirer, penché sur le côté, l'abdomen pendant, déformé. Il pleurait. Il n'a rien dit, ou juste quelques mots, définitifs. M'a demandé de m'occuper de son corps, et puis il est parti. Le cancer, le saignement, et la fin.</p>
<p>J'ai posé le cathéter, à l'envers, en tenant la grosse tête du beauceron sous mon bras gauche, en le caressant et en lui parlant. Tout seul, parce que les ASV, elles, continuaient à danser. Démon remuait un peu. Je me suis écarté de la table pour aller chercher les anesthésiques, pour revenir aussitôt, sans eux : il risquait de tomber. J'ai appelé une ASV, lui ai demandé de poser le téléphone deux minutes - en silencieux. Le temps de prendre les produits, Démon s'était un peu redressé.</p>
<p>- M. Tiburce voulait que ce soit toi, c'est pour ça qu'il a attendu, il a dit que si il y avait quelque chose à faire, il n'y aurait que toi.<br />
- Quelque chose à faire ? Il m'a dit que c'était la fin, qu'il ne mangeait plus ?</p>
<p>Un silence. L'examiner ? Oui, bien sûr, que je peux prendre le temps de l'examiner.<br />
Même au milieu de ce chaos.</p>
<p>Alors nous levons Démon. Il tient debout, chancelant. Il halète. Mais ses muqueuses sont rosées. Son abdomen pend, comme distendu par le liquide. J'y plante mon aiguille, celle qui devait servir à l'euthanasier. Pas de sang. Je réessaie. Toujours pas. Du gras. Je teste la proprioception. Excellente. Pince vicieusement ses lombes. Il tombe. Une numération-formule : normale. Sa tumeur n'a pas saigné.</p>
<p>Flottement.</p>
<p>Je pose mes anesthésiques, et prends les anti-inflammatoires : une injection intra-veineuse, puisque le cathéter est posé.</p>
<p>- Je lui donne jusqu'à ce soir. Ne préviens pas M. Tiburce. S'il se lève, je gèrerai.</p>
<p>L'ASV, un sourire aux lèvres, m'aide à porter Démon dans la courette, derrière la clinique.</p>
<p>Passent les heures, et Démon ne se lève pas. Débordé par ma journée, je ne prends pas garde à lui, jette juste un coup d’œil de temps en temps quand je traverse le chenil. Il ne bouge pas, reste couché sur son sternum, la tête fièrement dressée, attentif, haletant.</p>
<p>J'ai à peine touché un mot de la situation à mes confrères : "je n'ai pas tué Démon, j'ai l'impression que c'est une crise algique, de l'arthrose". Ils acquiescent, sans commentaire, apprécient d'un sourire l'incongruité de l'histoire. Comme moi, ils carburent à l'espoir.</p>
<p>- N'encaissez pas le chèque de M. Tiburce, on verra demain !</p>
<p>Il est 19h30, et je finis les consultations pendant qu'une ASV fait la compta, et qu'une autre dégrossit le ménage, toutes portes ouvertes. Et puis ce cri :</p>
<p>- Il y a ton beauceron qui s'échappe, là !</p>
<p>Mon confrère revient de visite, il vient juste de couper son moteur, et il se marre en voyant le vieux pépère qui nous regarde, dans le terrain vague derrière la clinique. Je n'avais même pas pensé à l'attacher. Il me faut trente mètres pour le rattraper, à la course, car il ne se laisse pas approcher. Mon collègue se bidonne, et m'interpelle :</p>
<p>- Va falloir appeler le vieux Tiburce, maintenant !</p>
<p>Il va <em>forcément</em> être content. Mais je me sens un peu merdeux, parce que je n'ai pas respecté le contrat de soins, parce que j'ai menti, parce que je me suis permis... parce que le vieux bonhomme est chez lui, qu'il pleure depuis ce matin. Depuis hier sans doute.</p>
<p>J'ai un nœud dans la gorge. Je ne sais pas trop ce que je vais dire, imagine quelques phrases. Tonalité, sonneries. On décroche. Une voix féminine, très âgée.</p>
<p>- Mme Tiburce ?<br />
- Oui ?<br />
- Bonjour, c'est le Dr Fourrure, c'est le vétérinaire. J'appelle... pour quelque chose de bizarre. J'appelle parce que ce matin, votre mari m'a amené Démon, pour l'euthanasier, et il est parti tout de suite, et finalement, heu... Démon est debout, il vient de manger, et il a couru un peu.<br />
- Attendez, j'appelle mon mari !</p>
<p>J'ai parlé très vite, ne lui ai pas donné la possibilité de m'interrompre.</p>
<p><em>Roger, c'est le vétérinaire, il dit que Démon a couru, et qu'il a mangé !</em></p>
<p>Je patiente un instant, un peu fébrile, un peu merdeux, et très fier de moi.</p>
<p>- Oui allo ?<br />
- Bonjour, c'est le Dr Fourrure, c'est le vétérinaire. J'appelle... ce matin, quand vous êtes parti, Francesca m'a dit que vous vouliez que j'examine Démon, et je ne l'avais pas fait, alors je l'ai examiné, et là, heu, ben ce n'est pas son cancer qui l'ennuie, c'est l'arthrose, il avait très mal.<br />
- Démon a mal ?<br />
- Ben là plus trop, je lui ai fait des piqûres, et ça va bien, je n'ai pas guéri son cancer hein, mais il va mieux, il a mangé, et il a même essayé de s'enfuir.<br />
- De s'enfuir ? Démon ?</p>
<p>Incrédulité.</p>
<p>- Heuuu oui, on avait oublié de fermer les portes, mais je l'ai rattrapé. J'ai du lui courir après.</p>
<p><em>Il a du lui courir après !</em></p>
<p>- Et il a mangé ?<br />
- Oui, une gamelle, et bu, et uriné, et voilà, je suis désolé, je n'ai pas voulu vous appeler avant, parce que je ne voulais pas vous donner de faux espoir, si ça n'avait pas marché.<br />
- Et il peut rentrer ?<br />
- Oui, avec des comprimés, oui. Parce que bon, il a toujours son cancer, mais c'est comme avant, comme il a arrêté de saigner il y a un an, il peut rester un jour, ou une semaine, ou six mois encore.</p>
<p>M. Tiburce est revenu chercher son chien.</p>
<p>Il m'a remercié, en pleurant, en râlant sur le prix des médicaments, comme toujours, en notant que la vie coûte, à peu de chose près, le même prix que la mort.</p>
<p>Il m'a serré la main, longuement.</p>
<p>Sans l'ASV, Démon aurait été euthanasié.</p>
<div class="footnotes"><p>Pour ceux que ça intéresse : <a href="http://www.flickr.com/photos/21345015@N06/6159222876/in/photostream">une radiographie d'hémangiosarcome</a>, et une <a href="http://www.flickr.com/photos/21345015@N06/6159216858/in/photostream/">ponction abdominale d'hémopéritoine</a> lié à un hémangiosarcome.</p>
</div>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2011/09/18/La-vie%2C-par-hasard#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/270Mais comment a-t-il pu passer à côté de ça ?urn:md5:9ce8d4478d1928b66835b425d70801342010-10-26T22:26:00+02:002010-10-29T07:40:40+02:00FourrureUn peu de reculcode de déontologiedéontologieordre des vétérinaires <p><em>Mais c'est du foutage de gueule ?</em></p>
<p><em>Mais il avait bu ?</em></p>
<p><em>Qu'est-ce que je vais dire au propriétaire ? Que son véto est un con et que son chien va en mourir ?</em></p>
<p>Ces questions, nous nous les sommes tous posées. Quand je dis <em>nous</em>, je veux dire : les vétos. Un jour ou l'autre, nous sommes tous consultés pour un second avis, voire un troisième, ou nous prenons tout simplement la suite d'un confrère suite à un déménagement du client. Bref : nous passons après quelqu'un d'autre.</p>
<blockquote><p>Article R.* 242-39 : Confraternité.<br />
Les vétérinaires doivent entretenir entre eux et avec les membres des autres professions de santé des rapports de confraternité.
Si un dissentiment professionnel surgit entre deux confrères, ceux-ci doivent d'abord chercher une conciliation, au besoin par l'intermédiaire du conseil régional de l'ordre.<br />
Lorsqu'un vétérinaire intervient après un confrère, il doit s'abstenir de tout dénigrement.<br />
Les vétérinaires se doivent mutuellement assistance, conseil et service.</p>
</blockquote>
<p>Ça, c'est la théorie. Et soyons honnêtes : je l'aime bien. Il n'y a rien qui soit plus désagréable que de se faire chier dans les bottes par un type qui exerce la même profession que vous, surtout lorsque l'objectif est de "piquer" un client. J'ai assez de boulot comme ça pour ne pas vouloir celui des autres, et j'ai assez de tensions professionnelles pour me passer de cette catégorie là.</p>
<p>J'entends déjà les chantres du libéralisme effréné et de la libre concurrence crier au corporatisme et à l'hypocrisie. Halte-là : non, l'univers du tout concurrentiel ne me convient pas, et ce n'est pas pour défendre mon pré carré. J'éprouve une certaine fierté à l'idée d'appartenir à une profession qui encourage des valeurs désuètes telles que la confraternité, la probité et, bref, une élémentaire déontologie. Ça ne coûte rien, et même si je sais qu'une partie de mon activité tient de l'épicerie, un épicier peut aussi être fier de vendre de bons produits de qualités, et de bien conseiller son client.</p>
<p>Mais je digresse salement.</p>
<p>Mon propos ce jour, c'est cette réaction mêlant incrédulité, sarcasme et agacement lorsque l'on pose en consultation un diagnostic "évident" alors qu'un confrère est passé à côté.</p>
<p>Le pire, pour ça, c'est l'étudiant véto à l'école. Je le sais, j'en étais. Tellement sûr de moi, tellement pétri de cours et de de connaissance, fier comme un setter qui a levé sa première caille lorsque j'ai posé mon premier diagnostic. Quoi, il a raté une démodécie ? Mais enfin, il a fait de l'ivomec à un cheval ? Comment, il a confondu un glaucome avec une uvéite hypertensive ?</p>
<p>Quel blaireau !</p>
<p>Et moi, derrière mon écran, avec mon pantalon plein de tâches douteuses, mes cheveux rares et mes premières rides, je regarde ce jeune étudiant qui croit tout savoir d'un air effaré, à la fois amusé et consterné.</p>
<p>Petit con.</p>
<p>Comme le gosse qui croit duper son monde lorsqu'il se glisse en douce derrière la porte pour regarder le film à la télé tandis que ses parents lui tournent le dos, trop absorbés (haha) par l'écran. Comme l'ado qui n'imagine pas un seul instant que tous ceux qui l'entourent ont très bien compris pourquoi il s'était mis à aider une fille de sa classe qui avait du mal en math'...</p>
<p>Nous sommes tous passés à côté de diagnostics évidents. Si un confrère a rattrapé le coup, tant mieux. S'il a été sincère sans chercher à trop nous protéger, tout en évitant de nous enfoncer le nez dans la bouse, alors parfait.</p>
<p>Parce que bon, les gars, un demodex ou un sarcopte, il faut le trouver ! Parce que le piroplasme qui infectait un globule rouge sur 100000 hier, et qui en infeste un sur 10000 aujourd'hui, est bien plus facile à détecter. Parce que si quelqu'un est déjà passé avant vous, il est facile de déduire des effets des traitements mis en place tout un tas d'informations que votre prédécesseur n'avait pas. Quand le chien traité pour une allergie cutanée avec de la cortisone voit ses symptômes empirer, il faudrait être couillon pour ne pas s'orienter vers une démodécie (oui, j'en parle beaucoup : le demodex est un parasite canin plutôt difficile à détecter, provoquant une maladie qui peut être typique mais avec de nombreuses formes moins reconnaissables).</p>
<p>Parce que les maladies ne font pas comme dans les bouquins, parce que les chiens comme les vaches sont nuls en physiologie, en anat', en médecine et en parasitologie. Faut pas leur en vouloir : personne ne leur a appris à lire. Et le vieux véto va trop vite sauter sur le diagnostic d'une maladie qu'il a déjà vu 1000 fois, et le jeune va s'enferrer dans un diagnostic différentiel en oubliant le truc capital parce qu'un détail ne collait pas.</p>
<p>Et puis il y a les moyens : moi, avec mon microscope de compétition et mon goût pour la cytologie, je pose des diagnostics que des confrères seraient bien en peine de trouver sans de grosses errances. Et j'ai bien conscience que les spécialistes en anapath', et les confrères cancérologues, seraient consternés par mon incapacité à voir ce qui pourtant se trouve là, sous mes yeux, sur ma lame mal colorée...</p>
<p>Bref. Nous sommes tous l'incapable de quelqu'un. Le plus dur reste de trouver ses limites, et d'accepter que des confrères puissent faire mieux, ou différemment, sans pour autant chercher à nous enfoncer. Les plus jeunes d'entre nous ont bien plus que les anciens une mentalité de "réseau", acceptant et appréciant d'avoir l'avis de confrères, de se remettre en question, au prix sans doute d'une perte d'autonomie ? Un vieux con m'avait dit que je manquais d'ambition.</p>
<p>Le problème va, cependant, bien au-delà d'une question de générations. Sommes-nous prêts à accepter le regard critique d'un confrère, à accepter que, sur ce coup-là, et peut-être d'une manière générale, il soit meilleur, surtout s'il prétend au même "niveau" de compétence que nous (j'exclue de cette question la problématique des cas envoyés à des spécialistes, dont on attend justement un diagnostic là où l'on bloque) ? Et si en plus c'est un client, habitué ou non, qui va de lui-même voir le confrère ? Comment accepter ce qui, à juste titre ou non, peut être perçu comme une ingérence ?</p>
<p>J'ai personnellement très mal vécu un diagnostic raté sur un cheval maigre. Le confrère a posé le bon diagnostic, sans tambours ni trompettes, la propriétaire est venue m'engueuler, fin de l'histoire. J'ai perdue une cliente, je serai meilleur une autre fois.</p>
<p>Intuitivement, je pense que nous savons tous que nous n'avons aucun intérêt à casser du sucre sur le dos d'un confrère.</p>
<p><em>Ahaha M. Martin, c'est pourtant facile, votre chien a une straelensiose. Ce traitement ne sert vraiment à rien, c'est n'importe quoi, vous allez plutôt lui donner ceci. Bon, vous savez, je comprends le collègue, hein, c'est pas une maladie si fréquente, il faut connaître.</em></p>
<p>Vous croyez vraiment que la cliente va nous regarder d'un air béat, et, telle la groupie moyenne, se jeter éperdue de reconnaissance à nos pieds comme à ceux du Dr Ross ?</p>
<p>Elle risque plutôt de nous trouver sacrément prétentieux.</p>
<p>What else ?</p>
<p>Moi, il me semble qu'un :</p>
<p><em>C'est une leishmaniose. Pas fréquent dans le coin, on en voit vraiment rarement, c'est une maladie qui se voit surtout sur le pourtour méditerranéen. Vous aviez dit au Dr Roussine que vous aviez été en vacances sur la côte d'Azur cette été avec le chien ? Sans cette information, c'était pas évident d'y penser...</em><br />
<em>- Oui mais vous me l'avez demandé, vous !</em><br />
<em>- C'est vrai, vues les hypothèses écartées suite à la consultation avec lui, et l'échec de son traitement, il fallait que j'aille chercher plus loin.</em></p>
<p>La modestie, ça permet souvent de s'en sortir avec élégance, personne ne nous en voudra, et, en plus, la plupart du temps, il ne devrait pas y avoir à la feindre.</p>
<p>C'est toujours plus facile de "parler en second." C'est comme ça que disait un prof lorsqu'on lui présentait un cas en consultations, à l'école : le premier étudiant présentait le cas, le second observait les réactions du prof, puis présentait sa version.</p>
<p>Alors, pour répondre à ma question d'introduction : <em>Qu'est-ce que je vais dire au propriétaire ? Que son véto est un con et que son chien va en mourir ?</em></p>
<p>J'en reste aux faits. A ce que j'ai trouvé, pourquoi, comment, et pourquoi, s'il me le demande - il me le demandera si la vie de son animal est en jeu - mon confrère s'est planté. Sans porter de jugement, mais sans protéger indûment. Ne pas en rajouter, ni dans un sens ni dans l'autre. Notre crédibilité en dépend, et le propriétaire en voudrait trop facilement "à ces salauds de vétos". Surtout s'il est perdu, choqué, dégoûté. Si le confrère a bien fait son boulot, s'il n'a rien à se reprocher même s'il s'est planté, il aura peut-être perdu un client, mais nous en perdons tous tous les jours (ouais, peut-être pas tous les jours, mais bon...). S'il a déconné... à lui de gérer, sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter. Mais je ne me mettrais pas dans la merde pour lui.</p>
<p>Nous sommes trop attaqués de tous les côtés pour nous permettre de prêter le flanc aux accusations de corporatisme, et nous avons suffisamment d'emmerdes pour accorder une vraie valeur à la solidarité.</p>
<p>En plus, des fois, le confrère avait raison, et il n'y a rien à rajouter.</p>
<p>Alors, tiens, parce que je le sens venir, on va encore me dire un truc <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2010/08/08/Mademoiselle-sollicite-de-votre-haute-bienveillance-un-emploi-d-ASV#c5064" hreflang="fr">du genre</a> : "Un peu Gauchisant, Robin des Bois à la petite semaine ... mais avec un jugement dur sur par mal de points et de toute façon un avis qui semble ne pas prêter à discussion tant il est proféré !".<br />
Je vais la jouer préventive : ouais, je donne mon avis, ma façon de percevoir les choses, vous avez le droit de ne pas être d'accord et de trouver que je suis un poseur et un donneur de leçons. Mais le conditionnel et les formules alambiquées pour ménager les susceptibilités, parfois, m'insupportent.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2010/10/26/Mais-comment-a-t-il-pu-passer-%C3%A0-c%C3%B4t%C3%A9-de-%C3%A7a#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/232Répondeur téléphonique : notice d'utilisation, et autres brèves d'urgencesurn:md5:635e45743fff6d974ccdf0291b2062d02010-10-16T10:39:00+02:002010-10-16T10:39:00+02:00FourrureVétérinaire au quotidiendéontologieobligation de soinsurgence <p>Madame, mademoiselle, monsieur,</p>
<p>Vous venez de composer le numéro du service vétérinaire de garde. Nous sommes probablement la nuit, peut-être dimanche, voire un jour férié, ou tout cela à la fois. Nous, sommes, en tout état de cause, en dehors des horaires d'ouverture.<br />
Je n'ai pas répondu lorsque vous avez sonné. Peut-être parce que j'avais les mains dans un chien, parce que je faisais un vêlage, voire parce que je me douchais, ou que j'étais aux cabinets et non au cabinet. Bref, parce qu'il m'arrive aussi de vivre.<br />
Peut-être même n'ai-je pas eu le temps d'atteindre mon téléphone.</p>
<p>Vous vous êtes donc retrouvé face au répondeur honni, à la messagerie infâme, au message pré-enregistré.</p>
<p>Qui, en substance, vous a indiqué ceci : "<em>Vous êtes bien sur le répondeur du Dr Fourrure, vétérinaire. En cas d'urgence, merci de me laisser un message, je vous rappellerai dès que possible</em>."</p>
<p>Madame, mademoiselle, monsieur.</p>
<p>Ce répondeur, dont j'ai voulu le message court (l'ancien était sans doute plus complet mais aussi trop long), vous invite à me laisser un message afin que je puisse vous recontacter pour vous conseiller, ou même vous recevoir en cas d'urgence. Si vous ne me laissez pas de message, j'imagine qu'il n'y avait pas urgence. Parfait. Rappelez pendant les horaires d'ouverture.</p>
<p>Mais vous semblez oublier assez souvent que quand vous parlez à la personne qui se trouve près de vous, le répondeur enregistre aussi, même si vous ne vous adressez pas à lui.</p>
<p><em>- Oh putain Monique c'est un répondeur, je fais quoi ?</em></p>
<p>Laissez un message, monsieur.</p>
<p><em>- Géraaaaard ! Le répondeur il dit de laisser un messaaaaaage !</em></p>
<p>Faites donc.</p>
<p><em>- Robert le répondeur il dit de laisser un message, je lui dis quoi ?</em><br />
<em>- Ben que le chien il est malade, qu'il se lève pas, qu'il a sûrement une piro ?</em><br />
<em>- Bonjour docteur, le chien il est malade, il se lève pas, il a sûrement une piro, vous pourriez le voir de toute urgence ?</em></p>
<p>Avec plaisir, je suis là pour ça, et vous au moins vous n'insultez pas ma boîte vocale.</p>
<p>Car le répondeur, et le vétérinaire qui est derrière, apprécient aussi vos commentaires directs. Je note qu'ils sont forts rares, ce qui me rassure sur le niveau de connerie moyen de l'humanité. Oui, je sais, nous sommes tous le con de quelqu'un, et, à l'instant où vous me laissez ce message, je suis le vôtre.</p>
<p><em>- Bordel vous êtes même pas foutu de répondre alors que vous dites que vous êtes de garde, vous vous foutez de moi ?</em></p>
<p>Ou bien :</p>
<p><em>- Vous dites que vous êtes de garde et vous n'êtes même pas à la clinique, je suis devant la porte et il n'y a personne, je le vois bien !</em></p>
<p>Avec le ton glacial qui va bien. Ceci étant, vous avez raison, en réalité je fais des astreintes, pas des gardes : je ne suis pas en permanence sur site, mais chez moi. Ce qui est plus sympa c'est qu'au moment de cet appel là j'étais en visite chez un éleveur, mais bon. Et si vous m'aviez appelé avant ?</p>
<p>En passant, vous ne me laissez pas votre nom, mais j'ai votre numéro, et en plus, il y a une chance non négligeable que je reconnaisse votre voix.</p>
<p>Ah et puis regardez un peu qui vous appelez, écoutez au moins mon message, bordel !</p>
<p><em>- Bonjour Claudine, je t'appelle pour te donner des nouvelles de Pierre, c'est l'enfer, cette nuit il a pleuré de deux heures à cinq heures du matin, je crois qu'il fait ses dents et je lui ai passé de la pommade, là, mais ça ne faisait rien et il ne se calmait que quand je l'avais dans les bras. Pfiou je suis épuisée. Bon sinon on se voit demain comme prévu chez le coiffeur ? Bises !</em></p>
<p>Le pire était quand même :</p>
<p><em>- Dr Roussine, vous êtes un incapable et un sale con. Coconut est mort couvert de bave, de sang, de pisse et de merde, et c'est ma fille qui l'a trouvé dans son panier ce matin en se levant. Évidemment vous ça ne vous empêchera pas de vous regarder dans votre miroir, hein, parce que de toute façon, vous n'alliez pas gâcher votre soirée pour ça, hein ?</em></p>
<p>Le Dr Roussine est un confrère qui travaille à une trentaine de kilomètres de là. Il n'assure aucune garde, et transfère vers les cabinets voisins, parfois le mien, même si c'est rare vue la distance. Je n'ai jamais eu le fin mot de cette histoire vu que le Dr Roussine m'a envoyé balader lorsque je l'ai appelé pour lui donner la teneur du message. Je ne sais pas pourquoi il a fini sur mon répondeur, d'ailleurs, vu que cet homme n'avait pas cherché à me joindre.</p>
<p>Je souris gentiment aux messages plus amusants, ou attendrissants. Croyez-bien que je ne me moque pas un instant. Sincèrement.</p>
<p><em>- Bonjour docteur, je vous appelle parce que mon chien est malade, je peux venir ?</em><br />
...<br />
<em>- Docteur ?</em><br />
...<br />
<em>- Pourquoi vous ne me parlez pas ?</em></p>
<p>Parce que c'est un répondeur. Mais je vous ai rappelée, et le chien va bien.</p>
<p>Il y a aussi eu cet extraordinaire message qui méritera un billet à lui tout seul, parce qu'il était à la fois lumineux et profondément attristant. Pour une prochaine fois.</p>
<p>Pour finir, au sujet du répondeur, sur une note plus utile : quand vous me laissez un message, faites court. pas la peine de me raconter la vie du chien pendant dix minutes, surtout si vous oubliez de me laisser votre numéro de téléphone. Je vais sans doute écouter ce message dans la voiture, faites bref et précis, de toute façon je vous rappellerai ! Les plus habitués sont évidemment les professionnels (les messages des éleveurs sont en général des modèles de sobriété, du genre : <em>Louge au alouettes, pour un vêlage, merci</em>).</p>
<p>Peu importe : la philosophie de l'urgence (chez nous en tout cas), c'est "tout accepter, on triera après". Nous savons bien que vous n'êtes pas forcément à même de juger de l'urgence réelle d'une situation. Le délai que nous nous imposons est de 20 minutes. Et nous nous y tenons de façon très satisfaisante. Au pire, si pour une raison ou une autre, nous ne pouvons vous aider immédiatement, nous aurons toujours un conseil ou un confrère vers qui vous renvoyer, comme ils nous envoient aussi lorsqu'ils ne peuvent tout assumer. En tout cas, dans notre coin, nous nous entendons suffisamment bien pour que cela ne pose aucun problème. <em>Je fais ton poulinage parce que tu es en pleine opé, est-ce que je peux t'envoyer deux chiens de chasse éventrés</em>, etc.</p>
<p>Plus prosaïquement, je ne réponds plus à mon téléphone dans la demi-heure qui précède l'ouverture de la clinique, vu que les appels à ce moment sont essentiellement des prises de rendez-vous.</p>
<p>Mention spéciale à ce client avec lequel j'ai eu une conversation un peu enlevée l'autre jour : il m'amenait, un dimanche matin, un chien certes malade mais sans aucune urgence. Il aurait pu être vu la veille, l'avant-veille, ou le lendemain, voire le surlendemain. Mais il est venu dimanche.</p>
<p>- Mais pourquoi est-ce que vous m'avez appelé un dimanche ?<br />
- Ben c'est que je travaille, les autres jours.<br />
- Mais pas tout le temps quand même ! En plus, nous sommes ouverts jusqu'à 19h00, même le samedi.<br />
- Ouais mais le dimanche je sais que je ne devrais pas attendre.<br />
- Mais c'est un service de garde, pour les urgences !<br />
- Ouais mais il est malade mon chien !<br />
- Mais ce n'est pas une urgence, et vous en aviez parfaitement conscience.<br />
- Je préfère payer le supplément hors ouverture et passer sans attendre.<br />
- Nous travaillons uniquement sur rendez-vous, et il n'y a quasiment jamais d'attente !<br />
- Ouais mais c'est plus calme, là.</p>
<p>Il y a aussi eu :</p>
<p>- Comment ça c'est le service de garde ? Vous n'êtes pas ouverts dans l'heure de midi ?<br />
- Ben non, on mange.<br />
- Ouais mais moi je travaille le reste du temps.<br />
- Ben moi aussi...<br />
- Oui mais je peux pas venir !<br />
- Et vous faites vos courses quand ?<br />
- Ben c'est ma femme qui y va.<br />
- Et elle peut pas amener le chien ?<br />
- C'est pas pareil.<br />
- Et quand vous allez à la Poste, ou à la banque, ils sont pas ouverts non plus dans l'heure de midi !<br />
- Ouais mais eux c'est des feignasses !</p>
<p>Les plus culottés sont rares :</p>
<p>- Service de garde bonsoir ?<br />
- Ouais, ce serait pour une prise de sang d'achat.<br />
- Il est vingt heures...<br />
- Ouais mais vous êtes encore là, je peux passer avec le camion.<br />
- OK, mais avec le supplément de garde alors. Ça fait 25 euros de plus.<br />
- Ouais c'est ça, vous rigolez ou quoi, ça prend cinq minutes.<br />
- Et ben passez demain alors, puisque ça prend que cinq minutes !</p>
<p>Ouais, toi tu m'as raccroché au nez, mais j'ai parfaitement reconnu ta voix.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2010/10/12/R%C3%A9pondeur-t%C3%A9l%C3%A9phonique-%3A-notice-d-utilisation%2C-et-autres-br%C3%A8ves-d-urgences#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/231La mort des petits vieuxurn:md5:53e3f91e9a30e8ba0818e6064ce798be2010-03-28T13:46:00+02:002010-03-28T16:02:39+02:00FourrureUn peu de reculcroyancedéontologieempathieeuthanasieordre des vétérinairessecret professionnel <p>Les petits vieux ne meurent jamais tranquillement dans leur panier. C'est un mensonge. Un doux rêve que caressent leurs propriétaires lorsque viennent les vieux jours, les premières alertes, les frémissement du taux de créatinine ou la baisse de la densité urinaire. Selon leur espèce et leur race, les vieux ont entre huit et dix-huit ans. Huit ans pour les grands chiens - papy leonberg et ses 70kg - ou dix-huit ans pour les chats et les chiens à grande longévité, les caniches, cockers et autres...</p>
<p>Ces petits vieux là, je les suis depuis longtemps. Ils sont lourdement médicalisés (ou pas), ont été vaccinés régulièrement (ou pas). Peu importe : au fil des années, j'ai appris à les connaître, ainsi que leurs maîtres. J'ai vu naître leurs chiots ou chatons, mourir leurs parents, je les ai opéré, grattés, caressés, spéculumés ou radiographiés, je suis entré, un petit peu ou beaucoup, dans leur intimité et celle de leurs maîtres. Le plus souvent, une vraie relation de confiance s'est construite, au gré des petits bobos ou des gros pépins, peu importe.</p>
<p>Certains ont insisté pour que je devienne leur "vétérinaire traitant". Ce n'est pas du tout dans la politique de la maison : nous sommes trois vétérinaires dans notre structure, à peu près interchangeables en ce qui concerne nos compétences, hormis quelques "domaines plus ou moins réservés". Le comportement et l'endocrinologie pour moi (tendance cas de merdes), la chirurgie pour un autre, etc. Mais sans plus. Notre carnet de rendez-vous est donc commun et nous nous appliquons à ne pas "personnaliser la clientèle". C'est beaucoup plus simple pour s'organiser, ça évite la routine et surtout les dérives, les malentendus et, globalement, les ennuis. En plus, ça permet souvent de croiser les points de vue sur certains cas. Évidemment, certains clients n'aiment pas : ils veulent me voir moi, ou un autre, le font clairement comprendre à notre secrétaire et peuvent être franchement désagréables lorsqu'ils ne sont pas satisfaits. Ceux-là, on s'en passe très bien. D'autres sont plutôt déçus, ce qui aurait tendance à nous faire culpabiliser, mais pas longtemps. On gèrera la prochaine fois. Et puis parfois, on laisse faire, et nous nous construisons, peu à peu, une espèce de petit "parc" de clients dédiés, sans forcément en être ravis : ce ne sont pas forcément les plus faciles. Lorsque cela ressemble trop à un piège, nous nous débrouillons pour faire exploser cette routine et passant un client d'un véto à l'autre, quitte à le faire au cours d'une consultation commune. Évidemment, tout ceci demande une rigueur d'enfer sur la tenue des fiches et des dossiers, mais après tout, nous sommes informatisés, autant en profiter.</p>
<p>Le problème, c'est que, véto "personnalisé" ou pas, nous finissons forcément par nous attacher. Certains reviennent à la clinique comme ils rentreraient à la maison, nous connaissons leur nom, celui de leur propriétaire. Lorsque je connais le nom d'un chien, d'un chat, ou pire, que je reconnais la voix de son maître au téléphone, je sais que les choses deviennent dangereuses. Nous entrons là dans le domaine trouble de la relation de confiance établie, fructueuse et constructive, intelligente et destructrice. Celui où il devient de plus en plus difficile de <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/04/08/86-empathie-et-sympathie">séparer l'empathie de la sympathie</a>.</p>
<p>Relation de confiance, fructueuse, constructive, intelligente, je ne vous surprends sans doute pas. Il paraît évident que l'on fait du bien meilleur travail dans ces conditions. Après tout, si l'on connaît bien l'animal et, plus encore, son maître, on est bien plus à même de lui proposer les soins ou le suivi qu'il souhaite, d'anticiper ses demandes ou d'éviter de chatouiller sa susceptibilité. De savoir amener une intervention coûteuse ou un traitement pénible.</p>
<p>Destructrice, vous pouvez aussi l'imaginer, après tout : Il sera bien plus difficile d'annoncer, dans ce cadre, une pathologie très grave, ou à terme, de pratiquer l'injection létale. Dangereuse aussi parce que la force de l'habitude reste le meilleur moyen de se planter, de ne plus observer objectivement, de modifier ses <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2009/09/27/Etablir-un-diagnostic">arbres diagnostiques</a> sans même s'en rendre compte. Le fait de travailler à plusieurs permet de limiter ce dernier écueil, mais... J'ai remarqué dans mes jeunes années, lorsque je remplaçais un véto, que je démultipliais son taux d'euthanasie. L'un d'entre eux avait d'abord été choqué, me livrant, très spontanément, un "mais tu m'as tué toute ma clientèle ?!" après deux semaines de remplacement. Il travaillait seul, toujours seul, et mon regard plus distant, plus clinique, avait été l'occasion de prendre un certain nombre de décisions. Il était sans doute plus facile pour les maîtres de se décider en remettant les choses à plat avec quelqu'un qui avait en main le dossier de leur compagnon, mais qui n'était pas encombré de souvenirs et d'histoires. Euthanasieur itinérant, un métier d'avenir ?</p>
<p>Dans un certain nombre de cas, le fait de s'en remettre à l'analyse d'un étranger "de confiance" (puisque choisi par leur vétérinaire habituel) permettait sans doute aussi d'évacuer une certaine charge de culpabilité, comme si choisir l'euthanasie était une sorte de désaveu des soins attentifs et consciencieux prodigués par leur véto. Comme s'il se serait alors agi de lui signifier son échec, de renier son travail, de l'amener, pourquoi pas, vers un sentiment de culpabilité. Je ne prétends pas que ces clients poussaient aussi loin l'analyse, pas plus que les véto que je remplaçais, ou moi-même. Mais je crois fermement à ces réactions complexes qui ne nécessitent nulle analyse pour se construire, hors de toute conscience, ou sous de faux prétextes.</p>
<p>Dans ma situation actuelle de vétérinaire désormais installé dans ses pantoufles, la mort des petits vieux est celle que je crains le plus. Pas celle de leurs maîtres, qui m'attriste mais suit, hors de mon regard, sa logique naturelle, mais celle de leurs compagnons, car je suis autant <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/05/18/96-naissance">celui qui donne</a> <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/01/29/44-donner-la-vie-2-2">la vie</a> que <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/01/19/40-donner-la-mort">celui qui la retire</a>... après, parfois, l'avoir sauvée. Je ne souhaite pas ici évoquer la difficulté de l'injection ou celle de ces derniers instants, <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/06/25/Solitude">solitaires</a> ou <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2009/01/19/Ecouter">entourés</a>. Nous discutons souvent, le soir à la clinique, parfois autour d'un chien ou d'un chat hospitalisé, de la mort d'un patient. D'une mort à venir : comment cela se passera-t-il ? Résignation, cris, hurlements, colère ou larmes ?</p>
<p>Les plus dangereux sont les plus médicalisés. Cardiaques, sub-insuffisants rénaux, arthrosiques, plus ou moins aveugles, ils vivent leur petit train-train quotidien sur le fil de la seringue, ils ne mourront pas tranquillement dans leur panier, ils décompenseront assez brutalement avant d'agoniser pendant des heures et des jours. Ils ont un, deux, trois, parfois cinq traitements quotidiens ou bi-quotidiens, occupent leurs maîtres - souvent des personnes âgées, qui n'ont plus qu'eux - pendant le plus clair de leur temps. Ils sont parfois l'incarnation d'une sorte de lutte contre l'âge ou la maladie, et l'échec du maître n'est pas envisageable : trop intime, trop violent, il aurait d'inacceptables relents de défaite. Il devient difficile de leur expliquer que l'on ne maîtrise plus grand chose des interactions médicamenteuses à ce stade, qu'il est pourtant compliqué de choisir un médicament à sacrifier sur l'autel des bonnes pratiques. Le risque est pris en toute conscience, les ordonnances s'allongent, piluliers, contrôles, analyses, sans acharnement, mais avec une rigueur parfois obsessionnelle.</p>
<p>Il naît de ces vieilles années un attachement parfois - souvent - trop intense du chien envers son maître, qui lui sacrifie alors ses vacances et ses loisirs, acceptant le fardeau le plus souvent sans remords ni regrets avoués. Le chien ne devient pas une raison de vivre, mais parfois, un motif de lutte. Si les résultats sont au rendez-vous, ils sont souvent très visibles, objectifs et reconnaissables même pour un profane. La réussite de ces traitements ne devient-elle pas alors un facteur d'observance pour toutes ces personnes qui ont oubliées pourquoi elles devaient se soigner ? Peu importe : nous montons sur un piédestal, on nous compare souvent à ces médecins qui eux, n'arrêtent pas de poser des questions, et qui sont tous des tire-au-flanc et des incapables. Il faudrait qu'un jour un médecin me confie les commentaires de ses patients sur leurs vétérinaires. Je suppose que je ne serais pas déçu...</p>
<p>Le véto, ce héros, qui a sauvé Louloute, qui a opéré Pimprenelle de son cancer, qui a trouvé la maladie du cœur, qui a fait une prise de sang, qui l'a ressuscitée le jour où elle allait mourir d'une piro... celui qui l'a envoyé au bon moment chez ce spécialiste, qui a su expliquer. Des actes tantôt très lourds, mais parfois ridiculement anodins et qui se parent malgré tout d'un lustre sans pareil aux yeux de nos clients. Le véto, ce héros sur son podium, qui a toujours débusqué le microbe, détecté la tumeur, tué les puces et vaincu le diabète. Cette aura prend parfois des dimensions disproportionnées, et il semble que nous ne disposions d'aucun levier pour la tempérer : trop modestes ! Il est alors temps de changer de vétérinaire, de faire très attention au cahier de rendez-vous et d'espérer que Minette mourra gentiment dans son panier, ou sous une voiture.</p>
<p>Car forcément, un jour, quelque chose va lâcher. <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/02/09/50-ethique-conscience-et-mal-a-l-etre">Ou parfois ne pas lâcher</a>.</p>
<p>Milton avait 17 ans. Il traînait, et c'était le moindre mais le plus gênant de ses problème, une grave dermatite allergique aux piqûres de puces. Il était gravement cardiaque, avec de fréquentes complications d'œdèmes du poumon. Sa cataracte le rendait aveugle, les rares crocs qui lui restaient étaient pourris, il était perclus d'arthrose mais restait le soleil de son couple de maîtres âgés d'un peu plus de cinquante ans, et sans enfants. Nous le voyions au moins une fois par semaine, ils faisaient 70km pour venir chez nous, n'arrivaient jamais avant 19h30 vue la distance et étaient prêt à tout pour lui. Ils suivaient scrupuleusement nos prescriptions et nos conseils, attendaient, à chaque complication, l'injection salvatrice, et n'entendaient jamais nos mises en garde et nos réserves. Milton ne pouvait pas mourir.<br />
Le jour où Milton a contracté, malgré son vaccin, une piroplasmose, nous sommes devenus des monstres ; sa pré-insuffisance rénale s'est transformée en crise d'urée, les médicaments étaient tous contre-indiqués, la spirale de la décompensation générale s'entamait. Nous avons proposé l'euthanasie, ils se sont enfuis. Milton est mort chez un confrère après deux jours de perfusion.<br />
Nous nous sommes quittés sous une pluie de mots durs et méchants, avec une facture impayée, qui, suite à une relance, nous a valu une lettre acide et mesquine. Je garde un très mauvais souvenir de cette épisode, car si je n'avais pas une grande affection pour ces clients anxieux et stressants, nous avions consacré énormément d'énergie à leur compagnon et à leurs angoisses. Mais nous savions que cela finirait, forcément, très mal.</p>
<p>Cachou avait quatorze ans. Sa propriétaire reste, à mes yeux, la plus gentille et la plus lucide des mamies à caniche que j'ai jamais rencontré. Guère épargnée par l'existence, elle nous a toujours fait confiance, nous suivant dans nos diagnostics et nos traitements, avec toujours un mot gentil, toujours un cadeau pour Noël, des chocolats, une attention, une petite lettre. nous ne craignions pas, dans son cas, un drame à la Milton. Mais toute la clinique suivait les déboires de Cachou, les larmes de sa maîtresse, ses espoirs - nos espoirs. J'ai euthanasié Cachou chez elle, dans son refuge que je n'avais jamais pénétré, devant sa cheminée. Entouré de son mari handicapé, de ses proches, puis je suis resté pour une étrange veillée, autour d'une tasse de café.</p>
<p>Madame Lampernot nous a envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception, destinée au Conseil Régional de l'Ordre afin de dénoncer les souffrances inacceptables infligée à son chien que nous venions de suturer, suite à une bagarre, pour la huitième fois. Mais sans succès en ce qui concernait le sauvetage de son oreille, ce qui avait été très clairement souligné auprès de son mari qui nous avait apporté le chien. Nous n'avions pas grand espoir, mais nous supposions qu'elle aurait préféré un essai, même manqué, à une disgracieuse amputation. Elle n'a pas amené son chien pour le contrôle - alors que les rendez-vous avaient été donnés - le vendredi matin, ni le samedi matin, puis a appelé le dimanche matin pour que nous puissions contrôler, en urgence, le pansement. Ce que mon confrère a refusé, occupé qu'il était à gérer de vraies urgences. La plaie de l'oreille avait mal évolué, il a fallu une nouvelle intervention chez un confrère, qui ne s'est pas privé de confier à Mme Lampernot ses confraternels préjugés sur les vétérinaires de campagne. L'Ordre l'a envoyée bouler après avoir entendu les parties, et, satisfaction suprême, s'est même fendu d'une admonestation paternaliste envers notre délicat confrère.</p>
<p>Ces vieux ne sont pas une angoisse permanente, mais nous observons et vivons avec plus de plus de méfiance ces relations trop intenses, ces réussites trop insolentes ou ces petits succès accumulés. Au risque de finir blasés ?</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2010/03/28/La-mort-des-petits-vieux#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/206Babetteurn:md5:cd40cad45992a7af11f61c4040434a322009-11-02T22:47:00+01:002009-11-02T23:11:48+01:00FourrureUn peu de reculchatdiabète sucrédéontologie <p>Elle s'appelait Babette. Bab', pour les intimes. C'était une énorme, monstrueuse, débordante minette dont le corps, posé à plat sur la table d'examen, semblait s'écouler sous une peau encore trop lâche. On aurait pu la remplir encore, semblait-il, pourtant, elle pesait déjà une bonne dizaine de kilos. Elle en avait pesé 3, ou 4 sans doute. Elle avait une douzaine d'années, et elle avait déboulé dans ma clinique suite à l'appel d'une consœur qui nous l'envoyait pour oxygénothérapie et examens complémentaires.</p>
<p>Bab' suffoquait, Bab' s'étouffait, et ne tenait plus sur ses <del>roulettes</del> pattes. Elle ne mangeait plus, elle se tenait, droite, plate, hovercraftienne, le cou tendu sans doute sous le gras qui le noyait. Luttant pour trouver de l'air, buvant l'oxygène sans pourtant qu'on ne devine ses mouvements respiratoires sous sa masse graisseuse. Sa propriétaire s'était presque évanouie sur sa chaise lorsque je l'avais extraite de sa cage de transport, parfaitement moulée en ovale, pour la déposer, parfaitement moulée en pavé, dans l'aquarium reconverti en cage à oxygène. La propriétaire de Bab' était très âgée (comme Bab'), très émotive (comme Bab'), très diabétique (comme Bab') mais très maigre (pas comme Bab').</p>
<p>Elle souffrait donc de diabète sucré, cette maladie hormonale commune aux humains, aux chats et aux chiens, dont le traitement repose essentiellement sur l'administration d'une hormone déficiente, l'insuline. Une, ou deux piqûres par jour, pour que le sucre passe du sang aux tissus qui en ont besoin. Bab' était diabétique, traitée depuis cinq ans, et ma consœur craignait une embolie pulmonaire, une complication rare et gravissime. J'avais stabilisé Babette sous oxygène, puis rassuré tant bien que mal sa propriétaire avant d'entamer des investigations plus poussées pour confirmer ou infirmer l'hypothèse de la vétérinaire qui me l'avait envoyée. J'étais assis devant l'aquarium, parallélépipède de verre doublé de fourrure de chat, à me demander quels examens j'allais bien pouvoir faire à un animal qui pouvait mourir à la première manipulation stressante, pour une affection rare et grave s'ajoutant à une maladie pour laquelle cette minette présentait tous les facteurs de complications imaginables.</p>
<p>Et puis d'abord, comme allais-je bien pouvoir diagnostiquer une embolie pulmonaire, moi ?</p>
<p>La Babette semblant plus calme, je l'avais déposée sur le coin de la table d'examen afin de mieux l'examiner. D'où la description introduisant ma présentation de la minette. Je ne pouvais pas observer ses mouvements respiratoires. L'examen neurologique était réduit à néant par son état subcomateux, ou du moins sa concentration absolue tendue vers un seul objectif : respirer.</p>
<p>Puisque je n'avais pas d'idée, j'allais au moins lui poser une perfusion. Ça servirait toujours. Ne serait-ce que pour la réanimer si elle faisait un arrêt cardio-respiratoire tout à l'heure, pour la radio qui me semblait le premier tâtonnement vers le diagnostic de thrombo-embolie pulmonaire.</p>
<p>Et puis, tout en l'examinant et en commentant avec le plus grand sérieux et sans la moindre ironie son corps <del>graisseusement</del> gracieusement étalé sur la table, j'ai quand même envisagé de vérifier sa glycémie (la concentration du sucre dans le sang), ce que n'avait pas fait ma consœur qui me l'avait envoyée dans l'urgence. Avec une diabétique, j'aurais au moins une base de réflexion.</p>
<p>Voire un diagnostic.</p>
<p>Une coupure sur le pavillon de l'oreille, une gouttelette de sang, et un résultat : 21 mg/dL.</p>
<p>Ce ne fait <em>vraiment</em> pas beaucoup. Tout à fait de quoi provoquer une disparition de tous les réflexes, voire un sub-coma, des vertiges, une détresse respiratoire, bref, une Babette sur ma table. Une belle imitation de thrombo-embolie, mais en beaucoup moins grave. A soigner avec un médicament de pointe : perfusion de glucose. Du sucre en piqûres, quoi.</p>
<p>Le soir même, Bab' respirait normalement. J'appelais sa propriétaire pour donner de bonnes nouvelles. Le lendemain matin, Babette marchait (ce qui ne changeait pas grand chose à son allure générale, sauf que les pattes ne dépassaient plus sur les côtés). Nouveau coup de fil, nouvelles bonnes nouvelles. Une analyse urinaire confirmait que la chatte n'avait pas été en hyperglycémie depuis longtemps. Bab' avait tenté de se débattre pour éviter la ponction vésicale mais le fait de la rouler sur le dos avait permis de contenir ses attaques. Le soir, elle mangeait et se toilettait, et quelques jours plus tard, elle repartait avec une courbe de glycémie correcte et un protocole d'insulinothérapie modifié. On avait même du finir par devoir faire attention à nos doigts.</p>
<p>Mon hypothèse : les injections étaient réalisées dans le gras et du coup, l'insuline ne diffusait pas à une vitesse normale dans le sang, provoquant en apparence une réponse insuffisante au traitement alors que l'accumulation d'insuline avait failli la tuer. En injectant sous la peau des rares endroits <del>maigres</del> moins gras du corps, la réponse au traitement était redevenue normale. Pourquoi ce jour là, et pas avant ? Aucune idée, mais les doses d'insulines avaient été augmentées par la propriétaire de Babette qui avait constaté ses hyperglycémies récurrentes : elle la testait à la maison avec son appareil personnel, elle-même étant diabétique.</p>
<p>Cette fois-ci, cependant, je ne jetterai pas la pierre à cette dame pour cette erreur, commise de bonne foi suite à un raisonnement logique, et validé par son vétérinaire. Le problème était plus subtil, et il avait fallu une catastrophe pour le pressentir. Je ne suis pas sûr d'avoir correctement interprété cette crise hypoglycémique, d'ailleurs. Mais c'est la seule hypothèse qui semble tenir la route.</p>
<p>Je ne jette pas non plus la pierre à ma consœur qui a suspecté une complication cohérente avec l'historique de l'animal et son examen clinique. C'est une vérification mécanique qui m'a donné la solution, pas un brillant raisonnement. Je pense qu'elle est un peu vexée d'être passée à côté de ça. Je le serais aussi à sa place. Moi, je suis plutôt flatté qu'elle m'ait fait confiance.</p>
<p>Par contre, je suis beaucoup plus gêné par la suite des opérations, la propriétaire de Bab' ayant apprécié nos installations et équipements, ainsi que la présence nocturne d'un vétérinaire en cas de besoin. Apprécié au point d'avoir décidé de se passer des services de ma consœur pour rester chez nous... décision qu'elle m'annonça alors que je finissais d'imprimer le compte-rendu pour ladite consœur à qui je comptais bien confier la suite des opérations.</p>
<p>Une cliente de plus ou de moins, soyons clair, je m'en contrefous. De bonnes relations avec une collègue que j'apprécie et dont j'estime le travail, ça a un prix bien supérieur. Et ce genre d'éraflures dans nos relations, même si ni elle ni moi n'y pouvons rien, c'est contrariant, et frustrant.</p>
<p>Le principe, c'est : "on ne pique pas les clients des voisins". J'y tiens beaucoup. Mais les clients ne nous appartiennent pas, et nous ne pouvons pas les empêcher d'aller et venir, et, d'ailleurs, tant mieux, la libre concurrence, dans le respect de l'autre, c'est idéal pour l'émulation. Mais dans ces circonstances, je n'apprécie pas du tout : on a l'impression de trahir la confiance de l'autre, on ne sait pas ce qu'il peut penser (je n'ai jamais enfoncé cette consœur devant la propriétaire de Bab', son erreur de diagnostic était cohérente, mais elle n'était pas là pour m'entendre, même si je pense qu'elle me fait confiance sur ce point), bref, c'est frustrant. D'autant qu'elle pourrait, à raison, craindre que d'autres propriétaires d'animaux fassent le même cheminement que celle-ci, alors que je pense qu'elle fait très bien son travail. Et que sa plate-forme technique plus limitée, dans la grande majorité des cas, ne l'handicape pas.</p>
<p>Référer un cas, c'est accepter de confier ses propres insuffisances à un confrère ou à une consœur plus compétent, plus équipé, plus quelque chose. Avouer et reconnaître son impuissance, ce qui n'a rien de honteux, mais qui n'est pas toujours facile. Je le fais tous les jours ou presque, quand j'ai besoin d'un ophtalmo, d'un échographiste, d'un chirurgien orthopédiste, d'un comportementaliste ou tout simplement d'un autre angle de vue. Par contre, je ne reçois pas de cas référés, ou presque. Babette était une exception, une urgence.</p>
<p>Il va falloir que je trouve comment prévenir les transferts de clients... Et si vous avez des idées, que vous soyez propriétaire d'un animal (déjà référé, ou pas, par un votre véto habituel), vétérinaire référent ou référationneur (je pense que ce mot n'existe pas), je suis preneur !</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2009/11/02/Babette#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/188Autopsieurn:md5:1a606485c3398d544521d9946d8b2de62009-01-31T10:14:00+01:002009-01-31T10:28:55+01:00FourrureQuelques basescroyancedéontologiemort <p>Je vous vois déjà frémir en lisant le titre de ce billet.<br />
Peur atavique de la mort ?<br />
Superstition ?<br />
Dégoût ?</p>
<p>Une fois débarrassée de tous les symboles qui l'accompagne, l'autopsie est l'un des actes les plus intéressants en pratique vétérinaire, notamment d'un point de vue intellectuel. Je ne devrais peut-être pas le crier trop fort : j'adore pratiquer des autopsies.</p>
<p>Mais pourquoi, se demanderont ceux qui ne m'ont pas encore placé dans la catégorie des malades ?</p>
<p>Mais parce que ! Vous répondrai-je armé de ma tronçonneuse et de mon costume rouge sang. Ou de mon scalpel et de ma blouse immaculée (enfin au début).</p>
<h4>Quels animaux ?</h4>
<p>Un vétérinaire "mixte" (c'est à dire soignant à la fois les animaux de compagnie et les animaux de ferme) comme moi pratique des autopsies sur toutes sortes de bestioles. Chiens, chats, chevaux, vaches, moutons, chèvres, poules et autres canards passent tous, un jour ou l'autre, sous ma lame. Ils peuvent avoir n'importe quel âge : certains sont, par exemple, morts à la clinique et très âgés, d'autres lors d'un accident, ou ont été trouvés morts par leur propriétaire qui veut savoir, d'autres sont carrément presque des nouveaux-nés - des veaux par exemple.</p>
<h4>Où ?</h4>
<p>Qu'imaginez-vous ? Le vétérinaire avec son masque et ses lunettes maculées de sang, penché au-dessus du cadavre dans un sous-sol glauque, une balance à ses côtés et un petit enregistreur devant lui ? Je dois avouer que cela aurait de l'allure.<br />
Mais non.<br />
En général, je pratique l'autopsie des grands animaux à la ferme, sur leur exploitation, et celle des petits à la clinique, dans la courette qui sert aux ébats de nos animaux hospitalisés ou sur une table de consultation. J'évite les salles de chirurgie... Le plus souvent, je suis accroupi à me casser le dos, et il fait bien jour, loin des nuits d'orage, lorsque chaque éclair fait trembloter la solitaire ampoule du sous-sol....</p>
<p>Évidemment, je préfèrerais pratiquer les autopsies des grands animaux dans un clos d'équarrissage, ces endroits spécialement conçus pour (récupération des effluents, treuil pour soulever la carcasse, etc), mais le service de l'équarrissage, qui gère les cadavres des animaux de production, n'est plus très chaud pour nous faciliter la vie de ce côté là. En réalité, son passage de l'état de service public à celui d'entreprise privée a assassiné ce service...</p>
<p>Le plus souvent, je suis seul, mais il n'est pas rare qu'un éleveur assiste à l'autopsie, ou que je me fasse aider du premier venu (mes amis m'adorent, les représentants des labos aussi) pour, par exemple, prendre des photos des lésions les plus intéressantes (je commence à avoir un bel album !).<br />
Et puis, une autopsie en bonne compagnie, c'est toujours plus sympathique qu'un découpage solitaire...</p>
<h4>Mais pourquoi ???</h4>
<p>Voilà la question la plus intéressante.</p>
<p>Je réalise des autopsies pour de multiples raisons.</p>
<p><strong>Comprendre</strong>. Tout simplement, comprendre pourquoi un animal est mort, ou pourquoi il a été malade.<br />
Comme aimait le demander un de mes professeurs :<br />
"Cause de la mort ?<br />
- Heuuuuuu... balbutiant de l'étudiant.<br />
- Injection létale d'euthanasique, andouille !"<br />
On se faisait avoir une fois. Mais l'anecdote possède sa leçon : l'autopsie est une école de l'intelligence, de l'observation et de la déduction, qui nécessite une connaissance étendue de la pathogénie (la façon dont se développe une affection), de l'anatomie et de la physiologie.<br />
Il faut trouver les lésions, en explorant l'organisme de la façon la plus systématique, les interpréter et les comprendre : cette lésion est-elle une vraie lésion ? C'est à dire, est-elle antérieure à la mort ou résulte-elle des processus de dégénérescence post-mortem ? Est-elle ancienne, ou récente ? Est-elle liée aux symptômes observés avant la mort, s'il y en avait ? Quel est son rôle dans la maladie de l'animal ? Méthode, et logique.<br />
L'autopsie peut également être le moment de réaliser des prélèvements qui gagneront ensuite un laboratoire : contenu intestinal pour une bactériologie de diarrhée de veau, tissus pour l'histologie, etc. Ou même la tête entière pour un diagnostic de <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/03/06/63-rage">rage</a>, qui ne peut se faire que sur les tissus du cerveau (je vous avais expliqué que le diagnostic clinique de certitude était impossible).<br />
Croyez-moi, c'est réellement un exercice passionnant, une fois débarrassé de ses oripeaux fantasmatiques.</p>
<p><strong>Montrer</strong>. Lorsqu'un animal meurt malgré les soins apportés, il arrive souvent que le propriétaire refuse de nous croire, ou souhaite lui aussi comprendre, visualiser la mort. Il m'est plusieurs fois arrivé de pratiquer une unique incision dans un endroit bien précis afin, par exemple, de montrer une tumeur ou un abcès d'un organe interne.<br />
Il y a un côté à la fois fascinant et répugnant dans cet aspect de l'autopsie : a priori, vous me diriez qu'il serait hors de question pour vous d'assister à un tel acte pratiqué sur votre compagnon, et pourtant, nombreux sont ceux qui me demandent de leur montrer la tumeur, de leur montrer le mal qui a emporté leur animal alors qu'ils n'ont rien vu venir... Voir la mort permet aussi de mieux l'accepter.<br />
Un éleveur bovin voudra peut-être vérifier que nous ne le menons pas en bateau, et lui montrer les intestins ravagés d'un veau mort d'une entérite suraiguë est une bonne façon de lui faire comprendre que nous ne prenons pas son problème à la légère. Lui montrer aussi l'inexistence de certaines lésions, ou l'existence de certaines autres peut permettre de casser une idée qu'il s'était sans doute faite de la maladie de son animal. En ce moment, pour moi, l'exercice est souvent de prouver, par l'autopsie s'il le faut, qu'un animal n'est pas mort de <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/04/23/91-fievre-catarrhale-ovine">fièvre catarrhale ovine</a>.<br />
Un grand classique, ce sont aussi ceux qui sont persuadés que le voisin a empoisonné leur chien. En général, lorsque nous ne le croyons pas, une autopsie méthodique permet de le vérifier.</p>
<p><strong>Protéger</strong>. On m'amène souvent des cadavres de volailles, ou même des morceaux (un foie, des intestins) d'oiseaux de basse-cour tués à la ferme pour la consommation personnelle. Là, l'objectif est toujours de poser un diagnostic, éventuellement de prescrire un traitement pour soigner les autres volailles (le sacrifice d'un, ou de quelques uns, pour soigner les autres est souvent le seul moyen diagnostic en pathologie aviaire et cunicole), mais aussi de dire si l'animal peut être consommé, ou pas. Tuberculose aviaire, salmonellose et autres sont au menu de ces autopsies et amène parfois à conseiller l'abattage de toute la basse-cour, ou au moins l'arrêt de la consommation de ses produits (ce qui revient au même).<br />
Parfois, il s'agit aussi d'un morceau de sanglier ou de cochon fermier. Là, il ne s'agit plus vraiment d'autopsie mais d'inspection des viandes, mais nous sommes aussi formé à cet aspect là du métier.</p>
<p><strong>Expertiser</strong>. Voilà un type d'autopsie que je ne pratique pas, ou presque pas. Pas que cela ne me fasse pas envie, mais je n'en ai que rarement l'occasion. L'autopsie d'expertise est généralement demandée par le propriétaire ou le détenteur de l'animal qui souhaite s'en servir dans un litige (par exemple, mort d'un bovin lors d'un transport, ou trois jours après son arrivée dans sa nouvelle exploitation), elle peut aussi l'être par un assureur (mais je ne suis pas vétérinaire expert auprès d'une assurance) ou même par le tribunal (et même si, en théorie, on pourrait me demander une telle expertise, ce n'est jamais le cas). Si l'expertise vous intéresse, lisez plutôt le blog de <a href="http://zythom.blogspot.com/" hreflang="fr">Zythom</a>, autopsieur de disques durs (c'est moins salissant, enfin, je crois).<br />
Dans tous les cas, l'autopsie devrait être pratiquée par un intervenant neutre, or je suis tout sauf neutre lorsqu'il s'agit de mes clients. Dès que le litige monte en puissance, je dois alors me retirer, et je n'accepte ce genre d'autopsies qu'après mise au point avec les parties, et, en général, en leur présence (et avec moult photos, pour garder des preuves !). Cela n'arrive pas souvent, mais parfois, vue la vitesse de décomposition des intestins d'un bovin ou d'un cheval, on n'a pas le choix.</p>
<p>Voilà, quelques lignes que j'avais envie de vous écrire concernant cet acte indissociable de la médecine, et incontournable dans mon métier.</p>
<p>Certains s'inquièteront de savoir si un vétérinaire pourrait autopsier son animal de compagnie dans son dos, après sa mort et alors qu'il lui a confié son cadavre. J'aurais une réponse simple, et malheureusement ambiguë : la déontologie l'interdit. Pour ma part, je regrette souvent le refus d'un maître de me laisser autopsie son animal, car son corps aurait pu m'aider à comprendre, et à apprendre.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2009/01/31/Autopsie#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/144Obligations et responsabilité du blogueur vétérinaireurn:md5:7338db8bf77a0a7365c0760ff6a5f4012008-04-20T10:45:38+00:002008-05-01T22:00:24+00:00FourrureUn peu de reculblogcode de déontologiedéontologiejournalismesecret professionnel<p><a href="http://www.maitre-eolas.fr/" hreflang="fr">Maître Eolas</a>, avocat et blogueur, a réalisé un billet particulièrement complet sur <a href="http://www.maitre-eolas.fr/2008/03/24/905-blogueurs-et-responsabilite-reloaded" hreflang="fr">les responsabilités du blogueur</a>. D'autres points plus spécifiques à la profession vétérinaire, et notamment à nos obligations déontologiques, me poussent aujourd'hui à récapituler.</p>
<h3>Secret professionnel</h3>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006590677&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=1062388125&oldAction=rechCodeArticle">Article R242-33 du Code rural</a> : Le vétérinaire est tenu au respect du secret professionnel dans les conditions établies par la loi.</p></blockquote>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006417945&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=965680888&oldAction=rechCodeArticle">Article 226-13 du Code pénal</a> : La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende.</p></blockquote>
<p>Il m'est donc interdit de révéler toute information dont j'aurais connaissance dans le cadre de mon travail au sujet de mes clients et de leurs animaux, selon :</p>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006685746&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20080420&fastPos=7&fastReqId=1083859735&oldAction=rechCodeArticle">Article L1110-4 du Code de la santé publique</a> : Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.</p></blockquote>
<p>Il existe toute une série d'exceptions à ce principe, prévues dans l'article <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006417952&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=1475122501&oldAction=rechCodeArticle">226-14 du Code pénal</a> (dans le cadre d'une information judiciaire), ou même dans le code de déontologie lorsqu'il s'agit de transmettre des informations sur un cas référé à un confrère. Lorsque j'interviens en tant que vétérinaire sanitaire (mandaté par l'Etat), le secret professionnel ne s'applique pas aux maladies légalement réputées contagieuses : si je découvre un cas de fièvre aphteuse, mon devoir est d'avertir les autorités sanitaires.</p>
<p>Evidemment - et c'est heureux - un blog n'entre pas dans ces exceptions. C'est pourquoi je modifie, dans chaque billet, les noms et sexes des animaux et des gens, les dates, les lieux, les situations, pour ne conserver que ce qui fait l'objet de mon article : une situation, une maladie, un dialogue.</p>
<h3>Déontologie de la communication et de l'information</h3>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006590683&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=196116963&oldAction=rechCodeArticle">Article 242-35 du Code rural</a> : Communication et information.<br />
La communication doit être conforme aux lois et règlements en vigueur et en particulier aux dispositions du code de la santé publique réglementant la publicité du médicament vétérinaire.<br />
La communication des vétérinaires vis-à-vis de leurs confrères ou des tiers ne doit pas porter atteinte au respect du public et de la profession. Elle doit être loyale, scientifiquement étayée, et ne doit pas induire le public en erreur, abuser sa confiance ou exploiter sa crédulité, son manque d'expérience ou de connaissances.<br />
Les mêmes règles s'appliquent aux communications télématiques ou électroniques destinées au public (forums ou sites de présentation) faisant état, dans leurs adresses ou dans leurs contenus, de textes ou d'images en relation directe ou indirecte avec la profession vétérinaire. Ces communications sont sous l'entière responsabilité de leur auteur.</p></blockquote>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006588302&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=1985573315&oldAction=rechCodeArticle">Article R242-70 du Code Rural</a> : La communication auprès du public en matière d'exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux ne doit en aucun cas être mise directement ou indirectement au service d'intérêts personnels.<br />
Le vétérinaire est responsable des actions de communication qui résultent de son propre fait ou qui sont conduites à son profit.</p></blockquote>
<p>En passant, la deuxième partie de implique que si un client reconnaissant fait publier un petit article à mon sujet dans un journal local, je peux avoir de gros ennuis si le texte est <em>indirectement ou directement au service d'intérêts personnels</em>.</p>
<p><ins>Exemple ludique :</ins></p>
<p><em><strong>Le chevreau pascal est né grâce au vétérinaire !</strong></em><br />
<em>Dans la nuit de dimanche à lundi, le docteur vétérinaire Smarrepas, exerçant son art à Cuisine, a réalisé en urgence une césarienne sur Finie, la gentille chèvre du refuge des Alouettes. Le docteur Smarrepas n'est pourtant pas un habitué des chèvres et des vaches, mais aucun vétérinaire n'était disponible 50km à la ronde pour opérer Finie. Malgré toutes ces difficultés, l'opération s'est déroulée dans les meilleures conditions et Finie a pu rejoindre son enclos. Nous tenons à adresser nos plus sincères remerciement au vétérinaire qui nous a reçu en urgence malgré l'heure tardive et le fait qu'il ne soigne habituellement pas les chèvres.</em></p>
<p>Ne riez pas, cette anecdote est véridique. Et le vétérinaire aurait vraiment pu avoir des ennuis avec cet article anodin !</p>
<h4>Publications</h4>
<p>Le blog constituant une forme de publication vétérinaire, l'article R242-36 s'applique :</p>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006588306&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=1284739375&oldAction=rechCodeArticle">Article R242-36 du Code rural</a> : Dans les publications, le vétérinaire ne peut utiliser les documents ou résultats d'examens et d'observations qui lui ont été fournis par d'autres auteurs qu'en mentionnant la part prise par ces derniers à leur établissement ou en indiquant la référence bibliographique adéquate. Toute communication doit être signée de son auteur. Le vétérinaire auteur d'une communication comportant les indications en faveur d'une firme, quel que soit le procédé utilisé, doit mentionner, s'il y a lieu, les liens qui l'attachent à cette firme.</p></blockquote>
<p>Evidemment, cet article s'applique plus aux blogs tenus par des confrères présentant des cas cliniques ou des notes de lecture.</p>
<h4>Consultations ?</h4>
<p>J'ai déjà abordé ce point essentiel dans <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?2008/04/06/84-de-l-usage-de-ce-blog" hreflang="fr">un autre billet</a> : le diagnostic ne doit pas s'établir à distance, il est donc interdit de tenter de l'établir via internet.</p>
<h3>L'anonymat</h3>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006588306&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=1284739375&oldAction=rechCodeArticle">Article R242-72 du Code rural</a> : Communication télématique.<br />
Toutes informations destinées au public doivent être impersonnelles, à l'exception des éléments d'identité (photographie de l'auteur, nom et prénoms) communément admis pour les communications dans la presse écrite.</p></blockquote>
<p>Pour ma part, j'ai choisi l'anonymat et l'utilisation du pseudonyme <em>Fourrure</em>, mais un confrère écrivant en son nom n'aurait pas le droit d'indiquer l'adresse de son cabinet, ses horaires d'ouverture, le matériel dont il dispose, etc.</p>
<blockquote><p><a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006590689&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080420&fastPos=1&fastReqId=2115678435&oldAction=rechCodeArticle">Article R242-37 du Code rural</a> : Tout vétérinaire se servant d'un pseudonyme pour des activités se rattachant à sa profession doit en faire la déclaration préalable au conseil régional de l'ordre.</p></blockquote>
<p>J'ai donc fait la déclaration de mon pseudonyme au président de mon <acronym title="Conseil régional de l'Ordre">CRO</acronym>.</p>
<p>L'anonymat est très important pour moi.<br />
Je sais que certains de mes proches ont été vexés de découvrir très tard que je possédais un blog. "Quoi, et tu ne me l'a pas dis ?"<br />
D'autres que je leur demande d'effacer un lien qui rompait mon anonymat, genre : "Mon frère le véto".<br />
Certains ont pensé que je ne leur faisais pas confiance. Je sais que vous connaissez mon besoin d'anonymat. Mais votre femme, le sait-elle ? Elle ne pensera pas à mal lorsqu'elle dira à son amie du club de natation que j'ai un blog. Laquelle sera sans doute ravie de le dire à ses propres amis, sans se rendre compte qu'avec ce genre d'information, c'est mon travail ici que l'on enterre.</p>
<p>La raison en est simple : le jour où mes clients sauront que j'ai un blog, je ne pourrais plus écrire aucun billet contant une consultation ou relatant mon quotidien, pour des raisons tenant au secret professionnel et à la publicité dont je vous ai montré la teneur un peu plus tôt.<br />
Mon anonymat, c'est ma liberté : on ne peut m'accuser de servir des intérêts personnels, ni de rompre le secret professionnel (avec les précautions que je prends).</p>
<p>Merci donc de respecter ce point qui m'est essentiel, surtout vous qui vivez près de moi. Et mes excuses à ceux que j'ai pu vexer.<br />
Et pour finir, je ne vous demande pas de ne pas mettre de lien sur vos sites/blogs/forums : je vous demande simplement que ce lien ne me trahisse pas.</p>
<h3>Résumé des obligations</h3>
<ul>
<li>Déclarer son identité à son hébergeur ou à son fournisseur d'accès en cas d'hébergement direct par le fournisseur d'accès (<a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000801164&dateTexte="><acronym title="Loi de confiance dans l'économie numérique">LCEN</acronym></a>).</li>
</ul>
<ul>
<li>Faire figurer sur le site le nom du responsable, ou en cas de site non professionnel et anonyme (comme celui-ci), la mention de l'hébergeur qui a les coordonnées du responsable (LCEN).</li>
</ul>
<ul>
<li>Publier gratuitement et sous trois jours à compter de la réception un droit de réponse de toute personne nommée ou désignée dans un billet ou un commentaire, sous la même forme de caractère et de taille, sans que cette réponse ne puisse dépasser la longueur de l'écrit initial (sauf accord de l'éditeur, bien sûr). Dans le cas d'une mise en cause par un commentaire, la personne en question pourra y répondre directement par un commentaire la plupart du temps, bien sûr. Dans le cas d'une mise en cause dans un billet, l'éditeur doit publier le droit de réponse sous forme d'un billet (LCEN, je cite directement Maître Eolas).</li>
</ul>
<ul>
<li>Déclarer son pseudonyme au conseil régional de l'ordre vétérinaire (code de déontologie).</li>
</ul>
<ul>
<li>Respecter le secret professionnel et, d'une manière générale, les règles de déontologie (code de déontologie).</li>
</ul>
<p>Vous aurez remarqué que je poursuis ici une espèce de crise de réflexion sur l'écriture et la publication de ce blog, et je vous rassure, elle sera bientôt terminée, pour revenir (enfin !) à des choses plus... vétérinaires. Mais il me semble qu'il s'agit là de questions essentielles alors que ce site dépasse les 80 billets et les 6 mois d'existence, que mon classement wikio explose et que les visiteurs se font chaque jour plus nombreux.<br />
Merci à tous pour vos visites, vos commentaires et votre intérêt pour ce blog.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/04/20/89-obligations-et-responsabilite-du-blogueur-veterinaire#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/84Obligation de soins ?urn:md5:2dfcce3352a1798eecf5ea97590319102008-03-18T17:33:38+00:002008-03-18T18:41:14+00:00FourrureUn peu de reculchatchiencode de déontologiedéontologieobligation de soinsordre des vétérinaires<p>Un vétérinaire peut-il refuser de soigner votre animal ?</p>
<p>Est-il obligé d'accepter une consultation en pleine nuit, voire d'opérer votre chat s'il s'est cassé la patte, ou s'il a une allergie aux piqûres de puces ?</p>
<p>Et si vous n'avez pas d'argent, doit-il quand même lui détartrer les dents ? Soigner ses blessures ?</p>
<p>Peut-il le laisser souffrir, ou mettre sa vie en danger en refusant de le soigner ?</p>
<p>Je vous laisse réfléchir aux questions, avant d'aborder les explications.</p>
<p>Ca y est, vous avez vos réponses ?</p> <h3>Un code de déontologie</h3>
<p>Le code de déontologie est une source passionnante (quoique un peu aride) pour répondre à ce genre d'interrogations. Et oui : comme les médecins ou les pharmaciens, les vétérinaires praticiens sont membres d'un Ordre professionnel, et celui-ci a établi un <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=5CAD02D33A5EC0DAA3F418D78253B18B.tpdjo01v_3?idSectionTA=LEGISCTA000006168195&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080318" hreflang="fr">code de déontologie</a>, édicté en décret par le Conseil d'Etat (n° 2003-967 du 9 octobre 2003). Il y a matière à plusieurs billets autour de ce code, nous en reparlerons donc certainement.</p>
<p>L'objectif de ce code, sa raison d'être, pour ainsi dire, est de régir les relations entre un vétérinaire et ses clients, entre un vétérinaire et la société, et, enfin, entre vétérinaires.</p>
<p>Le vétérinaire dispose d'un monopole d'exercice conféré par l'obtention de son diplôme. De ce droit découlent des devoirs, pratiques ou plus moraux, envers la société. Le code de déontologie, avec la force de la loi, garanti ces droits et devoirs, assurant ainsi la qualité du service rendu aux usagers, qu'il s'agisse du soin aux animaux ou de la protection de la société en terme de santé publique.</p>
<p>Bien sûr, ce code est contraignant : pour les vétérinaires, mais aussi pour leurs clients, ou, au sens plus large, les usagers (je place ainsi cette précision car, par exemple, un vétérinaire qui remplirait un faux certificat concernant un animal envoyé à l'abattoir se mettrait en porte à faux non seulement vis à vis de son client, mais aussi des consommateurs de viande).</p>
<p>Mais il est également une protection, pour le vétérinaire comme pour les usagers. Ces derniers sont assurés qu'il existe des garde-fous mis en place par la profession elle-même en plus de la loi qui s'applique à tous, et les premiers ont un texte de référence quand à leurs obligations et à leurs libertés. Comme toute loi, me diront les juristes, je suppose.</p>
<h3>L'obligation de soins</h3>
<p>Sa définition très précise est contenue dans le code de déontologie, selon l'<a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=5CAD02D33A5EC0DAA3F418D78253B18B.tpdjo01v_3?idArticle=LEGIARTI000006590724&cidTexte=LEGITEXT000006071367&dateTexte=20080318" hreflang="fr">article R242-48 du Code Rural</a> :</p>
<blockquote><p>Devoirs fondamentaux.</p>
<p>I. - Le vétérinaire doit respecter le droit que possède tout propriétaire ou détenteur d'animaux de choisir librement son vétérinaire.</p>
<p>II. - Il formule ses conseils et ses recommandations, compte tenu de leurs conséquences, avec toute la clarté nécessaire et donne toutes les explications utiles sur le diagnostic, sur la prophylaxie ou la thérapeutique instituée et sur la prescription établie.</p>
<p>III. - Il conserve à l'égard des propriétaires ou des détenteurs des animaux auxquels il donne des soins une attitude empreinte de dignité et d'attention, tenant compte en particulier des relations affectives qui peuvent exister entre le maître et l'animal.</p>
<p><strong>IV. - Il assure lui-même ou par l'intermédiaire d'un de ses confrères la continuité des soins aux animaux qui lui sont confiés.</strong></p>
<p><strong>V. - Il informe le public des possibilités qui lui sont offertes de faire assurer ce suivi médical par un confrère.</strong></p>
<p><strong>VI. - Il doit répondre dans les limites de ses possibilités à tout appel qui lui est adressé pour apporter des soins d'urgence à un animal. S'il ne peut répondre à cette demande, il doit indiquer le nom d'un confrère susceptible d'y répondre. En dehors des cas d'urgence, il peut refuser de prodiguer des soins à un animal ou à un lot d'animaux pour des motifs tels qu'injures graves, défaut de paiement, pour des raisons justifiées heurtant sa conscience ou lorsqu'il estime qu'il ne peut apporter des soins qualifiés.</strong></p>
<p>VII. - Sa responsabilité civile professionnelle doit être couverte par un contrat d'assurance adapté à l'activité exercée.</p></blockquote>
<h4>L'urgence</h4>
<p>Elle concerne en réalité les soins conservatoires, c'est à dire le strict minimum pour maintenir l'animal en vie et le stabiliser dans l'attente d'une éventuelle intervention plus poussée, qui, elle n'est pas urgente.</p>
<h4>Hors contexte d'urgence</h4>
<p>Injures graves : si vous insultez un vétérinaire, ne vous attendez pas à ce qu'il soit dans l'état de sérénité requis pour l'établissement d'un diagnostic ou l'exécution des soins...</p>
<p>Défaut de paiement : un vétérinaire peut parfaitement refuser de soigner votre animal si vous n'avez pas l'intention de le payer.</p>
<p>Raisons justifiées heurtant sa conscience : la notion est plus vague, et concerne, par exemple, certains chirurgies de convenance qui ne sont pas nécessaires à la bonne santé de l'animal. Autre exemple, je peux refuser d'euthanasier un chien s'il n'y a pas une raison valable de le faire (j'en parlais déjà <a href="http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?2008/01/19/40-donner-la-mort" hreflang="fr">ici</a>).</p>
<p>Il ne peut apporter des soins qualifiés : un vétérinaire pratiquant exclusivement la médecine canine peut parfaitement refuser de soigner une vache s'il ne s'en sent pas capable.</p>
<p>De part les points IV et V du même article du code rural, le vétérinaire doit pouvoir indiquer au moins un confrère qui pourra assurer les soins, et dont il se sera assuré de la disponibilité.</p>
<h3>Et donc ?</h3>
<p><strong>Un vétérinaire peut-il refuser de soigner votre animal ?</strong></p>
<p>Oui, si ce n'est pas une urgence, dans la limite des réserves mentionnées. Il vous indiquera un confrère.</p>
<p><strong>Est-il obligé d'accepter une consultation en pleine nuit ?</strong></p>
<p>Non, même si c'est une urgence, il peut vous indiquer un confrère, par exemple grâce à un message sur son répondeur, ou à un panneau d'affichage sur son lieu d'exercice (tous ces moyens de communication et leurs formulations ou présentations sont d'ailleurs précisés dans le code).<br />
Il peut aussi refuser si ce n'est pas une urgence. Surtout si vous l'agonissez d'insultes suite à son refus.</p>
<p><strong>Est-il obligé d'opérer votre chat s'il s'est cassé la patte ?</strong></p>
<p>Non, il vous indiquera un confrère capable de réaliser cette chirurgie si lui ne s'en sent pas capable, si vous ne comptez pas le payer, etc.</p>
<p><strong>Et s'il a une allergie aux piqûres de puces ?</strong></p>
<p>Pas plus que s'il s'est cassé la patte, évidemment. Vous avez eu ce point, j'espère ?</p>
<p><strong>Et si vous n'avez pas d'argent, doit-il quand même lui détartrer les dents ?</strong></p>
<p>Ca devient facile, maintenant, non ? La réponse est non, bien entendu, ce n'est en rien une urgence.</p>
<p><strong>Et si vous n'avez pas d'argent, soigner ses blessures ?</strong></p>
<p>Oui, au minimum pour le maintenir en vie.</p>
<p><strong>Peut-il le laisser souffrir ?</strong></p>
<p>Ah. Alors là ça devient épineux... et les choses, au pire, seront du ressort de la chambre de discipline du conseil régional de l'Ordre (ou du tribunal en cas d'action intentée en justice).<br />
On peut raisonnablement supposer qu'un vétérinaire qui laisserait, sans rien faire, un chien souffrir le martyre avec une fracture ouverte, serait sanctionné, mais peut-être pas au titre de cet article. Le minimum serait, dans ce cas, de réduire la fracture et d'administrer des antalgiques. Ca ne coûte pas très cher et le vétérinaire pourra ensuite diriger le propriétaire et son animal vers un confrère ou un dispensaire, s'il ne souhaite pas le soigner plus avant.<br />
Par exemple, s'il n'en a pas la compétence (je suis personnellement incapable de réaliser ce type de chirurgie, mais j'ai un bon carnet d'adresses).<br />
Ou si le propriétaire refuse de payer, soit parce qu'il ne veut pas (il existe des dispensaires), soit parce qu'il ne peut pas (en général, dans ce cas, et avec des personnes de bonne foi, on trouve toujours des solutions).</p>
<p><strong>Peut-il mettre sa vie en danger en refusant de le soigner ?</strong></p>
<p>Facile ?</p>
<p>Ou pas ?</p>
<p>Et s'il y avait un piège ?</p>
<p>C'est votre dernier mot ?</p>
<p>La réponse est : oui, un vétérinaire peut mettre la vie d'un animal en danger en refusant de le soigner.</p>
<p>Je vous imagine suffoquer, ou vous demander ce qui me prend de balayer ainsi l'article R242-48 du Code Rural qui précise bien :</p>
<blockquote><p>VI. - Il doit répondre dans les limites de ses possibilités à tout appel qui lui est adressé pour apporter des soins d'urgence à un animal. S'il ne peut répondre à cette demande, il doit indiquer le nom d'un confrère susceptible d'y répondre. En dehors des cas d'urgence, il peut refuser de prodiguer des soins à un animal ou à un lot d'animaux pour des motifs tels qu'injures graves, défaut de paiement, pour des raisons justifiées heurtant sa conscience ou lorsqu'il estime qu'il ne peut apporter des soins qualifiés.</p></blockquote>
<p>Le mot clef de ce petit piège ludique est <strong>urgence</strong>.<br />
Mettons que votre chien souffre d'une otite externe. Un vilain pavillon auriculaire bien enflammé. Mal maîtrisée, une otite peut atteindre l'oreille moyenne, voire l'oreille interne (c'est à dire le cerveau). Je ne plaisante pas, j'ai déjà vu ça.<br />
Seulement, une otite externe est tout sauf une urgence !
Si votre chat est insuffisant cardiaque (un petit souffle et une hypertrophie concentrique ?), rien ne l'oblige à le soigner : ce n'est pas une urgence, même s'il risque d'en mourir un jour, d'ici quelques années.</p>
<p>Si chaque question vaut un point, quelle est votre note sur 8 ?</p>
<p class="footnotes">PS : j'ai bien conscience de passer certains points un peu vite et de ne pas développer d'autres angles d'approche de certaines questions, car j'ai choisi de me limiter à la définition stricte de l'obligation de soins. Les plus attentifs se poseront sans doute des questions supplémentaires. Je tâcherai d'y répondre dans les commentaires, voire dans un billet ultérieur.<br />
Ce n'est cependant pas la peine de m'exposer vos relations avec votre vétérinaire ou vos clients dans l'espoir d'avoir mon avis. D'une part, ce n'est pas de mon ressort (et puis quoi encore ?), d'autre part, ce n'est pas non plus de ma compétence.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/03/18/75-obligation-de-soins#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/7Ethique, conscience et mal à l'êtreurn:md5:5f66884cd9211dbc3dd3d27a5f25cc4e2008-02-09T13:29:00+00:002010-11-09T12:23:41+00:00FourrureVétérinaire au quotidienanesthésiechiendéontologieeuthanasie <p>Désorienté et assez mal à l'aise.</p>
<p>Ce sont les mots que je choisirais après avoir géré un "cas" qui semblait pourtant assez simple.</p>
<p>Prenons les faits : M. et Mme Hermann sont un couple de retraités d'environ 70 ans. J'imagine qu'il vivent ensemble depuis plus de 40 ans.<br />
Depuis 19 ans, ils partagent leur existence avec Gitane, petite boule de poil inquiète de 5 kg, dont vous imaginez l'état de santé.</p>
<p>Un rendez-vous avec M. et Mme Hermann, c'est presque un rituel.<br />
C'est d'abord, lorsque j'ouvre la porte de la salle de consultation, l'image de ce couple très accordé. Monsieur Hermann porte un pardessus noir, un fin pull bordeaux et une écharpe grise. Ses cheveux argentés, très épais, sont parfaitement coiffés. Il a un chapeau gris. Ses chaussures noires sont impeccables. Madame Hermann porte un manteau de fourrure et une toque discrète, un foulard en soie noué autour du cou, une broche florale dorée sur la poitrine. Une mise qui pourrait être vulgaire, mais ces vêtements sont portés avec naturel, sans ostentation.<br />
Juste après l'image vient le parfum, celui de madame Hermann, un parfum très présent, assez lourd, une note de vanille presque oppressante. C'est curieusement ce parfum qui domine mes perceptions lors de mes rencontres avec M et Mme Hermann.<br />
Pas la voix grave, calme et posée de monsieur, ni les notes plus inquiètes de celles de madame.<br />
Pas la poignée de main ferme et souple, sans énergie excessive, de monsieur, ni la caresse de cette main légère, presque impalpable, de madame.<br />
C'est ce parfum de vanille, qui imprègne également le pelage de Gitane, tremblante, déjà, dans les bras de sa maîtresse.</p>
<p>Evidemment, avec une telle description, vous imaginez sans doute un couple de riches retraités jouant parfaitement le rôle de convives dans un diner du Rotary Club. Des gens cultivés, ou croyant l'être, (trop) bien pensants, sans histoire, qui vont à l'Eglise et votent à droite. Ce n'est pourtant pas l'image que je voudrais donner d'eux. Car si je devais choisir un mot pour définir leur apparence, ce serait <em>dignes</em>.<br />
J'apprécie ces clients polis, attachés à leur animal mais réalistes, qui comprennent les nuances d'un diagnostic ou d'un pronostic, et qui viennent briser ces clichés que nous rattachons tous, inconsciemment, à cette apparence.</p>
<p>M et Mme Hermann m'amènent donc, pour la troisième fois de l'année, leur chienne Gitane. Gitane a 19 ans. Comme tous les caniches de son âge, elle est cardiaque. Elle est presque aveugle (cataracte). Mais elle n'est pas devenue idiote, ses repères et ses réactions sont parfaitement cohérents.<br />
Mme Hermann vous en parlerait mieux que moi, mais elle parle au passé "Comme elle était belle, docteur. Une vraie petite fée, avec ses boucles dorées, et tellement intelligente, tellement câline. Un ange !"<br />
Aujourd'hui, Gitane est moins jolie, mais je dirais qu'elle est bien conservée pour son âge. Son poil est très fin, mais dense, et doux. Sa peau est impeccable. Elle est très bien toilettée. Ses articulations et ses postures sont normales (pas d'arthrose !). Bref, ce n'est pas un de ces vieux chiens visqueux qu'on ne caresse qu'avec dégoût, en souvenir d'une époque où ils étaient beaux et ne sentaient pas mauvais.</p>
<p>Il y a quatre mois, nous avons opéré Gitane pour lui retirer une tumeur mammaire. Malgré le risque anesthésique, tout s'est bien passé, et la chienne a très bien cicatrisé.</p>
<p>Aujourd'hui, M et Mme Hermann amènent Gitane à cause d'une espèce de croûte sous l'œil droit, une plaque vaguement suintante qui couvre sa paupière inférieure et quelques centimètres carrés de peau en dessous, quelque chose qui lui fait manifestement assez mal et que Mme Hermann n'arrive plus à nettoyer. Comme elle, je pense d'abord à un écoulement lacrymal muqueux qui se serait accumulé, compliqué d'une infection cutanée.<br />
Je prends de tout petits ciseaux, une minuscule lame de bistouri, et je commence à enlever cette plaque, millimètre par millimètre, en évitant les coups de dents d'une chienne qui, manifestement, éprouve une douleur intense à cet endroit.<br />
Finalement, je découvre que cette croûte suintante n'est pas issue de l'œil, mais d'un petit trou dans la paroi nasale, une fistule infra-orbitaire, complication classique d'une infection sinusale, elle-même provoquée par un abcès dentaire. Evidemment, les dents de Gitane sont dans un état catastrophique, mais nous avons jusque là refusé de prendre un risque anesthésique pour un détartrage.</p>
<p>Là, cependant, nous n'avons pas le choix. J'expose mon avis à M et Mme Hermann :<br />
Cette lésion ne guérira pas tant qu'il y aura une dent pourrie en dessous.<br />
Des antibiotiques seuls ne pourront nettoyer une pareille infection.<br />
Le traitement sera nécessairement chirurgical : extraction des dents gâtées et détartrage du reste, anti-inflammatoires et antibiotiques.<br />
L'anesthésie sera sans doute assez longue, et la chirurgie douloureuse. Le risque anesthésique est très élevé.<br />
Mais nous devons traiter la chienne : on ne peut pas infliger à Gitane de supporter une douleur pareille sans traitement. Ces abcès dentaires ne datent pas de hier, les médicaments n'ont pas pu les enrayer. Si Gitane est résistante à la douleur, il y a des limites à ce que l'on peut lui demander de supporter. Mme Hermann me le confirme : elle ne mange plus beaucoup, et se frotte souvent le museau par terre.<br />
"Il faut donc prendre ce risque anesthésique si l'on veut permettre à Gitane de continuer à vivre décemment." Je choisis cette tournure de phrase car elle ouvre la porte aux propriétaires pour parler d'euthanasie. Gitane a 19 ans, elle souffre, la chirurgie sera douloureuse et beaucoup d'autres petites choses commencent à ne plus fonctionner. S'ils choisissent l'euthanasie, je ne refuserais pas. Je vois que M et Mme Hermann saisissent parfaitement mon sous-entendu.<br />
"Mais, docteur, si jamais elle meurt pendant l'anesthésie, elle ne souffrira pas ?" La voix de M. Hermann est grave.<br />
La mienne aussi, lorsque je lui confirme, d'un simple "non", la justesse de ce raisonnement.<br />
Mme Hermann tourne son regard vers son mari, elle acquiesce. Elle me demande si je pense que l'opération la soulagerait vraiment, ce qui est le cas. Elle choisit donc la chirurgie, et repousse l'euthanasie. Je note un rendez-vous pour la semaine suivante, je mets la chienne sous antibiotiques et anti-inflammatoire après avoir réalisé un bilan sanguin qui se révèle excellent.</p>
<p>Ce soir là, je me sens mal à l'aise. Quelque chose me chiffonne.</p>
<p>Il me faut une semaine pour réaliser, lorsque j'hospitalise Gitane pour la chirurgie dentaire. M et Mme Hermann sont déjà partis lorsque je dépose la petite chienne dans sa cage. Le parfum de vanille m'oppresse. Je me demande... je me demande s'ils n'espèrent pas que Gitane meure pendant l'anesthésie. Consciemment, ou pas. Une fin qui leur permettrait de ne pas avoir à assumer le choix d'une euthanasie, qui leur donnerait l'impression d'avoir tout fait pour leur chienne, pour cette compagne qui a partagé 19 années de leur existence, pour cette petite boule de fourrure, "qui était si jolie. Un ange !"<br />
C'est presque une certitude.</p>
<p>J'ai un peu mal au ventre. Et si je poussais l'anesthésie ? Juste un peu trop ?<br />
Elle ne souffrirait pas.<br />
Ils seraient délivrés, la conscience apaisée.</p>
<p>Je joue avec l'idée, quelques minutes. Ce parfum de vanille m'obsède.</p>
<p>Je n'en parle à personne.
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br /></p>
<p>Trois heures plus tard, Gitane se réveille très lentement de son anesthésie. Elle est sous morphine, complètement désorientée.<br />
Dans une petite bassine, il y a dix dents pourries.<br />
Tout s'est parfaitement bien passé. Mon confrère et ma consœur ont parfaitement bien gérés cette anesthésie et cette chirurgie. Pendant ce temps, comme d'habitude, je consultais : je suis plus médecin que chirurgien.</p>
<p>Ce parfum, toujours.<br />
M et Mme Hermann rendent visite à Gitane dans l'après-midi.<br />
Je leur serre la main lorsqu'ils repartent. Gitane rentrera demain, nous la gardons pour gérer la douleur.</p>
<p>J'ai entendu les mots mal assurés de ma consœur s'échapper du chenil quelques minutes auparavant : "mais elle est toujours jolie ! Bien sûr, là, elle bave, elle saigne, elle est assommée par la morphine, mais vous retrouverez votre petite Gitane dès demain !"<br />
J'imagine madame Hermann murmurant : "elle était si jolie !"</p>
<p>Lorsque la porte se referme sur le couple, je tourne mes yeux vers ma consœur, au fond du couloir. Les poings sur les hanches, elle a l'air déstabilisée. Fragile. Très belle. "Ils avaient l'air... presque déçus, quand ils ont appris que tout s'était bien passé."</p>
<p>Je ferme les yeux. Juste un instant.</p>http://www.boulesdefourrure.fr/index.php?post/2008/02/09/50-ethique-conscience-et-mal-a-l-etre#comment-formhttp://www.boulesdefourrure.fr/index.php?feed/atom/comments/51